Oecuménisme, Jubilé, Parousie

À partir de la destruction du Temple, en l’an 70, les deux traditions, la juive et la chrétienne, vont lire et interpréter, la Bible de manière différente.

Le judaïsme moderne se fonde, à partir de l’école pharisienne, sur la substitution des cérémonials du sacrifice, pratiqués dans le Sanctuaire du Temple, par l’étude du Livre dans la Synagogue : pour eux, désormais, l’interprétation du livre va se substituer au sacrifice cultuel.

Les chrétiens lisent le même texte, la même parole, mais en les plaçant, désormais, sous le paradigme de l’accomplissement en Christ.

Le Temple de Dieu est devenu, pour les premiers, la Torah ; pour les seconds, il se manifestera en une personne : Jésus, le Fils unique bien aimé, l’agneau de Dieu. Ce dernier provoque par sa mort sur la croix, le déchirement du voile du Temple, signifiant désormais“l’accès devenu libre au sanctuaire céleste”. 1460

‘Jésus poussa de nouveau, un grand cri, et rendit l’esprit. Et voici, le voile du Temple se déchira en deux , depuis le haut, jusqu’en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent. 1461

Plus largement encore, le temple de Dieu, pour les chrétiens, est devenu leur propre personne, leur propre corps. 1462

Paul explique, dans un passage de l’épître aux hébreux, 1463 que, dans le sanctuaire ancien, il y avait en fait deux voiles : le premier, permettait l’entrée dans le Lieu Saint, où se tenait habituellement le sacrificateur pour offrir les offrandes, le second, le Lieu très Saint, où le sacrificateur n’entrait qu’une fois l’an (pour le rite annuel de la grande expiation, le Yom Kippour) . 1464

‘C’est ce que le Saint-Esprit nous atteste aussi; car après avoir dit :’ ‘Voici l’alliance que je ferai avec eux, après ces jours-là dit le Seigneur : Je mettrai mes lois dans leurs coeurs, et je leur écrirai dans leur esprit, il ajoute : Et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités. Or, là où il y a le pardon des péchés, il n’y a plus d’offrande pour le péché. Ainsi donc, frères, puisque nous avons, au moyen du sang de Jésus, une libre entrée dans le sanctuaire par la route nouvelle et vivante qu’il a inaugurée pour vous, au travers du voile, c’est à dire de sa chair, et puisque nous avons un souverain sacrificateur établi sur la maison de Dieu, approchons-nous avec un coeur sincère, dans la plénitude de la foi, les coeurs purifiés d’une mauvaise conscience et le corps lavé d’une eau pure. 1465

Cette allusion finale à l’eau du baptême reprend en fait un texte d’Ézéchiel :

‘“Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés; je vous purifierai de toutes vos souillures, de toutes vos idoles. 1466

C’est alors qu’Ézéchiel poursuit son écrit par cette prophétie souvent reprise en église chrétienne au moment eucharistique, ou liturgique, au moment de la confession des péchés, ou de l’annonce du pardon de Dieu :

‘Je vous donnerai un coeur nouveau, et je mettrai en vous, un esprit nouveau ; j’ôterai de votre corps le coeur de pierre, et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai mon esprit en vous, et je ferai que vous suiviez mes ordonnances, et que vous suiviez et pratiquiez mes lois. 1467

La suite du texte est cependant largement centrée sur la promesse reçue comme prophétique aux différents âges de diaspora juive.

‘Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères; vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. 1468

Le Temple, lieu de la présence divine par excellence, nous renvoie cependant simultanément à deux notions bien chrétiennes : celle de l’oecuménisme, marche vers l’unité de foi des églises, qui signifie littéralement dans la langue grecque, terre habitée, celle de la Parousie qui signifie selon la même racine, la venue, être là. L’espérance de l’accomplissement du retour du Christ. La rencontre aujourd’hui, entre cette terre habitée, et cette “Parousie”, est à rapprocher de l’espérance des juifs convertis au christianisme mais fidèles néanmoins à leur foi juive, à la culture d’Israël et qu’on nomme les juifs messianiques. Pour les juifs, pour qui la semaine se termine par le sabbat, jour du Seigneur, Parousie en quelque sorte, ces deux milles ans d’histoires semblent traversées par l’étude, et le travail. Le peuple dispersé vient de retrouver une terre ... habitée ... l’espérance juive prend corps sur cette terre. Pour les chrétiens, la semaine commence par le Jour de la résurrection et se termine avec le jour de repos de l’ancienne alliance, d’un zénith à l’autre. L’église découvre, plus fortement depuis Vatican II, par le mystère d’une présence, Parousie, l’oecuménisme succédant aux guerres et divisions de tout ordre ... L’espérance prend corps dans cette vision oeucménique.

A Yom Kippour , le sacrificateur, le seul jour, nous l’avons dit, où il lui était permis d’entrer dans le Saint des Saints, tirait au sort entre deux boucs : le premier était sacrifié à l’autel, le second, le “bouc émissaire”, envoyé à Azazel, dans le désert, où il devait mourir, également, chassé. Cette étrange pratique, signalée dans la Bible, dans un seul passage, du livre du Lévitique, a donné lieu à des interprétations divergentes. On a beaucoup discuté sur le sens de ce verset : Aaron jettera un sort sur les deux boucs, un sort pour l’Éternel, un sort pour Azazel. 1469

‘“Le sens le plus probable d’Azazel est : renvoi total c’est à dire bannissement solitude. La signification de ce verset serait : “L’un pour l’Éternel, l’autre pour le retranchement total. 1470

Si nous nous rangeons à cette interprétation donnée par le ”Nouveau Dictionnaire Biblique “ ce désert d’Azazel, ce lieu du retranchement total, où le second bouc devait être tué par un homme qui devait laver par la suite ses vêtements dans un lieu saint et offrir un holocauste, ne ressemble-t-il pas curieusement à la longue traversée de deux mille ans d’histoire, de la dispersion, de la diaspora juive, sefarade, achkhenaze et autre, depuis l’an 70 de l’ère chrétienne, et justement la destruction du temple, qui correspond avec les temps d’une église chrétienne naissante, jusqu’à la Shoa, puis, la restauration de l’état d’Israël en 1948 ?

Si les lectures chrétiennes ont cependant souvent abusé de ce rapprochement en n’en retenant que le sens d’un jugement sur Israël, elles semblent aujourd’hui, en découvrir l’espérance. Le projet de Dieu ne serait pas le jugement d’Israël, mais le salut d’Israël et de l’humanité.

Entre, la “terre habitée” et “la venue” ou la “présence “du Christ, l’oecuménisme, la marche des hommes, et la Parousie, le don de Dieu, il existerait une place encore ... pour une révélation ... pour un accomplissement, pour une écoute et une prière communes.

Cet espace entre Dieu et les hommes, espace ouvert, est inscrit tout autant dans l’histoire chrétienne que dans l’histoire du judaïsme depuis deux mille ans. Dans l’expression même de leur marche commune et distincte à la fois, marche par la foi, selon leur espérance moins distincte que commune.

Les deux lectures d’une même histoire trouvent dans leur attente habitée l’expression même d’un dialogue ininterrompu avec le Dieu biblique. Le sens d’une attente commune .

Le jubilé, entre autre, en exprime fortement le caractère singulier.

Le jubilé, institution du droit biblique, intervenant tous les cinquante ans, supposait un retour à la restauration des propriétés familiales, comme la libération de tout esclave qui habitait le pays.

L’année du jubilé débute à Roch ha-chanah et au soir de Yom Kippour.

‘Au jour des expiations, vous ferez retentir le son du cor (Chofar) à travers tout votre pays (...) en proclamant ( ...) la liberté pour tous ceux qui l’habitent. 1471

Les deux lectures d’une même révélation se fondent au moins sur trois mystères communs. Nous entendons par mystère, les ruptures de sens que nous trouvons aux fondements implicites des langages, des hypothèses rationnelles, et des investigations de tout ordre. Comme à l’origine des pédagogies humaines, à la source d’une pédagogie primordiale le plus souvent implicite.

La premier mystère commun au judaïsme et au christianisme est celui de l’incarnation, la dimension active du verbe de Dieu sur la terre des hommes, au coeur de l’homme : l’oecuménisme, en ce sens, la terre habitée, est, en bout de course, le coeur de l’homme.

Pour le judaïsme, la terre promise à Abraham trouve encore une résonance vivante et concrète. D’autre part, comme en christianisme, d’ailleurs, cette terre peut devenir également le monde entier.

Le second mystère commun est celui de l’alliance qui donne à Israël, qui ouvre en lui, pour lui, une dimension messianique qui va peu à peu se préciser, au fil de l’histoire biblique et post-biblique. Et de son cheminement, au travers de différentes étapes, de Noé à Abraham, d’Abraham à Moïse, de Moïse aux prophètes, pour l’ensemble des deux lectures. Dès lors, il y a bifurcation : les chrétiens voient ce chemin s’accomplir en Christ, les juifs se tournent vers l’étude de la Torah, de la Bible, pour découvrir le sens de la perspective messianique.

Le troisième mystère est celui du cheminement dans l’histoire, avec l’histoire, par l’histoire, qui donne sens à l’histoire d’un peuple, à l’histoire singulière de chacun, à l’histoire des hommes.

Ces trois mystères communs trouvent incontestablement leur source singulière dans la Bible. Ils en manifestent donc fortement l’un des caractères de la singularité éducative. Ils expliquent qu’aujourd’hui, (où historiquement, le dialogue interrompu, dès l’église primitive, semble reprendre et rendu à nouveau possible, trouvant les conditions de son déroulement, parmi beaucoup d’hommes contemporains, chaque jour plus nombreux, chrétiens et juifs), Israël et l’église ont une espérance commune, un destin commun, que le mouvement des juifs messianiques, créé à partir du retour en Terre Sainte, accentue et revendique comme prophétique. Selon les juifs messianiques ce retour est annonciateur de temps nouveaux, et, selon l’espérance chrétienne, de la conversion proche d’Israël au christianisme, et , selon l’espérance juive, de la conversion des chrétiens à la culture biblique et juive.

Notes
1460.

L’expression est de Xavier LÉON-DUFOUR, dans son “Dictionnaire du Nouveau Testament” ; (page 549).

1461.

Matthieu XXVII 49 à 51 ; Marc XV 38 ; Luc XXIII 35.

HÉRODE avait entrepris la construction du “troisième” temple de Jérusalem en 20-19 avant Jésus-Christ. Pour cela, il fit détruire, en partie, agrandir, et restaurer, le second temple, celui de ZOROBABEL, construit entre 537 avant Jésus-Christ et 515, année où il fut probablement consacré. Dans le Temple d’HÉRODE, un voile séparait le lieu saint, du saint des saints, GUERRE V 5. 5. (cité par le Nouveau Dictionnaire Biblique ).

1462.

I Corinthiens III 17 ; I Corinthiens VI 19 ; II Corinthiens VI 16

1463.

Hébreu IX 1 à 12 Si dans le lieu Très Saint le Souverain Sacrificateur n’entrait selon la loi, qu’une fois par an pour le Yom Kippour, la controverse a parfois semble-t-il existé : quel voile s’est déchiré le premier ou le second. Xavier Léon DUFOUR lit l’explication de Paul comme faisant mention du premier voile.

1464.

Lévitique XVI

1465.

Hébreux X 11 à 22 Le texte auquel Paul fait allusion est en Jérémie XXXI 31 à 34.

1466.

Ézéchiel XXI 25

1467.

Ézéchiel XXI 26 ....

1468.

Hébreux XXXVI 28

1469.

Lévitique XVI 8

1470.

NOUVEAU DICTIONNAIRE BIBLIQUE éditions Emmaüs 1806 ; Saint-Légier sur Vevey Suisse ; 3° édition revue de 1975 ; (à la page 74 ). Certains ont donné à Azazel le nom d’un démon (la Bible de Jérusalem, cite pour cette interprétation à laquelle elle se range, la Bible Syriaque), LUTHER l’entendait comme le nom du bouc, d’autres enfin, les adventistes du septième jour, en particulier, l’ont interprété comme étant Satan lui-même. Nous nous rangeons, quant à nous, par intuition, du côté de l’interprétation du “Nouveau Dictionnaire Biblique “qui nous semble aller dans le sens de l’ensemble du texte, et de l’enseignement biblique. Le dictionnaire encyclopédique du judaïsme le range sous le nom d’un lieu du désert, là où était conduit le bouc “émissaire “ il rejoint une version arabe, et la version de RASHI.(Citées par la TOB).

La TOB, sans prendre totalement partie, penche, comme la Bible de Jérusalem pour l’évocation d’un démon, sorte de satyre hantant les lieux désertiques. Dans l’Apocalypse apocryphe de Hénok, il est le chef des anges rebelles.

1471.

“DICTIONNAIRE encyclopédique du judaïsme “ Publié sous la direction de Geoffrey WIGODER “The encyclopedia of judaïsm “ (1989) ; adapté en Français sous la direction de Sylvie Anne GOLDBERG avec la collaboration de Véronique GILLET, Arnaud SÉRANDOUR, Gabriel, Raphaël VEYRET ; Cerf Robert Laffont Paris 1996 ; (page 527 ) citant le Lévitique XXV 9 à 10