Plus loin, encore, la pensée qui sait qu’elle ne sait pas tout, et qui appelle la lumière du fond de son indigence, ou, qui pour le moins, doute d’elle-même, devient réceptive à la parole de Dieu. De même l’acte posé, une fois regardé comme incomplet, peut devenir prière. Car, c’est cette double misère, premièrement de la pensée prétendant abusivement n’être gouvernée que par elle-même seule, deuxièmement, de l’acte repu d’autosatisfaction, qu’ invariablement, révèle et dénonce, tout à la fois, la parole biblique. L’invariance que la Bible nous révèle n’est donc pas contenue dans les idées.
Dieu est plus grand que les constructions humaines. Sa parole passe au travers d’elles, mais ne s’y laisse pas enfermer. C’est en cela que la dimension de l’action peut nous être d’un certain secours, comme au carrefour de la philosophie, de la théologie et des sciences humaines. La Bible, avant d’être abordée comme objet des sciences, nous propose donc une entrée par le haut qui intègre une réalité autre, une autre réalité que la réalité strictement spéculative. Lire la Bible, au sens juif ou chrétien, en termes d’éducation, suppose donc, sinon une rencontre préalable avec une transcendance, dans une transcendance, selon une transcendance, du moins une prise en compte d’une telle éventualité, néanmoins inscrite sans théorisation d’aucune sorte, dans le quotidien des gestes, dans une parole adressée, selon une parole, selon une révélation de nature très singulière. Mais voici que, se résorbe en Christ, et c‘est la spécificité chrétienne, la distance entre Dieu et l’homme. Comme cette prière issue de l’église orthodoxe nous l’enseigne et nous l’exprime à la fois.
‘Toi seul Seigneur. Toi seul avec nous ; contre nous hélas, toi seul aussi.’ ‘Toi seul Seigneur,ô Christ notre Dieu ineffable, indicible, inattendu, qui soudain nous saisis si fort que notre seule urgence alors est de tout arrêter de ce que l’on faisait, pour T’écouter, Te voir, Te sentir.’ ‘Toi seul Seigneur partout ! En moi, hors de moi ; dans le regard de ceux que j’aime, dans le rire et le pleur des enfants que Tu m’as confiés ; dans le sourire ou la haine-souffrance de l’autre, dans mes angoisses, sous toutes mes joies, dans le chant du coq au matin, dans la splendeur du jour qui se lève, quotidienne résurrection qui, chaque jour devrait nous surprendre et dont jamais assez nous te rendons grâces.’ ‘Toi seul, Seigneur, ô Christ, mon Dieu que j’aime à pleurer, sois béni dans les siècles des siècles avec Ton Père et Ton Esprit très Saint et prends pitié de mes insuffisances.’ ‘Seigneur, Toi qui as parlé face à face avec Moïse, Toi qui fis crier et pleurer les prophètes, Toi qui as fait jaillir les psaumes des lèvres de David et murmurer la sagesse des Proverbes au coeur de Salomon, Dieu Vivant qui a mis le magnificat dans la bouche de la petite Marie 2593 et la confession du Christ dans celle de Pierre, 2594 Toi qui as prononcé ta Parole comme une parole humaine dans la bouche de Ton Fils, par Ton Saint-Esprit, rends vivantes nos paroles pour qu’elles nous deviennent Ta Parole. 2595 ’Avant de lutter, il nous est donc dit que Jacob resta seul. YHVH se laisse interpeller, prendre au corps à corps, personnel, d’une lutte. Tel est l’enjeu de l’histoire d’Israël transmis de génération en génération. L’enjeu de l’éducation biblique se joue dans la personne de chacun et dans la communauté humaine. Le nom nouveau d’Israël porté par Jacob est signe d’une nouvelle identité personnelle, mais aussi identité de toute sa descendance, d’un peuple.
‘Jacob lui demanda : “Fais-moi connaître ton nom ? ’ ‘-“Pourquoi me demandes-tu mon nom ? “ répondit-il. Il le bénit en cet endroit. 2597 ’Bien que Jacob se soit battu pour une bénédiction filiale 2598 , le Dieu d’Israël, n’est pas le Dieu d’une tribu, il ne se laisse pas posséder. Et c’est pourquoi sans doute son nom, bien que Jacob le lui demande, n’est pas révélé ici. En spécifiant déjà qu’on ne traiterait pas le fils en fonction de son père et vice-versa, le Deutéronome marquera à son tour un singulier renversement par rapport à d’autres présupposés d’une fatale interdépendance familiale, ancestrale, de type généalogique, qu’une lecture trop rapide et réductrice de l’histoire biblique pourrait laisser supposer.
‘Un père ne sera pas mis à mort pour un enfant, ni un enfant pour un père ; chacun sera mis à mort pour son propre péché. 2599 ’Il est très remarquable que le texte du Deutéronome, se poursuive en mettant l’accent sur l’orphelin, l’étranger, la veuve. Non seulement l’homme n’est plus tenu comme enchaîné dans les liens de sang et du territoire, mais encore il est invité à protéger , à faire droit , à être responsable du bon droit, de l’étranger, de la veuve de l’orphelin, autrement dit des plus démunis parmi ses voisins .
‘Tu ne violeras pas le droit de l’étranger ni de l’orphelin et tu ne prendras pas pour gage le vêtement d’une veuve. Souviens-toi que tu as été esclave en Égypte et que le Seigneur ton Dieu t’a délivré. C’est pour cela que je te donne cet ordre. 2600 ’Et le texte se poursuit, par la notion de “reste” 2601 qui est au coeur de la réalité biblique éducative centrée autour de la notion de rédemption.
‘Quand tu moissonneras ton champ, si tu as oublié une gerbe dans le champ, tu ne retourneras point pour la prendre, mais tu la laisseras pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve, afin que le Seigneur ton Dieu te bénisse dans tout le travail de tes mains. Quand tu secoueras tes oliviers, ce qui restera sur les arbres, tu le laisseras pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve. Quand tu vendangeras ta vigne, tu ne cueilleras point ensuite les grappes qui seront restées ; ce sera pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve. Souviens-toi que tu as été esclave dans la terre d’Égypte, c’est pourquoi je te donne ces commandements. 2602 ’Le rappel fait à la mémoire de l’esclavage sous le joug des hommes, en Égypte, et de la libération conduite par Dieu, ouvre à la perspective d’une terre promise, d’un Royaume de liberté et de responsabilité, et, de plus, semble donner le droit à Dieu, de s’octroyer à lui-même le feu vert, d’ériger un ordre, de donner un commandement, d’inscrire son projet dans l’histoire vécue des hommes, dans l’expérience concrète. De transformer l’expérience vécue en leçon d’éducation. Effectivement, la révélation de la Torah fera bien suite à la libération d’Égypte.
Et il nous faut comprendre pourquoi nous avons voulu, dans notre écrit jusque là, garder ouverte et comme imprécise l’acception du terme éducation, entre “educere” “faire sortir “ et “educare” “faire le prix, donner du prix, soigner”. En effet, certes, il s’agit dans l’éducation biblique, pour reprendre des termes de la définition de Michel DEVELAY, 2603 d’une relation à la fois asymétrique entre un enseigné et un enseignant (”educere - faire sortir” serait le projet du maître) et de parité, d’égalité, de libertés réciproques (”educare - faire le prix” nous ouvre à la dimension éthique de cette parité, liberté de l’un par rapport à l’autre, égalité de prix) entre les deux individus de cette relation. Mais le point de départ de cette relation n’est pas à proprement parlé explicitement l’homme, même si le message est transmis par des hommes, à partir de témoignages, mais un Autre, ou, Tout Autre, que la Bible appelle YHVH. YHVH est ce Dieu indicible que l’homme ne peut produire, représenter, ni reproduire De créateur de l’homme et de l’humanité, YHVH se fait libérateur de l’esclavage que certains hommes font subir à d’autres, de libérateur il se fait pédagogue, de pédagogue il se fait Père, et se manifeste progressivement, au fur et à mesure que la révélation se dévoile, dans le Fils, le frère, l’ami, l’exclu.
Cette parole même s’incarne dans le Fils, 2607 ce dont l’Esprit-Saint rend témoignage. 2608 Nous sommes reconduits à la trinité, à la communion trinitaire dont le baptême , dès l’église primitive, porte témoignage. 2609 Il ne s’agit pas d’une invariance figée qui serait telle un concept mort circonscrit dans les mots de la définition donnée par l’homme, mais d’une invariance en une personne vivante dans sa parole créatrice. Cette invariance qui fait reconnaître la Bible toute entière comme parole inspirée de Dieu, appelle les auteurs de la Bible catholique romaine de Maredsous à faire cette recommandation au lecteur chrétien, en préambule de leur traduction.
‘Pour lire la Bible avec le profit désirable, le chrétien a besoin d’être éclairé sur chacun des livres qui la composent, à quatre points de vue complémentaires. Il doit posséder d’abord quelques notions sur le genre et les particularités “littéraires “ de l’ouvrage. Il lui faut aussi replacer cet ouvrage dans son contexte historique en tenant compte des circonstances qui ont provoqué sa parution en fonction de destinataires immédiats. Ces indications lui permettront ensuite de bien saisir les modalités de “l’enseignement religieux” donné par l’écrivain à ses contemporains. Il devra enfin situer cet enseignement dans le cadre de la révélation entière, à la place qui lui est assignée dans l’évolution providentielle, en vue de “l’achèvement chrétien”. Ces quatre points de vue “littéraire”, “historique” “doctrinal” et “chrétien “ seront brièvement considérés dans chacune des Préfaces ci-jointes. (...) C’est une pratique excellente de lire simultanément l’Ancien et le Nouveau Testament, de façon à percevoir leurs intimes connexions. Il reste à recommander au lecteur de développer en lui les cinq sens indispensables à une lecture chrétienne : le sens de la foi vécue dans l’église, le sens de l’histoire, le sens du mouvement progressif de la révélation, le sens de la relativité des mots et le bon sens tout court. 2610 ’Il nous semble que ces conseils valent tout autant pour tout chercheur armé de bonne volonté, ou plus simplement d’une volonté de justesse d’analyse, et qui voudrait entendre ce que la Bible dit de façon intrinsèque et ce qui fait que certains à partir de son message, et de la lecture qu’ils en font, se disent chrétiens. Cette lecture d’un message intrinsèque est logiquement fondée sur une invariance, qui fait dire à Jésus lors du sermon sur la montagne, alors qu’il vient de dépasser la lettre de la loi de Moïse, que cette même loi, reste éternelle.
‘Il est plus facile que le ciel et la terre passent qu’il ne l’est qu’un seul trait de la lettre de la loi vienne à tomber. 2611 ’Cette invariance, en Dieu Père, en tout cas est située hors du monde, hors de la création, hors des spéculations humaines qui toutes sont marquées du sceau de la finitude.
‘Tu les changeras comme un habit et ils seront changés. Mais toi tu restes le même, et tes années ne finiront point. 2612 ’Dieu qui ne se donne pas premièrement à voir, ni premièrement à approcher, mais qui commence par se manifester dans son oeuvre, se montre, se révèle, en bout de course dans la personne de son Fils, de Jésus conçu du Saint-Esprit visitant Marie. Nous trouvons dans cette rencontre christique entre le créateur et sa créature l’expression de l’accomplissement de cette parole dont nous avons évoqué qu’elle constitue l’invariance singulière de l’expression du Père : Le Père s’exprime dans une Parole ; cette Parole pend chair en une personne, Jésus.
Luc I 46 à 55
Matthieu XVI 16 ; Jean VI 68 à 69
“Prière Orthodoxe” in France Culture le 4 04 1993
Genèse XXXII 25 à 29; (traduction Maredsous)
Genèse XXXII 30; (traduction Maredsous)
Genèse XXVII (le stratagème de Jacob aidé de Rébecca sa mère pour tromper Isaac son père et supplanter Ésaü son frère).
Deutéronome XXIV 16 ; (traduction Maredsous)
Deutéronome XXIV 17 à 18 ; (traduction Maredsous)
La notion de ” reste” d’Israël est liée aux survivants de la shoa, à qui, elle est souvent, aujourd’hui, en judaïsme appliquée. Elle marque dans la Bible le rappel d’un petit nombre par lequel l’alliance peut repartir. Elle rejoint la notion d’élection : Lévitique XXVI 36 à 45 ; I Rois XIX 18 ; Ésaïe VII 3 (le nom du fils d’Ésaïe est “Chear Yachov” qui signifie: un reste reviendra ) ; Ésaïe XLVI 3 ; Jérémie XXXI 6 à 7 ; Ézéchiel XI 13 ; Michée V 5 à 7 ; Aggée I 12 à 14 ; Esdras IX 8 à 15 ; Néhémie I 2 à 3. Le message de Jésus n’est pas indifférent à cette notion : songeons à la multiplication des pains, où la notion de reste est inversée puisqu’on remplit douze paniers avec les restes produits par la multiplication de cinq pains d’orge et deux poissons. (Matthieu XIV 17 à 21 ). Dans la parabole de la brebis perdue, le prix d’une seule brebis vaut mieux que le reste du troupeau (Matthieu XVIII 12 ; Luc XV 3 ). Pour Paul le “reste “ relie l’église à Israël et force à l’humilité (Romains XI 1 à 24 ).
Deutéronome XXIV 19 à 22 (cité par MALKA Victor in “Paroles de sagesse juive “ Textes présentés par Victor MALKA Peintures de CHAGALL Marc Albin Michel Paris 1994 ; page 19).
DEVELAY Michel “Cours de didactique des disciplines “ en Maîtrise de Sciences de l’Education (1992/93) d’après les notes de Paul Luc MÉDARD et nos notes personnelles.
Genèse I 3 ; et spécialement tout le premier chapitre de la Genèse.
Ésaïe XL 7 à 8
Matthieu XXIV 35 ; (Marc XIII 31 ; Luc XXI 33)
Jean I 14
Depuis la création (Genèse I 2) jusqu’aux prémisses de la création nouvelle dont témoigne la Pentecôte, (Actes II 4) l’Esprit de Dieu, (ou Esprit-Saint),est acteur avec Dieu, en communion avec l’oeuvre de Dieu.
“Allez, faites de toutes les nations des disciples en les baptisant, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Et enseignez leur à observer ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.”
Matthieu XXVIII 18 à 19
Note préliminaire à “La BIBLE” traduite de l’hébreu des moines de l’abbaye de Maredsous ; (1949 )version revue de 1968 en collaboration avec les moines d’Hautecombe, Brepols Turnhout Belgique - Paris 1992 ; (pp 7 et 8 ).
Luc XVI 17
Psaume CII 27