2Herméneutique et liberté

La relation à Dieu vivant suppose et permet la prise en compte intégrale de la personne dans sa quête de Dieu. Dans les recherches scientifiques de certaines écoles de recherches contemporaines fondées sur une référence implicite au monopsychisme, où chaque recherche particulière ne vaut que par ce qu’elle serait susceptible de contribuer à apporter à la construction commune, la cohérence, la complétude, sont portées sur le système construit, l’objet. L’herméneutique dans le christianisme n’est pas première dans la mesure où elle ne s’exprime qu’au secours de la foi dont l’Esprit-Saint rend témoignage. Pour le Talmud, et l’ensemble de la culture juive, surtout à partir de la destruction du second temple de Jérusalem en l’an 70, sous l’impulsion du mouvement pharisien, l’essentiel va se porter sur l’étude. Marc Alain OUAKNIN rapporte cette légende juive de la tradition orale.

‘... une légende liée à la destruction du second Temple, en 70, de notre ère. Les Juifs résistent avec acharnement, mais la partie semble perdue. L’un des rabbins importants de la ville, Rabbi Yohanan ben Zakaï, va tenter le tout pour le tout en s’adressant directement au général romain, Vespasien. Pour sortir des murailles, il use d’un stratagème qui réussit : il s’enferme dans un cercueil et se fait porter hors de la ville. Il parvient jusqu’à Vespasien et s’adresse à lui avec ces mots. “Salut à toi, empereur!” Vespasien s’étonne, car il n’est que général, et s’apprête à faire corriger l’insolent, quand arrive un coursier de Rome qui crie : “Vive l’Empereur!” Pour remercier Rabbi Yohanan d’avoir été le premier à lui annoncer la nouvelle, Vespasien lui promet d’exaucer toute demande qu’il lui fera. Or, au lieu de demander à Vespasien d’arrêter le siège et d’épargner le Temple, Rabbi Yohanan a une requête pour le moins étrange : il demande l’autorisation d’ouvrir une école talmudique à Yavné! Ce que Vespasien accepte sur le champ. De là date une des révolutions mentales les plus importantes du peuple juif. On passe du cultuel au culturel! Le Temple de pierre construit par le roi Salomon est une perte infinie, mais on passe à la construction d’un Nouveau Temple, celui de l’esprit et de l’étude, grâce auquel le peuple juif va traverser l’histoire les exils et les souffrances de toutes sortes ... Le nouvel espace de sainteté, ce sera le Livre. 1488

C’est ce qui fait dire à ABÉCASSIS, comme à OUAKNIN, que, plus que la religion du livre, le judaïsme est celui de l’interprétation du livre, l’herméneutique est au centre du judaïsme. 1489 L’école de recherche moderne définit parfois, souvent même, jusqu’au sujet de recherche de l’apprenti chercheur. On pourrait, à première vue, dresser un parallèle avec les écoles talmudiques. Le Talmud ne se construisit-il pas, ne se construit-il pas, encore, aujourd’hui, au fil des années, comme la mémoire collective de rabbis discutant les uns après les autres sur les interprétations à donner à la Torah ? La différence est cependant de taille, puisque, dans le Talmud, l’objet de la recherche, le fin du fin de la construction commune, du questionnement, est ouvert à tous et non réservé au seul directeur de la recherche. C’est le même texte qui appelle les questions de l’élève et suscite la réponse ou les questions du rabbin. Ce qui y importe, alors, est la qualité de la question de l’élève, plus encore que la capacité de réponse du maître ou du livre. 1490

Dans les écoles talmudiques, “Beth Hamidrach”, ou “Bet Midrach” , le dialogue est de rigueur. 1491 Le mot hébreu midrach, lui-même signifie étymologiquement, à partir de la racine hébraïque “drch”, interroger, étudier. Ce détour étymologique, rappelle combien dans la culture juive, et le message biblique, l’étude est liée à l’interrogation, à la question qu’on pose, plus qu’à l’unique énonciation de dogmes, de réponses toutes faites. Ce sens du dialogue pourrait se trouver tout autant que dans l’herméneutique biblique chrétienne émergeant presque implicitement dès le Nouveau Testament, comme les différentes épîtres de Paul, Pierre, Jacques, Jean, et Jude en sont une illustration. S’il nous semble cependant avéré que l’herméneutique chrétienne se devait de pousser, à l’origine encore plus, la parole de chacun, 1492 l’écoute et la prise en compte de la parole de chacun, en récusant entre autre l’autorité toute finale et toute puissante “du maître de l’école” qui caractérisait les écoles rabbiniques, en lui substituant le témoignage des apôtres, il faut aller plus loin encore pour discerner une herméneutique néo-testamentaire d’une herméneutique de type talmudique. 1493

Soulignons en d’abord le caractère implicite : nulle part, dans les textes néo-testamentaires, il n’est question de méthode stricte, conduisant à déduire de manière irréfutable, la manifestation du Christ dans l’écriture, l’accomplissement de celle-ci par celui-ci. Ce qui constitue la manifestation principale de l’interprétation chrétienne de la Bible, n’est possible à entendre, à comprendre, que sous la conduite de l’Esprit-Saint et avec l’éclairage de la foi : mais celui-ci, celle-ci, ne passent-ils pas, ne se reçoivent-ils pas, essentiellement, au travers de témoignages humains, de rencontres, de dialogues ?

Penchons-nous sur le texte tiré du livre des actes 1494 de la conversion de l’eunuque éthiopien, moment décisif, puisqu’il signale l’ouverture de la Bonne Nouvelle aux non juifs. Il est à ce sujet très explicite.

  • L’Esprit-Saint en est l’acteur principal, qui, par un ange du Seigneur, s’adressant à Philippe, l’envoie sur le chemin du midi de Jérusalem à Gaza. L’Esprit s’adressera d’ailleurs directement encore à lui pour lui dire d’approcher d’un char.
  • L’eunuque éthiopien lit un passage du prophète Ésaïe, (il s’agit de l’épisode du serviteur souffrant, 1495 qui se laisse librement abaisser comme un agneau muet qu’on mène à l’abattoir, nous l’apprenons dans les versets suivants). Philippe l’entend.
  • Philippe lui demande alors s’il comprend vraiment ce qu’il lit. L’eunuque éthiopien lui répond alors : “Comment le pourrai-je si personne ne me guide ?”
  • Il demandera ensuite si le prophète parlait de lui-même ou de quelqu’un d’autre.
  • Philippe lui expliquera alors “la Bonne Nouvelle” du Christ ils trouveront un point d’eau et l’eunuque sera baptisé.

Quels seraient les fondements évangéliques et néo-testamentaires d’une telle herméneutique ? Ils sembleraient fortement ancrés sur la rencontre avec une personne, le Christ, dont les écritures parlent, alors que l’herméneutique juive va davantage s’employer à l’étude de la littéralité scripturaire.

L’herméneutique chrétienne, tout en se distinguant d’une herméneutique talmudique, en se dégageant de l’autorité d’un maître, a cependant parfois su recevoir de la culture juive, la prise en compte de l’interprétation personnelle du texte avant toute théorisation, de la discussion d’où jaillit parfois la lumière avant tout dogmatisation, sur le sens à donner à tel ou tel passage.

Ce type de rapport au texte nous semble particulièrement développé et pris en compte dans certaines communautés issues de la réforme, du mouvement évangélique où les études bibliques ne sont pas des dialogues avec un théologien spécialiste mais de véritables mises à plat de ce que le texte dit à partir de lui-même.

Cette façon d’appréhender le texte nous semble proche, très proche même de celle de l’église primitive des trois premiers siècles, très proche donc sans doute de ce que les textes des évangiles et l’ensemble du Nouveau Testament suggèrent comme herméneutique.

Car cette herméneutique néo-testamentaire, soulignons-le encore, est en grande part implicite dans le Nouveau Testament ; elle ne s’appuie pas sur des méthodes.

Il nous semble cependant, à la suite de Alfred KUEN, théologien évangéliste, que nous pouvons en dégager quelques principes. 1496

Alfred KUEN place la question de Philippe et la réponse de l’eunuque éthiopien en épitaphe de son livre.

‘“Comprends-tu vraiment ce que tu lis ?’ ‘-Et comment le pourrai-je, si je n’ai pas de guide ? “ 1497

Alfred KUEN distingue d’une part plusieurs étapes pour s’assurer d’une bonne méthode d’analyse du texte comme objet d’une recherche scientifique, avec pour objet final la compréhension de ce qui est dit, et, d’autre part, plusieurs principes qui permettent de lire le texte sous le regard de la foi chrétienne, avec pour objet final l’interprétation de ce qui est dit. Nous distinguerons donc une phase de compréhension, une phase d’interprétation christique.

Les sept étapes, d’après Alfred KUEN, ayant pour objet final la compréhension du texte supposant, pour s’assurer d’une approche “proprement “ scientifique, et applicable à tous les textes anciens sont les suivantes :

  • Première étape : S’assurer un texte fiable.
  • Deuxième étape : Observer le texte.
  • Troisième étape : Poser des questions d’interprétation.
  • Quatrième étape : Préciser le sens des mots.
  • Cinquième étape : Comprendre la phrase.
  • Sixième étape : Replacer la phrase dans son contexte littéraire.
  • Septième étape : Le contexte historique, géographique et culturel.

À cette première approche valable pour toute lecture d’un texte ancien, KUEN juge bon d’ajouter quelques principes nécessaires pour lire la Bible selon la foi chrétienne. La foi suppose un regard particulier, une volonté particulière qui n’entre pas en contradiction avec l’étude scientifique, mais qui la prolongerait tout autant sans doute qu’elle la fonderait indirectement.

Cette approche suppose un rapport à un texte fiable. Celui-ci est garanti en grande part, par les traditions de transmission qui sont de deux ordres : la transmission orale, et la transmission écrite.

En les distinguant fortement l’une de l’autre, la culture juive a, du même coup, permis d’identifier ces deux modes de transmission singulièrement séparés l’un de l’autre. Si la transmission orale était le fait de tout un chacun la trannsmission écrite était confiée à des spécialistes de l’écriture et du texte, les scribes, dont Esdras est une des figures marquantes, cinq siècles avant Jésus-Christ.

Les sept règles, particulières à la Bible, pour une interprétation selon la foi chrétienne et que dégage Alfred KUEN, sont les suivantes :

  • Première règle : Interpréter la Bible comme étant Parole de Dieu.
  • Deuxième règle : Interpréter l’Écriture par l’Écriture.
  • Troisième règle : Interpréter l’Ancien Testament à l’aide du Nouveau et inversement.
  • Quatrième règle : Interpréter correctement types et symboles.
  • Cinquième règle : Tenir compte de l’aspect progressif de la révélation.
  • Sixième règle : Interpréter de manière christocentrique .
  • Septième règle : Interpréter dans la communion de l’Église.

Soulignons la similitude, voire la complémentarité, entre les sept premières règles ces règles concernant tout type de texte, et celles qui conditionnent les études juives, et nous songeons aussi aux deux premières règles concernant plus typiquement la Bible dans la perspective chrétienne, selon KUEN : interprétation de la Bible comme Parole de Dieu, et interprétation de l’écriture par l’écriture.

À la base de l’étude juive post-christique, se trouve tout le travail des massorètes, successeurs des scribes, en particulier, et qui, entre le V° siècle et le X° siècle de l’ère chrétienne, entreprirent le long travail de division du texte en mots, en phrases, en sections : la massorah.

La massorah prolongeant le travail des scribes, indique l’importance accordée à la lettre par les juifs et garantit en grande partie, la transmission exacte de l’écriture au travers des siècles.

Le christianisme ne rejette pas a priori ce travail effectué pour garder intact le texte. Le travail des moines copistes en atteste. On pourrait même dire que ce travail lui pose la question primordiale de l’origine de l’écriture que Jésus vient non pas abolir mais accomplir.

Entre autres, se pose la question de l’origine de l’écriture et des rapports avec la transmission orale. Laquelle est première et inspire l’autre ?

Selon le judaïsme, la priorité est accordée à l’écriture, à la révélation de la Torah ; la tradition orale, si elle est précieusement conservée, ne venant qu’en complément. La culture chrétienne, pour ce qui est de l’Ancien Testament, ignore la tradition orale juive, mais aurait tendance paradoxalement à lui conférer dans certaines théologies récentes dominantes et popularisées, l’origine des écritures.

Il n’est pas secondaire, sans doute, de considérer cette question du rapport entre l’écriture et la tradition orale. Il semble bien plutôt, selon la lecture des Pères de l’église, que la tradition orale soit seconde et commentaire bien davantage que source de la tradition écrite.

La question reste ouverte et trouve des réponses différentes selon les différents types de texte qui constituent le corpus biblique. Le fait est que ce corpus est peu discuté et constitue la base de référence des uns et des autres, et cela constitue déjà une singularité qui mérite notre attention.

Nous voyons bien que le statut et l’origine des différents textes supposent un rapport différent à l’étude et à la tradition orale.

En judaïsme, la Torah est parole de Dieu, les livres des prophètes sont davantage lus comme des livres historiques, les hagiographes, les écrits, quant à eux, recoupent des pratiques liturgiques, des recueils de littérature sapientielle, tout en mettant en scène d’autres livres historiques.

Le chirsitanisme, traditionnellement, n’a pas jugé toujours aussi utile de légiférer de façon trop catégorielle et catégorique, entre les différents types d’écrits et en conséquence sur les différents types de rapport supposés avec une révélation, avec une pratique ecclésiale.

Il reste que l’on ne peut sans doute, a priori, pas lire tous les textes avec le même regard et que ce travail de repèrage dans les différents types de textes revêt sans doute un importance primordiale.

Dans une troisième partie de son ouvrage, Alfred KUEN distingue les approches spécifiques que supposent les différents types de textes. Il distingue :

  • Les textes narratifs.
  • Les discours.
  • Les textes poétiques.
  • Les psaumes.
  • Les textes de la Loi.
  • Les prophéties.
  • Les paraboles.
  • Un texte tiré d’une épître.

Il serait sans aucun doute possible de tirer d’autres catégories selon le prisme choisi pour les identifier. Le regard de KUEN a le mérite d’être très clair. Mais est-il toujours adapté à la culture intrinsèque qui émane de la Bible ?

Peut-on, par exemple, distinguer facilement, et sans risque réducteurs, un texte poétique d’un texte prophétique ? La répartition hébraïque selon trois types de textes semblerait davantage en harmonie, en osmose, avec cette culture biblique intrinsèque. La question reste ouverte.

Le fait même de cette question ouverte n’est-elle pas d’ailleurs une singularité biblique ?

Une fois déblayées ces questions théologiques d’interprétation qui sont à la base des différentes lectures juives ou chrétiennes, est-il possible de remonter alors jusqu’à la source de ce qui pourrait constituer une trame commune aux différentes lectures juives ou chrétiennes ?

Est-il possible de discerner les raisons qui, au-delà des débats herméneutiques, ont permis l’émergence d’une liberté singulière, de libertés singulières, de fondements communs, de valeurs indscutables et indiscutées ?

Autrement dit, pourquoi toutes ces questions, ces querelles d’école, à la base de la division parfois tragique entre juifs et chrétiens, puis des chrétiens entre eux, voire des juifs entre eux, se sont-elles développées, et surtout à partir de quelles références communes ?

À la source de ces différentes lectures qui sont autant d’expressions de libertés singulières, nous retrouvons un texte commun, une référence commune, conservés de part et d’autre de génaration en génération comme un témoignage réciproque qui reste encore à élucider.

Dans cet écrit, notre propos n’est pas de dire l’indicible, mais de le signaler.

Pouvons-nous nous pencher sur le caractère éducationnel de la Bible sans relever cette question ? La Bible est le livre, la somme des livres, qui est à la source de cette liberté de cette émergence d’un dialogue. Ce fait est une réalité objective.

Nous avons déjà signalé quelques unes de ses spécificités éducationnelles, mais comme en amont de toute pédagogie humaine, à la manière d’une pédagogie primordiale à la source de pédagogies humaines, à la source de l’émergence d’une altérité, d’altérités multiples. La question de l’unanimité possible ou impossible revient toujours à partir de cette conscience de l’altérité première et dernière posée. Comme si la question première de la Bible consistait à révéler chacun à une identité singulière.

Un regard herméneutique complémentaire à celui de KUEN, nous est fourni spécialement par le théologien et scientifique américain James REID 1498 selon une approche proche de celles que d’aucuns taxent aujourd’hui parfois de fondamentaliste, et qui pourtant, semble être reliée à celle qui est à l’origine de toute l’herméneutique et de toute l’exégèse biblique réformée, comme de l’ouverture de celles-ci aux méthodes scientifiques d’investigation. 1499 Cette ouverture à la science contemporaine s’est bien opérée, dans le protestantisme, avant toutes les autres, dès l’orée du XIX °siècle. Historiquement parlant, cette ouverture aux sciences en général, comme ce respect des découvertes scientifiques, sont même, nous semble-t-il, le fait de l’exégèse biblique réformée, depuis l’origine de la réforme. REID confronte la compréhension endogène de la Bible et les progrès exogènes par rapport à elle de la science et des connaissances qui s’y rattachent. Nous pourrions donc, en complémentarité avec le point de vue de KUEN, parler pour cet auteur de la mise en place ici des principes d’une “herméneutique exogène” 1500 .

James REID se fonde sur deux postulats :

  • d’une part la Bible est parole de Dieu, le Dieu de la Bible est le Dieu Tout Puissant,
  • d’autre part il est aussi le Dieu de la connaissance 1501 .

Donc, il n’y a aucune raison d’opposer science et Bible, mais au contraire il faut tenter de comprendre que lorsque la science progresse, la connaissance de la Bible également, et réciproquement. Le Dieu de la Bible étant aussi celui de la connaissance,James REID pose deux postulats : les connaissances humaines sont en évolution constante, les lectures mêmes que fait l’homme de la Bible sont en perpétuelle réformation, face à cela, la Bible affirme une invariance, une relation à l’éternité, une permanence, de la Parole de Dieu. À partir de cela, il dégage six principes de ce que nous nommerons une “herméneutique exogène”.

‘1/ La Bible et les faits scientifiques peuvent être comparés.’ ‘2/ La progression des savoirs peuvent donner à l’homme une meilleure compréhension de la Bible.’ ‘3/ Les malentendus, les concepts erronés et les mauvaises interprétations, sont souvent le résultat d’un manque de connaissance de la part de l’homme, tant de la Bible que de la science, comme aussi d’un manque de foi.’ ‘4/ La science ne dispose pas toujours de tous les renseignements. (Un peu de foi économise souvent doutes et tribulations tandis que nous attendons que les savoirs se mettent à jour).’ ‘5/Les faits découverts par la science, souvent peuvent requérir des changements dans l’interprétation traditionnelle. (Les limites que l’homme a fixées à Dieu et à la Bible doivent disparaître, même si de telles limitations ont été posées avec les meilleures intentions).’ ‘6/La Bible a un message pour toutes les époques et aussi pour (de manière singulière) la nôtre. 1502

La révélation biblique donc, d’après ces deux auteurs, comme d’ailleurs pour l’ensemble des exégètes chrétiens, comme pour une partie, très largement majoritaire, des rabbins juifs d’aujourd’hui, ne se lit pas comme une divination, car elle n’agit pas comme telle, et du fait même du message délivré : ce message qu’elle délivre se veut intelligible pour tous avec la participation effective de l’intelligence humaine. Et cela malgré la pratique usitée par certains de la kabbale en judaïsme qui, d’ailleurs, n’est pas elle-même, sans aucun doute, une pure divination, mais bien plutôt une investigation méthodique et se voulant rationnelle du signe écrit, dans la Torah.

Nous ne pouvons, pour comprendre, dès lors, que revenir au dialogue direct, à la prière, au rétablissement d’une relation vivante, au coeur même de l’étude, et non pas seulement une fois l’étude terminée. Les chrétiens, après CALVIN, parleront du témoignage intérieur de l’Esprit-Saint. Martin BUBER, en judaïsme, pressentit toutes ces choses, avec une acuité extrême, et l’exprima de façon très claire en 1923 lorsqu’il rédigea “Je et Tu “: La relation avec Dieu est une relation de Je à Tu, de Tu à Je, elle ne se déroule et ne prend vie que dans le dialogue incessant qui préside incessamment à l’étude et à la prière, qui préside à la vie même et nous envoie vers elle :

Dieu embrasse le Tout, mais il n’est pas le Tout puisqu’il pose par principe l’altérité. De même, Dieu embrasse ma personne mais il n’est pas ma personne. Le premier pas est toujours de son fait, mais il espère ma réponse qui ne peut être que de mon fait. À cause de cette vérité ineffable, posée dans la foi, je ne peux dire “Tu” qu’en propre, qu’en ma propre langue, comme chacun ne peut le dire qu’en la sienne. À cause de cette vérité, “ Je” et “Tu”, entrent en dialogue, dans une langue singulière. L’esprit rencontre le langage dans l’acte originel : la langue des hommes est rencontrée par l’esprit de Dieu. De toute éternité, le verbe est premier, mas à présent le verbe peut également devenir parole dans l’incarnation des paroles et des gestes des hommes.

Alors, il ne s’agit pas d’une doctrine qui puisse s’enseigner en dehors d’une exhortation, autrement dit d’une catéchèse, qui selon le grec “ kat ékhéô “ signifie tout à la fois, “faire retentir aux oreilles”, et informer : faire retentir une information. Saint FRANçOIS D’ASSISE écrira au début de l’année 1224, à frère Antoine, un frère franciscain qui deviendra plus tard, saint ANTOINE DE PADOUE, ville où il enseignera après avoir enseigné à Bologne, une lettre fraternelle où il disait ceci :

‘Il me plaît que tu enseignes aux frères la sainte théologie, pourvu que dans cette étude tu n’éteignes pas l’esprit d’oraison et de dévotion, comme il est prescrit dans la règle. 1503

Mais cette exhortation initiale, inhiberait-elle la recherche initiale, limiterait-elle les champs d’investigation ? Là semble être toute la question que l’église n’a historiquement pas toujours su résoudre de façon unanime en tout cas, sur les question épineuses des rapports entre science et éthique, entre autre. Il reste que cette question même découlerait-elle de la forme même de la révélation ? La révélation, en permettant que la question se pose, ne fournirait-elle pas du même coup la réponse ? Une réponse de liberté contenue dans la question posée...

La révélation ne pourrait se développer que dans et par la liberté, dans l’espace ouvert, en celle-ci. Mais alors, le cheminement et l’approfondissement du sens, tout autant historique qu’étymologique de la catéchèse, qui va de la proclamation initiale à l’information donnée, nous montrerait, et signalerait, avec une acuité singulière, cette originalité biblique, et évangélique.

L’herméneutique, elle même, n’échapperait dès lors pas à cette proclamation d’une liberté fondatrice, et nécessaire, mais la rejoindrait de toute part.

Historiquement, il est clair cependant que, là où le christianisme a privilégié l’annonce de la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, l’accomplissement par la charité, et la vie dans l’Esprit-Saint, le judaïsme s’est développé, à partir du bet midrach (maison d’études), encore aujourd’hui, rattaché à chaque synagogue, puis, à partir de Babylone et de Érets Israël, centres des rédactions des deux Talmuds, des yechivot, rattachées à des régions entières, essaimant à partir du troisième siècle et se transformant en académies, centres juridiques et de diffusion de la responsa rabbinique. Le judaïsme a donc développé de façon beaucoup plus centrale le rapport à l’herméneutique, puisque il semble avoir puisé là, son identité même, et sa force de survie.

Notes
1488.

OUAKNIN Marc-Alain in “La plus belle histoire de Dieu - Qui est le Dieu de la Bible ?” Seuil Paris 1997 ; (pp 88 et 89).

1489.

In ibidem page 61.

1490.

Marc-Alain OUAKNIN explique souvent, au fil de ses ouvrages, que l’ensemble de la tradition talmudique ou de la tradition de la kabbale d’Israël, considèrent que l’absence de voyelles dans la Torah est voulue par Dieu pour que l’homme exprime par sa bouche, comme par une sorte de mise en musique, par lui-même, de lui-même, quelque chose de cette parole de Dieu qui dès lors ne devient parole pour l’homme que si celui-ci en quelque sorte l’épouse de sa bouche et de son coeur.

OUAKNIN Marc Alain “ Concerto pour quatre consonnes sans voyelle “ “Au delà du principe d’éternité.” Balland Paris 1991 ; (372 pages). OUAKNIN Marc Alain “Ouvertures hassidiques” Jacques GRANGER Paris 1990 ; (184 pages).

OUAKNIN Marc-Alain in “La plus belle histoire de Dieu - Qui est le Dieu de la Bible ?” Seuil Paris 1997 ; (177 pages).

Au chapitre “la mélancolie de Moïse” , de ce dernier ouvrage, il écrit, en commentaire d’une vision, rapportée par le Talmud, et qui commence par le récit d’une vision de Moïse monté au ciel qui voit Dieu assis en train de mettre des petites couronnes au dessus de chaque consonne de la Torah.

“La leçon de ce récit, c’est que le sens du texte n’est pas seulement celui que l’auteur a voulu lui donner, mais celui que l’auteur de chaque génération lui donne. Il n’y a pas le sens du texte mais le sens que je lui donne. Le texte veut dire quelque chose mais il peut aussi dire autre chose. Il est ouvert à l’infini. Il y a un au-delà, une “transcendance” des mots. Être un lecteur c’est être à l’écoute de cet au-delà des mots, de ces petites couronnes au dessus des consonnes, que Dieu a placées lui-même, selon notre histoire. ; (pages 84 et 85).

1491.

Les questions posées sur les problèmes juridiques quotidiens l’étaient par écrit par les communautés, des laïcs, ou des rabbins, aux rabbins spécialistes du Talmud, aux autorités rabbiniques collégiales qui répondaient dès lors.

Les réponses “responsa “ (terme d’origine latine), transmises d’une communauté à l’autre, permirent le maintient de l’unité dans le judaïsme de la Diaspora. Cette pratique “cheélot ou-techouvot” en langue hébraïque (question réponse) contribua à l’uniformisation du judaïsme et faisaient jurisprudence. Aujourd’hui encore cette pratique essentiellement rabbinique contribue à mettre à jour les décisions prises et faisant désormais figure de référence.

1492.

La parole de chacun n’y est plus tant interrogation herméneutique que témoignage suscité par l’Esprit-Saint.

1493.

Pour les juifs talmudistes les yechivah (les académies talmudiques ) sont le pilier du monde. (In ibidem page 92).

1494.

Actes VIII 26 à 40

1495.

Ésaïe LIII 7 et 8

1496.

KUEN Albert “Comment interpréter la Bible ” Emmaüs Saint-Légier Suisse 1991; (321 pages).

1497.

Actes VIII 30

1498.

REID James “Dios, el atomo y el universo” (1967 pour l’édition originale en anglais) ; traduction en langue espagnole Julio C. OROZCO ; Editorial Caribe Miami Floride USA ; 1976; (239 pages).

1499.

Signalons cependant que l’ouverture aux méthodes scientifiques d’investigation critique fut l’oeuvre de l’oratorien français Richard SIMON (1638 -1732) qui est souvent considéré aujourd’hui encore comme le fondateur de la critique biblique contemporaine. Il écrivit en 1678 “Critique du vieux Testament “ qui fut justement dirigé contre les protestants ... Il écrivit encore en 1689 “Histoire critique du Nouveau Testament “ et en 1690 “Histoire critique des versions du Nouveau Testament.”

Spécialiste des langues sémitiques, il voulut, à l’aide des apports de la philologie, limiter le rôle de l’inspiration divine ce qui provoqua sa mise à l’index, son exclusion de l’Oratoire et les vives critiques de BOSSUET.

1500.

C’est nous qui employons ce terme.

1501.

James REID s’appuie sur un passage du livre de Samuel : I Samuel II 3. “Ne parlez plus avec tant de hauteur; que l’arrogance ne sorte plus de votre bouche; car l’Éternel est un Dieu qui sait tout et par qui sont pesées toutes les actions.”

1502.

In ibidem ; (page 47). Traduit par nos soins.

1503.

Cité par GREEN Julien “Frère François” Seuil Paris 1983 ; ( à la page 284 ).