Le Seigneur serviteur, le serviteur Seigneur

Bien que Fils de David, Jésus est son Seigneur, il l’exprime lui-même indirectement ainsi dans son dialogue avec les pharisiens.

‘Comme les pharisiens étaient assemblés, Jésus les interrogea, en disant : Que pensez-vous du Christ ? De qui est-il le Fils ? Ils lui répondirent : De David. Et Jésus leur dit : Comment donc David animé par l’Esprit l’appelle-t-il Seigneur, lorsqu’il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis mon marchepied ? ’ ‘Si donc David l’appelle Seigneur, comment est-il son fils ?’ ‘Nul ne put répondre un mot. Et depuis ce jour, personne n’osa lui proposer des questions. 2182

Jésus semble tourner ici en dérision l’esprit spéculatif des pharisiens qui ne lisaient la loi qu’à partir de l’étude et de l’exégèse, sous l’autorité des maîtres, rabbins, en y adjoignant les apports parfois plus contraignants encore de la loi orale, qui alors n’était pas encore compilée dans la Michnah.

Ainsi, fit-il pour les sadducéens 2183 qui, ne croyant pas à la résurrection, spéculaient à partir de la loi de Moïse pour savoir de qui serait l’épouse dans le royaume de Dieu, la femme qui aurait épousé sept frères successivement, conformément à ce que prescrivait cette même loi, chacun de ses époux successifs mourant. Aux sadducéens, il avait répondu :

‘Vous êtres grandement dans l’erreur, parce que vous ne comprenez ni les écritures, ni la Puissance de Dieu. Car à la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris , mais ils seront comme des anges de Dieu dans le ciel. Pour ce qui est de résurrection des morts, n’avez-vous pas lu que Dieu a dit : Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ? Dieu n’est le Dieu des morts mais des vivants. 2184

Il fit de même encore face aux hérodiens et aux disciples des pharisiens envoyés par leurs maîtres 2185 qui lui demandaient s’il fallait ou non payer l’impôt à César. À ceux-là il répondit : Rendez donc à César ce qui est César et à Dieu ce qui est à Dieu 2186

À chaque fois, les réponses de Jésus sont simultanément ouvertes et sans appel. Elles ouvrent une liberté, replaçant les choses devant Dieu son Père esquivant du coup tout dogmatisme rigide.

Par ailleurs, à aucun moment Jésus dénie être fils de David. Sa gloire, cependant, n’est pas la gloire que beaucoup attendaient. Elle est celle du serviteur souffrant. Ce texte de l’Ancien Testament, dans le livre d’Ésaïe, 2187 montre déjà, en effet, une vision inattendue de la gloire manifestée par la souffrance, l’abandon, la blessure, le mépris qui entoure le juste qui se charge en silence du péché de ses persécuteurs, ouvrant à beaucoup, par là même, la porte du salut et de la vie.

‘Qui a cru ce qui nous était annoncé ?
Qui a reconnu le bras de l’Éternel ?
Il s’est élevé comme une faible plante.
Comme un rejeton qui sort d’une terre desséchée.
Il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer les regards.
Et son aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui dont on détourne le visage, nous l’avons dédaigné, nous n’avons fait de lui aucun cas. Cependant ce sont nos souffrances qu’il portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé; et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu humilié, mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ces meurtrissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis. Chacun suivait sa propre voie, et l’Éternel a fait tomber sur lui l’iniquité de tous. Il a été maltraité, opprimé. Et il n’a point ouvert la bouche. Semblable à un agneau qu’on mène en boucherie, à une brebis muette devant ceux qui la tondent. Il n’a point ouvert la bouche. 2188

La suite du texte évoque, plus clairement le sacrifice du Christ, le sens de ce sacrifice, avec les détails rappelant sa mort en croix entouré des deux brigands, 2189 jusqu’à sa mise dans le tombeau acheté par le notable Joseph d’Arimathée. 2190

‘Il a été enlevé par l’angoisse et le châtiment ; et parmi ceux de sa génération qui a cru qu’il était retranché de la terre des vivants et frappé pour les péchés de son peuple ? On a mis son sépulcre parmi les méchants, son tombeau avec le riche quoiqu’il n’eut commis point de violence et qu’il n’y ait point eu de fraude dans sa bouche. 2191

Puis, apparaît plus clairement l’aspect rédempteur du sacrifice du Christ, toujours dans la lecture chrétienne du texte. Pourrait également déjà être anticipée alors, la mission de l’église, dans le serviteur juste, poursuivant par sa connaissance du Christ, l’oeuvre de rédemption du Sauveur.

‘Il a plu à l’Éternel de le briser par la souffrance ... après avoir livré sa vie en sacrifice pour le péché, il verra une postérité et prolongera ses jours ; et l’oeuvre de l’Éternel prospérera entre ses mains. À cause du travail de son âme il rassasiera les regards ; par sa connaissance, mon serviteur juste justifiera beaucoup d’hommes. Et il se chargera de leurs iniquités. 2192

La suite du texte rappelle la royauté de Dieu manifestée dans la toute puissance de son amour, dans ce mouvement renversé, inversé, retourné, qui relève l’homme rejeté victime de l’abandon, et du mépris. Extraordinaire et paradoxal retournement, en effet. Des hommes humiliés, vaincus, moqués, toutes les cultures, tous les peuples en ont connus. Leur souffrance pouvait être considérée comme un châtiment nécessaire. Mais voici qu’ici les souffrances gratuites du juste prenant sur lui le péché des hommes, ont pouvoir de manifester, non seulement la rédemption, mais aussi la grandeur divine.

‘C’est pourquoi je lui donnerai sa part des grands. Il partagera le butin avec les puissants, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort et qu’il a été livré au nombre des malfaiteurs parce qu’il a porté le péché de beaucoup d’hommes et qu’il a intercédé pour les coupables. 2193

Le pharmakos des grecs, était l’esclave que la cité vouait à la mort expiatoire, pour rétablir le lien social et calmer la colère divine, selon le principe du bouc-émissaire. Ici, au contraire, c’est celui qui souffre qui est relevé et rétabli par Dieu. Ses souffrances expriment alors plus que la douleur d’un homme, elles sont celles de Dieu lui-même. Ainsi, Jésus sera élevé à la droite de Dieu pour régner avec lui. Le serviteur de tous est le Seigneur de la vie, le Seigneur de la vie est le serviteur de tous.

Notes
2182.

Matthieu XXII 42 à 45 ; Jésus fait référence ici au psaume CX 1 ; voir aussi Actes II 25 à 36 ; I Corinthiens XV 24 à 27 ; Hébreux I 13 ; Hébreux X 10 à 15

2183.

Matthieu XXII 23 à 33 ; (pour la loi de Moïse voir Deutéronome XXV 5

2184.

Matthieu XXII 29 à 32

2185.

Matthieu XXII 15 à 22

2186.

Matthieu XXII 21

2187.

Ésaïe LIII

2188.

Ésaïe LIII 1 à 7

2189.

Matthieu XXVII 38 ; Marc XV 27à 28 ; Luc XXIII 39 à 43

2190.

Matthieu XXVII 59 à 60; Marc XV 46 ; Luc XXIII 50 à 53

2191.

Ésaïe LIII 8 à 9

2192.

Ésaïe LIII 10 à 11

2193.

Ésaïe LIII 12