La prière comme une respiration vitale, entre imploration, louange et intercession

La prière biblique, dans sa dimension juive ou chrétienne, de l’Ancien ou du Nouveau Testament, est centrale, au coeur du combat de la foi, comme l’évoquait déjà le combat céleste de Moïse, priant soutenu des bras, par Aaron et Hur, tandis que Josué conduisait le peuple dans son combat terrestre contre Abimélec le descendant d’Ésaü habitant le désert. 2550

Nous retrouvons alors cette dimension centrale du trésor caché. Le combat de la prière accompagne, le combat incarné pour la justice. Même si la prière est la dimension la plus cachée de l’action, la prière est action, il n’est pas de prière sans action, pas d’action en Dieu sans prière. Le “Notre Père”, la prière qu’enseigne Jésus à la foule, dans l’évangile de Matthieu, est insérée dans le sermon sur la montagne, soulignant ainsi fortement cette dimension cachée que Jésus ne cesse de mettre en évidence, depuis les béatitudes, comme la source d’une consolation joyeuse accordée sans mesure à tous les coeurs purs, des affligés, aux miséricordieux, aux pauvres en esprit, aux doux, aux assoiffés ou affamés de justice, aux artisans de justice et de paix.

‘Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour être vus autrement vous n’aurez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux.’ ‘Hors donc quand tu fais l’aumône, ne sonne pas la trompette devant toi comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues afin d’être glorifiés devant les hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment prier debout dans les synagogues, aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis, en vérité, ils reçoivent leur récompense.’ ‘Mais quand tu pries entre dans ta chambre et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. 2551

Remarquons le “tu” singulier qui s’adresse au disciple s’opposant au “vous” pluriel qui semble s’adresser à la foule dans sa ressemblance aux religieux hypocrites. La prière qu’enseigne Jésus reste une prière personnelle, qui appelle une démarche personnelle, même si les mots qu’elle emploiera sont à nouveau, ceux du pluriel mais de la première personne de celui-ci, comme l’appel à une communion plus large, comme la manifestation déjà de cette communion.

‘En priant ne multipliez pas de vaines paroles, comme ceux qui pensent qu’à force de paroles ils seront exaucés.’ ‘Ne leur ressemblez pas, car votre Père sait de qui vous avez besoin avant que vous ne le lui demandiez.’ ‘Voici donc comment vous devez prier :’ ‘Notre Père qui es aux cieux! Que ton nom soit sanctifié que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.’ ‘Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ; pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés; ne nous induis pas en tentation mais délivre-nous du malin. Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles le règne, la puissance et la gloire. Amen ! 2552

Comme pour accentuer, la dimension personnelle incarnée, et quête de communion en Dieu Père, qu’est la prière, Jésus poursuit en disant :

‘Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. 2553

Jésus n’a pas de lois, de commandements autres que ceux qui résument la loi de Moïse : aimer Dieu avant toute chose, et, aimer son prochain comme soi-même. Il commande aux disciples l’amour des uns pour les autres comme il a aimé, lui le premier, et, laisse comme enseignement, non une formule, un principe mais une prière qui contient toutes les prières, et qui a traversé les siècles et les liturgies. Jésus la laisse comme un commandement, comme un enseignement.

La prière du “Notre Père” que Jésus donne pour dire “comment il faut prier “ est présente à deux reprises. 2554 .Si dans l’évangile de Luc, elle constitue la réponse à une question d’un disciple. “Seigneur enseigne nous à prier comme Jean l’a enseigné à ses disciples.” 2555 dans l’évangile de Matthieu la prière est insérée, nous l’avons dit, au coeur du sermon sur la montagne.

Il est dit souvent, nous l’avons souligné, que le sermon sur la montagne constitue la loi nouvelle de l’alliance nouvelle que Jésus inaugure. Il ne s’agit pourtant pas vraiment, à proprement parler, d’une loi nouvelle mais de l’accomplissement de l’ancienne, pas un seul point sur un i ou un seul trait de l’ancienne loi ne doivent être ôtés dira même Jésus 2556 .

Cette prière apparaît d’abord historiquement également sans doute, dans l‘évangile Matthieu, 2557 au sermon sur la montagne adressé à la foule. Si Luc, 2558 la reprend donc, mais en version plus courte en réponse à la question d’un disciple, elle est destinée à tous, et ne revêt, comme d’ailleurs l’ensemble du message du Christ, aucun caractère ésotérique.

  • Un premier enseignement est dans le mot ”Notre” qui transporte dès le commencement, dans une dimension communautaire. Cette prière toujours personnellement adressée à Dieu, résonnant profondément à l’intérieur du coeur de chaque disciple, introduit dans la dimension d’un “nous”, précurseur d’une communion d’église avec d’autres hommes.
  • Un second enseignement est dans le fait que Dieu se laisse appelé “Père”. Les disciples devenus fils, sont donc frères les uns des autres. La communauté d’église se fonde sur cette paternité divine acquise par Jésus-Christ, en Jésus, pour tous, et, qui fait frères, désormais, les uns des autres.
  • Un troisième enseignement de la prière est dans la suite directe du texte “qui es aux cieux”. Dieu Père, en effet, n’est pas prisonnier du cosmos, de l’univers, de la terre, de l’homme, il est hors le monde , hors du temps et de l’espace qu’il a lui-même créés, hors de l’homme et de ses pensées. YHVH n’est pas soumis au monde ni aux hommes, ni aux contingences. Sa destinée ne dépend pas de l’homme ni de notre monde, ni des contingences, même si celle de notre monde et celle de l’homme, dans le quotidien vécu, comme dans l’espérance à venir, inversement, dépendent bien de lui.
  • Un quatrième enseignement est la participation à la sanctification, la mise à part, la célébration par les hommes et toute créature, de l’identité singulière de Dieu Père, et à la suite, ce qui en est la logique continuité, le règne, la volonté sur la terre comme au ciel, de ce Père qui pourtant justement règne déjà en toute chose. Le disciple en communion d’église, entre ainsi dans sa volonté librement, sans contrainte, par l’adhésion pure et simple de tout son être.
  • Un cinquième enseignement est dans la demande du pain nécessaire à ce jour, ni plus ni moins. Dieu, bien que dans les cieux, et non prisonnier des contingences, comme un Père aimant sait ce dont ses enfants ont besoin. Le disciple lui demande de pourvoir à ses besoins propres mais aussi à ceux de tous, de l’église, pour aujourd’hui.
  • Un sixième enseignement est dans la demande du pardon, pour tout ce qui n’est pas accompli, aujourd’hui, ne sera pas accompli, demain, n’a pas été accompli, hier, selon son esprit, sa volonté, pour l’offense qui en résulte, ou qui l’explique ... Cette prière du “Notre Père” est elle-même comme un don de Dieu, alors, par le don de Dieu, l’homme demande son pardon.
  • Un septième enseignement, est dans l’engagement formulé du disciple et de l’église, à donner tout comme il a reçu, à pardonner à ceux qui l’ ont offensé, ou offensé l’église ...
  • Un huitième enseignement est dans la conscience qu’a le disciple, l’église, de ne dépendre et de ne vouloir dépendre désormais que de Dieu seul. Il peut, lui seulement, lui seul, éloigner de lui, la tentation qui risquerait de nous emporter. Nous lui remettons l’angoisse que nous éprouvons devant elle et devant le mal qui nous environne.
  • Un neuvième enseignement est dans le retour à la gloire de Dieu. Son règne est comme rappelé à Dieu lui-même, comme il est rappelé à l’église et au disciple, car de là provient la foi, puisant sa force dans la certitude de la victoire d’ores et déjà acquise pour toujours.
  • Un dixième enseignement enfin est dans la prière elle-même. Dieu Père se laisse prier. Chacun peut lui parler, l’interroger, et Dieu répond.
‘Demandez et l’on vous donnera; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe. Lequel de vous donnera une pierre à son fils s’il lui demande du pain . ou s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Si donc, méchants comme l’êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent. 2559

Au contraire d’un théorème, d’une démonstration, la prière se vit chaque jour nouvellement, et enseigne à chaque fois des choses nouvelles. Elle instaure un dialogue permanent entre le Père et le disciple, et l’église. Jésus laisse au disciple une prière ouverte et nouvelle qui l’ accompagnera sur le chemin de l’existence qui le portera, le transportera, dans la joie, ou, dans l’épreuve et l’affliction, l’aidera comme le bâton du pèlerin à marcher jusqu’à son Père, ou comme le pain partagé en communion d’église, jusqu’à ses frères, avec ses frères, jusqu’à Jésus, avec lui, par lui.

Notes
2550.

Exode VIII 8 à 16

2551.

Matthieu VI 1 à 6

2552.

Matthieu VI 7 à 13

2553.

Matthieu VI 14 à 15

2554.

L’évangile de Matthieu VI 9 à 13, Luc XI 2 à 4.

2555.

Luc XI 1

2556.

Matthieu V 13

2557.

Matthieu VI 5 à 15 Nous gardons cette version pour l’étude dans les lignes qui suivent ...

2558.

Luc XI 1 à 5

2559.

Matthieu VII 7 à 11