Note connexe numéro quinze. Introduction à une entrée selon l’histoire Extraits de : Antoine CABALLÉ 1994 ; op. cit. ; 1994 Des pages 90 à 95

Introduction à une entrée selon l’histoire

Il existerait deux manières de questionner le thème de l’éducation à partir de la Bible. La première serait de traiter de l’éducation dans la Bible selon ce que le texte en dit, la seconde de traiter de l’éducation à partir de la Bible comme texte référentiel. Nous pourrions synthétiser ces deux approches sous le terme global d’éducation biblique.

Telles n’étaient pas directement les directions spécifiques de notre approche.

L’évidence, en effet, ici s’impose : on ne peut traiter globalement de toute l’éducation biblique, sans risques d’omissions majeures. Il existe des centaines d’ouvrages pour cela et une part de cette éducation y échappe sans doute encore. L’histoire du christianisme et de la société chrétienne, et plus largement du monde contemporain participent d’ailleurs de cette éducation biblique au sens large en attestant l’actualité.

Il s’agira donc d’entrer dans cette perspective éducative par l’étroit paradigme de notre questionnement initial tel que nous venons de le dégager (...) celui de la raison de la foi, ou bien la foi de la raison en quête d’une justification biblique à l’éducation.

La Bible raconte une histoire ; une alliance est faite entre Dieu et les hommes. Cette histoire appelle une pédagogie (au sens étymologique ), un cheminement, un accompagnement.

En analysant et comparant les textes fondateurs de l’alliance faite à Noé, renouvelée à Abraham, Isaac, Jacob, confirmée à Moïse, renouvelée et incarnée en Christ, selon les prophéties, nous essaierons d’analyser tenants et aboutissants d’une telle pédagogie.

Cette étude ou cette herméneutique de l’intérieur du texte lui-même n’est rendue possible, dès le judaïsme, sous une telle forme à la fois incise dans le texte et exposée à toute critique, que parce que Dieu se révèle dans la Bible, dès le commencement, comme le Tout Autre, n’ayant rien de commun avec les représentations que l’homme naturel peut en avoir, ni avec ses sentiments. Dès lors, l’homme ne convoque plus la divinité, comme dans les religions environnant Israël, mais il s’emploie à en comprendre la volonté.

Le sens des rituels et des dogmes en est inversé. Le rite devient, en effet, dès le judaïsme l’expression d’une réponse à une interpellation extérieure, non pas la quête d’un pouvoir de l’homme sur la divinité 3160 . Songeons pour illustrer ce propos dans le livre de la Genèse au sacrifice stoppé d’Abraham qui obéissant jusqu’au bout n’est arrêté qu’au moment même d’exécuter le sacrifice. 3161

Paul RICOEUR, philosophe protestant contemporain (...) explique qu’il existe une herméneutique en chrétienté, c’est à dire un travail d’interprétation du texte biblique 3162 depuis l’origine du christianisme même. RICOEUR distingue trois moments qui ont, dit-il “été élucidés successivement même s’ils sont implicitement contemporains”. 3163

Ces trois formes d’herméneutique qui sont cependant à la fois successives et contemporaines sont les suivantes.

Le problème herméneutique est né d’abord d’une question qui a occupé les premières générations chrétiennes et qui a tenu l’avant scène jusqu'à la Réforme comprise ; cette question est celle du rapport des deux Testaments, ou des deux Alliances. Là s’est constitué le problème propre de l’allégorie, au sens chrétien du mot. En effet, l’événement christique est dans un rapport herméneutique avec tout l’ensemble de l’écriture judaïque, en ce sens qu’il les interprète. Ainsi, avant d’être lui-même à interpréter- et c’est là notre problème herméneutique-, il est interprétant pour l’écriture antérieure. 3164

RICOEUR réduit encore en ces quelques mots la première des trois racines de l’ herméneutique chrétienne :

(..)Mais il y a un problème herméneutique parce que cette nouveauté n’est pas purement et simplement substituée à la lettre ancienne, (...) ; elle l’accomplit elle change sa lettre en esprit comme l’eau en vin. 3165

RICOEUR dit de cette première herméneutique qu’elle s’étonne de cette nouvelle alliance qui se veut reliée à l’ancienne alliance tout en étant totalement nouvelle.

La deuxième racine de l‘herméneutique chrétienne est, selon RICOEUR, celle qui relie le texte à l’interprétation de l’existence personnelle. Il s’agit là d’intérioriser le sens de l’écriture et de l’actualiser dans son existence. Comme la première, elle naît avec l’église.

La troisième racine de l’herméneutique chrétienne est toujours d’après RICOEUR celle qui nous vient (ou qui prend un essor nouveau en elle) de l’évolution des sciences sociales modernes. Il s’agit, au bénéfice de ces sciences, d’exposer le texte à son origine culturelle, historique ; elle s’intéresse à la constitution primitive du kérygme chrétien. Son élucidation, d’après RICOEUR, est donc le fait davantage de notre modernité.

Nous retrouvons, en partie du moins, dits sous une autre forme les trois points de la raison que nous avons retenue.

RICOEUR signale et repère également surtout à la fois l’ordre de l’invariance et l’ordre du cheminement historique chronologique qui ne s’arrête donc pas à la fin de l’écriture du texte mais se poursuit à l’ouverture des cheminements d’interprétation selon l’histoire de l’église.

RICOEUR évoque alors ce qu’il appelle le cercle herméneutique “croire pour comprendre, comprendre pour croire”, que nous pouvons audacieusement relier au triangle éthique qu’il définit par ailleurs suivant les trois pôles “Je” “Tu” “Il”. 3166

Le troisième pôle ” Il “ est celui qui rejoint la médiation dans le triangle de RICOEUR ; ce pôle tel qu’il est révélé par l’écriture sainte se présente comme le Tout Autre qui passe alliance dans l’ancienne alliance manifestée par la loi et les prophètes, devient le Tout Proche en Jésus incarnation du Verbe dans le Nouveau Testament ou l’alliance nouvelle.

Le“Il” ne reste donc pas objet extérieur, telle une pensée objective, il n’est pas non plus seulement le lieu du consensus d’une relation intersubjective duelle, il est à la fois Tout Autre et Tout Proche.

“Il “ n’est pas simplement tout autre, comme le suppose une certaine vision éthique qui supprimerait la possibilité de l’Incarnation du Verbe, et de la grâce manifestée par le chemin accompli de Dieu vers l’homme par le Christ. Il n’est pas simplement tout proche, au sens du petit dieu de SOCRATE, séparé du dieu mais présence d’une conscience dans la conscience de l’homme. Il est, nous ne trouvons pas d’autre mot, l’irruption du Tout Proche dans le Tout Autre, et du Tout Autre dans le Tout Proche.

“Il” se révèle encore selon le cheminement d’une histoire accomplie mais qui reste encore à accomplir, c’est dans ce cheminement et par lui que nous tenterons d’entrer dans le texte biblique pour en dégager la justification éducative.

“Il” se révèle dans la figure de l’époux qu’évoque Jésus et le “Je” n’est plus tout à fait le même, et “Tu” n’est plus tout à fait le même, non plus, l’un et l’autre sont invités à participer au règne de “ Il “ en communion avec lui, en communion d’amour de peines et de joies l’un avec l’autre également.

Cette révélation, en rapport à une histoire et à une mémoire, fait que, comme le souligne Étienne CHARPENTIER dans son livre pédagogique, “Pour lire l’Ancien Testament” , “c’est après coup que l’on comprend” 3167 .

“Il y a ainsi des événements qui n’ont pas de sens en eux-mêmes : c‘est en entrant dans notre histoire que ces événements prennent un sens. “

Sans doute, est-ce là, la fonction première de la Bible déjà pour le peuple Hébreu : retrouver le fondement le sens de son histoire, en comprendre après coup la signification. Les chrétiens, par le Nouveau Testament, sont reliés tout aussi à cette histoire, ils découvrent dans le Nouveau Testament l’accomplissement effectif de celle-ci et un envoi vers un accomplissement futur.

( ...)

Notes
3160.

Nous tirons cette synthèse saisissante de “P our lire l’Ancien Testament” . CHARPENTIER Étienne Cerf Paris 1980 ; (123 pages) à la page 20

3161.

Livre de la Genèse chapitre 22 versets 1 à 14

3162.

Paul RICOEUR dans la préface de “Jésus mythologie et démythologisation” de Rudolf BULTMANN 1968 Seuil; Paris aux pages 9 à 27.

3163.

Expression de RICOEUR Paul Ibidem à la page 10

3164.

Ibidem à la page 10

3165.

Ibidem page 10

3166.

Paul RICOEUR in revue ” Autres temps “ Les cahiers du christianisme social n ° 3 Automne 84 .”Fondements de l’éthique” Exposé de Paul RICOEUR au centre protestant de l’ouest lors d’une session sur “Ethique et politique en Juillet 83 p 61 à 71 cf Cahiers du CPO n° 49 50 Décembre 1983 79370.Celles sur Belle.

3167.

“Pour lire l’Ancien Testament” . CHARPENTIER Étienne Cerf Paris 1980 ; (123 pages).