Le don de vie face aux théories sur YHVH et la Torah.

Le changement de nom d’Abram en Abraham, répercuté dans le Nouveau Testament, entre autre par le passage du nom de Simon, fils de Jonas, à celui de Céphas, Pierre, du latin Petrus, Képha signifiant, en langue araméenne, rocher, se lit, dès lors, comme une annonciation du fait central du baptême qui signifie une alliance nouvelle, une nouvelle naissance, participant désormais dans une construction nouvelle, à un peuple nouveau, au centre du Nouveau Testament et de l’histoire de l’église primitive. C’est Jésus qui surnomme Pierre ainsi, lorsqu’il le rencontre pour la première fois, dans l’évangile de Jean.

‘André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu les paroles de Jean et qui avaient suivi Jésus. Ce fut lui qui rencontra le premier son frère Simon, et lui dit : Nous avons trouvé le Messie ( ce qui signifie Christ). Et il le conduisit vers Jésus. Jésus l’ayant regardé, dit : Tu es Simon fils de Jonas; tu seras appelé Céphas ce qui veut dire Pierre. ²⁰⁴¹ ’

Remarquons comment ce nom donné, tout à fait inusuel, et original, à l’époque, fait suite, dans le récit johannique, à la déclaration de foi d’André disant à son frère Simon, de Jésus, qu’il est le Messie. L’importance de ce surnom donné à Simon, est également signalé dans l’évangile de Matthieu, à la suite de la confession de foi de l’apôtre.

‘Jésus, étant arrivé dans le territoire de Césarée de Philippe, demanda à ses disciples : Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l’homme ? Ils répondirent : Les uns disent que tu es Jean-Baptiste; les autres, Élie; les autres Jérémie, ou l’un des prophètes. ’ ‘Et vous leur dit-il, qui dîtes-vous que je suis ? Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.’ ‘Jésus reprenant la parole, lui dit: Tu es heureux Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, ²⁰⁴² et que les apôtres du séjour des morts ne prévaudront point contre elles. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux; ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. ²⁰⁴³ ’

L’accent premier est mis sur la foi. C’est à dire qu’il n’est pas mis d’abord sur la religion en tant que pratique codifiée, ni, premièrement, sur l’étude purement spéculative de la lettre de la loi, mais sur la révélation de l’accomplissement de l’écriture en Jésus. Ceci relègue, nous l’avons déjà signalé, toute discussion théorique au second plan. Ce qui importe à l’église primitive chrétienne est d’annoncer la Bonne Nouvelle aux nations. Or, cette Bonne Nouvelle est un message de vie et d’amour

‘“ Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils afin que quiconque croit en lui, ne se perde (ne périsse pas) pas mais qu’il ait la vie. “ ²⁰⁴⁴ ’

En aucun cas, il ne s’agit premièrement d’une théorie nouvelle, mais d’une vie nouvelle. Si théorie il y a, au sens de théologie, elle ne sera jamais que seconde. Le prosélytisme, phénomène marginal en judaïsme, deviendrait dès lors une activité centrale de l’église. Mais encore faut-il bien s’entendre sur le terme, il ne s’agit pas de faire des prosélytes au sens étroit, c’est à dire d’agréger des hommes et des femmes à une structure ecclésiale entendue au sens institutionnel du terme, avec tous les attributs du pouvoir, et les compromissions avec les pouvoirs du monde, que cela suppose, mais bien plutôt, plus explicitement, et expressément de faire des disciples attachés à suivre l’exemple du Christ, Seigneur et serviteur, serviteur et Seigneur. ²⁰⁴⁵

L’esprit du christianisme, bien que folie pour la sagesse des grecs, bien que scandale ou blasphème pour l’observance religieuse stricte des juifs orthodoxes de l’époque, ²⁰⁴⁶ et malgré les qualificatifs qu’on lui donnera bientôt, ²⁰⁴⁷ n’est pas celui d’une secte, n’est pas sectaire.

L’évangile est d’abord annoncé aux brebis perdues d’Israël, avant d’être annoncé aux nations ²⁰⁴⁸ . Ce processus, ce cheminement indique bien qu’il n’y a pas de volonté délibérée de scission avec le judaïsme, mais une incompréhension qui va sans doute précipiter l’intention des premiers témoins de la Bonne Nouvelle à élargir l’horizon de leur témoignage, à élargir l’espace de leur tente.

Les disciples sont donc envoyés pour appeler à la vie des hommes et femmes de tous peuples, de toutes conditions que voici désormais non pas agrégés à une structure mais greffés à l’alliance de façon nouvelle et éternelle et comme nés de nouveau, régénérés depuis l’eau de leur baptême.

C’est un sens que nous pouvons déjà tirer de la rencontre entre Nicodème, le disciple presque caché, et Jésus. ²⁰⁴⁹ Celui qui, était venu de nuit vers lui, et à qui Jésus avait dit qu’il faut naître de nouveau, naître d’en haut, comme un don de Dieu, accompli par le don du fils, retrouvera paradoxalement Jésus abandonné de presque tous, à la croix, avec Joseph d’Arimathée, pour embaumer son corps avec de la myrrhe et de l’aloès qu’il avait lui-même apportés. ²⁰⁵⁰

Ce que vécut Nicodème, le disciple de la nuit, presque dans la clandestinité, au loin de son maître du temps de la vie terrestre de Jésus, mais tout proche au moment de sa mort, comme à l’envers de ce que vécurent les disciples plus attitrés, proches certes du maître du temps de sa vie, mais au loin au moment de sa mort, conduit cependant au même message, au même enseignement fondateur de la même Bonne Nouvelle qui va se répercuter dans l’église primitive : suivre l’exemple de Jésus, passe par la croix et la résurrection, et cela donc est strictement humainement impossible si lui-même, Jésus, ne donne pas la force et la vie pour l’accomplir, il est le cep et les sarments ne peuvent porter fruit qu’en lui. ²⁰⁵¹ C’est cela qu’on appelle la grâce, c’est le sens même de sa mort et de sa résurrection, victoire sur la mort et le péché.

Jésus d’ailleurs l’avait bien dit, avec d’autres mots, à Nicodème lors de sa première rencontre :

‘Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. (...) Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est point jugé, mais celui qui ne croit pas est déjà jugé parce qu’il n’a pas cru au nom du fils unique de Dieu. Et ce jugement c’est que, la lumière étant venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres soient dévoilées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient manifestées, parce qu’elles sont faîtes en Dieu. ²⁰⁵² ’

L’allusion au serpent d’airain de Moïse dans le désert, est très significative.

‘Moïse fit un serpent d’airain, et le plaça sur une perche; et quiconque avait été mordu par un serpent et regardait le serpent d’airain, conservait la vie. ²⁰⁵³ ’

Nous situons bien l’enjeu : la vie ou la mort. Le lien fait avec Moïse, signifie encore le rapport indestructible de Jésus à Moïse, de Moïse à Jésus, dans une perspective chrétienne, il va sans dire. Ce qui fait raccrocher les chrétiens à la lecture de la Bible, ce qui relie l’Ancien au Nouveau Testament, la loi à la foi, la foi à la loi, ce qui fait dire à Jésus qu’il n’abolit pas, mais qu’il accomplit la loi et les prophètes, est sans doute à chercher autour de l’enjeu éducationnel, le bien le mal, la vie la mort, la lumière et les ténèbres, qui s’écrit dans l’histoire biblique et qui trouve en Christ son apaisement en même temps que sa raison, non plus en termes de préceptes, mais dans une personne. C’est sans doute aussi ce que signifient ces mots que dit Jésus, réapparu aux disciples, après sa mort.

‘Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel, il en prit et il en mangea devant eux. Puis il leur dit : C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes. Ainsi il leur ouvrit l’esprit et ils comprirent les Écritures. Et il leur dit : Ainsi, il est écrit que le Christ souffrirait et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour, et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêché en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. ²⁰⁵⁴ ’

Jésus crucifié mais ressuscité et vivant, dans les temps précédant son ascension, mangeant devant eux un repas, de poisson et de miel, comme pour mieux signaler qu’il ne s’agit pas d’un fantôme, ouvrit donc l’esprit des disciples, et ils comprirent que les écritures parlaient de lui. Et ceci répond au don de l’Esprit-Saint qui est le don aussi d’intelligence qui permet d’entendre désormais le sens de la Parole de Dieu à partir du Christ Jésus, de façon bien plus excellente, dans la perspective chrétienne, que la spéculation, hasardeuse, sur les termes de la loi. Dans l’évangile de Jean, les juifs religieux s’indignant que Jésus guérisse un jour de sabbat, s’entendent répondre.

‘Vous sondez les Écritures parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle, ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Et vous ne voulez pas venir vers moi pour avoir la vie. ²⁰⁵⁵ ’