2° partie. Pédagogies humaines ? Du pédagogue au témoin, du témoin au pédagogue

“Du reste, mon fils, tire instruction de ces choses; on ne finirait pas si l’on voulait faire un grand nombre de livres, et beaucoup d’étude est une fatigue pour le corps.” 2216

Nous allons, à présent, tenter de comprendre, dans et par un cheminement en retour, la réponse de l’homme à la pédagogie de Dieu. Cette réponse, dans la perspective chrétienne, qui reste celle qui nous intéresse, en premier, dans cet écrit, est comme blessée du Christ crucifié, mais régénérée par le Christ ressuscité et vivant. Elle est surtout encore, comme transfigurée déjà, par le don de l’Esprit-Saint, manifesté à la Pentecôte, ce qui est l’acte de naissance, pourrait-on dire, de l’église.

Comme lors de l’épisode de la transfiguration, lorsque Pierre voulut dresser trois tentes, cependant, toute tentative de fixation, nous pourrions dire encore, toute tentative de généralisation toujours plus ou moins abusive, de systématisation rationnelle, de modélisation systémique, de l’image, à peine entrevue, du Royaume, en fait disparaître aussitôt, la réalité aux yeux des témoins. Cette supposée pédagogie chrétienne n’est pas tant d’ailleurs réponse seulement, mais quête de communion dans l’Esprit qui, déjà, la suscite, communion avec Dieu lui-même, par l’Esprit de Dieu lui-même, l’Esprit-Saint. Alors, comme en témoignent encore les quatre évangiles écrits par quatre témoins différents, et les nombreux autres écrits du Nouveau Testament qui sont des lettres s’inscrivant dans l’hic et nunc d’une relation, et ne rejoignant l’universel qu’à partir de cette relation, ce sont les témoignages qui vont primer, en prenant une dimension canonique, la dimension canonique de parole de Dieu, sur les méthodes et les mises en oeuvres de catéchèses, de type plus ou moins forcément généralistes.

Historiquement, les quatre évangiles précèdent, par exemple, en importance, les autres écrits des apôtres, comme la didachê (didachè), 2217 écrite entre 70 et 100 dans la région de Syrie, et, constituée de préceptes beaucoup plus pratiques, concernant les catéchèses, les sacrements et la vie de l’église, la formation du converti. 2218 La pédagogie, dont la question pouvait être “comment vais-je m’y prendre pour ?”, cède au témoignage qui essaie de rendre compte d’une présence insondable, visible et cachée, invisible en partie, illisible, en tout cas, sans l’oeuvre de l’Esprit-Saint, mais néanmoins réelle, constatable, et vivante, et dans tous les cas, principale et essentielle, aux yeux de la foi.

Une pédagogie primordiale, autrement dit une pédagogie fondatrice d’essence divine, inspirerait depuis deux mille ans un florilège de pédagogies d’inspiration chrétienne, à partir de l’école d’Alexandrie, des deuxième et troisième siècle, autour de CLÉMENT D’ALEXANDRIE ( vers 150 - 211) puis ORIGÈNE (185 - 254) et ses disciples, comme aussi de l’école d’Antioche autour de DIODORE DE TARSE (mort en 394) et ses élèves THÉODORE DE MOPSUÈTE (352 - 428 ) et JEAN CHRYSOSTOME (354 - 407). Ces deux grandes écoles de l’Antiquité sont reconnues expertes l’une et l’autre en catéchèses, en exégèses, et en controverses. Il ne sort pas de là un modèle pédagogique canonique mais des expressions variées couvrant un champ immense. Les exercices spirituels de Saint IGNACE DE LOYOLA (1491 - 1556) font face à la non-directivité de Carl ROGERS (1902 - 1987). Le froid détachement janséniste fait face à l’affective bienveillance de DON BOSCO (1815-1888). L’attention principale portée à l’intériorité par Maria MONTESSORI (1870 - 1952), ou Françoise DOLTO (1908 -1988) fait face à la pédagogie révolutionnaire à caractère essentiellement social du pédagogue brésilien Paulo FREIRE (1911 - 1997) . Et nous ne faisons là évidemment qu’évoquer quelques pistes, au milieu de tant et tant d’autres. Le champ d’étude est immense, les exemples d’oppostions méthodologiques très nombreuses.

Rappelons encore que notre projet de recherche n’est pas de faire le tour exhaustif des pédagogies chrétiennes post-bibliques ou inhérentes à la Bible, mais de pointer ce qui les singularise dans trois directions que nous avons dores et déjà explorées. Nous ne recherchons pas la somme des “écoles “ chrétiennes mais les éléments d’une invariance, d’une action, d’une justification. Nous pouvons les trouver dans la consécration première. Une mise nouvelle est posée, à partir d’une conversion, un changement de centre concernant tout l’être : la metanoia.. Ce changement de centre provoque :

-du côté de l’invariance : la relation décisive et principale à Dieu Père qui est le même, hier, aujourd’hui, demain, d’éternité en éternité, révélé par et dans une parole ... Dieu s’incarne en Jésus et invite à se laisser découvrir dans chaque homme, particulièrement l’homme dans le besoin.

-du côté de l’action : le Saint-Esprit est le principal acteur, révélé depuis la constitution de l’église à la Pentecôte, depuis le livre des Actes, livre inachevé, qui se poursuit jusqu’à la constitution de l’église, jusqu’ à une lecture chrétienne de l’histoire de l’église, aujourd’hui.

-du côté de la justification : non pas un principe, mais la personne du Christ, dont la mort sur la croix signifie la justification explicite de toutes les espérances et de toutes les pédagogies chrétiennes.

Notes
2216.

Ecclésiaste XI 14

2217.

RORDORF Willy et TUILIER André “La doctrine des douze apôtres - Didachè “ Cerf Paris 1978 ; (226 pages).

2218.

DUCHESNE Jean (sous la direction de ) “Histoire chrétienne de la littérature “ Flammarion Paris 1996 ; ( pages 38 et 39).