Les idoles (idées) traversées (vaincues) par le royaume présent en la personne de Jésus

Ce retournement, dans la perspective chrétienne, de l’accomplissement de la parole biblique, en Jésus, se constitue à partir donc, de la personne de Jésus, personne vivante, qui est le centre, dans la lecture chrétienne, de la révélation. Jésus est Celui par qui celle-ci se rend nouvellement intelligible.

Les constitutifs de la relation éducative, en nous inspirant librement du travail de Guy AVANZINI sont de trois sortes : représentations, contenus, finalités. 2305 Nous pouvons considérer que nous avons largement, jusqu’à présent, regarder la question des représentations et des contenus dans leur interpellation biblique. Nous pouvons d’ailleurs considérer ce qui précède dans ce troisième chapitre de la thèse comme une question posée à ces deux premiers facteurs de composants. Le “je” et le “tu” s’interrogent et s’interpellent mutuellement dans un espace où les représentations ne sont jamais figées (dans des images forcément, sinon fixes, du moins réductrices), mais toujours renouvelées de coeur à coeur, jusqu’à Jésus qui accomplit et l’homme et Dieu, tout à fait Dieu et tout à fait homme.

Nous allons donc regarder ici du côté des finalités qui elles-mêmes, nous l’avons vu, ont du fait même du travail effectué par la révélation, une retombée sur les représentations et contenus. Trois types de finalités éducatives furent, bien après ARISTOTE dont nous vient la réflexion prioritaire accordée à celles-ci, exposées par COMENIUS (1592 - 1670) 2306 : politiques (rapport à une organisation sociale), philosophiques (rapport à une sagesse), et enfin théologiques. En effet, nous n’échappons pas à un rapport à une transcendance, jusqu’au refus de la transcendance qui en est également une forme paradoxale.

Nous avons bien dit théologiques et non téléologiques seulement. 2307 La dimension téléologique pourrait se rechercher à partir de la notion de causalités verticales, la fin déterminant la cause, ou à partir de causalités horizontales, la cause déterminant la fin. Ce double lien entre causes et fins fut d’ailleurs, fort souvent, d’une manière ou d’une autre, critiqué. 2308 L’hypothèse horizontale de la cause finale qu’il nous faut cependant distinguer de la cause efficiente que nous rapportons qu’aux objets et aux choses, fait de la finalité une entité comme endormie sur elle même et limitée car réduite à une perspective spéculative mécaniste. L’hypothèse verticale de la “fin causale” ne peut échapper à un certain déterminisme. Les deux hypothèses ne peuvent dépasser le stade du modèle ou de la représentation. HAMELIN écrivit d’ailleurs : “L’expression de cause finale est un contre sens. Une fin n’est pas et ne peut pas être une cause, elle ne saurait agir par efficience et mécaniquement. “ 2309 On peut dire également qu’une fin ne peut être réduite à sa cause.

Ce concept de cause finale, tant qu’il se déploie comme tel, ne peut surseoir, en effet et en fait, au défaut de type aporétique décrit par HAMELIN. Ce concept suppose une mécanique. La téléologie pourrait cependant n‘envisager que la “fin causale” et non la cause finale. La cause finale spécifiait la fin à partir de la connaissance première de la cause, selon un principe mécanique, la cause pouvait être alors une cause parmi d’autres. Pour la “fin causale” la vision de la fin précède la recherche de la cause, selon un principe de détermination. 2310 Cette “fin causale” rejoint la transcendance sans la contenir toute, mais la révélation biblique nous indique que Dieu, s’il n’agit pas mécaniquement, n’agit pas plus selon un déterminisme ouvert ou fermé, identifiable en tout cas, de notre point de vue d’homme, et qui rejoindrait par là, le système idéologique.

Dieu, dans la Bible, n’est pas tant le grand horloger, que le Père, certes créateur mais surtout aimant, ami et époux, jaloux, en tout cas irréductible aux lois naturelles qu’il a lui-même suscitée et où voudrait le réduire tout panthéisme qui revient toujours à un anthropomorphisme.

Dieu se vide d’Amour (kénose) pour l’homme. Alors le terme de théologie est préférable à celui de téléologie qui limite la transcendance à un rapport entre causalité et fin. Et cela ne change rien à l’affaire : que ces causalités soient ouvertes ou fermées, verticales ou horizontales, immanentes ou transcendantes, efficientes ou finales, qu’elles soient induites, ou au contraire déduites, à partir d’une fin présupposée causale.

Toute “finalité téléologique” échappe difficilement au pléonasme, et en inscrivant le regard spéculatif porté sur la finalité (la téléologie) au coeur des finalités elles-mêmes, n’échappe pas non plus à un encastrement idéologique, rejoignant une idéologie du type de celle d’une croyance déterministe.

D’ailleurs rappelons que la providence ou la prédestination, au sens de la théologie de Jean CALVIN ( 1568 - 1612 ) et la croyance au déterminisme ne se recoupent pas du tout. Elles sont même sans doute aux antipodes l’une de l’autre. La providence calviniste est indissociable de la grâce et de l’élection divine, le déterminisme est inscrit dans des principes naturels de détermination. La prédestination se situe à partir d’un théocentrisme, par définition insondable. Le déterminisme se spécule à partir d’une construction rationnelle abstraite, et forcément anthropomorphique. La théologie que nous pouvons alors définir, comme une quête des raisons de la révélation divine, n’amputerait pas la téléologie mais la contiendrait. en la dépassant dans son domaine.

La révélation biblique propose cependant une autre singularité décisive, Dieu n’est pas principe, personne, il se rejoint moins dans l’abstraction que par le mouvement inversé de l’incarnation. : si la cause et la fin ne sont plus une idée, mais une personne qui donne la vie, sa vie, comme dans le christianisme plus fortement encore, et plus radicalement, si l’on peut dire, que dans le judaïsme, nous voici devant un nouveau rebondissement de la question.

‘“ Tout fut créé en lui pour lui avec lui “ 2311

Il existerait bien, paradoxalement donc, une cause finale, ou, une “fin causale “, mais non plus comme un plérôme construit abstraitement, un principe, un concept, une idée, une phénoménologie, un dieu systémique, mais une personne qui accomplit en lui et Dieu et l’homme. Par un seul, le péché est entré dans le monde, par un seul, le monde est sauvé. 2312 Cette personne vivante qui ne cesse d’appeler à la vie, est donc toujours autre que soi-même et pourtant toujours proche de celui qui cherche, elle ne peut se contenir dans nos pensées.

Il n’existe donc pas, non plus, à proprement parler, de finalités politiques, philosophiques et théologiques, dans la Bible. La politique en tant que science de l’organisation sociale, la philosophie en tant que science de la sagesse, la théologie, enfin, en tant que rationalisation de l’idée de Dieu, sans être totalement absentes, ne sont pas ici présentes de manière singulière. On peut seulement en faire l’approche a posteriori, à contrechamp du sens de la révélation : la réflexion sur les idées de la parole ne se confondant pas, par définition, avec l’écoute du témoignage de la parole et sa mise en pratique. Or, c’est bien la mise en pratique de la Parole que Jésus commande. 2313

Nous allons cependant brièvement tenter ici cette approche, contre-nature, en quelque sorte, qui nous permet cependant une entrée en dialogue (surtout implicite) avec d’autres pratiques et références éducatives. Nous ne dégagerons donc pas bien entendu de manière close les impossibles perspectives politiques, philosophiques et théologiques dans leur exhaustivité mais nous envisagerons, à partir des questions posées par la révélation biblique, à chacune de ces trois types de finalités, quelques aspects qui suffisent à démontrer et à signaler un retournement pédagogique. Pour évoquer ce retournement pédagogique nous quitterons ensuite, pour conclure cette partie de la thèse, les idées, idoles, pour revenir à l’annonce du royaume telle que Jésus l’a vécue, au cours de son ministère.

Nous nous intéresserons alors spécifiquement à des aspects pédagogiques, ou à l’action éducative de Jésus au cours de son ministère retracé dans les évangiles.

Soulignons encore, avant d’aller plus loin, que le “processus” que Jésus met en avant n’est pas celui de la conceptualisation, de l’ordre des idées, mais bien plutôt organique, et donc de l’ordre de la vie, à travers les images de ses paraboles comme celles du cep et des sarments qui ne peuvent porter fruit que s’ils sont attachés en lui 2314 , du semeur et des terrains également semés malgré les conséquences diverses, 2315 du grain de sénevé petite semence devenant grand arbre, 2316 du bon grain et de l’ivraie qui poussent côte à côte et qu’il n’est pas encore temps de séparer l’un de l’autre de peur de détruire le bon avec le mauvais, 2317 , du grain de blé porté en terre et devant mourir pour porter du fruit, 2318 voire même celle du bon levain qui fait lever toute la pâte. 2319

Mais, sans doute, aucune de ces paraboles mieux que celle de la transformation de la semence, jetée en terre, n’exprime, cette réalité.

‘Il dit encore : Il en est du royaume comme quand un homme jette de la semence en terre ; qu’il dorme ou qu’il veille, nuit et jour, la semence germe et croît sans qu’il sache comment.’ ‘La terre produit d’elle-même, d’abord l’herbe, puis l’épi, puis le grain tout formé dans l’épi ; et dès que le fruit est mûr, on passe la faucille, car la moisson est là. 2320

Notes
2305.

AVANZINI Guy in “Les grands courants de la pensée éducationnelle contemporaine” ; 9 pages Univ. Lyon 2 ( V. 7165.)

2306.

C’est en tout cas dans ce triptyque que Marcelle DENIS nous invite l’oeuvre du pédagogue tchèque.

DENIS Marcelle “Un certain COMENIUS” Publisud Toulouse 1993 ; (159 pages).

2307.

D’après les définitions que nous donnons de chacun des deux termes théologie et téléologie, définitions finalement classiques : toute téléologie s’inscrit dans une théologie , non l’inverse. D’autre part, l’approche téléologique rejoindrait davantage l’approche philosophique sans s’y confondre totalement.

2308.

Cette critique portant sur des aspects différents d’une même aporie est conduite par des philosophes aussi différents que :

Baruch SPINOZA ( 1632 -1677) “Pensées métaphysiques” chapitres III ; in “Oeuvres complètes” (1907 Garnier Paris) tome 1 ; édition APPUHN Flammarion paris 1964; (pp 344 à 348) ; “De ce qui est Nécessaire, Possible, Impossible, et Contingent.”

HAMELIN Octave (1856 - 1907 ) “Le système d’Aristote “ (1920 ) ; Éditions Léon Robin Vrin Paris 1985 ; (427 pages).

BERGSON Henri (1859 - 1941) “Essai sur les données immédiates de la conscience” PUF Paris 1946 56 ° éd ; (pages 149 à 156 ). (La durée réelle de la causalité).

2309.

HAMELIN Octave “Le système du savoir “ Textes choisis par Louis MILLET PUF Paris 1956 ; (230 pages) ; (à la page 77).

2310.

“ Vocabulaire technique et critique de la philosophie” LALANDE André PUF ; Paris 1902/1923 ; 1991 ; 17° édition ; 2 tomes ; (tome 1 page 354 ) ; au mot finalité.

Nous rejoignons par cette distinction ce que LALANDE nomme les finalités immanentes, et les finalités transcendantes.

2311.

Jean I 3 à 11 ; Éphésiens III 8 à 9 ; Colossiens I 16 ; Hébreux I 1 à 2

2312.

Romains V 12 à 21 ; Romains VI 23 ; I Corinthiens XV 21 à 22 ; I Corinthiens XV 45 à 55

2313.

Matthieu VII 24 , Luc VI 24 ; voir aussi Jacques I 22

2314.

Jean XV 1 à 8

2315.

Matthieu XIII 1 à 23; Marc IV 1 à 20 ; Luc VIII 1 à 18

2316.

Matthieu XIII 31 à 32 ; Marc IV 30 à 33 ; Luc XIII 18 à 19

2317.

Matthieu XIII 24 à 30

2318.

Jean XII 24

2319.

Matthieu XIII 33 ; Luc XIII 20 à 21

2320.

Marc IV 26 à 29