De la création à la création nouvelle.

Nous retrouvons le singulier, siège d’un universel amour, prenant le pas sur le nombre, le général, la quantité, la généralisation, et l’abstraction qui en découle, dans la parabole du trésor caché 2204 ou dans celle de la perle de grand prix 2205 qui méritent, lorsqu’on les trouve, qu’on vende et qu’on renonce concrètement à tout le reste, pour se les procurer.

Ces deux paraboles de Jésus évoquent le Royaume de Dieu, autrement dit, le salut, la vie éternelle, la vie, comme étant le projet même de l’enseignement biblique, traversant l’histoire humaine, depuis la chute jusqu’à la rédemption, jusqu’à la re-création, la création nouvelle. Le Royaume relève d’une exclusivité qu’il faut choisir. Or, on ne peut choisir Dieu et le monde, Dieu et Mamon. 2206

La création nouvelle donc, en Christ, qui est l’expression du Royaume, si elle est oeuvre de Dieu, doit se faire avec l’assentiment de l’homme, contrairement à la création première, en Adam, à partir de laquelle toute vie respire, mais dans laquelle l’homme créé n’était pour rien.

Il faut choisir le Royaume en priorité aux choses du monde. Du prix qu’on lui accorde, dépend le prix que Dieu nous donne en retour, comme l’expriment si bien les deux paraboles des conviés, au festin de noces d’un roi pour son fils, dans l’évangile de Matthieu, au grand souper qu’organisa un homme, dans l’évangile de Luc. 2207 Si, dans l’évangile de Luc, les conviés se contentent de s’excuser, dans celui de Matthieu, certains, sans s’inquiéter de l’invitation, tuent même les serviteurs que le roi avait envoyés. Dans les deux cas, sont invités alors, tous ceux qui traînaient dehors, et qui sont trouvés sur les chemins, jusque même, dans l’évangile de Luc, sur le long des haies. Dans l’évangile de Luc, toujours, ceux-ci, qui n’arrivent qu’après que les pauvres, les boiteux, les estropiés et les aveugles aient d’abord été invités, et qu’ils aient commencé à remplir la maison, sont même contraints d’entrer jusqu’à ce que ladite maison soit toute remplie. L’évangile de Matthieu présente quant à lui une conclusion originale pour cette parabole, en évoquant l’homme jeté dehors, “où il y aura des pleurs et des grincements de dents”, simplement, pour n’avoir pas revêtu l’habit de fête.

La parabole du fils prodigue pourrait désigner le retour du fils comme une évocation de la situation du Royaume par rapport à la situation du jardin, avant la chute, que pourrait alors symboliser la situation du frère aîné. À la fin de la création, au sixième jour, Dieu vit que cela était très bien. 2208 Mais la joie du Père de voir revenir à lui celui qu’il croyait perdu, dépasse toutes les mesures. 2209

Alors, se rompt la solitude. La prise en compte du singulier rejoint l’invitation à une communion. Cette communion était impossible à envisager en ces termes, dans la situation du jardin d’Éden, où régnait pourtant une parfaite harmonie. La distance entre l’homme et Dieu tenait par un interdit concernant les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’homme le transgressant, il fallut recoudre les liens entre lui et Dieu. Ce à quoi s’emploie la révélation biblique.

La Torah, la loi de Moïse, au fondement du judaïsme, vogue alors d’interdits en obligations. Dans la nouvelle alliance, l’interdit n’est plus de mise. L’amour agapê accomplit toute l’oeuvre de Dieu. 2210

La parabole du filet jeté dans la mer ravive, au coeur déjà de l’église primitive, jusqu’à l’église aujourd’hui, l’espérance chrétienne de voir la multitude rejoindre ces poissons retirés des eaux. La mer, dans la Bible, est une représentation fréquente du péché et de la mort, et donc de la condition humaine terrestre. Le filet, pour les poissons pris, signifie une autre vie possible que celle qui s’achève avec la mort. De la mort vers la vie, et non plus de la vie vers la mort. Une création nouvelle est en perspective pour chacun et pour tous. Communion de vie en Dieu Père.

‘Le Royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer et ramassant des poissons de toute espèce. 2211

Quelle sera la condition nouvelle des poissons à jamais vivants ?

La question en elle-même est déjà une façon de réponse et n’existe, sans doute, posée en ces termes, en tout cas, que parce que, la Bible, déjà, dans sa consistance profonde, tissée au fil de l'histoire, a fait naître, et fait renaître, incessamment, une soif nouvelle, un manque nouveau.

La soif du royaume, contribue à ouvrir le chemin de la création nouvelle promise, où la mort n’aura définitivement plus prise, 2212 où toutes choses, comme dit Paul, apparaîtront clairement et ne seront plus vues seulement en partie et comme au travers d’un miroir.

Cette promesse est au fondement de l’espérance chrétienne, au coeur de l’espérance biblique, au coeur de l’expérience chrétienne manifestée par le baptême. 2213 Cette espérance met en mouvement, un peuple, des peuples, dans un chemin d’éducation, de façon évidemment bien plus large et plus profonde, plus riche et plus féconde, que des finalités éducatives parfaitement rationnellement établies, telles d’ailleurs que la Bible ne nous les propose pas.

‘Aujourd’hui nous voyons au travers d’un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. 2214

Il nous semble tenir là, toute la tension, entre grandeur et misère, des pédagogies chrétiennes. Une tension entre une dimension eschatologique entrevue, et l’incarnation au présent dans laquelle s’exprime l’Esprit-Saint, comme témoin.

L’homme est tout à la fois entièrement invité à aimer, dans tout son être, de tout son être, c’est à dire à raisonner, à comprendre ... et, simultanément, il comprend que rien ne lui est possible hors du don, premier et dernier, de Dieu. Ce don est grâce, manfiestée en Christ.

Il est le don de la croix, de la résurrection et de la vie ouvertes et possibles désormais pour quiconque en accepte l’accueil.

Nous pouvons cesser ici notre investigation, sachant que tout n’est pas dit, et bien loin de là. La connaissance de Dieu, des affaires de Dieu, Paul le précise encore, dans la première épître aux Corinthiens, ne peuvent être d’ailleurs révélées que par l’Esprit de Dieu.

‘L’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. Lequel des hommes, en effet, connaît les choses de l’homme, si ce n’est l’homme qui est en lui ? De même, personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu. 2215

L’Esprit de Dieu n’est cependant pas resté perché sur les hautes cimes inaccessibles, ou réservées aux seuls meilleurs alpinistes ou athlètes de l’esprit.

L’Esprit de Dieu s’est manifesté, il se manifeste au coeur des vies, jusqu’à venir épouser les coeurs d’enfant où il trouve le meilleur et peut-être même le seul des accueils possibles. Les pédagogies humaines ont été visitées par le pédagogue divin, qui lui même fut crucifié et rendit sur la croix le fin mot de son travail de pédagogue.

Les pédagogies humaines des disciples chrétiens du crucifié sauveur, ont sans doute alors été crucifiées avec lui, comme en témoignent, entre autres, les martyrs bienheureux de l’église primitive.

À partir de là, cependant, nous voulons dire, à partir donc du don de Dieu lui-même manifesté par le don de la croix, de la résurrection et de la vie, la kénose, les pédagogies sont régénérées par un autre mode, le mode de la grâce, et de l’Esprit-Saint, le mode du don gratuit, et de l’amour agapê.

Notes
2204.

Matthieu XIII 44

2205.

Matthieu XIII 45 à 46

2206.

Luc XVI 13

2207.

Matthieu XXII 1 à 14 ; Luc XIV 15 à 24

2208.

Genèse I 31

2209.

Luc XV 32

2210.

I Corinthiens XIII 8 à 9

2211.

Matthieu XIII 47

2212.

Matthieu VIII 21 22 ; Jean VIII 51 ; Romains V 12 à 21 ; I Corinthiens XV 54 à 57

2213.

Romains VI 3 à 4 ; Romains VI 8 à 10 ; Galates II 20

2214.

I Corinthiens XIII 12

2215.

I Corinthiens II 3 ; Proverbe XXVII 19; Jérémie XVII 9