Note connexe numéro dix. Nécessité d’une lecture du texte par le texte ou Qu’il ne faut pas inféoder notre lecture du texte à autre chose qu’au texte lui-même.(La quête d’une invariance est à ce prix). Extraits de : Antoine CABALLÉ op. cit. ; 1994 Pages 42 à 65.

Qu’il ne faut donc pas inféoder notre lecture du texte à autre chose qu’au texte lui-même.

La quête d’une invariance nous oblige cependant bien à nous démarquer, ou à tenter de le faire, dans la mesure du possible, dès l’initial, de toute soumission dans sa lecture ou son interprétation, du message biblique à une idéologie ou spiritualité extérieure à lui-même.

Ainsi donc, nous éviterons plusieurs types de voies parmi lesquelles nous pouvons citer, sans que cette liste ne prétende à l’exhaustivité :

Nous allons revenir sur chacune de ces lectures possibles pour dire très synthétiquement mais le plus précisément possible pourquoi nous nous en démarquerons.

Nous pouvons ajouter à la différenciation étymologique précédemment évoquée, entre la bonne nouvelle (évangile) de l’alliance nouvelle, et la question des moeurs et de ses fondements qui concerne l’éthique, la différence historique et géographique quant aux origines de ces deux approches.

La quête principale de l’éthique qui nous a été transmise par la philosophie grecque et que nous pouvons résumer comme étant une recherche de cohérence entre une théorie et une pratique, entre les actes et les paroles, ne cadre pas totalement, ou en tout cas ne se confond pas avec l’irruption d’une conscience nouvelle du fait d’une alliance entre Dieu et les hommes, accomplie, selon le texte, dans l’évangile, en la personne de Jésus Christ, mais déjà établie dans l’Ancien Testament avec le peuple d’Israël .

L’éthique se construit, l’alliance se révèle.

Cette différenciation entre éthique et histoire de l’alliance étant faite et étant posée, il reste bien entendu possible et même intéressant pour l’étude elle-même de tirer, ou de tenter de le faire, quelques conséquences éthiques de la lecture de l’évangile et de la Bible à partir de son invariance propre, et sa cohésion interne. Il reste également possible de regarder du côté de l’apport d’une approche éthique pour une compréhension des enjeux bibliques, mais ce regard se fera comme de l’extérieur non pour fonder la compréhension d’une justification interne du texte mais davantage pour la mesurer, en quelque sorte, et ainsi, la confronter à d’autres.

Le spiritualisme considère le christianisme comme une forme plus ou moins achevée de religion comparable aux autres quêtes spirituelles transcendantales.

Songeons à GANDHI dont l’oeuvre non violente qui libéra son peuple force tant l’admiration. GANDHI appelait chacun à garder sa religion et à l’approfondir.

Ce qui importait pour lui, était l’authenticité de la quête spirituelle enrichie de la tradition culturelle propre.

Songeons encore davantage à LANZA DEL VASTO, philosophe chrétien auteur français d’origine portugaise, qui fonda la toujours vivante communauté de l’arche.

Disciple de GANDHI, qu’il avait côtoyé, LANZA DEL VASTO concluait ainsi son commentaire de l’évangile qu’il avait traduit par les trois mots “la bonne nouvelle” .

‘En ces trois mots la non-violence de Saint Martin de Saint François d’Ibrahim Ibd Adam, de Fox, de Penn, de Gandhi, de Kimbangou, de King (...)En ces trois mots la Gitâ, le Tao, le Dhammapada, le Zen, les petits apologues des Hassidim. En ces trois mots la remontée des âmes vivantes à la rencontre de l’Esprit Vivifiant ! 3084

La perspective spiritualiste est grandiose, mais partant d’un a priori de convergence de toutes les religions vers le même but car reposant sur le même fondement risque, en cours de route, de perdre la caractéristique spécifique du message biblique.

Paul EVDOKIMOV, spécialiste de la chrétienté orthodoxe écrit à ce sujet :

‘“Toutes les religions sont les voies par lesquelles l’homme cherche Dieu. Elles sont multiples. La voie chrétienne est unique car c’est Dieu qui trouve l’homme.” 3085

En effet, il devient objectivement évident dès la première analyse qu’une singularité de la révélation biblique, et cela, dès l’histoire d’Israël, où l’Universel vient se révéler dans l’histoire quotidienne et incarnée d’un peuple fragile, marchant par la foi, oblige à ne pas considérer le texte comme un spiritualisme ou une spiritualité parmi d’autres.

Ici encore il ne s’agit pas d’éluder a fortiori ni de renier la possible convergence entre les diverses quêtes spirituelles et la révélation biblique mais il ne peut être question de syncrétisme, a priori.

Au rang de “toutes les religions” dont nous parle Paul EVDOKIMOV, sans doute convient-il d’adjoindre toutes les quêtes humaines pour accéder à un dépassement, à une transcendance. Parmi ces quêtes, le rationalisme, et tous les "ismes", idéologies diverses, songeons à l’humanisme cosmologique et évolutionniste de TEILHARD DE CHARDIN, issues dans notre modernité, à la suite de la gnose de l’époque antique, d’une tentative de prise de pouvoir de l’hellénisme rationaliste sur la révélation chrétienne.

Il faut rejeter ici le système englobant a priori d’une interprétation du texte. Rejeter tout système clos pour reprendre un terme usité, depuis Henri BERGSON jusqu’à Karl POPPER.

Une fois posé ce rejet il peut être par contre utile de visiter certaines pensées à la lumière de l’apport extérieur que constitue, par rapport à elles, le message biblique. Maurice BLONDEL parle d’une fécondation de la philosophie par le message du christianisme.

‘L’apport chrétien n’est pas une surcharge ou un refoulement : il est -on le verra- un soulagement, une promotion qui à son tour fournit des lumières pour la raison et assure “une philosophie ouverte” philosophie d’une inépuisable fécondité non seulement par une cohérence intellectuelle, mais dans une coopération comparable à une union conjugale. 3086

Nous reviendrons, dans la seconde partie de l’étude de ce chapitre premier, sur cette union conjugale entre l’esprit et la pensée qui fait , selon BLONDEL, de la pensée, un monde ouvert enfin séparé de l’emprisonnement dans l’idéologie totalisante grâce à l’apport, déterminant et, indépendant de tout autre, nous dit-il , du message chrétien 3087 .

Rigoberta MENCHù originaire du Guatemala, distinguée comme prix Nobel de la Paix en 1993, sans être théologienne, résume bien à partir de sa vision personnelle la position théologique dite de la libération 3088 qui fit florès en Amérique du Sud, à partir des années 60 surtout, en prenant fait et cause pour la libération politique des opprimés. Nous retrouvons cette perspective généreuse dans les thèses éducatives de Paolo FREIRE.

‘Le monde où je vis est si criminel, si sanguinaire que d’un moment à l’autre on peut m’ôter la vie. C’est pour ça que comme unique alternative, ce qui me reste c’est la lutte, la violence juste c’est ça que j’ai appris dans la Bible. J’ai essayé de faire comprendre ça à une compagne marxiste qui me disait comment je voulais faire la révolution en étant chrétienne. Je lui ai dit que toute la vérité ne se trouvait pas dans la Bible, mais que toute la vérité ne se trouvait pas non plus dans le marxisme. Qu’elle devait accepter ça comme ça. 3089

Nous pourrions, pratiquement à l’opposé des positions de chrétiens marxistes, trouver des positions qui défendraient une attitude conservatrice, voire militante d’un “ordre chrétien mondial” tel celui prôné par exemple par la mystérieuse et influente Opus Dei 3090 .

Le christianisme se développera, pendant trois siècles, pratiquement en marge des pouvoirs politiques, sur la seule prédication des apôtres et des témoins convertis, l’annonce d’une bonne nouvelle, il n’est donc pas, dans sa genèse, dans sa définition biblique, chacun peut en convenir, une quête du pouvoir politique.

Au contraire, depuis la naissance du Christ, pensons à la fureur d’Hérode 3091 , jusqu’à la tentation rejetée des Royaumes de la terre au début de son ministère 3092 jusqu’à sa mort, pensons encore, parmi d’autres exemples possibles, au moment de la Croix, à Pilate 3093 , ou à son attitude face au sanhédrin 3094 , le pouvoir de Jésus repose bibliquement sur la dimension de l’autre Royaume.

Plus encore que le fameux “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ” 3095 le sermon sur la montagne qui ouvre la prédication du Christ est une exhortation à ne pas lutter pour le pouvoir terrestre mais à être plein d’une soif de justice, tout en aimant jusqu’à ses ennemis 3096 .

Ces raisons sont plus que suffisantes pour ne pas inféoder une lecture du texte à une perception politique liée à une lutte politique de type classique telle une conquête du pouvoir par l’usage de la force ou du rapport de force.

À partir de ce postulat il reste intéressant de considérer le caractère politique des conséquences d’une éducation chrétienne à partir de la Bible.

Les répercussions politiques du christianisme biblique traversent comme à contre coup les contrées évangélisées puisque la soif de justice est confortée et légitimée en quelque sorte.

Ces répercussions sont, dès lors, plutôt que leur cause, les conséquences d’une nouvelle perception des choses.

Elles sont peut-être, ou sans doute, l’un des effets de l’éducation chrétienne, ou plutôt de l’éducation par le christianisme selon la prédication initiale de la bonne nouvelle (étymologie d’évangile).

On pourra donc s’arrêter sur les conséquences politiques d’un tel message sans faire dépendre la lecture de ce message de toute lecture à visée directement politique ou sociale.

Les paroles de Paul l’annonçaient au 1°siècle de notre ère.

‘“Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus Christ ; vous tous qui avez été baptisés en Christ vous avez revêtu le Christ.’ ‘Il n’y a plus juif ni grec, il n’y a plus esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes un en Christ. Et si vous êtes à Christ vous êtes donc la postérité d’Abraham, héritiers selon la promesse.” 3097

Ou encore

‘“Ne vous mentez pas les uns aux autres, vous étant dépouillés du vieil homme et de ses oeuvres et ayant revêtu l’homme nouveau qui se renouvelle dans la connaissance selon l’image de celui qui l’a créé.’ ‘Il n’y a ici ni Grec ni Juif , circoncis ni incirconcis, ni barbare ni Scythe ni esclave ni libre ; mais Christ est tout en tous.” 3098

Ces écrits ne sont pas des exhortations à la révolte politique, pas plus qu’elles ne sont directement des prises de position visant un nouvel ordre politique, mais ils ouvrent la perspective nouvelle, du passage du substrat en quelque sorte, de l’individu citoyen, selon les termes de la philosophie, ou encore de l’héritier de la promesse faite à Abraham, selon la généalogie, selon, l’héritage d’Israël, jusqu’à l’homme nouveau, homme ou femme, dont le Christ est la figure, héritier de la promesse par la foi.

  • Pourquoi éviterons-nous également une lecture de la Bible au travers de la seule psyché.

C’est la dimension d’intériorité qu’investissent, dans notre société la psychanalyse et les courants de pensée, ou des sciences humaines qui en dérivent. En effet, la psychanalyse s’étant attachée à ce qui était hors norme ou pathologique considère l’inconscient comme l’élément de prédilection de son champ d’action et d’ étude.

Toute la pensée dominante qui fait florès au début du XX°°siècle et qui germe aux confins du XIX voire du XVIII° siècle selon ceux que Maurice CLAVEL 3099 appelait ” les maîtres penseurs ,” est une pensée qui, sous l’impulsion de FEUERBACH, conçoit le religieux comme un phénomène historique dépassé, et le christianisme comme étant au bout de son existence.

FREUD n’échappe pas à la règle.

FREUD (1856/1939) qui dans“Totem et Tabou” , en 1912, expliquait déjà que la religion est une névrose, entreprendra dans “Moïse et le monothéisme” paru à titre posthume en 1939, une critique radicale du judaïsme, à partir d’une lecture psychanalytique de l’histoire du conducteur du peuple 3100 . FREUD y aborde, en effet, dès les premières lignes de cet ouvrage la question d’une manière radicalement partiale.

‘Déposséder un peuple de l’homme qu’il célèbre comme le plus grand de ses fils est une tâche sans agrément et qu’on accomplit pas d’un coeur léger. Toutefois aucune considération ne saurait m’induire à négliger la vérité au nom d’un prétendu intérêt national. Bien plus, tout porte à croire que l’élucidation d’un seul point du problème pourra éclairer l’ensemble des faits.” Moïse qui fut pour le peuple Juif un libérateur et qui lui donna ses lois et sa religion, appartient à une époque si lointaine qu’on se demande tout de suite s’il doit être considéré comme un personnage historique ou s’il n’est qu’une figure de légende. 3101

FREUD cependant, au fur et à mesure qu’il avançait dans l’écriture de cet ouvrage, écriture qui dura plusieurs années, sembla contraint d’en rabattre un peu. Et il conclut en écrivant :

‘Peut-être notre travail a-t-il jeté quelque clarté sur la façon dont le peuple juif a acquis les qualités qui le caractérisent . mais comment a-t-il réussi à maintenir jusqu’à nos jours son individualité ? C’est là une question qui n’est pas encore élucidée .” 3102

Ce qui reste en tout cas caractéristique de sa démarche est la réfutation absolue catégorique de la réalité de la révélation. Et s’il se résout et regrette de ne pouvoir démontrer que cette histoire n’est que mythe, pour FREUD, la loi reste l’oeuvre de MoÏse lui-même influencé par la culture égyptienne qui fit son éducation.

Pour FREUD, en effet il n’existe rien qui ne s’explique en dehors de la pulsion libidinale d’origine sexuelle inscrite dans l’esprit et le corps humain.

Si, très tôt quelques uns de ses élèves vont se démarquer de sa vision par trop étroite, nous allons voir que la question reste posée d’un enfermement de l’agir et de l’être dans le psychisme ou selon le fonctionnement de celui-ci qui semble finalement caractériser la démarche psychanalyse selon sa nature même.

En 1911, Alfred ADLER (1870/1937) se sépara de FREUD car il refusait de voir dans la névrose une étiologie purement sexuelle. Alfred ADLER substituera à la libido du désir, une exaltation de la personnalité ou volonté de puissance. Pour lui, l’origine psychologique,biologique ou sociale, (ces deux derniers points sont nouveaux relativement, par rapport à la théorie freudienne), en est un sentiment d’infériorité ou d’incomplétude 3103 . Selon ADLER, la pulsion d’agressivité se substitue à la pulsion purement sexuelle, le moteur est moins le désir de jouissance que celui de puissance.

C’est en 1913 que Carl GUSTAV JUNG se sépara à son tour de FREUD.

Carl Gustav JUNG (1875/1961) qui rejoint en partie Alfred ADLER est tout comme lui donc, ancien élève de FREUD. Il refuse également d’attribuer à la libido un caractère exclusivement sexuel, mais y voit le lieu de l’émergence d’une universelle conscience ancestrale.

L’originalité de JUNG cependant par rapport à ADLER ou FREUD est de ne pas considérer l’inconscient comme un élément purement psychique c’est à dire enfermé dans le psychisme.

Pour lui, l’inconscient se manifeste sous la forme d’une voix intérieure qui chavire et traverse notre conscience consciente mais qui peut d’une certaine manière être le siège d’une conscience inconsciente, ou d’un inconscient conscient, c’est à dire une organisation qui loin d’être un désordre purement libidinal s’organise suivant certains archétypes universels en quête d’une transcendance. Les rêves en sont une des manifestations possibles.

‘C’est pourquoi je distingue ce que j’ai produit ou acquis par mon propre effort conscient de ce qui clairement et sans erreur possible, provient de l’inconscient. Certes, on pourra me rétorquer que ce soi-disant inconscient est, tout simplement , un élément de ma propre psyché et que dès lors la distinction est superflue. Mais justement je ne suis pas du tout sûr que cet inconscient soit simplement ma psyché puisque le terme inconscient signifie que je n’en ai même pas conscience.`’ ‘En fait le concept d’inconscient n’est qu’une simple et commode hypothèse de travail. 3104

Ce sont les archétypes du religieux qui, pour cet auteur, soutiennent et expliquent notre compréhension notre approche des mystères du surnaturel mais aussi du naturel.

Pour JUNG, c’est l’expérience religieuse, presque mystique qui est déterminante, nous retrouvons cette dimension chez DREWERMANN. Cette expérience invite donc à la foi et à la reconnaissance d’une grâce première, même si la dimension de l’analyse Jungienne reste délibérément anthropomorphique. JUNG écrit :

‘Peu importe ce que le monde pense de l’expérience religieuse; celui qui l’a faite possède l’immense trésor d’une chose qui l’a comblé d’une source de vie de signification de beauté et qui a donné une nouvelle splendeur au monde et à l’’humanité. Il a la foi et la paix. 3105

Remarquons, comme le soulignent quelques commentateurs 3106 , que c’est la conscience de l’incarnation du spirituel, tel qu’il se manifeste dans l’irruption historique et concrète du Christ qui semble parfois faire défaut à ces chercheurs, la symbolique semble avoir pris sa place . Soulignons, dès lors, qu’il n’est pas étonnant de constater l’intérêt de JUNG pour la gnose, pour l’alchimie, la recherche de la pierre philosophale du temps du Moyen Âge.

JUNG écrit encore :

‘L’aventure spirituelle de notre temps c’est d’abandonner la conscience humaine à l’indéfini et à l’indéfinissable, bien qu’il puisse nous sembler -et non sans de bonnes raisons- que dans l’illimité aussi règnent ces lois psychiques qu’aucun être humain n’a inventées, mais dont la connaissance lui fut données en tant que gnosis en tant que connaissance à travers le symbolisme du dogme chrétien que seuls essayent d’ébranler les insensés imprudents, mais non les esprits fervents soucieux de la vie de l’âme.” 3107

Certes, le cheminement de JUNG réhabilite le fait religieux, mais le dieu ainsi évoqué par la psychanalyse Jungienne tiendrait davantage par certains aspects, et le recours au symbole en particulier, du dieu fabricant du monde et de l’âme et du corps tel que le définit PLATON dans le Timée, que de YHVH créateur et médiateur du judaïsme ou du christianisme.

La réflexion qui instruit la trame du Timée est une question théorique : certes l’apport du mystère chrétien conduit JUNG à déclarer le fruit de cette investigation comme impalpable, mais la démarche psychanalytique jungienne est bien proche finalement de celle du philosophe grec. Il existe d’ailleurs, sans doute, plus d’un point commun entre la psychanalyse Jungienne et la maïeutique socratique.

Selon JUNG, le caractère invariant de l’archétype sorte de schème inconscient commun à toutes les cultures qui permet à l’homme de percevoir le religieux, permet de sortir de l’enceinte de la psyché qui contenait toute la problématique freudienne.

Il reste qu’une fois postulé son caractère invariant, l’archétype pourrait nous masquer la seule invariance que nous ayons postulée, pour rendre notre étude féconde selon la problématique posée, et qui est celle de la parole biblique et de la lecture que l’homme en fait.

Certes JUNG prétend donc que l’inconscient n’est pas réductible à la psyhé personnelle.

Il reste que des archétypes universels le constituent. Cet enfermement dans l’archétype ou le symbole, nous le retrouvons dans des ouvrages récents qui tentent de faire se rapprocher démarche de la foi et psychanalyse , comme ceux de la psychanalyste Marie BALMARY 3108 , ou cheminant à l’inverse, entre théologie et psychanalyse ceux du théologien Eugen DREWERMANN 3109 qui reconnaissent l’un et l’autre l’éminence d’un aspect religieux latent en quelque sorte à la nature humaine et le voient se manifester essentiellement sous la forme d’une spiritualisation de l’aspect psychologique de la personne, dans l’installation d’une relation”je tu”.

Françoise DOLTO, la très médiatique psychanalyste des années 1970 et 1980 tenta bien aussi de réunir évangile et psychanalyse, mais par une toute autre approche. Théoriquement proche de LACAN (1900-1981), qui prétendait d’elle, qu’elle mettait en pratique ce que lui (fort hermétiquement) théorisait, l’origine et la filiation théorique de la psychanalyse, selon Françoise DOLTO, est le plus souvent considérée donc comme freudienne de l’école lacanienne.

Elle confessa, sur le tard mais largement, une foi chrétienne qui en étonna quelques uns, et son ouvrage “l’évangile au risque de la psychanalyse” paru en 1977 3110 , compte rendu d’entretiens avec Gérard SÉVERIN, ouvrait une porte assez nouvelle, très loin du postulat initial de FREUD lui-même.

Françoise DOLTO y analyse quelques passages des évangiles, qu’elle lisait comme une école du désir, et non de la morale.

Nous retrouvons LACAN pour qui le désir n’est pas désir simplement d’une satisfaction, mais désir de l’Autre, et d’une certaine manière, retrouvons-nous les thèses de René GIRARD 3111 et du désir mimétique, ou désir métaphysique ou même Gabriel MARCEL 3112 et la quête métaphysique de son journal du même nom.

De telles thèses réhabilitent ce que BERGSON 3113 appela l’élan vital, par rapport à des perspectives plus matérialistes qui réduisent l’homme à l’horizontalité d’un désir qui ne serait qu’assouvissement d’un plaisir. Cependant le Dieu révélé, par définition, ne peut s’enfermer dans cette quête, même s’il répond à l’attente de celle-ci, et ceci, avant que dans son dernier ouvrage Marie BALMARY ne constate les limites de l’attitude scientifique pour comprendre, l’acte de parole tel que la Bible le révèle, et donc de la prophétie, Françoise DOLTO, elle-même, semble-t-il, l’entrevit.

Françoise DOLTO semble pressentir donc les limites du modèle psychanalytique pour une compréhension de l’évangile. Le mot psychanalyse contient en lui-même l’ambiguité, l’analyse et la connaissance du mystère de soi-même, même si elles sont indéfinies et indéfinissables, comme le soulignait JUNG, conduisent-elles à la rencontre et à la vie en Christ vivant ?

Les paroles de Jésus ne nous parlent pas de connaissance ni d’analyse, encore moins de symbole mais elles disent entre autre :

‘En vérité en vérité je vous le dis , celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie, mais qui y monte par ailleurs est un brigand. Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi il sera sauvé 3114

Les paroles du Christ vont toutes vers une simplicité directe que DOLTO retrouve mais dont elle pressent (sans doute pas jusqu’au bout cependant), là aussi, les limites de compréhension du modèle d’interprétation psychanalytique :

Le Dieu révélé, le Dieu de l’alliance telle que la Bible en parle ne se réduit, décidément pas, non plus, au désir que l’homme en a.

En effet, il reste un mystère du connaître que la psychanalyse pas plus peut-être que toute autre science ou même démarche humaine ne saurait percer ni contenir, Gabriel MARCEL et tout le courant existentialiste développe cette idée.

Le mystère est autre chose et à la fois davantage qu’un problème.

“Le mystère “, Gabriel MARCEL l’explique, “ est un problème qui empiète sur ces propres données.” 3115

Et il ajoute

‘“qu’il y a bien un mystère du connaître; la connaissance se suspend à un mode de participation dont une épistémologie quelle qu’elle soit ne peut espérer rendre compte parce qu’elle-même le suppose.” 3116

Dès lors, toute entreprise pour une objectivation de l’être qui l’entreprise majeure, au-delà même de la psychanalyse, de la psychologie et des lois qu’elle dégage, est vouée à l’échec relatif, par l’incomplétude inhérente, même si elle peut donner des informations descriptives. Le mystère est par nature impropre à l’ objectivation.

Au contraire nous dit encore Gabriel MARCEL, il engage tout l’être dans une unité profonde insaisissable en elle-même mais objet de création et de foi 3117 .

Les études psychologiques reposant sur l’objectivation en sont, dès lors, réduites à cette incapacité de nature à comprendre ou même à rendre compte du mystère de la foi.

Il nous faut ici saluer l’entreprise de Louis LAVELLE (1883/1951), philosophe de l’intimité profonde de l’être : son approche des mystères des tréfonds de la personne est faite de délicatesse et quête divine, il montre les limites narcissiques d’un enferment du désir sur lui-même.

‘Or par un merveilleux paradoxe, c’est si je cesse de me regarder et si je regarde ceux qui m’entourent que je me connais moi-même sans avoir songé à le faire : c’est quand je cesse de poursuivre mon propre lien et que je cherche celui d’autrui que je trouve aussi le mien. 3118

Louis LAVELLE chemina, tout au long de ses écrits, de la conscience de soi, nécessaire et pacifiante, mais qui ne se réalise que dans la conscience d’une Présence Autre, et qui s’appelle Dieu et qui est l’aboutissement et la source du pèlerinage.

Le désir meurt à lui-même au moment crucial de la conversion dont il écrit : “Mais dans tous les cas l’essence de la conversion religieuse c’est de transformer l’anthropomorphisme de la conscience en théocentrisme”. 3119

Louis LAVELLE chemine donc entre SOCRATE et son fameux “connais-toi toi même”, et le Christ qui nous révèle que cette connaissance n’est pas suffisante et qu’elle n’est effective qu’à partir de la rencontre de notre impuissance à la réaliser en même temps que la grâce offerte d’une rencontre par une renaissance, co-naissance (naissance à la conscience que Dieu est centre ; naissance avec Christ : co-naissance) d’une conversion : invitation à l’inconcevable et pourtant offerte communion en Dieu.

LAVELLE loue les effets d’une pensée naturelle inclinée vers le bien, et les valeurs de l’esprit telles qu’il les retrouve, par exemple, dans MONTESQUIEU ou PLATON 3120 , même si l’évangile de l’homme croyant en Christ conduit à leurs dépassements.

En effet, les paroles du Christ sont radicales et toutes différentes d’une perpective humaine simplement analytique ou philosophique :

‘Moi, je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron.’ ‘Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruits il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit il l’émonde afin qu’il porte encore plus de fruit.’ ‘Déjà vous êtes émondés à cause de la parole que je vous ai annoncée.’ ‘Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut porter du fruit s’il ne demeure sur le cep, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. 3121

Les images que prend ici le Christ ne sont pas tout à fait des archétypes. Organiques, naturelles, de nature biologique, elles indiquent le sens d’une relation vitale davantage qu’une structure figée.

Le cep est l’évocation d’une personne,le Christ, et non d’une seule et simple structure.

Ces paroles marquent également la limite d’une approche qui serait réduite à la psyché de l’homme pour le rencontrer : le cep est extérieur aux sarments même si, relié à eux, il leur transmet la sève vitale.

Le seul désir livré à lui-même ne se suffit pas non plus pour le connaître et le rencontrer.

Il faut remonter jusqu’au cep, qui est une personne en l’ occurrence, et avant d’en réfuter ou d’en accepter l’ efficience, faut-il, au moins, en poser l’hypothèse.

Or, le cep en tant que Jésus Christ, nous est révélé essentiellement au travers de l’écriture biblique.

En résumé, ce qui empêchera la psychanalyse d’être, un instrument élu de notre approche, c’est la modélisation qu’elle propose que celle-ci soit selon FREUD ou ADLER, jungienne, ou lacanienne, ou encore autre.

Le problème ici, étant moins le type de modélisation que son principe. Principe inhérent à toute démarche ou théorie psychanalytique, par définition.

Cette modélisation interférerait malencontreusement avec la quête d’une justification selon le caractère invariant de la Bible.

Mais une fois encore, comme dans les autres cas, le chemin inverse restera permis, et sans doute utile : confronter à la psychanalyse et à ses modèles, a posteriori, l’invariance décryptée du texte biblique et de sa lecture qui font reconnaître en lui, pour le croyant, la parole de Dieu.

Une approche ouverte du psychisme, à la fois philosophique psychologique et descriptive, de type de celle de LAVELLE, nous permettrait une ouverture plus intéressante parce que sans pénalisation apparente, ni réduction du mystère fondateur, pour notre recherche.

Notes
3084.

LANZA DEL VASTO “Oeuvres complètes tome 2 Commentaires bibliques“ (“Commentaire de l’évangile et La montée des âmes vivantes”) commentaire des trois premiers chapitres de la Genèse. DENOËL Paris 1951 ; 1968 ; (635 pages) ; aux pages 631 et 632

3085.

EVDOKIMOV Paul “Les âges de la vie spirituelle des pères du désert à nos jours “ Desclée De Brouwer Paris 1964 ; (235 pages ). Cité par Jean BRUN

BRUN Jean “ Philosophie et christianisme” Éditions du Beffroi Québec 1988 ; (263 pages) à la page 169

3086.

Maurice BLONDEL “la philosophie et l’esprit chrétien “

PUF Paris 1944 ; ( p. 9).

(tome 1 autonomie essentielle et connexion indéclinable)

3087.

On peut se reporter à ELLUL Jacques “Les idéologies et la parole “.

Édition biblique universitaire Paris 1981 ; (72 pages).

3088.

Nous pouvons nous reporter aux livres dans la bibliographie particulièrement celui de

Gustavo GUITIERREZ “La force historique des pauvres” Cerf Paris 1985 ; (232 pages).

3089.

Citée par BURGOS Élisabeth “Moi, Rigoberta Menchù une vie et une voix, la révolution au Guatemala “ Gallimard Paris 1983 ; (327 pages) ; à la page 318.

3090.

L’opus Dei fut fondée en 1928 en Espagne par Monseigneur Escriva DE BALAGUER, on peut se reporter à la bibliographie. L’Opus Dei prône à la fois un retour à un catholicisme de type authentique voire plus traditionnel et une insertion des membres et de son organisation à la gestion de la cité terrestre. Le communisme fut longtemps son ennemi déclaré.

WALSH Michael “Le monde secret de l’Opus Dei.” Pygmalion Paris 1994 ; (300 page).

3091.

Évangile selon Matthieu chapitre 2

3092.

Évangile selon Matthieu chapitre 4 versets 8 à 1 1.

3093.

Évangile selon Matthieu chapitre 27

3094.

Le sanhédrin était, lors de la vie de Jésus, une autorité concentrant pour le peuple l’autorité religieuse et politique interne à Israël occupé cependant par les Romains, il était la haute cour des Juifs à laquelle le pouvoir romain laissait une latitude de jugement pour les affaires concernant le peuple. On distingue parfois un sanhédrin politique qui cessa d’exister lors de la chute du Temple en 70 après Jésus Christ, d’un sanhédrin religieux (ou conseil) qui fut transféré à Yamna après 70. La Judée fut divisée par le gouverneur syrien GOBINIUS proconsul de Syrie entre 57 et 55 avant Jésus Christ en cinq districts, à la tête de chaque district se trouvait un sanhédrin (sunédrion ou snédos). Le sanhédrin de Jérusalem auquel César en 47 avant Jésus Christ avait à nouveau étendu le pouvoir à la Judée entière, selon les évangiles, initia le complot contre le Christ et Jésus comparut devant lui.

Évangile selon Luc chapitre 22 verset 66, selon Marc chapitre 14 verset 55 à 65.

Évangile selon Matthieu chapitre 26 verset 57 à 75

3095.

Évangile selon Matthieu chapitre 22 verset 21. Phrase de Jésus en réponse à une question des pharisiens sur la nécessité de payer l’impôt à César.

3096.

Évangile selon Matthieu chapitre 5.

3097.

Épître de Paul aux Galates chapitre 3 verset 28.

3098.

Épître aux Colossiens chapitre 3 verset 11.

3099.

CLAVEL Maurice “Deux siècles chez Lucifer “Seuil 1978 Paris ; (371 pages).

3100.

FREUD Sigmund “Totem et Tabou “(1912) Quelques concordances entre la vie psychique des sauvages et celle des névrosés. Traduction de l’allemand par Marilène WEBER Gallimard Paris 1993 ; (336 pages).

FREUD Sigmund “Moïse et le monothéisme” (1939 ) édition française Gallimard Paris 1948 ; (186 pages).

3101.

FREUD Sigmund “Moïse et le monothéisme” (1939 ) édition française Gallimard Paris 1948 ; (186 pages); à la page 7

3102.

FREUD Sigmund “Moïse et le monothéisme” (1939 ) édition française Gallimard Paris 1948 ; (186 pages); à la page 183

3103.

ADLER Alfred “Les névroses” Aubier Montaigne Paris 1969 ; (240 pages) présentation et commentaires Paul SIVADON traduction Odette CHABAS.

3104.

JUNG Carl Gustav “Psychologie et religion” Buchet Chastel Paris 1958 ; ( 220 pages) (1° édition chez Rascher à Zurich), traduction de Marthe BERNSON et Gilbert CAHEN); à la page 81

3105.

JUNG Carl Gustav “Psychologie et religion” Buchet Chastel Paris 1958 ; ( 220 pages) (1° édition chez Rascher à Zurich), traduction de Marthe BERNSON et Gilbert CAHEN); à la page 198

3106.

HEBDING Rémy “DREWERMANN le romantique “ in Réforme numéro 2 549 (19 Février 1994). page 9 référence à la critique de Bernhardt Lange citée “Ce qui nous paraît encore une fois problématique, c’est le relatif désintérêt de DREWERMANN pour le niveau historique.”

3107.

JUNG Carl Gustav “Psychologie et religion” Buchet Chastel Paris 1958 ; ( 220 pages) (1° édition chez Rascher à Zurich), traduction de Marthe BERNSON et Gilbert CAHEN); à la page 201

3108.

BALMARY Marie “La divine origine” Grasset Paris 1993 ;( 300 pages).

3109.

DREWERMANN Eugen “De la naissance des dieux à la naissance du Christ.” Seuil Paris 1992 (1986 1° édition allemande ) ; (302 pages).

DREWERMANN Eugen “Petit frère, petite soeur ” Cerf Paris 1994 (1990 1° édition allemande ) ; (200 pages).

3110.

DOLTO Françoise “L’évangile au risque de la psychanalyse” tome 1 Éditions Universitaires SA Paris 1977 ; (174 pages).

DOLTO Françoise “L’évangile au risque de la psychanalyse” tome 2 Éditions Universitaires SA Paris 1977 ; (180 pages).

3111.

GIRARD René “Des choses cachées depuis la fondation du monde” Paris 1978 Ed. Grasset et Fasquelle ; (485 pages).

GIRARD René “La violence et le sacré” livre de poche pluriel Ed. Grasset Paris 1980 ; (534 pages).

GIRARD René “Le bouc émissaire” livre de poche Ed Grasset .et Fasquelle Paris 1982 ; (313 pages).

3112.

MARCEL Gabriel “Le journal métaphysique” N R F 1927 , Gallimard Paris 1928; (386 p).

MARCEL Gabriel Ê tre et avoir” “éditions Universitaires Paris 1991 réédition (192 pages). (1° édition Aubier 1935)(357 pages).

3113.

BERGSON Henri “L'énergie spirituelle “ PUF Paris 1946 ; 42 °° édition (1° édition en 1919 ) ; (214 pages).

3114.

Évangile de Jean chapitre 10 verset 1 à 9.

3115.

Gabriel MARCEL “Positions et approches concrètes du problème ontologique” Nauwelaerts- et Vrin Paris 1949 ; à la page 37 .

Cité par Jeanne PARAIN VIAL Jeanne “G. MARCEL” Seghers Paris 1966 ; (179 pages) à la page 31.

3116.

Ibidem page 57 cité par ibidem; à la page 32

3117.

MARCEL Gabriel “ Les hommes contre l’humain” éd. La Colombe Paris 1951 à la page 69.Cité par ibidem à la page 31.

3118.

LAVELLE Louis “L’erreur de Narcisse “ Grasset Paris 1939 ; (246 pages).

3119.

LAVELLE Louis “Psychologie et spiritualité” Albin Michel Paris 1967 ; (262 pages) ; (réédition d’une sélection d’articles parus dans le Temps entre 1930 et 1942).L’article est “la psychologie de la conversion” page 57 du 4 Avril 1937.

3120.

Louis LAVELLE ibidem

Pour PLATON des pages 20 à 30. Article paru le 20 avril 1940 ; l’actualité de PLATON

Pour MONTESQUIEU des pages 235 à 244. Article paru le 30 mai 1941. ; la sagesse de MONTESQUIEU

3121.

Évangile de Jean chapitre 15 versets 1à 4