Point final et points de suspensions ...

Nous en arrivons donc, au terme de cet écrit, arrivé au temps de devoir récapituler l’essentiel de ce que nous y avons dit, de ce qui nous y avons cherché, de ce que nous y avons trouvé, au temps de devoir rappeler ce qui nous y a terriblement manqué.

Cette longue explication, cette longue recherche, ne trouvent, en effet, leur terme que dans un sentiment de finitude personnelle, et d’insuffisance, sentiment profond et large comme un désert. Un sentiment d’inachevé. Inéluctable, incontournable, prévisible, et pourtant insoupçonnable quant à sa forme démesurée, immense.

La tâche était énorme. Nous l’avons affrontée loyalement, nous semble-t-il. Dans un journal de recherche trop rapidement délaissé, nous avons retrouvé ce passage qui cherche à dire l’explicite de ce combat, de cette lutte, tel le combat de Jacob, qui à chaque instant accompagna, et accompagne encore, notre marche, notre démarche, notre réflexion, notre prière.

‘Le 19 Octobre 95’ ‘Je retrouve aujourd’hui le désir d’un journal pour tout confier à Celui sans qui ce travail n’a aucun sens et n’aurait pu même être envisagé.’ ‘Toi, Père, Seigneur, mon Dieu, notre Dieu. ’ ‘Que je cherche la seule vérité pour Ta seule gloire.’ ‘Tu donnes ce que Tu ordonnes , je te confie toute chose.’ ‘Tu es celui qui nous garde, qui nous unis à l’église et qui nous envoies dans le monde.’ ‘Je ne veux faire ce travail qu’avec toi, en alliance avec toi. Veuille l’inspirer, le conduire, dans la triomphale humilité de l’Amour vivant qui vient de toi. ’ ‘Dois-je poursuivre, dois-je arrêter ?’ ‘Toi seul peut répondre et à chaque instant je dépose devant toi le fardeau que tu rends léger.’ ‘En chaque instant, à toute heure du jour et de la nuit, ta volonté et non la mienne.’ ‘En Jésus, Amen. ’

Cette loyauté peut paraître ambiguë. N’est-elle pas une manière de défense ? Elle n’en reste pas moins plus vraie qu’un faux-semblant de neutralité. La neutralité a été rencontrée, nous nous sommes débattue avec elle. Elle ne pouvait masquer qu’une neutralisation des perceptions, de la recherche, de la science. Cette neutralisation ne pouvait nous satisfaire.

En nous exposant nous-même comme sujet d’étude, et cela est très net dans les annexes, nous avons rendu notre étude plus réelle, plus transparente, laissant à chacun le choix de ses conclusions.

Il n’en reste pas moins, pratiquement a contrario, que l’objectivité nous semble ainsi davantage permise, puisqu’elle n’a pas été singée, du moins nous le croyons, mais appelée, à partir de ce qui constituait notre inéluctable subjectivité.

D’ailleurs, ce qui revient à notre subjectivité, nous l’assumons, nous croyons l’assumer. Mais pour ce qui revient à l’étude proprement dite du message biblique, dans son caractère éducatif, il reste que nous sommes devant un champ immense que nous avons à peine effleuré. Un champ tel qu’il nous paraissait difficile, et même impossible, de l’aborder sans cet effort de transparence, d’honnêteté. Cette transparence recherchée, cette honnêteté revendiquée, restent indissociables du sujet d’étude lui-même. Elles invitent tout lecteur à faire de même, tout chercheur, également, comme l’indique cet autre passage de ce même journal de recherche où nous nous interrogions d’abord sur l’histoire, sur l’origine des recherches sur le sens de celles-ci, pour en arriver à la conclusion que non seulement toute l’histoire humaine, l’histoire de l’humanité, mais aussi toute histoire personnelle, à partir de l’histoire biblique, trouvait un sens particulier, singulier, mais néanmoins universel. Que se cachait là sans doute un mystère insondable. L’universel, le singulier, l’identité même de chacun de chaque histoire, chaque vie, se trouvent alors interpellés de telle manière qu’il paraît pratiquement objectivement très difficile de penser en dehors de ce que la Bible nous a apporté, nous apporte.

‘Le 24 Octobre 1995’ ‘Alors que nous n’avons hérité de nos ancêtres, Gaulois ou autres, que vestiges archéologiques ou archaïsmes traditionnels, certes vivants, et témoins chaleureux parfois, d’un passé, certes parfois aussi enseignement, -cela semble s’être fait comme malgré soi, selon un ordre de transmission naturel ou initiatique-, nous avons hérité d’Israël une leçon d’histoire, selon un mode de transmission à la fois naturel et singulièrement surnaturel, car irruption du surnaturel, dans le naturel des événements. Une mémoire, une révélation. ’ ‘Un sens à notre histoire, un sens à notre présent, à notre avenir.’ ‘Nous avons découvert que nous étions importants pour Dieu.’ ‘Quelle leçon d’histoire, car dans l’histoire, c’est Dieu qui se révèle en la personne de Jésus et donne sa vie pour nous !’ ‘Le commencement d’une science de l’histoire est, dans cette révélation, unique, mais comme une science inversée, l’homme ne découvre pas l’histoire et le sens à partir de ses spéculations les plus adroites, mais à partir de la révélation elle-même !’ ‘Le sens de l’histoire commence avec Israël. ’ ‘Les philosophes de l’histoire, héritant pourtant de cette révélation leur conception même de l’histoire comme étant un lieu d’une pédagogie d’un cheminement, d’une évolution, et du fait que l’histoire avait un sens, en ont fait une science, science de l’histoire, ce qui ne revient pas au même. Ils se situent ainsi comme du côté du négatif, en train de se développer, sans idée du résultat final autre qu’une idée finale (HEGEL) ou qu’une concrétisation de société parfaite, sans exploitation de l’homme par l’homme, à partir de d’une vision matérialiste (MARX).’ ‘HEGEL et MARX ne sont pas partis de la révélation dont ils ne méconnaissaient pourtant pas l’héritage, mais ils en ont tordu ou réduit le mode pour l’initier du point de vue de l’homme, alors que tout le travail de la révélation était de nous introduire dans la communion avec le Tout Autre, communion accomplie en Jésus-Christ ... Entrer dans la perspective de Dieu. ’ ‘La révélation, comme le négatif d’une photo, se lit bien mieux à partir du résultat final. ’ ‘Le résultat final est le Christ Jésus, non pas une idée, comme le croyait HEGEL, mais une personne.’ ‘Jésus nous est révélé pleinement par l’écriture biblique qu’il accomplit.’ ‘Dès lors, nous pouvons faire du texte biblique mais aussi de chacune de nos histoires singulières, une "rétrolecture", christocentrique, qui en éclaire chaque ligne, chaque instant, d’une lumière nouvelle. La lumière de l’Amour de Dieu manifesté en Jésus.’ ‘Par elle, nous devenons, à notre tour, lumière du monde.’

Nous ne savions pas alors que notre réflexion, notre sentiment, étaient si proches de ceux de celui qui pourtant fait figure dans les sciences de l’éducation de précurseur de la rupture d’avec le christianisme : Jean-Jacques ROUSSEAU ( 1712 - 1768 ) écrivait dans son “Émile” en 1762.

‘Je vous avoue que la majesté des Écritures m’étonne, la sainteté des Évangiles parle à mon coeur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe : qu’ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu’un livre à la fois si sublime et si simple soit l’ouvrage des hommes ? Se peut-il que celui dont il fait l’histoire soit un homme lui-même ? Est-ce là le ton d’un enthousiaste ou d’un ambitieux sectaire ? Quelle douceur, quelle pureté dans ses moeurs ! quelle grâce touchante dans ses instructions ! quelle élévation dans ses maximes ! quelle profonde sagesse dans ses discours ! quelle présence d’esprit, quelle finesse, et quelle justesse dans ses réponses ! quel emprise sur ses passions ! 2818

Cette référence à l’écriture, pour aussi unanime qu’elle soit, n’en produit pas pourtant des convergences automatiques des points de vues humains qui s’en réclament. La tentation du mal peut s’y immiscer. Condition d’une liberté. Nous citons, toujours en guise d’illustration, un dernier passage de notre journal de recherche, écrit à la suite de l’assassinat de monsieur RABBIN en Israël.

‘Dimanche 5 Novembre 1995 (1° jour de la semaine hébraïque, jour de la résurrection )’ ‘Itzaac RABBIN est mort, assassiné, hier, en soirée, au sortir d’une manifestation sur la paix, à Tel-Aviv.’ ‘Un fanatique juif l’aurait tué. Quelle tristesse ! Décidément, depuis Jésus, combien d’artisans de paix assassinés. En notre siècle déjà, avant RABBIN, JAURÈS, GANDHI, KING, SADATE, et tant d’autres, connus ou méconnus . Oeuvre diabolique de destruction qui se déchaîne aux points précis où Dieu agit.’ ‘Diabolique. Du grec “dia”, divise, et "bole", le tout, qui divise le tout. Ce mot, cette notion, rejoint bibliquement aussi, le diviseur, l‘accusateur, ou encore, le faux témoin.’ ‘Déjà, Jésus fut trahi par un disciple, et probablement, que l’assassin est un fanatique de la lettre biblique. Le diable utilise des citations du texte biblique pour tenter Jésus. Mais c’est l’esprit de Dieu, l’Esprit-Saint, qui illumine la lettre de la parole, l’éclaire et lui donne sens. Et Jésus lui répond en citant cette même parole nourrie de l’Esprit-Saint.’ ‘Et le diable est vaincu.’ ‘Prier pour la famille de RABBIN qui chemina dans sa vie du guerrier à l’homme de paix. Pour son peuple, les peuples voisins, et aussi pour l’assassin et ses proches, ses complices, ta conversion d’amour.’ ‘Pour ceux qui lisent encore, malgré les enseignements de l’histoire et de la parole elle-même, la parole biblique sans en percevoir le message d’amour de Dieu pour tous les hommes.’ ‘“Je suis la lumière du monde “dit Jésus.’ ‘Oui, sa lumière.’ ‘Prier.’ ‘Seigneur aie pitié de nous.’

La référence au texte biblique, ne produit pas automatiquement une conversion à l’amour gratuit. Il peut exercer une fascination illuminée, qui conduit à des pratiques opposées de celles que le message d’amour appelait.

Cette fascination illuminée rejoint la tentation, qui, telle celle du Christ, utilise les versets bibliques pour en faire un objet de quête toute puissante, pour l’homme. Il n’y a pas de conversion sans choix, sans tentation. Il faut bien vaincre celle-ci. Celle-ci est vaincue dans la foi, par Dieu lui-même.

Au pied de la croix, se trouve la rencontre du chrétien avec la paix intérieure, le pardon reçu et donné, le royaume de Dieu ouvert devant les hommes, comme une perspective nouvelle.

Le message christique et biblique ne transfère pas tant des concepts qu’une conception de Dieu, de l’homme, du monde, des choses, d’où émerge une conscience, dans un processus d’humanisation. Plus qu’une conception il serait avantageux de dire une conscience. Nous ne pouvons nous semble-t-il, reconnaître l’acuïté du message christique, biblique, en dehors de cette rencontre personnelle, de cette blessure ressentie, de cette blessure guérie, telle une circoncision intérieure, que suppose la rédemption. On ne peut sans doute pas exprimer ce message en dehors de cette attitude de louange, de pardon ressenti, reçu et redonné, de cette intercession partagée et multipliée dans un même mouvement de communion. Cette attitude évidemment ne rejoint pas totalement la quête du scientifique soucieux de preuves conceptuellement transfèrables. Elle ne s’y oppose pas non plus.

Tout se passe comme si, avec le Christ, Dieu parmi les hommes, l’humanisation de Dieu, conduisait l’homme à devenir plus que semblable à Dieu, en l’invitant à une communion avec lui.

À partir de cette invitation donnée à la conscience humaine plus rien n’est totalement comme avant.

Chacun doit se situer, en opposition, en accord, en questionnements, face à cette rupture de sens.

L’impression culturelle du message devient dès lors si prégnante que certaines conceptions qui prétendent le combattre ne font que répercuter les échos de la source qu’ils voudraient tant voir tarir.

Non seulement toutes les dimensions de l’existence sont touchées, par l’irruption de la question posée, au coeur de ceux qui en acceptent l’augure, mais encore, la question posée modifie le cours du monde et des choses de ceux vers qui ses confessants se sont sentis appelés pour annoncer la Bonne Nouvelle et qui ont agi dès lors, consciemment, ou non pour la tranfortmation du monde.

Soulignons alors encore que le champ énorme de notre investigation en renforce les limites inhérentes. Tout point de final à une thèse ne peut s’accompagner que de points de suspensions.

Derrière tous ces points de suspension, comme également avant ceux-ci, le point final de cette thèse trouve son expression dans ce qu’il convient de nommer les trois dimensions singulières du message biblique, spécifiquement dans son acception chrétienne, dont nous avons vu qu’elle est historiquement liée à l’émergence d’une prédominance de la parole écrite sur la tradition orale, du temps de l’ère pré-chrétienne, temps de l’Ancien Testament, tout en exprimant, dans le Nouveau Testament, par lui, une singularité bouleversante, au sens étymologique du mot, par une notion aussi singulière que celle d’accomplissement en Jésus-Christ. La Parole faite chair.

En effet, s’il est facile d’admettre que, toute recherche, toute confession, toute croyance, religieuse ou autre, entretient une triple relation fondatrice d’elle-même, premièrement, face à une transcendance explicite ou implicite, deuxièmement, face à une définition d’un caractère le plus souvent de parité, mais pour le moins, a minima, de définition identitaire, entre confessants de la même conviction intrinsèque, et enfin, troisièmement, face à une dimension extrinsèque issue d’un rapport, sinon à l’altérité, plus ou moins admise, du moins, à l’extériorité incontournable, inexorablement imposée par le fait que tous ne partagent pas cette conviction, tous ne la connaissent pas ; il est, à partir de là, relativement tout aussi facile et tout à fait possible et légitime, de dégager dans chacune de ces trois directions les éléments d’une singularité chrétienne, et donc biblique, de notre point de vue, fort évidente, tout aussi inexorable, et incontournable.

Le fondement transcendant du christianisme biblique s’appuie sur un paradoxe : YHVH infiniment grand, Tout Puissant, s’il ne se confond, en aucune sorte, avec aucune des images humaines, concrètes, ou abstraites, idoles de pierres, ou de pensées, se révèle cependant dans une histoire humaine, des histoires humaines, l’histoire humaine.

C’est là que sa parole prend corps, et finit par se traduire en une personne tout à la fois point final et source première : Jésus qui choisit de venir vivre parmi les hommes, de se faire le serviteur de tous, de donner sa vie pour tous, non pour contraindre à le suivre, mais pour enseigner le service, l’amour gratuit.

Cet amour gratuit donne accès à la communion au Père, communion à YHVH.

À partir de là, la communion unificatrice d’église, continuant l’oeuvre du Christ, sur la terre, en lui, par lui, n’est pas seulement possible mais ardemment recherchée. Les croyants passent sans cesse, de part leur condition même de confessants d’une croyance dogmatique à la foi existentielle. Cette foi est une quête perpétuelle de la communion en esprit et en vérité, avec ce Dieu, dans l’espérance de son Règne, présent et à venir, de sa venue, comme de son retour annoncé. Communion explicite et avec les confessants. Communion implicite de coeur, aussi avec tous les autres hommes visités. Communion aux luttes, aux joies et aux peines. Dans le lien de la charité tel que Jésus l’inaugure.

À partir de là, encore, le témoignage aux hommes de ce Dieu serviteur, rédempteur, créateur, recréateur, ne peut se faire que dans la continuation de son message, de sa parole, de sa visitation : il s’agit moins d’endoctriner des hommes que de leur annoncer la bonne nouvelle d’une visitation, à l’instar de ces langues populaires, devenues dignes à la Pentecôte d’annoncer les merveilles de Dieu.

Ainsi, le retour au fondement chrétien biblique rencontrant dans une personne, la personne de Jésus, l’ accomplissement parfait de son développement temporel historique, passé, présent, à venir, ne peut en aucune sorte se confondre avec un intégrisme qui par définition s’emploierait à intégrer de gré ou de force, toute chose à une valeur posée.

Il s’agit moins d’intégrer que de visiter. Il s’agit moins de visiter que de féconder.

Est alors annoncée, réalisée, une fécondation divine, des épousailles, entre Dieu Tout Autre, et l’homme à son image, par sa promotion au rang de fils, accède à une dignité nouvelle, un prix nouveau, celui de YHVH lui-même.

En dépit de la faiblesse humaine des différents serviteurs inutiles, des témoins divers, de ce même message d’évangile, en dépit des différentes trahisons au cours de l’histoire commune, de chaque histoire singulière, des uns et des autres, sans doute, sont-ce là, des éléments de ce qui constitue la force de ce message, son originalité, expliquant son extraordinaire et objective” destinée” historique au plan mondial. Il semble de notre point de vue, peu contestable, que cette destinée dans l’histoire, cette oeuvre considérable, soit avant tout une oeuvre éducatrice des moeurs humaines communautaires et sociales, tout autant qu’éducative personnelle des individus.

Dans cette oeuvre, au coeur de celle-ci, par celle-ci, la notion même d’éducation se trouve comme traversée, renversée, retournée. Elle épouse toutes les dimensions de la vie, et de la mort, de l’explicite à l’implicite, du conscient à l’inconscient.

Il s’agit vraiment d’une autre éducation. D’une autre pédagogie dont un des caractères les plus singuliers est d’avoir ouvert en son sein, un débat, une controverse, quant à sa propre légitimité.

Cette controverse, ce débat, puisant leur source commune au coeur du sens de l’existence sont semblables à cette épée, annoncée par le Christ lui-même.

Ils contribuent à figurer, qu’il s’agit vraiment d’une perspective nouvelle d’une liberté nouvelle. Une blessure, une rupture, une apparente division au coeur de l’homme, une apparente séparation des hommes des uns avec les autres, semble en résulter.

Comme toute liberté, celle-ci s’ouvre à une possibilité pour chacun de refuser ou d’accepter, la grâce offerte, ou encore d’exprimer une distance singulière par rapport au message, fondé sur une foi, que chacun toujours peut prétendre ne pas comprendre, ne pas posséder, ne pas connaître, qu’il peut même vouloir explicitement combattre.

Nous voudrions conclure cette partie en donnant la parole à Georges HOURDIN (1899 - 1999 ), décédé, quelque jours avant que nous n’écrivions ces lignes. Cet homme engagé, défenseur d’un christianisme ouvert et social, profondément bibliste, soulignait, au soir de sa vie, tout ce que l’église contemporaine devait à ce réveil de l’Esprit, qu’on a aussi appelé le mouvement de la deuxième Pentecôte, apparu au siècle dernier aux États-Unis.

Pour Georges HOURDIN, il existait, contre les apparences premières, une filiation certaine entre le mouvement de l’Esprit, le mouvement de l’unité entre les églises, et l’engagement social et politique, conciliant fins et moyens, trois éléments caractéristiques du christianisme du vingtième siècle.

Chacun de ces trois mouvements, à première vue pourtant, dissonants, ou tout du moins, en partie au moins, séparés les uns des autres, sans lien les uns avec les autres, retrouve un enracinement et une origine dans les rapports étroits entretenus, par chacun d’eux, avec la Bible. Une recherche au niveau des itinéraires personnels d’hommes engagés dans chacune de ses trois directions, montrerait sans doute que des liens existent très étroits entre ses trois directions.

Georges HOURDIN oppose ce qu’il nomme le fondamentalisme à ce qu’il nomme l’expérientalisme. Ne pouvons-nous pas voir, au contraire, peut-être, de son analyse, ou, en tout cas dans son prolongement, un lien entre ce qu’il nomme les deux tentations du christianisme pour demain ? Ne sont-ce pas parfois ces mouvements de retour à la Bible, parfois taxés de fondamentalistes, qui peuvent conduire, qui conduisent objectivement, au réveil de la charité et de l’élan social ?

‘(...) En effet, ces mouvements du Renouveau, qui nous donnent un grand espoir dans l’avenir et qui nous font dire que le christianisme commence seulement son histoire, sont partagés entre deux tentations. Il y a d’une part, ce qu’on appelle le fondamentalisme ou l’intégrisme et , d’autre part, l’expérientalisme. Est-ce l’expérience de la charité, des dons de l’esprit qui l’emportera ? Est-ce que ce sera l’intégrisme, le fondamentalisme, c’est-à-dire la reconnaissance d’une sorte de hiérarchie entre les hommes pourtant tous créés par Dieu avec le même amour ? C’est la partie qui se joue sous nos yeux, et pas seulement pour les mouvements charismatiques, mais pour tous les mouvements religieux.’ ‘Les nouveaux chrétiens ne sont plus ceux qui ont été éduqués dans des familles catholiques, mais sont des convertis individuels touchés par l’Esprit. Ce sont eux qui portent la responsabilité de ne pas tomber dans le fondamentalisme. Ce sont eux qui représentent pour l’Église l’espoir d’un christianisme de l’esprit, d’un renouveau, d’une renaissance et d’un appel pour tous ceux qui reconnaissent Jésus-Christ.’ ‘Comment décrire la naissance du renouveau charismatique et l’apparition des groupes pentecôtistes ? Cela se passait il y a 90 ans, à Los Angeles, en 1906, aux États-Unis d’Amérique dans le petit peuple des noirs et des immigrés. ’ ‘L’atmosphère religieuse était protestante, méthodiste baptiste. Socialement, il y avait affrontement des races. Il y avait aussi le sentiment qu’une certaine forme de prospérité était atteinte et que Dieu tiendrait sa promesse faite après la Résurrection de couvrir la terre des hommes de la bénédiction des dons de l’Esprit. ’ ‘Ce mélange des races, des christianisme et ce millénarisme donnèrent naissance à différentes formes de renouveau. Celle qu’on appelle le Pentecôtisme est née sous l’influence d’un certain pasteur noir, Seymour, dans une ancienne écurie transformée en église. Le peuple croyant qui se réunissait là pour célébrer le culte était surtout composé de petites gens et de femmes. Ils voulaient chanter sous la poussée de l’Esprit-Saint et accompagnés par quelques musiciens, la gloire de Dieu.’ ‘Des signes traditionnels accompagnaient leur culte : le don des langues, l’imposition des mains, pour la guérison des malades, et la prophétie. ’ ‘Tout cela se faisait dans une atmosphère indescriptible de joie, de fraternité de foi. Très vite, nous l’avons évoqué, des divisions apparurent. D’abord parce que certains pasteurs blancs refusèrent d’être placés sous l’autorité de leur confrère noir. Pourtant, le développement du mouvement de “renouveau dans l’esprit” semblait irrésistible. On les retrouvera sous des noms différents et sous des formes diverses, un peu partout dans le monde. ’ ‘En 1970, sous la pression de mon ami Paul VI et du cardinal Suenens, cette tendance fut accueillie dans l’église catholique chrétienne romaine, sous le nom de charismatique. ’ ‘Le passage entre les pentecôtistes protestants et les charismatiques catholiques s’est fait par l’intermédiaire des étudiants catholiques, aux États-Unis, qui avaient connu et fréquenté les pentecôtistes dans leurs universités. Pour le catholicisme c’est une nouvelle étape de son histoire. Ces mouvements, avec d’autres lui font revivre quelque chose comme une résurrection. C’est le temps de l’Esprit qui précède la venue du Royaume sur la terre. Certains ont présenté les mouvements charismatiques comme des sectes. S’il y a eu des dérives qu’il convient de dénoncer, ce courant a pris une telle ampleur, comme l’a souligné le grand historien Jean Délumeau dans un article paru dans la vie catholique qu’on ne peut en rester à une telle analyse. 2819

L’analyse de Georges HOURDIN situant l’irruption de l’Esprit-Saint, comme source d’unité entre les églises, prolonge et actualise notre réflexion, au cours de cette thèse. Ce que Georges HOURDIN semblait cependant ne pas voir, ou en tout cas ne pas développer, est que fondamentalisme et intégrisme ne sont pas synonymes et qu’il faudrait encore distinguer entre le fondamentalisme et la quête du fondement christique ou bilbique inhérents à tout développement endogène du christianisme.

Il faudrait rappeler donc que s’il existe bien des intégrismes chrétiens, voire juifs, leurs dimensions sont moins biblistes, bibliques, que finalement politiques, au sens de rattachées à une tradition sociale, à des pratiques et des valeurs partagées par des “ élus de Dieu ”. L’intégrisme se complaît dans le culte de l’héritage culturel, au risque de la confusion entre celui-ci et la référence que suppose la foi toujours personnelle même si toujours communautaire. L’intégrisme nie donc l’altérité là où le fondementalisme bibliste la suppose Il confond statut politique et dimension personnelle, il nie la coexistence des deux royaumes, et, en bout de route, il confond évangélisation et croisade. Le fondamentalisme bibliste n”est pas de nature directement politique mais premièrement personnelle. Il s’attache au respect de la lettre, à la conservation textuelle de la Bible, à sa mise à part dans l’héritage culturel. Son attitude, plus en harmonie avec le message biblique lui-même, a, entre autre, sans doute contribué à la survie et à la transmission historique de celui-ci et conduit historiquement au travers de la quête du fondement christique à l’émergence d’un contre intégrisme radical par une ouverture à l’altérité sans précédent émanant du texte lui-même. Il reste, et le “isme” en atteste, que le fondamentalisme est tenté par l’idéologie, c’est à dire l’idée de Dieu substituée au Dieu vivant. Le chemin de la foi de celui qui choisit de demeurer en Christ, reconnaissant en lui le cep, la racine, est fondateur du développement de l’action éducative chrétienne. Il est le chemin des apôtres et des Pères de l’église mais aussi de tous ces anonymes qui ont traversé les siècles et qui ont répercuté le message jusqu’à nous. En effet, sans se confondre avec le fondamentalisme, mais sans s’en distinguer complètement, la quête du fondement christique, ou biblique, telle une troisième voie, semble produire au contraire, de toutes les attitudes figées, des zones d’ouvertures insoupçonnées. Des écoles ouvertes à tous, un droit à l’éducation pour tous, une éducation ouverte à tous les âges de la vie, à toutes les conditions sociales, les hôpitaux, et les asiles, l’ouverture du droit mondial considérant également hommes, femmes, enfants de tous les peuples, auraient-ils simplement été envisagés sans l’appui de l’héritage biblique qui en assurait, en quelque sorte, l’input initial ? Même lorsqu’il a fallu des siècles d’histoire commune, et d’histoires singulières, pour en arriver là.

À l’échelle du globe, le bassin méditerranéen qui fut aussi le berceau de notre civilisation est cependant bien minuscule. Il s’agit d’une bonne allégorie pour la pédagogie de la Bible. On pourrait alors parler de pédagogie primordiale. Mais à l’évidence l’apport de la Bible ne se réduit pas à un fondement, à une mémoire. Sa pédagogie primordiale n’a pas dit son dernier mot. Elle appelle tout aussi bien à un renouvellement en profondeur des pédagogies humaines qu’elle ne cesse d’inspirer. Cette inspiration est d’autant plus décisive qu’elle ouvre à une conscience nouvelle de l’homme, de Dieu, du monde, du passé, du présent et de l’avenir; donc de l’histoire dans laquelle elle s’inscrit et qu’elle ne cesse de questionner, sans se confondre avec une pratique religieuse ou éducative monique ni non plus, et là l’opposition est plus radicale, nous le redisons, avec un modèle théorique. Alors, certes, nous voyons bien que la Bible éduque, a éduqué à l’intérieur de religions juives et chrétiennes mais nous voyons aussi à quel point son travail éducationnel dépasse ces simples limites strictement religieuses comme aussi les limites strictement éducationnelles en tant que telles. En effet, le travail pédagogique, l‘action pédagogique, issus de la Bible mais effectués par une sorte de voie négative, presque implicite, ou en tout cas devenant dans le temps et l’histoire, progressivement de plus en plus implicite suite à un fondement quant à lui explicitement biblique où Dieu se révèle par une parole, sont de première grandeur et sans doute reliés à la façon dont, dans la Bible, à partir de cette parole, se conçoit et se développe la question de la conscience, de l’identité et de l’altérité, de chacun par rapport à tout autre, de la démythfication de l’objet et de l’idée, de la responsabilité de l’homme devant Dieu et le monde, face à lui-même et à ses semblables, et, plus spécialement peut-être encore selon sa lecture chrétienne, comment Dieu choisit les choses folles du monde pour confondre les sages, les faibles pour confondre les fortes, 2820 et, distinguant ses voies de celles du pouvoir de l’homme sur l’homme, les titres et la gloire en ce monde, au projet du royaume caché au plus profond de l’intimité de chacun, identifie, finalement, la vraie grandeur pour l’homme au modèle du coeur de l’enfant. 2821

Alors, au moment de clore ce dernier chapitre de la thèse nous la voyons aboutir comme sur une fenêtre ouverte sur le monde, son présent, son histoire, et son avenir, et nous avons le sentiment qu’une infinité de découvertes qui relient ce que nous voyons de l’éducation, de ses fondements et de ses pratiques, à la parole biblique et à sa révélation, et réciproquement, restent encore à faire.

Notes
2818.

ROUSSEAU Jean Jacques “L’Émile ou de l’éducation “ Livre IV Hachette Paris (extraits II ) ; édition de 1938 ; cité par Émile-Pierre DUHARCOURT ; (page 61).

2819.

HOURDIN Georges “Au soir de ma vie, je recherche une synthèse “ in “La Vie” n° 2784 ; 7 - 01 - 1999 ; (p 32).

Extraits de : HOURDIN Georges “Le vieil homme et la vie “ Desclée De Brouwer Paris 1999 ; (pp 92 et 93 ).

2820.

I Corinthiens 1 27 à 29 op. cit à la page 655 du présent chapitre. Nous évoquons ce texte sans le citer ni en mentionner l’origine dans la partie T 5 une singulière perspective ; à la page 261 de la thèse. On peut lire un version actualisée de ce texte de Paul dans la petite liturgie quotidienne de la communauté protestante des soeurs de Pomeyrol ; voir l’édition de 1977 ; à la page 130 Contemplation du soir du jour des rameaux.

2821.

Matthieu XVIII 1 à 5 ; Marc IX 34 à 37