De la création à l’alliance, un chemin par la foi

Un chemin va ainsi, depuis la création de l’homme, dont Adam et Ève sont les premiers nés, figures de l’homme ancien, de la condition humaine à l’état brut, où le résultat de l’expression d’une altérité, entre l’humain et Dieu, entre l’homme et la femme, est la mort et le péché, 2027 jusqu’à l’alliance, qui conduit à la création nouvelle dont Jésus est le premier né, la figure de l’homme nouveau, 2028 et, où l’expression de l’altérité devient, sinon la source même de la vie, du moins une condition du départ et de l’arrivée de celle-ci. 2029 Remarquons comment l’altérité originelle, source apparemment de problèmes, devient une condition de l’alliance, une condition de l’existence humaine. Adam 2030 et Ève 2031 sont l’humain dans l’altérité. “Il n’est pas bon que l’homme soit seul.” 2032 Il faut souligner que l’altérité entre Dieu et l’homme s’exprime par une connaissance que Dieu a, celle du bien et du mal, et qu’Il pose par principe comme interdite à l’homme, sous peine de mort.

‘Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras tu deviendras passible de mort. 2033

La note de la Bible de Jérusalem, concernant ce passage du livre de la Genèse, nous paraît très judicieuse.

‘Cette connaissance est un privilège que Dieu se réserve et que l’homme usurpera par le péché. (Genèse III 5 à 22 ) Ce n’est donc, ni l’omniscience que l’homme déchu ne possède pas, ni le discernement moral, qu’avait déjà l’homme innocent et que Dieu ne peut refuser à sa créature raisonnable. C’est la faculté de décider soi-même ce qui est bien et mal et d’agir en conséquence, une revendication d’autonomie morale dans laquelle l’homme renie son état de créature. (cf Isaïe V 20) Le premier péché a été un attentat à la souveraineté de Dieu, une faute d’orgueil. Cette récolte s’est exprimée concrètement par la transgression d’un précepte posé par Dieu et représenté sous l’image du fruit défendu. 2034

Le rôle du serpent est de mettre en doute la parole de Dieu, et souligne, en effet, le péché d’orgueil.

‘Il dit à la femme : “Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? “ La femme répondit au serpent : “ Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit ; “Vous n’y toucherez pas, sous peine de mort.” Le serpent répliqua à la femme : “Pas du tout! Vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal.” 2035

Soulignons encore, il nous faut y revenir fréquemment, cette grande spécificité biblique, qui, d’une manière explicite, fait de l’homme le propre acteur de sa chute. Le mal, la mort, ne sont pas une conséquence d’un défaut de fabrication, (Dieu n’a pas “fabriqué” le monde comme on “fabrique “un objet, il l’a créé en lui insufflant la vie), mais de l’autonomie, librement consentie par Dieu, de l’être créé, la créature à son image, par rapport à lui-même, son créateur

L’histoire de Caïn (“qayin” signifie, nous l’avons vu, l’artisan le forgeron, mais le livre de la Genèse le rapproche aussi du verbe “qanah “ dont le mot est différemment traduit par “ acquérir” dans la Bible de Jérusalem, “procréer “ dans la TOB, “former “ dans la Bible SEGOND. “Ève enfanta Caïn, elle dit : “J’ai acquis un homme de par Yahvé” en Genèse IV 1 Bible de Jérusalem ) et de Abel (son nom a plusieurs rattachements étymologiques possibles, dans les langues sémitiques, s’il signifie “le souffle, la vapeur avec une notion de fragilité” en hébreu, il est “berger, meneur de troupeau” en araméen, ou “héritier” en akkadien ) voit apparaître la question de l’altérité sous forme de jalousie, de rivalité, qui conduisent au meurtre d’un frère par l’autre. On peut, en ce sens, bien que prolongeant peut-être de façon trop hasardeuse les étymologies, oser dire, qu’entre Caïn et Abel, s’opposent le paraître, et l’être, la force de la technique, et la fragilité de l’existence, condition de l’homme. Dès lors, nous y revenons, si la chute, était de l’effet de l’homme, le chemin de la réparation, va être de l’initiative de Dieu. Pour tirer l’humanité du trou dans lequel elle est tombée, Dieu fera alliance avec l’un d’entre les hommes, Noé, et poursuivra un chemin, de singulier en singulier, pour conduire au salut de quiconque, au salut de ceux qui le choisissent, de ceux qu’il a choisis, pour la création nouvelle. Cette alliance (”berit”, ou, “berît”) qui suppose une mise en commun, entre deux parties, est l’instrument même de la pédagogie de Dieu. Depuis Abram jusqu’à Abraham, de Saraï à Sara, de Jacob à Israël, cette marche par la foi se concrétise parfois par le changement de nom, signifiant la présence de YHVH, dans le destin des patriarches.Noé est donc le premier maillon, si le mot n’est pas trop impropre, de la grande chaîne de l’histoire de l’alliance qui va conduire au Christ. La condition et le moteur de la marche de l’alliance sera la foi 2036 qui répond au doute émis, par le serpent, interrogeant la parole de Dieu, lorsqu’il s’adresse à Ève : “ Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?” 2037 Remarquons encore que le serpent ne se contente pas d’interroger, il inverse la proposition de la parole de Dieu qui avait parlé ainsi : “ Tu pourras manger de tous les arbres du jardin mais (...) ” 2038 Dans la lettre aux hébreux au chapitre onze, Paul reprend vingt et une fois l’expression c’est par la foi” , relatant le chemin de la révélation qui prend source et fin en Christ. Le Christ n’est pas seulement l’aboutissement, nous l’avons dit, mais la source même du chemin de la révélation.

‘C’est par la foi que Moïse , devenu grand, refusa d’être appelé fils de la fille de Pharaon, aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que d’avoir pour un temps la jouissance du péché, regardant l’opprobre du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte., car il avait les yeux fixés sur la rémunération. C’est par la foi qu’il quitta l’Égypte sans être effrayé de la colère du roi ; car il se montra ferme, comme voyant celui qui est invisible. 2039

Pour Paul, le fait même de la foi précède l’alliance, on pouvait le vérifier facilement en remarquant la foi exemplaire de Noé, obéissant jusqu’au détail et précédant donc, par la foi, l’alliance que Dieu fit avec lui. La foi de Noé est sans doute la condition qui a permis l’alliance de Dieu avec lui. Paul dit que ce fut par la foi déjà, que le sacrifice d’Abel fut reconnu par Dieu comme étant plus excellent que celui de Caïn, et il parle de l’enlèvement d’Énoch, 2040 comme étant aussi un fruit de la foi. Or, ces deux événements précèdent également l’alliance faite avec Noé. D’un point de vue théologique, ce chapitre onze de la lettre aux hébreux qui commence par la fameuse définition de la foi déjà citée,” ferme assurance des choses qu’on espère, et démonstration de celles que l’on ne voit pas”, marque sans doute la ligne de démarcation entre les juifs orthodoxes et les chrétiens de l’église primitive.

Notes
2027.

Remarquons que l’épisode de la tentation (Genèse III ) et de la chute succède bibliquement à celui du don de la vie, où Dieu souffle dans les narines de l’homme, l’haleine de vie qui le rendit vivant. (Genèse II 7 )

Cette tentation n’est elle-même possible que parce que Dieu pose l’ interdit de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, événement dont la mention se situe entre les deux événements que nous venons de citer. (Genèse II 17).

2028.

Romains V ; I Corinthiens XV 21 à 23 ; I Corinthiens XV 45

2029.

Cette spécificité n’est évidemment pas seulement chrétienne, elle est au moins tout autant juive. Il nous semble, en effet, tenir là une constante de la Bible, et de sa révélation, qui, au travers de ses témoignages de vie, des paroles d’hommes, de femmes, toujours singuliers, toujours singulièrement interpellés, pose, par principe, a contrario de tout système théorique construit, l’altérité comme un principe premier incontournable. Il nous paraît que ce fut, poursuivant, sur ce point, l’oeuvre du

mouvement hassidique, en judaïsme, et de Martin BUBER, l’un des grands apports du philosophe Emmanuel LÉVINAS que de souligner très fortement ces choses.

LÉVINAS Emmanuel “Noms propres” biblio essais édition. Fata Morgana Paris 1976 ; (153 pages).

2030.

Adam signifierait homme au sens de genre humain, rapproché de adama la terre d’où il tire son origine, ( Genèse II 7) .

Adam fut créé mâle et femelle et femme (Genèse I 27)

2031.

“Havvah” est interprété comme venant du verbe “hayah” qui signifie“vivre” . Ce nom est donné par Adam à sa femme en Genèse III 20, c’est à dire après l’épisode dit de la chute. Auparavant elle est appelée ishsha (femme) en hébreu. Homme (ish) en opposition est aussi utilisé dans le texte de la Genèse, renforçant le principe d’une égalité souveraine entre l’homme et la femme. (Genèse II 23 à24) . Voir la note de la TOB.

2032.

Genèse II 18

2033.

Genèse II 17 (Bible de Jérusalem) La Bible SEGOND traduit ainsi : “ (... ) car le jour où tu en mangeras, tu mourras.”

2034.

“BIBLE de Jérusalem” ; traduction de l’école biblique de Jérusalem ; aux éditions du Cerf Paris 1973 ; ( page 33) .

2035.

Genèse II 17 (Bible de Jérusalem)

2036.

Galates III ; Hébreux XI

2037.

Genèse III 1 ; op cit ; c’est nous qui soulignons.

2038.

Genèse II 17 op cit ; c’est nous qui soulignons.

2039.

Hébreux XI 24 à 27 ; lire aussi : Psaume LXXXIV 11

2040.

Genèse V 24.