Deux lectures historiques d’un même texte : judaïsme et christianisme
L’irruption du christianisme situe dans l’histoire un bouleversement avec la diffusion d’un nouvel espace philosophique et éthique : la notion d’homme devient universalisable, la fraternité nouvelle entre les hommes est révélée car tous sont issus d’un même Père, Dieu lui-même. À l’individu citoyen de la cité antique succède l’homme invité au festin du Royaume. La mesure de cet homme lisible dans le Christ, est le Christ lui-même, tout à fait homme, tout à fait Dieu, il est dans le plus petit d’entre eux, le visage de Dieu.
Citons simplement ces deux paroles du Christ :
‘“Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits c’est à moi que vous l’avez fait” 2995 ’ ‘“ Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant me reçoit moi-même; et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous, c’est celui là qui est grand.” 2996 ’André Jean FESTUGIÈRES cite, dès lors, l’admiration, l’irritation, allant jusqu’à l’exécution des martyrs, ou l’étonnement des romains, face au développement du christianisme qui, de fait, dans les premiers siècles, sembla concerner davantage les petits.
‘Il faut voir de quelle manière CAECILIUS , dans l’OCTAVIUS, vers 160 de notre ère, admire l’audace des chrétiens : “Ces gens de rien sans formation philosophique, sans culture, des artisans et dont souvent le métier est sordide, prétendent décider des plus hauts problèmes sur quoi tant de sages balancent ! Qu’ils se mêlent donc de ce qui est à leur portée, ces hommes sans éducation, sans savoir et sans usages. ” 2997 ’Parallèlement à la diffusion du message biblique, par et à travers le christianisme, le judaïsme dont le nom, nous dit André CHOURAQUI, dérive d’une racine hébraïque qui signifie “rendre grâce à Dieu”, développa une lecture et un enseignement autre de la partie biblique commune aux chrétiens et aux juifs, qui recoupe ce que les chrétiens appellent l’ancienne alliance.
Le judaïsme développe, dès l’origine, une double tradition. La tradition écrite est complétée par une tradition orale qui, dès le départ, est essentiellement un commentaire de la tradition écrite “la loi écrite, “ Torah che-bi-khtav”.
Cette tradition orale est appelée la “Torah Chébéal Pé”, littéralement “la loi de la bouche”. Cette tradition orale prit historiquement à partir du deuxième siècle après Jésus Christ une forme écrite qui donnera progressivement la forme du Talmud.
Le Midrach (ou Midrash selon la racine darash rechercher), est une méthode pour actualiser le texte biblique qui naîtrait nous dit-on avec l’enseignement, au temps de Esdras, personnage principal du livre de Esdras dont fait également mention le livre de Néhémie. Esdras était sacrificateur et participa à la restauration du Temple. Il vécut entre 500 et 400 avant Jésus Christ. Le Midrach est un commentaire rabbinique à partir d’un verset biblique. Il se présente sous forme orale ou écrite.
Depuis l’ancienne Midrasch qui constituait l’enseignement des rabbins, deux types d’enseignements sont donnés, nous retrouvons cette classification dans le Talmud.
Un premier type d’enseignement, “ la Midrash halakah” se fait selon l’actualisation de la loi. C’est à dire l’action au quotidien. Un second type d’enseignement se fait selon “la Midrash aggadah”. Ilest davantage destinée à édifier.
Le Talmud (enseignement) n’est donc pas une partie de la Bible juive mais en constitue un complément qui commente la Thora et qui comprend :
La Michnah (Répétition) 2998 , écrite environ vers 200 après Jésus Christ.
La Guémara 2999 (commentaire de la Michnah ) fut écrite à Jérusalem vers 400 après Jésus Christ. Une autre version, huit fois plus étendue, et également plus répandue et usitée que celle de Jérusalem, est écrite à Babylone vers 500 après Jésus-Christ.
Le Talmud, dont nous répétons qu’il n’est pas une partie de la Bible, mais un commentaire selon la Thora qui contribua à maintenir la culture juive en vie dans la Diaspora et façonne encore aujourd’hui l’identité du peuple juif, comporte trente deux règles logiques issues de la pratique traditionnelle des écoles. Ces trente deux règles reposent elles-mêmes sur sept règles fondatrices, les règles d’HILLEL 3000 . Cette herméneutique rabbinique permet, selon l’enseignement rabbinique, l’entrée dans le texte sacré de la Thora et sa compréhension.
Si la tradition talmudique est celle de la discussion, de la réflexion et de l’échange, la tradition de la Kabbale (ou Kabbale, cabale) est celle de l’étude des signes, de l’initiation, et de l’invocation priante allant jusqu’à la concentration; la Kabbale, dont le mot signifie tradition, issu de kabbel qui veut dire recevoir, naît à partir du I° siècle avant Jésus-Christ de l’interprétation ésotérique que firent les cercles pharisiens, en particulier, de la création du monde, dans le livre de la Genèse, et du premier chapitre du livre d’ Ézéchiel sur le trône de Dieu (la Merkaba). La kabbale conçoit les vingt deux lettres de l’alphabet hébraïque comme des entités créatrices à partir de quoi tout se compose. Le principal livre de la Kabbale ancienne dite espagnole est le “Sefer ha-Zohar “, le livre de la splendeur. Fut-il écrit au XIV ° siècle par Moïse de Léon, érudit espagnol ? Celui-ci prétendait l’avoir retrouvé, et la tradition ancienne l’attribuait à Siméon Ben Yochaï et à son fils rabbi Éléazar, souvent mis en scènes dans l’ouvrage et qui l’auraient composé lors d’un séjour dans une grotte au 2° siècle au temps des persécutions romaines. Plus simplement cette oeuvre est-elle le fruit d’une tradition orale ? Encore aujourd’hui la controverse existe.
La Kabbale der Safed ou lourianique se développa à partir de Isaac LOURIA (1534-1572). Cette Kabbale postule l’auto-contradiction divine ou simsum, ainsi que la shebirat ha-kélim ou le bris des vases : tout le bien contenu dans le flux divin ne pouvait être contenu dans les vases prévus pour le contenir, ainsi s’expliquerait l’apparition du mal, depuis les vases brisés, se répandent aux quatre coins des ténèbres, des lumières exilées. Une dernière notion apparaît dans la gnose lourianique qui est celle de la restauration de l’harmonie cosmique ou tiqqun. dans laquelle l’homme se fait l’allié de Dieu par le jeu des réincarnations ou de migrations dans des corps aboutissant à la rédemption.
Ce thème de la réincarnation est radicalement absent, de fait de tout le texte biblique. Il semble bien plutôt venir des introductions, dans l’interprétation du texte, de mystiques orientales géographiquement proches des lieux où se développa la kabbale lourianique et ses dérivées : LOURIA vécut en Égypte.
Après une éclipse de quelques siècles due essentiellement aux dérives du sabbataïsme dérivant lui-même de la gnose lourianique , la Kabbale reprend aujourd’hui vigueur, sous l’impulsion, entre autre, des études de la théologie de Gershom SCHOLEM 3001 qui introduit une dimension historique d’une grande érudition à diverses et larges études.
Les trois paradigmes historiques pour une approche d’un même texte biblique, selon le signe, le dialogue, ou l’ accomplissement.
Il y a donc, au départ de cette parole, comme un malentendu entre deux interprétations divergentes du texte ancien. En effet, certains parmi les Juifs ont reconnu en Jésus le Messie annoncé ouvrant l’alliance aux non Juifs ; ceux-ci rejoignant le peuple chrétien, son retour, annoncé par Jésus ; d’autres, du même peuple d’Israël, ne l’ont pas reconnu et continuent d’attendre d’espérer sa venue.
Cette déconvenue de la controverse originelle n’est sans doute que de première vue, car, loin de l’amoindrir, elle révélerait et annoncerait plutôt, et tout aussi bien, l’éminente qualité pédagogique ou éducative d’un message. Rien, dans celui-ci, n’est irrémédiablement autoritairement impositif d’une manière de voir à la manière en tout cas d’un savoir théorique ; tout est révélation et suppose que la subjectivité humaine l’habille en quelque sorte comme le mot même de YHVH ne se laissant prononcer que s’il est épousé par l’homme qui l’énonçant, le met en voyelles.
Si nous prenons, à présent, quelque distance, nous percevons que, d’un même texte, l’Ancien Testament, deux religions 3002 , le judaïsme et le christianisme, se disputent l’interprétation, selon trois paradigmes qui interagissent, entre eux, parfois.
L’herméneutique du signe et c’est la tradition de la Kabbale ou du gnosticisme, l’exégèse du sens et c’est le Talmud, l’accomplissement des temps de la parole et des prophéties, et ce sont les évangiles, la bonne nouvelle selon le christianisme.
Évangile selon Matthieu chapitre 25 verset 40.
Ce texte dans l’Évangile de Matthieu fait suite à l’évocation du retour du “Fils de l’Homme” à la fin des temps. Évangile selon Matthieu chapitre 25.
Évangile selon Luc chapitre 9 verset 48.
Ce texte fait suite à une dispute entre les disciples de Jésus pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand.
FESTUGIÈRES André Jean “ L’idéal religieux des grecs et l’évangile” Librairie Jean GABALDA Éditions J GABALDA Paris 1932 ; (340 pages) à la page 33.
Longtemps basée sur une tradition orale la Mishna (ou Michnah ) fut mise sous forme écrite par Juda Hanassi (Judah le Saint) environ 200 ans après Jésus Christ. Elle se subdivise en cinq cent vingt trois chapitres (pérakim), composant soixante trois traités (massekhtot), eux-mêmes répartis sur six parties ou Ordres (sèdres ou sédarim). Les six Ordres sont (les Semences, les Saisons, les Femmes, les Dommages, les Choses sacrées, les Choses pures).
Les écoles de Palestine et de Chaldée sont à l’origine chacune de leur Talmud qui diffèrent l’un de l’autre par la composition de leur Guémara. Le Talmud de Jérusalem, conserve pour les commenter, trente neuf traités sur les soixante trois de la Mishna. Le Talmud de Babylone bien que plus volumineux n’en conserve que trente sept, il fut publié une première fois dans sa forme définitive à Venise entre 1520 et 1523. Plus de 2000 savants ou exégètes, ( Amoraïms, les commentateurs et les Tannaïm, les enseignants), ont contribué à l’écriture de la Guémara de Babylone.
L’influence du Talmud de Babylone fut plus grande auprès de la Diaspora que celle du Talmud de Jérusalem.
HILLEL fut un docteur pharisien né à Babylone au premier siècle de l’ère chrétienne. Appelé aussi HILLEL l’Ancien, il vécut sous Hérode le Grand et Philippe premier au premier siècle de l’ère chrétienne. Il proposa une lecture conciliante et modérée de la loi. Son école s’opposa jusqu’aux confins du premier siècle à l’école de SHAMMAÏ l’Ancien, partisan, quant à lui, d’une lecture plus rigoriste de la loi. L’aile extrémiste de l’école de SHAMMAÏ furent les zélotes qui prônèrent la révolte contre Rome.
SCHOLEM Gershom “Sabbataï Tsevi : le Messie Mystique, 1626/1676” Verdier Paris 1983 ; (982 pages).À partir de Sabbataï Tsevi (ou Shabbataï Tsvi) et son “prophète” Nathan de Gaza (1643/1680) se développa de façon marginale judaïsme, l’idée, considérée comme hérétique par le judaïsme lui-même, que l’aventure messianique consistait finalement à une plongée dans le mal pour entrer dans la compréhension du mystère divin et l’accomplissement de l’oeuvre de la rédemption.
En Septembre 1966 Sabbaraï Tsevi qui s’annonçait comme le Messie, conforté par son prophète Nathan de GAZA, comparaissait devant le Sultan à Andrinople. Il apostasiait, sous la menace, le judaïsmeet se convertissait à l’Islam.
Nous ne retiendrons pas le Coran car il ne commente pas le même texte. Le Coran se réclame pourtant de la Bible hébraïque dont il se déclara être l’interprétation,, comme l’indique cette citation : Le Koran traduction de SAVARY Chapitre 10 au titre de ” Jonas la paix soit avec lui” :
“Le Koran est l’ouvrage de Dieu. Il confirme la vérité des Écritures qui le précédent. Il en est l’interprétation . On n’en saurait douter. Le Souverain des Mondes l’a fait descendre des cieux.”
Cependant, s’il dérive bien du Judaïsme dont il se réclame en quelque sorte, s’il se distingue du christianisme qu’il reconnaît cependant, l’Islam construit un autre texte que la Bible. En effet le Coran (ou Koran) se réfère moins à la Bible qu’aux personnages qui la traversent et ne procède pas en fait du texte biblique qu’il ne cite à ma connaissance, vraiment jamais parfaitement selon les termes et les circonstances .