Certes, si les résurgences de la culture juive font la part belle à la tradition post-biblique, s’éloignant parfois d’une lecture du texte par le texte pour y introduire maints éléments rapportés par la tradition orale, ou d’autres sources, comme les commentaires rabbiniques, il reste, il faut le souligner à nouveau, que cette tradition prend racine sur la Torah 2462 considérée comme directement inspirée, des prophètes, et des autres écrits bibliques, également largement considérés. De ce point de vue, la perspective chrétienne en ce qu’elle clôt plus radicalement la Bible dans son écriture, la définissant toute entière comme parole inspirée, est historiquement plus attentive à une lecture du texte biblique seul, tel qu’en lui-même. 2463 Il n’est cependant pas sans intérêt, il est même indispensable, dans le cadre d’une étude telle que la nôtre, nous l’avons souligné, de dresser quelques parallèles entre ces deux lectures. Ces comparaisons permettent de mieux percevoir l’intrinsèque singularité de la Bible. D’enrichir, voire de corriger, une lecture par l’autre sans altérer les divergences. Et de souligner plus précisément la rupture avec la lecture grecque que suppose le phylum biblique. D’autant plus que le christianisme, plus spécialement, a eu maintes fois tendance à privilégier l’influence hellénique rationaliste, théorique. Mais ceci n’est plus à souligner : il s’agit du fil rouge de notre thèse.
Certes, alors, un tel travail pour être conduit avec profondeur, apparaît immense, celui de tout une vie, voire celui de plusieurs générations d’exégètes. Il reste à faire. Et nous touchons là nos propres limites, relatives à notre culture personnelle, le temps dont nous disposons, l’érudition. En un mot, nous manquons largement de compétences, pour faire un tel tour. Nous ne pouvons ici, nous n’avons pu jusque là, qu’en souligner quelques esquisses, néanmoins suffisamment signifiantes pour encourager, nous semble-t-il, nous l’espérons en tout cas, les études ultérieures, comme celles déjà engagées. 2464 Pour démontrer que la terre est ronde, il a suffi d’une seule démonstration, voire d’un seul voyage rendant inutile la multiplication des voyages et les études qui ne feraient que confirmer la démonstration. Ce sont bien les conséquences d’un tel postulat qui comptent et qui font son crédit. Idem pour la théorie de la relativité, idem pour toute approche qui envisage les choses selon un principe nouveau. Nous n’avons pas la prétention d’avoir ouvert dans notre travail la porte à un principe nouveau, tant les voies où nous nous sommes aventurés ont été sillonnées de toutes parts, et en tous sens, comme en témoignent les nombreuses références de tous ordres que nous n’avons cessé de mentionner. Il reste que ce qui compte pour nous aujourd’hui, dans la perspective de notre travail, est bien ce que d’autres pourront tirer d’une telle entreprise. Nous avions évoqué au commencement de notre étude la méthode de la pierre d’attente, il s’agit bien de cela.
PASCAL écrivait déjà : “Jésus enseigne, vivant, mort, enseveli, ressuscité.” 2465 Il voulait signifier par là, en quelque sorte, les conséquences directes de cette notion singulière d’accomplissement inhérente à l’écriture biblique juive et qui réduit les limites du temps et de l’espace à de simples contingences, qu’illustrent entre d’autres paroles de Jésus celles disant que celui qui viendrait à lui n’aurait jamais soif et que quiconque se fierait en lui n’aurait jamais faim. 2466
La naissance du christianisme est rupture en rapport aux judaïsmes contemporains de son histoire qui, dès l’époque du Christ, en pleine explosion, implosion, tout autant qu’elle leur fait subir une transformation radicale. Cette double transformation est de l’ordre du rapport entre la graine et le fruit, selon l’accomplissement que nous venons d’évoquer que revendique le christianisme. Elle est également concrétisée par le scandale qu’évoque Paul 2467 et que signifiaient pour les juifs pratiquants et orthodoxes, la mort du Christ sur la croix, sa résurrection, voire, son élévation. Le scandale est doublé sans doute aussi par celui que pouvait constituer l’alliance ouverte désormais aux païens, sans acception de personnes. Selon les paroles des chrétiens de Jérusalem convaincus par les paroles de Pierre. “Dieu a donc donné aux nations de se convertir à la vie.” 2468
Alors, le parallèle entre les histoires des églises et celles des judaïsmes ne relève pas vraiment de l’homologie de type poétique, pas plus que d’une homotétie de type mathématique. L’apport chrétien a profondément transformé le judaïsme comme le montre à l’évidence, une confrontation même rapide entre l’histoire des églises chrétiennes et l’histoire parallèle des judaïsmes, orthodoxes ou libéraux, achkhenazes ou sefarades, depuis les traditions cabalistiques, ou rabbiniques, jusqu’à la révolution hassidique, depuis le modernisme des juifs du Nouveau Monde, le reconstructionnisme de Mordechaï Manahem KAPLAN (1881 -1983 ), jusqu’ aux archaïsmes de traditions antiques des samaritains, ou des juifs d’Éthiopie, les Falashas. Chacun de ces judaïsmes dont la liste dressée aurait bien du mal à être jamais exhaustive, reflète les événements et les circonstances, les mouvements et les immobilismes des mondes, et d’une diaspora, s’égrenant dans l’histoire.
Alors, le Christ ouvrirait-il la voie d’une secte dissidente influencée par d’autres cultures ? Certains ont parlé de l’essénisme comme source du christianisme, surtout depuis les découvertes de Qumrân, et des analogies concernant les rites de purification et le baptême, le vocabulaire de la nouvelle alliance, le maître de justice et le messie. Mais il n’y a, dans l’évangile, rien d’ésotérique, soulignons-le encore, qui ressemblerait de près ou de loin à la nécessité d’un rituel initiatique, tels que ceux que pratiquaient les esséniens contemporains du Christ. Entre autres, la secte de Qumrân, opérait des lavements de purification en toutes occasions ce qui n’est pas le baptême chrétien qui lui, dès l’origine, a lieu une fois pour toutes. 2469 Au contraire, également de toute entrée dans une confrérie, une secte, un groupe d’initiés, le baptême chrétien, n’est pas vraiment un rite de passage. Il est tout également, sauf un certificat de bonne conduite. Il signifie à la fois une adhésion libre et définitive, comme la reconnaissance de l’amour premier de Dieu. Il signifie la vocation de vivre selon une autre “nature “, la “création nouvelle”. Le chrétien ne se conforme pas au monde, à la vie naturelle mais sa vie procède d’une vie d’en haut, la réalité du royaume, dont il goûte les prémisses dès ce monde-ci, réalité à laquelle il lui est donné, une fois pour toutes, d’appartenir, et qu’il reconnaît comme telle.
De plus, la secte de Qumrân interdisait, à ses cultes, l’entrée aux enfants de moins de douze ans, aux femmes, aux estropiés, aveugles, boiteux, païens, 2470 jugés impurs. 2471 Cette séparation entre le pur et l’impur est la ligne de démarcation que fait sauter le rêve de Pierre et sa rencontre avec le centenier romain Corneille. 2472 Ouvrant l’espace alors à une autre ligne de démarcation historique et comme définitive entre le christianisme et les judaïsmes pluriels qui lui sont contemporains. La “pureté dangereuse” que stigmatise Bernard Henry LÉVY 2473 éloigne toute altérité jugée comme nauséabonde, et se conclut inéluctablement dans le sentiment fusionnel et l’exclusion de “l’impur”. Ce qualificatif de “pureté dangereuse” aurait sans doute pu tout autant s’adresser, pour des raisons diverses, aux zélotes, pour la quête de dangereuse pureté d’un judaïsme politique, aux pharisiens pour la quête de dangereuse pureté d’un judaïsme studieux et religieux, aux sadducéens pour la quête de dangereuse pureté d’un judaïsme centré sur le service sacrificiel du Temple, aux esséniens pour la quête de dangereuse pureté d’un judaïsme ascétique. La “pureté dangereuse” néanmoins, nous semble tout à fait inadéquate pour caractériser l’église primitive, comme le message du Christ.
Au contraire même, c’est au nom de la pureté, que l’on persécute le Christ, qu’on le met en croix, et à sa suite, que l’on persécutera l’église primitive. La pureté, au sens chrétien, est strictement une grâce, un don gratuit de Dieu. Elle n’est pas, en aucune manière, le résultat de l’effort de l’homme. Elle est pourtant, paradoxalement, intimement liée à ce qui sort de l’homme, et non à ce qui rentre en lui. Liberté donc, et non esclavage. Cette pureté ne dépend pas de ce qu’autrui ou quelque objet magique peut produire en chacun. Elle est l’expression même d’une intimité profonde, l’intimité singulière de chacun : cette zone franche, où personne d’autre que chacun et Dieu n’aura droit d’accès, zone inviolable, celle-là même sans doute qu’ont tant soulignée les personnalistes depuis Emmanuel MOUNIER (1905 - 1950 ), ou encore, en pédagogie, les disciples de Carl ROGERS (1902 - 1987).
‘Écoutez-moi tous et comprenez. Il n’est hors de l’homme rien qui, entrant en lui, puisse le souiller ; mais ce qui sort de l’homme, c’est ce qui le souille.’ ‘Si quelqu’un a des oreilles pour entendre qu’il entende. ’ ‘Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogèrent sur cette parabole.’ ‘Il leur dit : Vous aussi, êtes-vous sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui du dehors qui entre dans l’homme ne peut le souiller ? Car cela n’entre pas dans son coeur, mais dans son ventre, puis s’en va dans les lieux secrets, qui purifient tous les aliments.’ ‘Il dit encore : Ce qui sort de l’homme, c’est ce qui souille l’homme. Car c’est du dedans, c’est du coeur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les impudicités, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, les regards envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie.’ ‘Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans et souillent l’homme. 2474 ’Philippe MADRE, lors d’une étude sur la simplicité du coeur, commentant les paroles mêmes du Christ que nous venons de citer, s’exprime ainsi :
‘L’impureté première n’est donc pas celle du corps. Elle se loge avant tout dans le coeur. Comment purifier son coeur ? Dieu seul peut nous purifier, par la grâce du Christ. Mais si la pureté se reçoit de Dieu, cet accueil demande de nous un désir de conversion, c’est à dire de changement de coeur. 2475 ’Comme pour la parabole que Jésus raconte, le trésor de toutes les puretés, qui vaut bien qu’on abandonne tout pour lui, est invisible, il s’acquiert et se cache comme il est caché quand on le trouve.
‘Le royaume de Dieu est encore semblable à un trésor caché dans un champ. L’homme qui l’a trouvé le cache ; et dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il a et achète ce champ. 2476 ’Dans l’évangile de Matthieu, cette parabole est précédée par deux autres évocations du trésor et qui vont toutes, d’écho en écho, dans le même sens : il ne s’agit pas d’exposer mais de garder en son coeur l’essentiel et vital don de Dieu, les fruits viennent, ou viendront, en leur temps, naturellement, selon un processus pratiquement organique.
‘Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.’ ‘Mais quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra.’ ‘Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent.’ ‘Amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent.’ ‘Car là où est ton trésor, là aussi est ton coeur. 2477 ’La guérison d’un démoniaque muet provoque la réaction des pharisiens qui prétendaient que Jésus ne chassait les démons que par Béthzébul, le prince des démons. Jésus explique alors qu’un royaume ne saurait être divisé contre lui-même, que quiconque n’est par pour lui est contre lui, 2478 avant de conclure ainsi.
‘C’est pourquoi je vous le dis :” Tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera point pardonné.’ ‘Quiconque parlera contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné; mais quiconque parlera contre le Saint Esprit, il ne lui sera pas pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir.’ ‘Ou dîtes que l’arbre est bon et que son fruit est bon, ou dîtes que l’arbre est mauvais et que son fruit est mauvais ; car on connaît l’arbre à son fruit.’ ‘Races de vipères, comment pouvez-vous dire de bonnes choses méchants comme vous l’êtes, car c’est de l’abondance du coeur que la bouche parle.’ ‘L’homme bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et l’homme méchant tire de mauvaises choses de son mauvais trésor.’ ‘Je vous le dis au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole qu’ils auront prononcée.’ ‘Car par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné. 2479 ’Cet enjeu singulier, caché, et situé dans le coeur de chacun, explique plus que toute autre analyse ou discours, la démarche singulière propre à toute la Bible qui commence et se conclut par des interpellations singulières, personnelles, comme cachées aux yeux des grands événements terrestres, pour rejoindre, pour signifier, un dessein pour la création et toutes les nations : l’universel. Démarche renversée par rapport aux projets spéculatifs qu’ils soient strictement idéologiques, strictement intellectuels, ou magiques, et qui se rejoignent sur ce point, en fonctionnant sur d’autres registres que celui de la révélation biblique. Ce type de spéculation confond alors le général, c’est à dire la généralisation abusive, et l’universel, et finit toujours par réprimer, d’une manière ou d’une autre, la personne, l’expérience personnelle, l’humain. C’est ce principe mécanique se muant en répression, qu’a fort bien montré et démonté entre d’autres philosophes, chrétiens ou juifs, dès 1951, Gabriel MARCEL (1889 - 1973 ) 2480 . Les grandes entreprises généralistes si visibles et prégnantes, si destructrices d’humain, et d’humanités, dans le siècle d’où nous sortons, ont donc légitimement en rapport à leurs parti-pris, forcément sources de psychoses et de névroses, de refoulements, trouvé, dans l’enracinement biblique des juifs, quelque chose de tout à fait insupportable.
Dans le dialogue cérémoniel au soir de la Pessah, 2481 des juifs d’aujourd’hui, et les quatre questions traditionnelles et rituellement posées par un enfant 2482 , dans la quête de l’afikomane, le gâteau que les enfants retrouvent en fin de cérémonie, nous rencontrons quelque chose du sens de ce trésor caché, de la parabole de Jésus qui résume peut-être aussi l’essentiel du message biblique, où l’essentiel est comme caché, ou encore de cette eau changée en vin à la fin du repas des noces de Cana, où le meilleur est gardé pour la fin.
Mais encore, c’est dans la délicatesse de ce cérémonial, au soir du séder, 2483 que nous trouvons tout à la fois la notion de mystère si prégnante, et ce refus d’ésotérisme, ce refus de l’hermétisme gratuit, refus d’une science abstraite ou occulte, mystère et refus, si caractéristiques de la quête biblique.
Les quatre coupes bues à quatre moments différents du repas symbolisent quatre termes évoquant la rédemption promise par l’Éternel selon le livre de l’Exode, chacun des termes mettant l’accent, tour à tour, sur : premièrement, l’affranchissement et la délivrance d’Israël des mains de son oppresseur ; deuxièmement, son rachat par le don même de Dieu ; troisièmement, son élection ou sa mise à part par Dieu lui-même, pour son service ; quatrièmement, comme une synthèse, en quelque sorte, de tout ce qui précède, dans le but de l’enseignement du peuple, de son édification, par la connaissance du Seigneur, pour la seule gloire de Dieu.
‘C’est pourquoi dis aux enfants d’Israël : Je suis l’Éternel, je vous affranchirai des travaux dont vous chargent les égyptiens, et je vous délivrerai de leur servitude, et je vous sauverai (rachèterai ) à bras étendus et par de grands jugements. Je vous prendrai pour mon peuple, et je serai votre Dieu, et vous saurez que c’est moi, l’Eternel qui vous affranchis des travaux dont vous chargent les Égyptiens. 2484 ’Ce nombre quatre signifie aussi, d’après Élie WIESEL, les quatre exils 2485 que le peuple juif a traversé avant la rédemption, et il souligne que, pour d’autres, le nombre quatre rejoint chacune des lettres du tétragramme. Il ajoute encore :
‘Le nombre est symbolique et pas seulement symbolique. D’une façon générale, les sages ont quantifié l’accomplissement de nombres de commandements, et en ont fixé la mesure pour nous indiquer que les symboles seuls, les sentiments seuls, le coeur seul ne servent pas la mémoire si l’élan qu’ils impriment ne trouve pas de véritable concrétisation ici-bas, à travers des actes. 2486 ’Nous retrouvons ce même nombre, dans les quatre questions posées qui amènent la lecture de la Haggada, le récit de la Pâque, et qui sont celles-ci :
Signe d’une précarité liée à la condition humaine où prend racine et s’exprime la délivrance divine.
Signe des années d’esclavages du peuple sous le joug du pouvoir d’autres hommes ....
Signe d’une confiance en la protection divine, au delà des protections guerrières et humaines, une main invisible veille sur son peuple.
Signe d’une urgence liée à l’imminence d’un danger, et l’imminence d’un départ, d’un passage, d’un retour, d’une disposition à partir ... d’une disponibilité d’écoute, à une parole, un ordre ....
Contre une lecture trop rapide, donc, il ne faudrait pas conclure à un quelconque ésotérisme, le sens des nombres ne revêt pas le caractère d’initiation secrète, voire de magisme, propre aux sciences occultes. Il ne s’agit pas de pratiques ou d’exercices de convocations d’une divinité, mais au contraire d’un moment de foi et de mémoire, d’inscription dans une histoire, de remise à jour d’une confiance.
‘Cette cérémonie à laquelle les enfants s’associent activement a une évidente fonction pédagogique. Elle a contribué à constituer la conscience nationale du peuple juif, ainsi que sa perception du temps et de l’histoire (à la fois immobile, cyclique et ouverte à la Rédemption à venir). 2487 ’En effet, tout dans cette fête se passe en plein jour, comme l’invitation faite à la conscience de chacun de se relier à cette conscience d’un peuple, à cette histoire, à cette foi, à cette mémoire. Si le trésor, tel l’afikomane, est caché, c’est tout simplement parce que l’essentiel où se place l’enjeu biblique, le coeur, siège de la volonté, est toujours délibérément caché au regard d’autrui. Ceci est signe de la liberté de chacun par rapport à chacun, et une garantie de préservation de l’espace de l’altérité première et essentielle. C’est dans cet espace que Dieu choisit toujours, comme il a toujours choisi, de se manifester et de parler.
Ce rapprochement entre, le trésor caché, parabole de Jésus, ou encore les noces de Cana, premier miracle du Christ, et l’ensemble des rituels du séder, les quatre questions, les quatre coupes, et l’afikomane (afiqoman ), la formule “l’an prochain à Jérusalem” “La-chanah ha-baah hi-Yerouchalayim “ est d’autant plus intéressante à souligner, que ce rituel juif, sous les critères que nous venons rapidement d’évoquer, appartient à une période post-christique et a été restauré sur des critères plus traditionnels que directement bibliques, par les partisans d’un judaïsme orthodoxe, après la destruction du Temple en 70 après Jésus-Christ, essentiellement pour résister aux déviations sectaires des juifs et surtout ... au christianisme. 2488 Tout ceci ne fait que souligner plus fortement encore une intrinsèquéité biblique que nous pourrions baptiser, faute d’autre mot, de “culturelle”, en tout cas, au-delà des confessions de foi, et des théologies, des uns et des autres.
Pratiquement, l’essentiel du message biblique finit par transformer, semble prendre même le parti de transformer, le sens de l’histoire, à partir de phénomènes concrets, et de faits annoncés comme réels, mais pratiquement premièrement toujours anodins, perceptibles seulement dans le regard et le coeur de quelqu’un, ou de quelques uns.
Ainsi, Noé et Abraham ne reçoivent-ils l’appel de Dieu que dans le secret d’une rencontre personnelle qui modifie leur vie, et leur comportement, d’abord, avant de modifier le sens de l’histoire, en permettant à l’oeuvre de Dieu de s’y accomplir, à partir d’une alliance qui, bien que leur étant personnellement adressée, et les mettant en route, personnellement, ne les concerne pas seulement, mais, concerne l’humanité et tous ces hommes, de qui justement, ils ont été retirés, retranchés, et vers qui, pour qui, justement, ils sont envoyés.
Ainsi, à la nuit de la Pâque, 2489 le peuple put sortir en cachette de l’esclavage, et, à partir du signe anodin du sang badigeonné sur les linteaux, vit ses enfants épargnés du fléau de la mort qui toucha tous les autres premiers nés du peuple d’Égypte.
Ainsi, David, 2490 qui n’est pas tout d’abord présenté à Samuel, mais comme le petit dernier de la fratrie, comme presque caché parmi les fils d’Isaï, était au champ gardant les troupeaux. C’est pourtant lui qui allait devenir roi, et recevoir l’onction du prophète.
Ainsi, Jésus naît dans la mangeoire des animaux, déploie son ministère de trois ans, et meurt sur la croix, à l’abri des chroniques des historiens de son temps ...
Ainsi, l’église chrétienne, depuis, les témoignages de la résurrection du crucifié, l’expérience de la Pentecôte et le discours de Pierre, l’ascension, enlèvement au ciel de Jésus devant les disciples, grandira presque en cachette, à partir de témoignages directs, de conversions personnelles, balançant entre le secret des catacombes et le martyr des mises en croix romaines, des lapidations juives, des mises en jugements, des condamnations, emprisonnements, persécutions, supplices meurtriers des jeux des arènes, et ne mettra pas moins de trois siècles, avant d’être reconnue par les autorités romaines en la personne de CONSTANTIN, et l’édit de Milan en 313.
Plus près de nous, dans le vingtième siècle qui a vu s’étendre et mourir le nazisme, surgir la shoa, alors que, simultanément au développement des pogroms puis du troisième Reich, se préparait presque en cachette, par ses immigrés réfugiés en terre de Palestine, la reconstruction de l’état Hébreu, la renaissance, comme une floraison nouvelle et inattendue de beaucoup, d’une culture particulièrement meurtrie ... et d’une langue que d’aucuns avaient décrétée depuis longtemps comme définitivement morte, ou en tout cas destinée à disparaître.
L’histoire du journal d’Anne FRANK(1929 -1945), écrit, pour sa principale part, dans un grenier, ou dans une arrière maison, 2491 à l’abri des regards, essentiel et vital pour une seule jeune fille, pourrait constituer une sorte de parabole de ce mystère biblique. Quoi de moins religieux, en apparence, tout du moins, en effet, que ce journal où Dieu est à peine mentionné et qui plus est, ne semble se préoccuper que de problèmes fort quotidiens, presque terre à terre, traversant l’esprit d’une jeune adolescente tourmentée, apparemment loin de saisir la gravité aiguë des tragédies qu’elle subit cependant de plein fouet ? Et pourtant quoi de plus signifiant pour qui cherche une évocation de ce mystère biblique, et de la force éducationnelle, implicite du message qu’il a délivré à des générations d’hommes ? Lorsqu’elle s’adresse à Kitty, son journal, qu’elle a ainsi baptisé, et à qui elle peut tout dire, la petite Anne ne retrouve-t-elle pas ce confident à qui l’on peut tout dire lui aussi et qui entend au plus profond de l’être, le cri poussé avant même même qu’il ne lui parvienne, avant même qu’il ne soit né ? Ne rejoint-elle pas l’exclamation de Job répondant à Bildad ? “Devant Dieu, les ombres tremblent au dessous des eaux et de leurs habitants ; devant lui le séjour des morts est nu, l’abîme n’a point de voile.” 2492 Nous retrouvons également l’esprit du psaume de David :
‘Éternel tu me sondes, et tu me connais, tu sais quand je m’assieds, et quand je me lève, tu pénètres de loin ma pensée ; tu sais quand je marche et quand je me couche, et tu pénètres toutes mes voies. Car la parole n’est pas sur ma langue, que déjà, ô Éternel ! tu la connais entièrement. Tu m’entoures par derrière, et par devant, et tu mets ta main sur moi. Une science aussi merveilleuse est au-dessus de ma portée, elle est trop élevée pour que je puisse la saisir. Où irais-je loin de ton esprit, et où fuirais-je loin de ta face ?’ ‘Si je monte aux cieux, tu y es; si je me couche au séjour des morts, t’y voilà. Si je prends les ailes de l’aurore ; et que j’aille habiter à l’extrémité de la mer, là aussi ta main me conduira et ta droite me saisira. Si je dis : Au moins, les ténèbres me couvriront, la nuit devient lumière autour de moi ; même les ténèbres ne sont pas obscures pour toi, la nuit brille comme le jour, et les ténèbres comme la lumière. 2493 (...)’Lorsqu’il rédigea la préface de l’édition française en 1950, le chrétien DANIEL-ROPS (1901 -1965) écrivait en ce sens :
‘Un des aspects les plus intéressants de ce témoignage tient à la place à la fois singulièrement réduite et cependant essentielle qui y tient le sentiment religieux. Il est plus que certains que les parents d’Anne Frank devaient appartenir à ces milieux juifs où l’antique fidélité mosaïque se réduit à de vagues pratiques traditionnelles, à de pauvres formules (....) ’ ‘Et cependant, il lui arrive de parler de Dieu. Et quand cela ce produit, c’est avec une tranquillité et une confiance vraiment admirables. Quand elle écrit par exemple : Pour celui qui a peur, qui se sent seul ou malheureux, le meilleur remède c’est de sortir au grand air, de trouver un endroit isolé où il sera en communion avec le ciel, la nature et Dieu. Alors seulement l’on sent que tout est bien ainsi et que Dieu veut voir les hommes heureux dans la nature simple mais belle ...”, quand cette enfant écrit de telles phrases, il serait absurde de n’y trouver que l’écho d’un vague panthéisme, et il y a là l’impression d’un sentiment si pur qu’on ne peut s’empêcher de penser que Dieu lui aura répondu. D’ailleurs peu de temps avant le drame où le journal devait se clore, elle écrivait, au lendemain d’une crise de conscience qu’elle avait traversée : “Dieu ne m’a jamais abandonnée et ne m’abandonnera jamais ...” N’y aurait-il que ces quelques mots dans tout ce livre qu’on voudrait en retenir le message.” 2494 ’Une fois retrouvé par hasard, publié en de multiples langues, joué au théâtre, au cinéma, ce journal intime, clandestin, devient après la guerre, l’un des plus forts témoignages d’une réalité ayant concerné au delà de tout un peuple, un épisode tragiquement central de l’histoire humaine, dont seule la mémoire gardée pourrait instruire, et prévenir, les générations à venir, contre de fatales récidives comme celles d’épurations ethniques, malheureusement bien difficiles, malgré cela à éradiquer encore aujourd’hui.
Il est hors contestation cependant que cette mémoire ne permet plus aujourd’hui, de légitimer, au moins officiellement de tels actes. La déclaration universelle des droits de l’homme publiée le 10 Décembre 1948, la même année où se fondait l’état d’Israël, pratiquement au lendemain de la guerre et signée par l’ensemble des nations de l’ONU, est dans ce sens, un rempart important. Cette déclaration n’aurait sans doute jamais vu le jour, sans ce terrible drame de l’histoire.
Nous retrouvons dans ce témoignage, comme dans l’ensemble de ceux que nous avons cités, le point commun d’une inscription dans le sens singulier du message biblique, qui exprime le cheminement d’une rédemption, de part une initiative divine, d’un mouvement de choix divin, de décision divine, d’élections toujours singulières, dans les gestes et les paroles de témoins, s’inscrivant dans la réalité d’une histoire, à part cela, très humaine.
Ce cheminement, cette histoire, expriment donc la volonté divine et universelle d’un rachat de l’humanité, qui, quant à elle, selon le mouvement retourné de celui de la rédemption, a chuté premièrement, de part une initiative radicalement inverse, et, strictement, si l’on peut dire, humaine.
Pierre-Marie BEAUDE explique que la tradition juive rapporte un dialogue entre deux rabbins. Le premier posant la question de savoir ce qui se passerait si finalement, il s’avérait que, d’après les recherches historiques, la Torah n’était que mensonge, une histoire inventée, le second répondant alors que dans ce cas encore il faudrait étudier pour savoir ce qu’en dit la Torah. BEAUDE Pierre-Marie Conférence à l’IUFM de Saint-Étienne le Lundi 27 Avril 1998 “L’intertexte biblique”.
Le travail récent de Joël THORAVAL présente l’intérêt d’une tentative de lecture chrétienne de la Bible par la Bible.
THORAVAL Joël “Parle Seigneur, ton serviteur écoute” Cerf Paris 1998 ; (835 pages).
Soulignons ici le travail de DUPONCHEELE : DUPONCHEELE Joseph “L’Être de l’alliance: le pouvoir de faire être comme lien philosophique et théologique entre le judaïsme et le christianisme” Cerf Paris 1992 ; (988 pages).
PASCAL “Pensées “ Pensée numéro 552 “ Sépulcre de Jésus” Selon la classification de Léon BRUNSCHVICG (1° édition en 1897 ) Librairie Générale Française Paris 1972 ; (480 pages); à la page 243.
Léon BRUNSCHVICG note cette mention de PASCAL qui était portée dans le manuscrit original mais rayée, semble-t-il, de sa propre main. Nous la croyons cependant très révélatrice.
Jésus enseigne vivant, mort, enseveli (comme il l’est parfois dans les doctrines de bien de nos contemporains, pédagogues ou penseurs, chrétiens d’origine, comme il l’ est aussi dans les doctrines laïques d’inspirations chrétiennes), et ressuscité.
L’originalité de Pascal est donc d’avoir ajouté le temps de l’ensevelissement, au temps du ministère du Christ et de son enseignement. Blaise PASCAL pensait au sépulcre de Jésus : les trois jours, (deux en fait) passés entre mort et résurrection. Moins que mort, c’est à dire mis en croix, il traverse la mort, comme en silence, et lui impose sa victoire, avant qu’elle ne rejaillisse en plein au jour, au matin de Pâque. Ne peut-on dire que Jésus est enfoui le plus souvent dans les modes d’expression de la pensée et de l’action éducative contemporaine ? Pas mort ou mis en croix, pas ressuscité, pas vivant, enfoui ... ignoré.
C’est dans l’enfouissement que Dieu prépare sa résurrection, en triomphant de la mort.
Jean VI 35
I Corinthiens I 23 (op. cit).
Actes XI 18 TOB.
Voir ce que dit DANIEL-ROPS, à ce propos, in
DANIEL-ROPS Henri “Histoire de l’Église du Christ “ Tome 1 “Jésus en son temps “ Fayard Paris 1962 ; (pp 527 à 533) ; an annexes : “ Le christianisme est-il né de l’essénisme ?
Le mot païen rejoint l’étymologie grecque de pays ou nation.
“Catholiques, Orthodoxes, protestants partagent le livre de la Bible - Le Nouveau Testament ” Édition de MUSSET Jacques Gallimard Découverte Cadet Paris 1988 ; ( pp 142 150).
Actes X 9 à 48
LÉVY Bernard - Henri “La pureté dangereuse “ Grasset Paris 1994 ; (283 pages).
Marc VII 14 à 23
MADRE Philippe “La simplicité du coeur “ Pneumathèque Burtin 41 600 Nouan- Le - Fuzellier 1998 ; ( page 9).
Matthieu XIII 44
Matthieu VI 16 à 21
Matthieu XII 22 à 30
Matthieu XII 31 à 37
MARCEL Gabriel “ Les hommes contre l’humain” éd. La Colombe Paris 1951 ; Fayard presse 1968 ; (206 pages)
-N. Édit. Uni. en 1991 ; (171 pages).
Il s’agit d’une réponse à Exode XIII 8 “ Tu raconteras à ton fils ce jour-là, et tu lui diras : C’est à cause de ce que Dieu a fait pour moi quand je suis sorti d’Ègypte
Les quatre questions sont à une variante d’ordre près les mêmes dans les rites askhenaz et sefardi.
Exode VI 6 à 7
Rappelons que ce mot, qui désigne le repas pascal des juifs, selon Exode XII, littéralement, signifie “ordre “.
Après l’exil en Égypte qui prend fin avec l’exode conduit par Moïse, citons, l’exil assyrien des dix tribus ( - 722), la déportation en Babylonie d’une partie du royaume de Judas vaincu par les troupes de Nabuchodonosor au début du VI ° siècle, exil en partie résorbé par le retour de nombreux exilés lors du décret de Cyrus ( - 538 ) ; enfin l’exil de vingt siècles, suite à la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70, et l’échec de la révolte de BAR KOHVA (BAR KOSIBA surnommé BAR KOKÉBA (BAR KOKHBA) fils de l’étoile), en 135, jusqu’à la refondation de l’état d’Israël en 1948.
WIESEL Élie “La Haggadah de Pâque” FSJU Ramsay Paris 1995 ; LGF Paris 1997; ( à la page 14).
“DICTIONNAIRE de civilisation juive” ATTIAS Christophe ; BENBASSA Esther ; Larousse Paris 1998 ; ( page 249 ). Au mot seder (séder).
Le repas pascal, se déroulait certes depuis des temps immémoriaux, accompagnés du sacrifice d’un agneau, sans tâches, mais c’est la destruction du temple et la dispersion du peuple qui va inciter les rabbins à mettre en place peu à peu, dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, ce rituel dont la première mention est dans la Michnah (Pessahim 10).
Ajoutons pour souligner encore ce caractère non ésotérique, de l’origine de la fête juive, que la porte de la maison restait ouverte jusqu’au Moyen-Âge, pour accueillir l’étranger de passage, mais que les persécutions chrétiennes associées aux fausses calomnies concernant les meurtres rituels (liées à la Passion du Christ interprétée dans un contresens absolu), conduisirent à garder le secret de peur d’une intrusion violente en cours de cérémonie. La porte n’était entrouverte une fois, au moment d’accueillir le prophète Élie qui devait ouvrir une ère de liberté.
“DICTIONNAIRE encyclopédique du judaïsme “ Publié sous la direction de Geoffrey WIGODER “The encyclopedia of judaïsm “
(1989) ; adapté en Français sous la direction de Sylvie Anne GOLDBERG avec la collaboration de Véronique GILLET, Arnaud SÉRANDOUR, Gabriel, Raphaël VEYRET ; Cerf Robert Laffont Paris 1996 ; ( pages 933 et 934 ) ; au mot séder.
Exode XII
I Samuel XVI 11 à 13
Job XXVI 5 et 6 . Tout le livre de Job peut être, comme il l’a souvent été, rapproché de la détresse du peuple juif subissant le génocide nazi . Le texte de Job répondant à Éliphaz (Job VII 1 à 20 ; Job IX et Job X ) est également proche, nous semble -t-il, de l’esprit du journal d’Anne FRANK. La liberté de parole de Job vis à vis de son Dieu, à qui il ose dire le plus profond de son désarroi, sans jamais douter cependant de sa présence, est comme en lien avec la liberté de parole du journal intime .
L’arrière maison est d’ailleurs le sens en langue néerlandaise de “het achterhuis” titre de la première publication originale du journal d’Anne FRANK .
Psaume CXXXIX 1 à 12 ; il est possible de poursuivre jusqu’à la fin la lecture de ce psaume dans le sens évoqué.
FRANK Anne “Journal de Anne Frank” (Het achterhuis ) suivi de huit contes inédits” Préface de DANIEL-ROPS. Calmann-Lévy Paris 1950 ; ( pages 10 et 11).