4 L’invariance du Père, la justification du Fils et l’action du Saint-Esprit ?

Le moment est venu de tenter de faire rejoindre plus significativement, pour un temps, la Bible et des rapports plus généraux à l’éducation selon un cadre lisible et généralisable en sciences humaines. Nous avons, pour cela, supposé que toute identité éducative s’appuie sur une triple légitimité :

Lorsque nous avons posé la question de l’invariance, nous avons rejoint ce Dieu biblique qui reste le même d’âge en âge, qui est vivant d’éternité en éternité, qui est le créateur, et du monde et de l’univers, et des créatures, et des temps, qui était avant toute chose, qui subsistera après tout et tous, et que les héritages linguistiques courants ont le plus souvent nommé l’Éternel.

Lorsque nous avons voulu nous référer à la justification, nous avons rejoint une singularité propre à la Bible qui ne semble poser la question morale et éthique qu’au travers d’une justice exercée concrètement, d’une justesse de relation, d’une rédemption nécessaire, autrement dit, selon les termes bibliques eux-mêmes d’une justification que le Christ accomplit.

Lorsque nous avons voulu nous référer à l’action, nous avons rejoint les actes des apôtres, qui sont dans le Nouveau Testament le point de départ de la vie de l’église, au moment précis où l’Esprit-Saint devient acteur principal et explicite de la parole biblique. Le Saint-Esprit dans la perspective chrétienne ne naît cependant pas avec l’apparition du Christ, en terre d’Israël, pour un ministère, et encore moins avec les actes, ou à la Pentecôte il fait naître l’église. La perspective de l’accomplissement laisse à penser qu’il était là depuis le commencement, comme le Père et le Fils étaient là, eux aussi.

Nous avons rejoint ainsi la trinité dont nous avons dit et redit qu’elle ne peut se poser comme un système mathématique ou conceptuel. La trinité exprime une communion de personnes. La trinité, si elle est, est fondatrice, au moins d’une lecture chrétienne du message biblique, sinon du message biblique lui-même qui n’aurait objectivement probablement pas vu le jour, sous sa forme présente, ou en tout cas subsisté historiquement comme tel, sans une telle lecture possible, permise, initiée.

Nous ne prétendons pas au travers de cette approche faire le tour de la question, ni tout dire, il va de soi, mais répétons-le encore, seulement, plus simplement, avons-nous tenté d’ouvrir, dans les sciences humaines, une voie à poursuivre.

Déjà, il nous est permis de pressentir que si le Père nous fait pencher vers l’invariance, le Fils et le Saint-Esprit n’en sont pas loin. Que si l’Action nous pousse à envisager la dimension de l’Esprit-Saint, le Fils et le Père sont tout proches. Enfin que, si le Fils fournit la justification du pécheur, lui ouvre la porte de la rédemption, cette justification devant le Père est-elle même oeuvre de l’Ésprit-Saint en lui. Décidément rien n’est formalisable, de façon abrupte mathématique, théorisable, définie. tout se joue et se rejoue sans cesse dans la tension vers une communion que le Père et le Fils, et l’Esprit tous ensemble et chacun séparément signifient.

Précisons encore, s’il est besoin, que, puisque la Bible n’a nullement besoin de notre travail pour prendre sens, nous ne définissons pas ici les principes d’une théologie nouvelle, pas plus que nous ne voulons affirmer les qualités prépondérantes d’une théologie contre une autre. Nous essayons simplement de prendre acte du phénomène chrétien, en tant que phénomène éducatif issu de la Bible, ou, en tout cas en liaison constante avec elle.

A contrario, les sciences humaines, qui fournissent le cadre de notre étude, pourraient avoir besoin de notre travail pour planter quelques bases d’un respect du message biblique par les sciences de l’éducation, en dépit des contentieux évoqués. Nous touchons à la fin de notre travail, avec la conscience de n’avoir entrepris qu’un premier débroussaillage, à poursuivre, à contester, à infirmer ou à confirmer, mais qui voudrait servir de quelque repère à des positions diverses.

Notre approche est de l’ordre du regard porté. Si elle dégage un triptyque, elle est parmi toutes celle qui nous a paru la plus respectueuse de l'éducation intrinsèquement biblique. Nous avons déjà évoqué pourquoi un regard porté tel que le nôtre n’est pas un modèle, et ne prétend pas à celui-ci. Le regard ne prétend pas à l’interprétation complète d’une réalité, il ne se propose que de témoigner d’une partie de cette réalité visible selon un point de vue. Il nous fallait simplement, de tous les points de vue, nous arrêter sur celui qui nous permettait de mieux dégager la singularité biblique, sans l’altérer de trop. Notre triptyque contenant l’invariance, la justification, l’action, n’est pas un modèle 2588 du type pédagogique dégagé par Jean HOUSSAYE 2589 , entre le maître, l’élève, le savoir, modèle directement opérationnel débouchant sur le champ des techniques pédagogiques. Il n’est pas non plus contenu dans le modèle éducatif de Guy AVANZINI, entre les contenus, les représentations (ou théorie psychologique sur la personne enseignée), les finalités, modèle de nature plus spéculative, débouchant sur le champ philosophique. Le modèle, au sens de ces auteurs, suppose une interaction constante entre chacun des trois pôles. Cette interaction est rendue par la notion de triangle, et sa représentation figurée. Elle provoque, entre autre, le phénomène du tiers exclus (tendance systématique qu’ont chacun des trois couples formés par deux pôles deux à deux, à exclure le troisième pôle). PASCUAL-LEONE, dans sa théorie des opérateurs constructifs (TCO), situerait, dans l’élaboration de l’action pédagogique ou éducative, probablement, chacun des modèles dégagés par Jean HOUSSAYE et Guy AVANZINI au niveau d’une tentative de rationalisation du hardware (opérateurs silencieux, non conscients qui correspondent aux structures ) s’opposant au software (répertoire de schèmes correspondant à l’expérience subjective du sujet) 2590 qu’ils permettent, à partir de l’effort de mise en ordre de ces auteurs, de lire et d’interpréter, de modifier, de rationaliser .

Outre l’incompatibilité entre modèle et approche biblique, se centrant sur la relation pédagogique de type scolaire, le triangle de Jean HOUSSAYE est à l’évidence trop étroit par rapport au champ que nous dévoile la Bible. Guy AVANZINI montre que l’association des trois composantes qu’il définit de l’acte éducatif a au moins deux niveaux d’articulation : les institutions, et les méthodes. 2591

Pour intéressante qu’elle soit dans le champ extra-biblique ou même pour décrire les composantes pédagogiques juives ou chrétiennes inspirées de la Bible, cette lecture ne permet pas de dégager l'éducation intrinsèquement biblique à l’éducation, nous l’avons souligné, car elle présuppose une approche spéculative incluse dans la psyché. Le message de la révélation dit d’autorité, par principe, ne pas s’inclure dans la psyché, ne pas être un produit de la psyché. La révélation révèle l’acteur Esprit-Saint, souffle, “pneuma”. Transposé à notre approche de l’éducation biblique, le modèle de Guy AVANZINI en réduirait les composantes, en les ramenant à une lecture grecque. Notre question était bien de savoir ce que la Bible disait à l’éducation, de l’éducation, et non seulement comment elle s’incluait dans un modèle préexistant. Ce que nous avons montré comme étant intrinsèque à la Bible n’est pas inclus dans l’ordre des représentations psychologiques, n’est pas inclus dans l’ordre de la philosophie, seulement, n’est pas inclus dans l’ordre des contenus, seulement.

Autrement dit, nous référant au modèle de Guy AVANZINI, nous pourrions dégager plusieurs types de pédagogies chrétiennes se rapportant à diverses finalités issues des spéculations humaines, ce qui présente un autre intérêt. Notre approche nous permet de mieux souligner quelque chose de ce qui est typiquement biblique, dans le domaine éducatif, comme un regard porté, sans prétendre au modèle explicatif du tout qui ne manquerait pas de rejoindre les tentatives gnostiques. Le travail de Guy AVANZINI, pourrait permettre, en aval, une certaine classification typologique des pédagogies de source biblique, juives ou chrétiennes, mais sans annoncer, par définition, et, en renonçant, par conséquence, de remonter à la source commune de celles-ci, qui les relie les unes aux autres. 2592

Notes
2588.

“Représentation formelle d’un ensemble de phénomènes que l’on tente de cerner. Tant que son utilisation amène à des prédictions exactes, à des applications efficaces, le modèle garde son utilité.”

Définition de RICHELLE Marc in “La psychologie à la recherche de son objet” PUF 1987 ; cité in

“Pédagogie : dictionnaire des concepts clés “ RAYNAL Françoise, RIEUNIER Alain ESF éditeur Paris 1997 ; (page 231).

Nous ne revendiquons pas d’aspect prédictif de type expérimental, ce qui irait à l’opposé de notre démarche, de notre recherche, de nos conclusions, et c’est pour cela, entre autre, que nous parlons de triptyque mais non modèle.

2589.

HOUSSAYE Jean “Théories et pratiques de l’éducation scolaire” t 1” Le triangle pédagogique” Lang Berne 1988 .

2590.

“Pédagogie : dictionnaire des concepts clés “ RAYNAL Françoise, RIEUNIER Alain ESF éditeur Paris 1997 ; (page 233).

2591.

AVANZINI Guy in “Les grands courants de la pensée éducationnelle contemporaine” ; (pp 6 à 8).

2592.

Note connexe numéro 24 adjointe à ce chapitre “L’institution comme une arche” Extrait de : CABALLÉ Antoine op. cit. ; 1993 ; pages 135 à 140 ; partie du chapitre : “Apports de l’auto apprentissage” .Le rapport à l’institution humaine, non comme une tour, mais comme une arche, nous paraît être davantage débusquée par notre approche.