Père et époux, époux et père Abba : Dieu papa

La parabole du fils prodigue, plus que toute autre, montre l’amour de Dieu, père. Celui-ci fête le retour du fils perdu, par un festin. 2152 Le Notre Père enseigné par Jésus, comme étant la prière qui les contient toutes, ou, au moins celle qui dit comment il faut prier, le confirme, tout en reliant par le mot “notre”, ce père, à la communauté des disciples, à la communauté humaine. 2153

Le thème de l’époux, dans le prophète Osée prenant pour femme une prostituée, 2154 représentant symboliquement Israël, et du fiancé, le bien aimé, celui à qui on déclare et promet un amour Éternel, dans le Cantique des cantiques 2155 , est déjà largement présent dans l’Ancien Testament 2156 . Il se renforce encore dans le Nouveau Testament. 2157 Nous retrouvons, en effet, ce thème dans les noces de Cana, qui marquent le premier miracle de Jésus, 2158 dans la parabole comparant le Royaume à un repas de noces, 2159 mais aussi déjà bien entendu depuis la conception même du Christ, par l’Esprit-Saint visitant Marie. 2160 Nous avons déjà croisé ces choses dans notre écrit.

Jésus appelait Dieu abba, papa. L’Esprit-Saint le fait répéter dans le coeur du croyant dans des soupirs inexprimables, 2161 nous dit Saint Paul. Dieu abba signifie l’adoption par l’Esprit-Saint de chacun personnellement comme fils. 2162

Ces “représentations” de Dieu, Dieu vivant, Dieu aimant, Dieu qui engendre, sont en rupture, avec les théraphim des peuples avoisinants, ces statuettes, représentations des dieux domestiques, qui servaient à l’exercice de la divination, et que le roi Josias, fit disparaître d’Israël. 2163 Elles sont aussi en rupture, avec toute vision, non seulement idolâtre, réduisant Dieu à l’objet, ou à l’idée, mais plus largement, ce qui revient au même finalement, anthropomorphiques de Dieu, réduisant Dieu à l’homme, nous l’avons déjà signalé.

Dès lors, ces “représentations”, nous allons y revenir dans la toute dernière partie de la thèse, n’en sont plus, au sens où nous l’entendons en sciences de l’éducation habituellement, elles descendent depuis l’Esprit de Dieu, jusqu’à l’esprit de l’homme, selon un mouvement inversé, renversé, par rapport aux représentations courantes.

Nous pouvons en effet, alors montrer un aspect de cette progressive révélation d’une incarnation aimante allant jusqu’à se vider d’elle-même, dans la kénose. En effet, ici ce n’est pas l’homme qui conçoit Dieu comme étant son pareil, mais bien Dieu qui, au fil d’une révélation, tire l’homme vers lui, pour lui signifier sa présence, le sens de son existence, jusqu’à épouser sa condition humaine.

Cette relation, à partir d’un point de départ, signalant Dieu comme Tout Autre, va progressivement, à chaque étape davantage, le signaler comme Tout Proche. Dieu est Tout Proche, mais, à partir, cela à son importance, ne serait-ce que pour signifier la primauté de la grâce sur les mérites, de ce mouvement inversé, retourné, renversé, allant premièrement de la parole toute autre de Dieu vers l’homme.

Mais réciproquement, la révélation n’avance qu’en s’appuyant sans cesse sur des témoignages d’hommes, libres devant Dieu. De la liberté de l’homme devant Dieu, témoigne encore cette parabole du fils qui s’en va de chez lui, emportant sa part d’héritage, et que le Père ne retient pas. Cette liberté s’exprime aussi dans la parabole des deux fils, l’un promettant de travailler dans sa vigne, mais finalement n’y allant pas, le second, se récusant d’abord, mais finalement s’exécutant. 2164

Pour corroborer encore notre propos, signalons que, si dans le judaïsme post-biblique, Dieu est bien, conformément à la dominante de l’Ancien Testament, l’église chrétienne ne le dépeint pas autrement, le fiancé d’Israël, le fiancé du peuple de Dieu , il est aussi davantage, le père d’un peuple nombreux, 2165 que le père personnel de chacun, ce qu’il devient pour les chrétiens, plus spécialement en Christ, par adoption.

Dans le livre du Deutéronome, nous lisons cependant :

‘Ainsi, tu sauras en ton coeur, que, de même qu’un homme corrige son fils,
ainsi le Seigneur ton Dieu te corrige ... 2166

L’amour paternel de Dieu pour l’homme est alors relié simultanément au châtiment d’un père pour ses enfants 2167 , comme aussi à sa compassion envers eux. 2168

‘La notion du Dieu père est inséparable de celle de la compassion divine, comme l’exprime la tournure qui revient sans cesse dans la liturgie : “Notre Père, le Père plein de compassion” (Ahavah Rabbah). Nombre de prières contiennent de telles adresses à Dieu, utilisant parfois les expressions “Avinou chè-ba-chamayim” ( “Notre Père qui es au ciel” ; Sotah 9, 15) ou Avinou Malkénou (”Notre Père, notre Roi” ; formule attribuée à rabbi Aqiva Taon) devenue centrale dans les prières pénitentielles. 2169

L’Esprit-Saint, le Paraclet, au coeur du chrétien, au coeur de l’homme qui y convertit son coeur, ou qui, mieux dit, sans doute, se laisse convertir dans son coeur, ou encore laisse son coeur se convertir, témoigne de son adoption par Dieu en tant que fils, et illustre une proximité toute particulière entre Jésus et Dieu, Jésus et l’homme, et entre l’homme et Dieu.

Xavier LÉON-DUFOUR dans le “Dictionnaire du Nouveau Testament”, 2170 l’écrit :

‘Par l’Esprit-Saint , les croyants sont dès à présent dans le Fils unique, fils adoptifs (grec hyioi) de Dieu, 2171 enfants (grec tekna au sens d’engendrement) de Dieu, 2172 participants de la nature divine. 2173

Jésus est à la fois le Fils de l’Homme 2174 et le Fils de Dieu, 2175 ou encore, le fils de David 2176 et le fils du Dieu vivant 2177 . Sont pris alors en compte dans cette deux fois double filiation tout l’homme et tout Dieu. Jésus est venu comme fils dans l’humilité de Marie, et aussi, selon la promesse faite à David, 2178 comme le roi de gloire annoncé. Et il est simultanément le Fils unique engendré de Dieu.

D’une part, Dieu père, abba, fiancé, époux, par sa révélation, prend appui sur les liens de la chair, et l’amour naturel, d’un père ou d’une mère, pour son enfant, d’un fiancé pour sa fiancée, d’une épouse pour son époux, pour y inscrire le projet nouveau qui concerne désormais tout l’homme.

D’autre part, le projet messianique s’exprimant dans la filiation simultanée de Jésus au Dieu insaisissable et vivant qui apparut à Moïse au buisson ardent 2179 et à la royauté davidique, renforce encore le retournement des perspectives. Jésus n’est pas venu pour être servi mais pour servir et, qui plus est, pour servir de rançon, c’est à dire pour racheter ce qui était perdu. 2180

Tous les royaumes lui sont soumis et pourtant il est jugé condamné et mis en croix moqueusement affublé du titre à première vue dérisoire et néanmoins prophétique de “roi des juifs”. 2181

C’est par l’amour inconditionnel et le don gratuit que Dieu parle à l’homme pour l’inviter à aimer à son tour comme lui-même est aimé le premier, telle est la vocation du don de Jésus aux hommes qui est venu accomplir la promesse faite à Israël concernant toutes les nations et toute la création.

Notes
2152.

Luc XV 11 à 32 ; (voir Osée XIV 1 )

2153.

Matthieu VI 9

2154.

Osée III

2155.

BUTTE Antoinette (traduction de ) “Le cantique des cantiques “ Seghers Paris 1942 ; (45 pages) ; (op. cit.) ;

Cantique des cantiques IV 8 à 9

2156.

Ésaïe XLIX 9 ; Ésaïe LXI 10 ; Ésaïe LXII 5 ; Jérémie II 32 ; Osée II 21 à 22

2157.

Apocalypse XXI 9 ; II Corinthiens XI 2

2158.

Jean II 1 à 12

2159.

Matthieu XXII 1 à 14 ; (voir aussi Luc XIV 16 à 24 où l’on parle d’un souper et non d’un repas de noces).

2160.

Luc I 35

2161.

Romains VIII 26

2162.

Romains VIII 15 ; Galates IV 6 ; (Marc XIV 36 )

2163.

II Rois XXIII 24

2164.

Matthieu XXI 23 à 32 ; Marc XI 27 à 33 ; Luc XX 1 à 8

2165.

Deutéronome XXXII 6 ; Ésaïe IX 5 ; Ésaïe XXII 21 ; Ésaïe LXIII 16 ; Ésaïe LXIV 8 ; Jérémie III 19 ; Jérémie XXXI 9

L’expression dans Ésaïe serait davantage à entendre, comme s’adressant à Dieu le père d’Israël.

2166.

Deutéronome VIII 5 ; in “Dictionnaire encyclopédique du judaïsme” 1996 ; (page 286 ) ; (paternité de Dieu) ; (op. cit).

2167.

Proverbes III 12

2168.

Psaume CIII 13

2169.

In ibidem ; (page 286 ).

2170.

Seuil Paris 1975 ; ( page 261). (Les références à l’écriture, inscrites dans le corps de la citation sont de l’auteur).

2171.

Romains VIII 14 à 23 ; Romains IX 23 ; Galates III 26 ; Galates IV 5 à 7 ; Éphésiens I 5 ; Hébreux II 10 ; Hébreux XII 5 à 8

2172.

Jean I 12 ; Romains VIII 16 à 21 ; Romains IX 8 ; Philippiens II 15 ; I Jean III 1 à 10 ; I Jean V 2

2173.

II Pierre I 4

2174.

L’ expression revient 82 fois dans les évangiles (30 fois chez Matthieu, 14 fois chez Marc, 25 fois chez Luc, 13 fois chez Jean). Cette expression rejoint celle de “fils d’homme” employée dans les livres de Daniel et d’Ézéchiel.

Dans le livre d’Ézéchiel, l’expression fils d’homme marque alors la distance entre Dieu et l’homme ; ( Ézéchiel II 1 à 6 ).

L’expression fils d’homme se trouve dans le livre de Daniel dans la partie du livre écrite en araméen, et désigne alors un personnage céleste divin. (Daniel VII 9 à 10 ; Daniel VII 13 à 14).

BEAUDE Pierre-Marie “Jésus de Nazareth” Desclée Paris 1983 ; ( pages 149 et 150 ).

2175.

Matthieu IV 3 ; Jean X 36

2176.

Matthieu I 1 à 20 ; Matthieu IX 27 ; Mathieu XII 23 ; Matthieu XV 22 ; Matthieu XX 31 ; Matthieu XXI 9 à 15 ; Marc X 47 à 48 ; Marc XI 9 à 10 ; Marc XII 35 ; Luc XVIII 38 à 39 ; Luc XX 41

2177.

Matthieu XVI 16

2178.

II Samuel VII 12 à 16 ; I Rois V 5 ; I Rois VI 12 ; I Chronique XXII 9 à 10 ; Psaume II 7 ; Psaume CX ; Ésaïe IX 5 ; Ésaïe XI 1 à 10 ; Ésaïe LV 3 à 5

2179.

Exode III 1 à 7

2180.

Marc X 45

2181.

Matthieu XXVII 11 à 37 ; Marc XV 2 à 26; Luc XXIII 3 à 38 ; Jean XVIII 33 à Jean XIX 21