Note connexe numéro sept. Le temps de la Bible et le temps des grecs0 Extraits de : Antoine CABALLÉ op. cit. ; 1994 “ en annexes du document ” Des pages 301 à 303.

Le temps de la Bible et le temps des grecs

DIOGÈNE le Cynique 3062 (-413,-327) est un philosophe de l’antiquité bien connu, un personnage de légende qui prônait une vie naturelle authentique ; il n’avait pour les honneurs que mépris et vivait dans un tonneau, s’habillait d’un unique manteau, et allait pieds nus. Voyant un enfant boire dans ses mains il brisa, dit-on, son unique écuelle disant qu’elle lui était encore superflue. Lorsque Alexandre le grand lui-même, à Corinthe, prenant conseil auprès de lui, lui demanda ce qu’il voulait qu’il fasse, DIOGÈNE répondit : “Que tu t’ôtes de mon soleil.”

Enfin, on raconte encore qu’on le vit déambulant dans les rues d’Athènes, au beau milieu du jour, une lanterne à la main, et disant à celui qui l’interrogeait “Je cherche un homme.”

DIOGÈNE cherchait donc un homme mais quel homme ? SOCRATE(-470- 399) ou ... Jésus ?

L’aurait-il reconnu dans le philosophe qui met en convergence la théorie et la pratique s’opposant ainsi aux sophistes qui ne cherchaient qu’à séduire ?

On peut le penser ... car il se devait de le connaître et aurait pu le rencontrer du temps de sa jeunesse.

L’aurait-il reconnu en Jésus, le Messie annoncé au peuple d’Israël par le message biblique et la voix des prophètes, la parole faite chair, le sauveur de l’humanité qui montre à l’homme l’Espérance nouvelle d’une communion avec Dieu devenu par lui, Père ? On peut en douter ... car il ignorait tout de cette histoire qui se tramait en terre de Palestine. Jésus arrivera quelques siècles plus tard dans l’histoire d’ un peuple préparé par une parole biblique, et l’annonce des prophètes.

Cela signifie sans doute que dans la dimension chrétienne biblique, le temps prend une position de grande importance ainsi que l’éducation que celui-ci permet car même si Jésus fut rejeté encore fallait-il qu’il puisse être entendu et que le temps soit venu pour qu’il vive parmi les hommes et annonce le message de la bonne nouvelle (étymologie d’évangile).

Les temps, dans une perspective biblique sont entre les mains de Dieu, ainsi distingue-t-on le temps de la création, le temps du jardin d’Eden, puis celui de la chute, le temps du déluge le temps de la première alliance faite à Noé après le déluge, le temps de la tour de Babel puis celui de la dispersion des peuples, le temps de l’alliance renouvelée faite à Abraham ouvrant le temps des patriarches dont Jacob appelé aussi Israël son petit fils héritant de l’alliance deviendra le père de la nation juive , le temps de l’exode en Egypte, le temps de l’installation dans la terre promise où la loi est révélée à Moïse, le temps des juges puis celui des rois d’Israël, les temps des prophètes, la déportation à Babylone et le retour à la terre promise, l’occupation syrienne égyptienne ou romaine enfin la mort sur la croix qui donne naissance au temps de la nouvelle alliance, qui s’ouvre à la croix et s’affirme dans la résurrection l’ascension, la pentecôte qui ouvre le temps de l’église enfin, les derniers temps à venir ou présents en tout cas annoncés du retour du Christ. Car les temps auront une fin.

Pour les grecs, la notion du temps était autre et ce dernier revêtait au moins trois dimensions :

La première est symbolisée par Cronos (Kronos), le dernier des titans qui selon la mythologie sépara son père Ouranos (le ciel) de sa mère (la terre) Gaïa quand armé d’une faucille par celle-ci, il trancha les testicules de son père et le mutila. Cette première notion signifie l’inéluctable du temps qui passe, ainsi que l’inévitable chronologie des choses.

La seconde correspond au mot Kaïros et signifie le temps événement ou l’événement accompli.

La troisième est exprimée par le mot Aiôn et signifie le temps éternité.

Le premier, Cronos, est le symbole ou plutôt le cadre de la condition humaine mortelle soumise à l’inéluctable fatalité du temps insaisissable source de la fugacité et du vieillissement avant la disparition finale. Comme pour symboliser cet aspect inéluctable de la condition humaine, Cronos dévorait au fur et à mesure de leur naissance tous ses enfants qu’il eut avec sa soeur Rhéa, la titanide ... Mais celle-ci substituera au dernier de ses enfants, Zeus, une pierre entourée de langes ... Devenu adulte, Zeus après l’avoir drogué à son insu, fera vomir par Cronos, ses frères , et, ceux-ci deviendront, avec lui, les dieux de l’Olympe. Cronos sera enfin vaincu par Zeus et précipité dans le Tartare, autrement dit l’enfer.

Le second, le Kaïros pourrait être le cadre des récits mythiques, fondateurs, il est l’espace où l’âme humaine rencontrait selon les Grecs le lieu de ses origines identitaires.

Le troisième, Aiôn, était l’exclusif des dieux seuls immortels que seules pouvaient tenter de rejoindre les idées pures, car pour les grecs, si l’espace du monde avait une fin, le temps lui n’avait pas de fin.

Paul TILLICH théologien américain protestant marquant du siècle, à partir des paroles de Jésus citées dans l’Apocalypse “ Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin” 3063 emploie l’expression “the eternal now “ (l’éternel maintenant) 3064 pour parler du temps tel qu’il est transfiguré en quelque sorte par le message de la bonne nouvelle du “Royaume parmi nous “ 3065 .

En effet, toute la perspective chrétienne est celle de l’irruption de Aiôn dans le Kaïros et le Cronos. “Quiconque croit en moi a la vie éternelle, je suis le pain de vie” 3066 dit le Christ. Paul TILLICH écrit :

‘L’énigme du présent est l’énigme la plus énigmatique de toutes les énigmes du temps. Elle est sans réponse sauf du point de vue de ce qui comprend le temps et se tient au dessus de lui : l’éternité. Lorsque nous disons “aujourd’hui” et “maintenant” nous arrêtons pour nous le flux du temps.” (...)”C’est l’éternité qui stoppe le flux du temps. C’est le “maintenant” de l’éternité qui donne un “maintenant”dans le temps. (...) et pourtant personne n’est continuellement conscient de ce maintenant “éternel “ dans ce maintenant “temporel”. Il fait parfois irruption dans notre conscience et nous donne la certitude que l’éternité est là, (...) 3067

Ainsi, comme le soulignent certains passages des psaumes dont celui-ci du roi David vivant environ 1000 ans avant Jésus Christ c’est à dire bien avant DIOGENE et SOCRATE “Tu es Dieu d’éternité en éternité” 3068 , le livre du prophète Néhémie au V° siècle avant Jésus Christ reprenant la même expression d’éternité en éternité dans la bouche des lévites prononçant une confession publique après la fête des tabernacles après la construction du temple de Jérusalem 3069 , ou l’expression du même roi David dans le livre des chroniques,“Béni sois-tu d’éternité en éternité, Eternel, Dieu de notre père Israël” 3070 . Selon la conception judaïque et du christianisme qui s’en inspire et en découle le temps est soumis à Dieu ainsi donc que l’Éternité telle que l’homme peut la pressentir : Éternité dont le singulier devient pluriel dans les éternités, entre les mains du Créateur, par son verbe, de toutes choses.DIOGÈNE, sa lampe à la main, en plein jour, agissant ainsi en pleine lumière comme s’il était en pleines ténèbres, a pour le moins un comportement anachronique. Il provoque le titan Kronos et la notion du temps dévorant dans lequel les grecs tenaient enfermée la condition humaine. Que cherchait-il donc que la lumière du jour ne pouvait lui montrer ? Ne pressentait-il pas la lumière qui allait venir et qui dira “ Je suis venu comme une lumière dans le monde 3071 ? Cette lanterne qu’il tenait à la main ne pouvait donc pas être cette lumière dont Saint Jean dit dans l’évangile qu’il “ était la véritable lumière 3072 le “logos 3073 de Dieu qui disait être la lumière du monde et qui annonça que chacun pouvait le devenir à son tour 3074 .

Car il est encore davantage qu’une révolution culturelle existentielle qu’apporte le christianisme contenue dans ce message : la lumière est allée à la rencontre de l’homme jusqu’à venir habiter en lui et le faire participant de sa clarté inespérée inconcevable au sens propre du mot c’est à dire dépassant toute conception humaine.

Le signe de cette présence créatrice, de cette parole de cette lumière de cette intelligence, tous ces mots contribuant quelque peu à éclairer le sens du mot Logos employé par Saint Jean, est l’Amour de (par et pour) Dieu créateur, le tout Autre, l’époux 3075 , présent désormais dans le tout proche, le prochain qu’il s’agit d’aimer à présent comme soi-même 3076

En fait, ce qui éclaire le Logos de Dieu est le Logos (verbe parole) lui-même, c’est à dire Dieu par sa parole créatrice.

Chronos est non seulement vaincu mais il est mort à son ancienne apparence divine il est simple instrument soumis désormais entre les mains du Créateur “ lui qui change les temps” 3077 pour enseigner à l’homme son projet pour lui. Le temps ne dévore plus mais il rend grâce et régénéré il régénère .

Toute la différence entre DIOGÈNE et l’un de ses contemporains israélites tient dans ce que là où DIOGÈNE déambulait en quête d’une improbable rencontre de la perfection éthique faite homme, un juif écoutait la voix des prophètes parmi lesquels Ésaïe (Isaïe) (-746-701) et Jérémie (-627 -587) qui avaient annoncé la venue prochaine d’un mesiha en langue araméènne, masjiach en hébreux, dont le terme donnera naissance au mot messie, et que la langue grecque dans laquelle furent écrits les évangiles a traduit par Christ. Ce mesiha devait ouvrir une ère nouvelle, une alliance nouvelle et éternelle un temps nouveau.

Notes
3062.

Les Cyniques dont la source remonte à ANTHISTÈNE disciple de SOCRATE sont une école de la philosophie grecque formant avec les Mégariques (EUCLIDE le socratique) et les Cyrénaïques(ARISTIPPE le Cyrénaïque) la famille dite des petits socratiques. Les écoles dites des grands socratiques étaient le lycée d’ ARISTOTE et l’Académie de PLATON.

Source :BRUN Jean “Le stoïcisme “ PUF Paris 1958 (126 pages ).

On considère aussi parfois que ANACHARSIS (-VI° siècle) est le précurseur de cette philosophie qui n’est pas dérision pure, mais qui introduit surtout dans la philosophie la notion du décalage entre le discours et la réalité, autrement dit la théorie et la pratique et dont l’humour grinçant et le déséquilibre peuvent être la forme privilégiée du questionnement philosophique .

3063.

Apocalypse chapitre 21 verset 6

3064.

TILLICH Paul “L’éternel maintenant” (“The eternal Now”1° édition anglaise Curtis Brown London 1956) traduit et présenté par Jean Marc SAINT Éditions Planètes Paris 1969 ; (217 pages).

3065.

Évangile selon saint Luc chapitre 17 les versets 20 à 21.

“ Les pharisiens demandèrent à Jésus quand viendrait le royaume de Dieu . Il leur répondit : Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point : Il est ici, ou : Il est là. Car voici le Royaume est au milieu de vous”.

3066.

Évangile de Jean chapitre 6 verset 47.

3067.

TILLICH Paul “L’éternel maintenant” (“The eternal Now”1° édition anglaise Curtis Brown London 1956) traduit et présenté par Jean Marc SAINT Éditions Planètes Paris 1969 à la page 153.

3068.

Psaume 90 verset 2 Psaume de David. On peut retrouver une expression proche au psaume 93 verset 2. “Tu existes de toute éternité”

3069.

Livre de Néhémie chapitre 9 verset 5 :“Levez-vous et bénissez l’éternel d’éternité en éternité.” L’alliance,entre Dieu et son peuple, est en quelque sorte renouvelée par la construction du temple .

3070.

1°livre des chroniques chapitre 29 verset 10

3071.

Évangile de Jean chapitre 12 verset 46

3072.

Évangile de Jean chapitre 1 verset 9

3073.

Évangile de Jean chapitre 1 au verset 1 “Au commencement était le Verbe (ou “la parole” ) et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu “

Et plus loin encore au chapitre 1 verset 14 “le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire.”

3074.

Évangile de Matthieu chapitre 5 au cours du sermon sur la montagne après l’énoncé des béatitudes Jésus dit “Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau.”

3075.

Dès le livre du cantique des cantiques dans l’Ancien Testament la relation entre Dieu et l’homme est assimilée au rapport entre un fiancé et une jeune fille . Le Christ dans le Nouveau Testament se présente et est présenté comme l’époux.

3076.

C’est pour répondre à une question piège des pharisiens et plus particulièrement de l’un d’eux docteur de la loi : “Maître, quel est le plus grand commandement” que Jésus répond“Tu aimeras ton Seigneur ton Dieu avant toute chose , de tout ton coeur de toute ton âme de toute ta pensée voici le premier et le plus grand commandement et voici le second qui lui est semblable., tu aimeras ton prochain comme toi-même.” sont repris par Jésus comme étant l’accomplissement de toute la loi du décalogue “Les dix paroles adressées à Moïse(Exode 34,Deutéronome 4 13) et les prophètes “De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes.”Matthieu 22 34 à 40

3077.

Livre de Daniel au chapitre 2 verset 21