Faisons le point
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Nous sommes entré dans la problématique des rapports entre Bible et éducation par le biais du questionnement des rapports entre la foi et la raison.
Henri ATLAN rapporte, dans son dernier ouvrage, cette histoire attribuée, probablement à tord, nous dit-il, au Talmud.
‘Un maître rendait la justice entre deux plaignants devant ses disciples. Au premier qui exposait son cas, le juge après une longue réflexion décida de donner raison. Mais quand le deuxième eut fini de plaider, le juge lui donna raison. Aux disciples qui s’étonnaient alors que leur maître pût ainsi donner raison à deux versions contradictoires de mêmes faits, le juge répondit après une longue réflexion : “En effet vous avez aussi raison. “ 3081 ’Nous questionnerons, d’une manière différente de celle de Henri ATLAN, cette sorte de parabole pleine d’humour qu’il nous rapporte. Henri ATLAN veut montrer en effet qu’il existe plusieurs rationalités tout aussi légitimes les unes que les autres.
Le fait est que l’introduction au texte biblique, nous l’avons montré, suppose la quête de sa justification interne.
Au terme, ou concept, de rationalité, nous avons donc préféré celui de la justification, nous référant aux travaux de THÉVENOT et BOLTANSKI. Il existe plusieurs justifications selon que l’on se réfère à l’un au à l’autre des mondes que nous décrivent, sans en faire une liste exhaustive, les sociologues français.
Chacun des mondes juge des valeurs en fonction des critères qui lui sont propres. Ce n’est pas tant la rationalité qui serait en cause donc, que les valeurs qui la fondent. Mais, sur ce point des valeurs, il ne peut pas justement y avoir équivalence. Le prix que l’on accorde à la vie d’un homme n’est en effet pas équivalent qu’on le considère comme un frère semblable à nous ou comme un étranger à nous-même.
En effet, la raison qui émerge de la Bible n’est pas celle d’un relativisme qui exaspéra tant PASCAL, mais tout le contraire.
Le célèbre jugement de Salomon se rapportant aux deux prostituées qui se disputaient le même fils, l’une et l’autre prétendant que celui de l’autre était mort, rend bien cette dimension tranchée de la justification du message de justice, selon la Bible.
‘Le roi dit : L’une dit : C’est mon fils qui est vivant et c’est ton fils qui est mort ; et l’autre dit: Nullement! c’est ton fils qui est mort; et c’est mon fils qui est vivant. Puis il ajouta : Apportez-moi une épée. On apporta une épée devant le roi. Et le roi dit : Coupez en deux l’enfant qui vit, et donnez en une moitié à l’une et la moitié à l’autre. Alors la femme dont le fils était vivant sentit ses entrailles s’émouvoir pour son fils, et elle dit au roi: Ah ! mon Seigneur, donnez-lui l’enfant qui vit, et ne le faîtes point mourir. Mais l’autre dit : il ne sera ni à moi ni à toi; coupez-le ! Et le roi, prenant la parole dit ; Donnez à la première l’enfant qui vit, ne le faîtes pas mourir. C’est elle qui est sa mère.(1 Rois 3 versets 23 à 28) ’Salomon, contrairement au maître de la parabole de Henri ATLAN, ne donne pas raison aux deux parties, ou s’il feint de le faire, c’est pour mieux connaître celle qui dit la vérité.
Il faut dire que l’enjeu est de taille : il est question d’une mère et de son enfant. Alors, loin de dédramatiser, il pousse la tension jusqu’à l’extrême, s’il est question d’une relation aussi forte, il est aussi question de vie et de mort.
La vérité, révélée par la Bible, n’est, en effet, pas une abstraction géométrique, mais pareille à cet enfant, vivante. La vérité se donne dans l’amour, son enjeu en est la vie ou la mort.
Alors, la mère est celle qui aime l’enfant au point de préférer le perdre que de le voir mourir, car une mère aime toujours son enfant.
Pour l’autre femme, l’enfant est déjà mort, alors cela ne lui fait rien de le perdre une seconde fois. Pour la mère seule, l’enfant est vivant.
C’est cette dimension d’un enjeu décisif entre la mort et la vie qu’introduit le texte biblique avec une force sans pareil.
Comme Salomon, l’homme se trouve devant le choix de saisir tout à la fois la vérité et la vie, ou, au contraire, le mensonge et l’erreur et la mort.
Pour saisir cette vie, un chemin s’ouvre que la Bible retrace et révèle qui s’accomplit en Christ qu’annonçaient la loi et les prophètes.
Mais le Christ appelle à aimer comme lui-même a aimé. Ce choix devient alors aussi une responsabilité devant les autres, qui comme cet enfant, pour Salomon, sont remis entre les mains des hommes.
Jésus dit bien qu’il est lui-même le chemin la vérité et la vie. Et, il ajoute :
‘“Nul ne vient au Père que par moi” (Jean 14 verset 6).’Jésus, en effet, rétablit l’homme dans une relation filiale avec Dieu, comme l’enfant rejoignant sa mère.
Jacques ELLUL 3082 , à la suite de Karl BARTH, voit dans l’évocation de la mort ou du jugement de mort porté par Dieu dans la Bible, un avertissement et non l’évocation d’un accomplissement inéluctable. Ce qui importe, dit-il, c’est que Dieu veut aujourd’hui, sauver tous les hommes. Mais Dieu n’agit pas à la façon d’un magicien ... mais du père aimant de la parabole du fils prodigue.
Dès lors, l’avertissement se fait pédagogie, et éducation.
Citant les travaux de MUSSNER, Jacques ELLUL explique que la pensée juive est un mode de pensée global. Ainsi dit-il :
‘(...) yad signifie main mais peut aussi signifier bras. Regel : pied ... jambe ; et très important, Rabbim veut dire littéralement “beaucoup “ mais aussi : tous et correspond en fait à notre tous. Il faut relire les textes de Évangiles dans cette lumière quand il y est traduit que “beaucoup seront sauvés.” 3083 ’Pour mieux comprendre la Bible, il faut donc pénétrer à l’intérieur du phylum d’Israël, et de la pensée hébraïque dont le christianisme n’est, selon l’expression de Paul, qu’une branche d’olivier sauvage greffée sur l’olivier franc. (Romains 11 verset 26).
ATLAN Henri “À tort ou à raison intercritique de la science et du mythe” Seuil Paris 1994 ; ( à la page 11)
ELLUL Jacques “ Ce Dieu injuste ?..” Théologie chrétienne pour le peuple d’Israël” Arléa Paris 1991 ; (pages 140 et 141).
Ibidem page 146