Notes connexes à : Des obstacles à lever. Deuxième chapitre de la thèse en rapport à de précédents écrits.

Note connexe numéro six. Quelle raison retenir ? Extraits de : Antoine CABALLÉ op. cit. ; 1994 Des pages 81 à 87

Quelle raison retenir ?

Dès les premières années du christianisme apparaissent les sciences bibliques qui se développeront parallèlement dans la culture Juive donnant naissance au Talmud. Aujourd’hui, nous pouvons les définir de la manière suivante.

L’apologétique (ou apologie) examine le droit à l’autorité que s’attribue la Bible. Il s’agit contrairement à une lecture fausse et répandue, non pas de faire l’apologie à la manière des grecs des personnages ou des vérités contenues dans le texte, mais d’examiner la possibilité face aux lois du monde social de faire une place au message que la Bible contient.

La critique biblique se détache en deux familles :

La haute critique qui étudie les origines des divers textes de la Bible.

La basse critique qui compare et examine les divergences entre les différentes interprétations des différents manuscrits.

L’herméneutique examine les principes d’interprétation des différents textes.

L’exégèse applique ces principes pour dégager l’interprétation possible.

La théologie biblique examine le développement historique des doctrines de la Bible.

La dogmatique ou théologie systématique cherche à coordonner les doctrines bibliques selon le système théologique des écritures; à exposer leurs rapports réciproques et leurs relations avec d’autres dogmes, à les définir avec précision. 3056

La modernité approche ces notions et ces sciences très anciennes avec un regard neuf et une problématique nouvelle. Francis COURTÈS commentant la pensée de KANT(1724-1804) écrit :

‘“Quand l’Un ne se dit plus de Dieu mais du Je pense, le rapport de toutes choses à l’Un est renversé. Elles n’ont plus à être niées ou dépassées en direction de leur principe, mais bien à être retrouvées telles que la conscience a dit qu’elles étaient. 3057 ”’

Le problème qui se pose dès lors, problème que cette approche ne peut entendre, nous le redisions, vient du fait que ce Dieu révélé par l’Évangile n’est pas réductible à un principe ou une substance, tels que les fonde et le présuppose, la philosophie de SPINOZA (1632 1677), pour qui la sagesse la plus haute est dans l’Amour intellectuel de la création.

Dieu, dans l’Évangile, ne se révèle pas comme une idée ou une substance, ou une combinaison des deux, mais comme une personne toute Autre, il rejoint et confirme en cela, l’Ancien Testament.

Et l’Amour de Dieu se manifeste dans le martyr du Christ sur la croix, sa résurrection , la Pentecôte, et la diffusion de l’Esprit Saint, et non, seulement en tout cas, dans la contemplation intellectuelle d’un ordre naturel.

Ce substrat commun aux sciences humaines et sociales du “ ce que je pense” ne permet pas d’entendre la parole biblique telle qu’en elle-même et demeure par nature dans l’incapacité de reconnaître, par exemple, son caractère prophétique, en dehors d’une intelligibilité rationnelle réductrice.

Il ne s’agit pas de sceller a priori sans contestation possible ce caractère prophétique mais nous ne pouvons pas non plus dans le cadre d’une recherche partant de la parole biblique en quête de son caractère éducatif ignorer la lecture du texte tel qu’en lui-même c’est à dire, ce par quoi même il éduque depuis si longtemps, avant de l’exposer bien entendu, nous ne pouvons y échapper non plus, ensuite à la critique d’une exposition extérieure.

S’il nous faut bien tenir compte désormais du nouveau substrat du “ ce que je pense” , nous ne pouvons y laisser contenir toute l’approche, nous le redisons aussi.

Car il nous faut bien également entendre la logique interne du message, et la réentendre encore, dans cette cohésion interne qui fut et reste la sienne. Dès lors, nous comprendrons autrement le pari de PASCAL, la preuve de Saint ANSELME, l’argumentation de l’apôtre Paul, ou de Pierre à la Pentecôte, ou encore les paroles d’Étienne, avant de mourir en martyr, explicitant le sens des anciennes écritures à la lumière du Christ. 3058 Leur pensée s’articule sur une fondamentale prière, quête d’une volonté Toute Autre qu’il nous faudra bien tenter de comprendre, en entrant dans la logique interne de son enseignement, de son témoignage.

Cette logique interne au texte nous permettra de dire que la raison justificative de la Bible, est la foi, et la foi qui révèle le Messie, en Christ. Autrement dit, dans une perspective de Bible chrétienne, nous pouvons dire que la foi en Christ est la justification, et que le Christ lui-même est la justification première et dernière de l’éducation.

Cela dit nous restons devant un problème ouvert, entre cohésion et concision, d’une part, la logique d’une justification endogène, et, d’autre part, la logique d’une justification exogène : où se trouve la jointure, quelle raison retenir ? Selon JASPERS, la raison philosophique est bien à la jointure entre la cohésion endogène, et la concision exogène, elle ouvre la nécessaire via negativa, que nous appellerons le “philosophique” conçu à partir du nouveau substrat commun du “ ce que je pense” , JASPERS écrira encore :

‘La philosophie ne donne rien elle ne peut qu’éveiller, puis elle peut nous aider à nous souvenir à consolider ce qui est déjà en nous;’ ‘Chacun comprend en elle ce qu’en somme il savait déjà. 3059

Cette raison philosophique comprend donc tout à la fois, la prise en compte nécessaire cohésion ou cohérence interne de la foi et la nécessaire concision de la différenciation justificative par la voie négative par rapport à une raison autre . Cependant, si elle rend compte de la justification du rattachement du croyant à la compréhension chrétienne du message, elle ne suffit pas à rendre compte de la justification biblique selon le texte lui-même.

Il nous faut donc une deuxième approche qui est celle qui rend compte de la logique du texte par rapport à lui-même. Cette deuxième approche s’appuiera sur la logique d’une certaine façon alogique du sermon sur la montagne, qui ouvre encore le ministère de Jésus, et de tout le Nouveau Testament, logique de l’accomplissement de la parole ancienne, débouchant sur le renouvellement de l’alliance, l’institution dont la sainte cène eucharistique et nouvelle est le signe, dont la mort sur la croix est le prix et la résurrection l’espérance.

Enfin, il nous faudra exposer notre démarche globale à la critique externe, par une sorte de voie négative inversée, nous appellerons ce troisième point de la démarche , l’exposition critique.

L’usage de ces trois raisons s’apparente à une conception de la foi, qui se propage historiquement selon une nouvelle réalité jamais démontrée sans être d’abord ou simultanément témoignée. Ainsi, dans ce sens, dès l’origine, les évangiles ne sont pas des traités philosophiques ou théologiques, mais avant tout, le témoignage à partir d’une histoire relatée, spécialement et essentiellement, des trois années de la vie de Jésus qui constituèrent le temps de son ministère.

La démonstration devient témoignage, et le témoignage devient démonstration. C’est sans doute, entre autre, la perception de ce double mouvement que nous retrouvons tout autant dans l’Ancien Testament, où l’enseignement s’appuie sur l’histoire incarnée d’Israël, qui faisait dire à Jean CALVIN 3060 , que le témoignage intérieur de l’Esprit Saint est l’attestation que la Bible est bien la parole de Dieu.

Par une perception propre à sa démarche philosophique, de notre point de vue, symétrique et complémentaire de celle de CALVIN, comme de l’extérieur du texte biblique lui-même, Maurice BLONDEL définira encore les deux lectures qui s’affrontent pour une compréhension du message biblique, s’opposant à la première lecture, scientifique historique et critique, qui fut celle par exemple de son contemporain, catholique comme lui, Alfred LOISY (1857-1940), prêtre et professeur d’exégèse, victime de la querelle contre les modernistes et tristement excommunié, en 1908 par Pie X, la seconde lecture est dogmatique et se résume ainsi :

‘La Bible est garantie en bloc, non par son contenu mais par le sceau extérieur du divin : pourquoi en vérifier le détail. Elle est pleine de science absolue fixée en son éternelle vérité; pourquoi en rechercher les conditions humaines et le sens relatif ?” 3061

La lecture historique scientifique nierait le surnaturel, la lecture dogmatique nierait le naturel. La première ne veut retenir que le fait scientifiquement établi, la seconde ne les juge que peu utiles pour la lecture du texte. Il nous faut, selon BLONDEL, dépasser cette contradiction apparente entre lecture d’une histoire et dogme. BLONDEL, finalement, nous invite à lire l’impact biblique au niveau de son action telle qu’en elle-même, action qui reçoit le sceau extérieur du divin et qui en procède mais qui se lit aussi dans le cadre d’une histoire humaine qu’elle contribue à écrire.

Il reste cependant que le sceau du divin n’est pas qu’extérieur, il est spécifié dans le livre lui-même par les paroles qui y sont portées. Pour celui qui croit, c’est l’Esprit Saint qui, nous explique CALVIN, en témoigne, c’est pourquoi de notre point de vue, l’étude seule de l’action produite, dans ce que nous pourrions appeler l’histoire d’Israël et de l’église ou la tradition, ne peut totalement convenir à notre étude. Il faut s’attacher à la lecture, en tant qu’action, du texte lui-même qui, au moins, dans le cadre dégagé de la question de notre étude, chacun peut en convenir, constitue, l’invariance de toutes les invariances.

Notes
3056.

La source : NOUVEAU DICTIONNAIRE BIBLIQUE éditions EMMAÜS Saint LÉGER SUR VEVEY suisse 3° éd. de 1975

3057.

COURTÈS Francis La raison et la vie - Idéal scientifique et idéologique en Allemagne de la réforme jusqu’à KANT. Vrin Paris 1972 ; (315 pages) à la page 301. D’après KANT “Critique de la raison pure dernière version” § 18 “ die nothwendige Beziehung des mannigfaltigen des Anschauung zum Einen : Ich denke (le rapport nécessaire à l’un qu’est le Je pense ): noter que le corrélat intuitif est le multiple das Mannigfaltige. (note de Francis COURT È S).

3058.

Livre des Actes chapitre 7.

3059.

JASPERS Karl “Introduction à la philosophie” traduit de l’allemand par Jeanne HERSCH. Plon Paris 1966 (235 pages) ; page 65

3060.

CALVIN écrit : “Le témoignage du saint Esprit est plus excellent que toute raison, car combien que Dieu seul soit tesmoing suffisant de soy en sa parolle, toutesfois ceste parolle n’obtiendra point foy aux coeurs des hommes si elle n’y est séellée par le témoignage intérieur de l’Esprit. Parquoy il est nécessaire que le mesme Esprit qui a parlé par la bouche des prophètes entre en nos coeurs et les touche au vif pour les persuader que les prophètes ont fidèlement mis en avant ce qui leur étoit commandé d’en haut”.

CALVIN Jean “L’institution “ Éditions J D Benoît t1 (VII, 4) à la page 97.

Si l’expression est attribuée à Calvin, elle constitue une des constantes de la réforme qu’on retrouve dans la confession de foi de La Rochelle qui constitue encore une référence pour l’église réformée de France ; on peut se rapporter, entre autre, à Théo PREISS (1910/1950) “Le témoignage intérieur du Saint Esprit”.cahiers de la théologie protestante( numéro 13) édition : Delachaux Niestlé Neuchâtel 1946 ; (39 pages). Théo PREISS théologien protestant qui fut professeur à Montpellier écrit ceci :

On néglige singulièrement tant en exégèse qu’en dogmatique, ce fait élémentaire que presque toute la terminologie qui sert à parler du Saint Esprit (dans le Nouveau Testament) est d’origine et de couleur plus juridique que mystique ou intellectuelle. Le Saint Esprit est avant tout un témoin. Comme Jésus témoignait du Père l’Esprit témoigne de Jésus et du Père. “ p20

Et encore :

Tout d’abord, rappelons ce point central : l’Esprit est esprit d’adoption. Sa fonction essentielle est d’attester à l’homme qu’il est désormais en Christ enfant de Dieu. Tout est accompli et en principe et en fait.”

...

Mais l’Esprit étant créateur, cette adoption se traduit aussitôt par une oeuvre : l’Esprit crie en nous et nous fait crier en Lui “Abba ! Père !“ p. 30

3061.

Maurice BLONDEL est cité par LACROIX Jean “Maurice BLONDEL sa vie son oeuvre avec un exposé sur sa philosophie” PUF Paris 1963 ; (139 pages) ; à la page 35. Citant l’édition de 1951 des Premiers écrits tome 2 (la lettre et histoire et dogme) (PUF) aux pages 158 et 159.

BLONDEL Maurice “Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d’apologétique” “ Histoire et dogme” PUF Paris 1896, PUF Paris 1956 (245 pages)