L’objectivité de la révélation biblique ?

Parler avec une certaine objectivité de l’événement biblique n’est donc pas simple. Deux dérives sont soulignées, avec beaucoup d’humour, par Alphonse MAILLOT : 2017

La Bible, dans son intrinsèquéité, en proposant une suite de témoignages écrits, se situe, sans doute, moins entre les deux dérives que dans une toute autre perspective pédagogique. Remarquons comment, à loisir, les mêmes récits, dès l’Ancien Testament, sont relatés par plusieurs livres, à tel point, que semblent surgir çà et là des divergences d’interprétation liées semble-t-il aux sources d’information, du point de vue, de la mémoire, dont dispose le rédacteur. Ces divergences, ces points de discussion, voire parfois de discorde, apparente au moins, n’ont pas été gommées de la Bible, elles auraient pu l’être facilement, semble-t-il, par les générations de copistes et d’exégètes, pas plus que ne l’ont été les divergences dans les récits des trois synoptiques, voire de l’évangile de Jean, du Nouveau Testament, elles n’ont fait, davantage encore en judaïsme, dont toute la tradition orale et écrite n’est qu’un long commentaire de la Torah, qu’en christianisme, qu’alimenter les commentaires.

Ce détail indique sans aucun doute, que le respect dû au texte lu comme parole de Dieu a primé sur l’interprétation que chacun en donnait. La perspective orthodoxe, en judaïsme, comme aussi la perspective chrétienne de l’histoire de l’église, mentionne ces divergences pour les discuter, sans jamais toucher au texte saint. 2019 Se renforce ainsi le fait, maintes fois noté, que nous n’avons pas à faire à un système clos d’ordre théorique, mais à la révélation d’un Dieu vivant unique et singulier, rendu par le témoignage d’hommes tout aussi uniques et singuliers. Ce qui prime bibliquement est donc cette parole singulière rejoignant l’universel, nous avons eu l’occasion de l’exprimer. Toute perspective généraliste se substituant à cette quête, devient, dès lors, abusive, contraire même lorsqu’elle s’y substitue, à la perspective de Dieu qui ne veut jamais occulter la démarche personnelle,

la rencontre personnelle, mais prendre corps en elles.

Un exemple nous a semblé très évocateur de ce que nous tentons d’exprimer. Il s’agit des rapports aux dénombrements ou recensements du peuple, dans l’Ancien Testament. Nous avons vu, que David, dont le texte dit qu’il fut“excité par Satan” 2020 , fut tenté de faire le dénombrement du peuple. Nous pouvons penser que, ce moment du récit faisant suite à une victoire remportée sur les philistins, ce qui déplut à Dieu, fut de voir David se comporter comme ses adversaires, et mesurer ses forces, avant de livrer bataille, comme s’il ne devait compter pour l’emporter que sur ses propres ressources. Au contraire, les deux dénombrements relatés dans le livre des Nombres, cette fois-ci, sous l’ordre de Dieu, le premier, deux ans après la sortie d’Égypte, dans le désert du Sinaï, 2021 le second, lors de l’entrée du peuple dans la terre promise, trente-huit ans plus tard, au camp de Sittim 2022 , ne sont pas motivés par les mêmes raisons. Le premier est une prise en compte par Dieu de chaque personne de chaque tribu, avant l’entrée dans le désert. Le second vise à répartir équitablement le pays selon les tribus. Ce second dénombrement permet également de constater que seuls Caleb fils de Jephunné, et Josué fils de Nun, ont survécu, conformément à la parole de l’Éternel. 2023

Ainsi en est-il du très minutieux tableau des généalogies 2024 qui ouvre le premier livre des Chroniques dont l’objet principal, avec le second livre des Chroniques, est de rendre compte de l’histoire dans un style pratiquement journalistique, depuis les règnes de David puis de Salomon, jusqu’au royaume de Juda. L’objet de cette généalogie fort précise peut être d’ancrer l’histoire d’Israël dans le continuum de l’alliance. Le fait que la généalogie soit rendue d’une manière fort précise et claire, tendrait à placer plus précisément encore cette première inscription de l’histoire biblique dans le continuum de l’alliance, dans l’incarnation d’une histoire, où le moindre des hommes a une place, de premier ordre, dans la réalité et non dans le mythe.

L’objectivité biblique est donc comme inversée, elle ne part pas de la condition de l’homme mais regarde celle-ci comme de l’extérieur. Elle la rejoint. Cette objectivité renversée, inversée, rend compte du souci de Dieu pour chacun, pour chaque nom, chaque histoire, sa fidélité à ses promesses.

Son objet terminal est la confiance, confiance en Dieu, YHVH, Père, qui règne d’éternité en éternité, et qui veille sur chacun. Si Dieu prend en compte le moindre détail, c’est qu’il tient non seulement chaque homme, mais aussi chaque chose dans sa main. Jésus l’exprime en parlant du moindre des cheveux sur leur tête qui est compté et gardé par Dieu, lorsqu’il exhorte les disciples à la confiance.

‘“Et même les cheveux de votre tête sont comptés ne craignez donc point ...” 2025

On peut dire que cette phrase de Jésus rejoint l’esprit de la Torah, des psaumes, des prophètes, de la révélation biblique dans son intégralité, et de toute la tradition juive qui se distingue historiquement, répétons-le, des peuples environnants dans les temps en tout cas qui relient cette histoire à l’écriture même du texte biblique, par une relation à YHVH, Vivant, Créateur et Seigneur, qui ne peut être réductible à la matière, ni aux idées.

YHVH incréé, est toujours en dehors des idées et de la matière. Pour Israël, tous les commandements de la loi, sont comme une manière de se libérer des emprises dominantes des idées, (idoles) ou des ambitions de même type “de” la matière agissante selon une volonté propre (magie ) ou, “sur” la matière fut-elle maîtrisée, ( technique), pour fonder en la confiance en YHVH, seul, insaisissable, la source de la sagesse, la maîtrise des idées et de la matière. Non pas que les idées soient mauvaises, mais seule la foi, la confiance, les éclaire. Non pas que la maîtrise de la matière soit à redouter, mais seule la foi permet de l’envisager dans une paisible relation au monde, qui délivre des illusions du fatalisme magique, et de la toute puissance techniciste.

Il se trouve que YHVH ne se donne à connaître qu’à travers sa parole. Il se trouve que cette parole est réunie dans un corpus de textes, que la tradition donne comme étant écrits de mains d’hommes, à l’exception peut-être du Pentateuque pour lequel il existe une certaine polémique 2026 . Dès lors, parler de l’objectivité de la révélation biblique revient à reconnaître tous ces facteurs. D’une certaine manière, cette objectivité est, à l’intérieur même du texte, questionnée, et nous sommes conduits, par le texte lui-même, à prendre le point de vue du narrateur comme une partie prenante de celle-ci. Un exemple peut l’illustrer : les deux livres pratiquement contemporains l’un de l’autre, de Jérémie et d’ Habacuc, parlent différemment de l’occupation et de la déportation babylonienne. Le premier appelle à la soumission, tandis que le second s’inquiète de la non-intervention de YHVH. De fait, ces deux points de vue ne s’opposent que s’ils sont lus en dehors du point de vue de la foi qui les a fait réunir dans un même livre et qui les fait apparaître comme complémentaires, l’un de l’autre.

Notes
2017.

MAILLOT Alphonse “Un Jésus - “Vous, qui dîtes-vous que je suis ?” Lethielleux Paris 1996 ; (op. cit. ) ; ( page 293 ).

2018.

I Corinthiens I 21 “ Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a point connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de sa prédication. “

L’expression “plaisir bon “, formulée en rapport à ce passage de la première lettre aux Corinthiens, est de Alphonse MAILLOT . In ibidem ; (page 297 ).

2019.

Tout ceci nous semble accréditer par l’état actuel de l’écriture, qui maintient mystérieusement ses contradictions en état, et ceci en dépit des retouches supposées que certaines approches critiques postulent, cà et là.

2020.

I Chroniques XXI 1 à 6

2021.

Nombres I 1 à 23

2022.

Nombres XXVI 1 à 51

2023.

Nombres XIV 29 à 38

2024.

I Chroniques I 1 à IX 14

2025.

Mathieu X 30 (voir aussi Luc XII 7 ; Luc XXI 18 et 19 ; Actes XXVII 34).

2026.

Selon la conception juive, traditionnelle, le Pentateuque fut inspiré à Moïse. Mais lui fut-il dicté rouleau par rouleau, et ne le relia-t-il qu’au moment de sa mort, ou l’écrivit-il, dans un scellé continu, après l’avoir mémorisé au fur et à mesure de la traversée du désert, fut la question qui traversa le judaïsme traditionnel. ( Commentaire de Rabbi sur Gittin 60 a ) . Quoi qu’il en soit ces deux versions s’opposent radicalement à l’hypothèse des quatre ou cinq sources différentes défendues par la critique contemporaine. Aux quatre sources évoquées dans une note précédente, ( J ou Y ; E ; P; D) certains exégètes ajoutent une cinquième source dite JE, qui combinerait, à partir du livre de l’Exode les deux premières mentionnées. (J et E).

“DICTIONNAIRE encyclopédique du judaïsme “ Publié sous la direction de Geoffrey WIGODER “The encyclopedia of judaïsm “

(1989) ; adapté en Français sous la direction de Sylvie Anne GOLDBERG avec la collaboration de Véronique GILLET, Arnaud SÉRANDOUR, Gabriel, Raphaël VEYRET ; Cerf Robert Laffont Paris 1996 ; ( pp 778 ; 779).

Des considérations dites plus conservatrices existent toujours, et résistent aux analyses, spécialement dans les milieux évangélistes chrétiens. Elles privilégient une lecture de la Bible par la Bible. Selon cette perspective, le fait que l’auteur du Pentateuque ne soit pas mentionné est un mystère à conserver qui fait partie de la révélation même.