Notes connexes à : De la pédagogie de Dieu aux pédagogies humaines : Du retournement au renversement pédagogique Quatrième chapitre de la thèse En rapport à de précédents écrits.

Notes connexe numéro vingt. Une autre grammaire ?... Extraits de : Antoine CABALLÉ op. cit. ; 1994 Des pages 204 à 210.

“ Choix des apories et de leurs traitements”.

Choix des apories étude de leur traitement :

Comme le souligne Thierry MAGNIN 3181 la recherche de “l’unité des contradictoires “ est une quête commune aux théologiens et aux scientifiques.

L’unité des contraires fait également se rejoindre la quête du savoir et de la connaissance et celle de la foi.

Mais si le doute méthodologique du scientifique veut faire réunir les contraires dans le système d’explication qu’il construit, la foi inviterait en amont à signaler la question aporétique, afin de provoquer le déséquilibre qui indique l’invariance de l’ incomplétude de tout système construit.

Le texte biblique semble en effet prendre plaisir à révéler sous les contradictions, un enseignement, sans doute un peu comme le savant voit dans la contradiction interne à un système, l’occasion du dépassement d’une théorie, mais le cheminement en est comme inversé.

La foi cherche à comprendre une révélation à partir d’une explication reçue, l’expression d’une contradiction apparente est source d’un enrichissement de la réalité révélée.

Prenons l’exemple d’une photographie qui se révélerait à partir du travail du photographe ayant trempé le film dans le révélateur.

La foi est confiance et voyant apparaître le développement en cours, essaie d’en discerner la suite sans en perturber le déroulement, les apories dans ce sens trouveront leur explication une fois le développement terminé. Chacune d’entre elles, entre temps, n’est perçue que comme source d’enrichissement, puisqu’elle indique que le développement n’étant pas terminé, la promesse n’est encore que partiellement accomplie. Ce qui importe ce qui est moteur c’est la promesse que cette photo cache encore une part d’une révélation à venir.

Le doute méthodologique scientifique, au contraire, dès l’apparition d’une contradiction cherche à comprendre le système qui en donnerait l’explication : ce qui importe pour lui, c’est la cohérence du système évolutif d’explication, peu importe finalement dans un premier temps quelle est l’image développée et son contenu. Il pourra même arrêter donc le développement à un moment donné pour en comprendre le déroulement, jusqu’à chercher à en prévoir l’évolution et l’origine.

Avant, à la suite de Ferdinand DE SAUSSURE (1857/ 1913) fondateur de la discipline linguistique moderne, mais surtout de Louis HJELMSLEV 3182 (1899/1965), de jeter les bases de l’approche structuraliste de la linguistique (école structuraliste), recherchant les lois universelles de signification sous-jacentes au code, Roland BARTHÈS (1915/1980), sous l’influence avouée du marxisme et de la pensée de SARTRE (1905/1980), écrivait ceci dans son ouvrage mythologies”, en 1957 :

“ Il semble que ce soit là une difficulté d’époque : aujourd’hui, pour le moment encore, il n’y a qu’un choix possible, et ce choix ne peut porter que sur deux méthodes également excessives : ou bien poser un réel entièrement perméable à l’histoire, et idéologiser ; ou bien, à l’inverse, poser un réel finalement impénétrable, irréductible et dans ce cas poétiser.

En un mot je ne vois pas encore de synthèse entre l’idéologie et la poésie ( j’entends par poésie, d’une façon très générale, la recherche du sens inaliénable des choses ).

C’est sans doute la mesure même de notre aliénation présente que nous n’arrivons pas à dépasser une saisie instable du réel : nous voguons sans cesse entre l’objet et sa démystification, impuissants à rendre sa totalité : car si nous pénétrons l’objet, nous le libérons mais nous le détruisons ; et si nous lui laissons son poids, nous le respectons, mais nous le restituons encore mystifié. Il semblerait que nous soyons condamnés pour un certain temps à parler toujours excessivement du réel. C’est que sans doute l’idéologisme et son contraire sont des conduites encore magiques, terrorisées, aveuglées et fascinées par la déchirure du monde social. Et pourtant c’est cela que nous devons chercher : une réconciliation du réel et des hommes, de la description et de l’explication, de l’objet et du savoir.” 3183

L’analyse linguistique, selon une approche structurale, distingue communément deux axes sur lesquels se développe le langage. Le premier, le syntagme est celui de la cohésion des éléments d’une phrase ou d’un discours entre eux, le second, le paradigme, est celui des permutations ou substitutions jouables sur un mode purement grammatical, à partir d’une structure de base donnée, qui ne modifient que le sens mais pas la structure générative ou structure fondamentale.

Cette figure de la linguistique peut nous inviter à dégager deux types aporétiques possibles, le premier type concerne une rupture dans la structure fondamentale, modification du syntagme, l’autre type signifie une modification du paradigme ou du sens à l’intérieur d’une structure donnée.

Si nous transposons ces deux axes du langage à la pensée, l’axe syntagmatique constituerait le fondement idéologique et celui des combinaisons et de l’ordre logique, en tant que système reliant les idées, ou structurel, les invariants du discours, et, les permutations paradigmatiques constitueraient la dimension que chacun peut librement donner à partir d’un cadre donné. Ces deux dimensions transposées dans le domaine de l’action Blondèlienne deviendraient, celle de l’invariance liée au sens, invariance cohésive et intrinsèque et noétique, et celle de l’histoire liée au temps, incisive et pour reprendre un terme de BLONDEL, extrinsèque et pneumatique. Cette contradiction entre ce qui est permanent et ce qui change dans la condition même de notre existence n’ont cessé de questionner les hommes de science, cette contradiction dans une approche structuraliste, scientifique ou même idéologique est par définition irrésolue.

L’originalité de l’entrée selon le paradigme de l’accomplissement qui est celui la lecture chrétienne de l’ancienne alliance, davantage même que l’entrée selon le paradigme de l’actualisation de la loi qui est celui du Talmud, est dès lors évidente. Elle apparaît dès une première approche, comme une modification du syntagme structurel de l’invariance, provoquée par une simple modification de par le paradigme de la substitution. Toute la démarche structuraliste ou scientifique vise à pénétrer le mystère de cette contradiction en dégageant les structures génératives qui supporteraient à la fois l’invariance et l’histoire, or la Bible est justement le livre unique en son genre où une invariance se déploie selon une histoire, résolvant ainsi ou déplaçant du moins, la contradiction constatée.

Dès lors, nous comprenons davantage l’originalité de la culture juive qui nourrit le christianisme et dont le Talmud se fait l’écho aujourd’hui.

Résumons notre propos par un exemple synthétique :

Prenons une phrase :

L’homme cherche Dieu.

Opérons la double substitution suivante suivant l’axe paradigmatique : Dieu remplace l’homme, l’homme remplace Dieu. Nous obtenons la phrase suivante :

Dieu cherche l’homme.

Cette substitution, suivant l’axe paradigmatique, a abouti à une modification sur l’axe syntagmatique. D’objet, Dieu devient sujet, et le sujet lui-même, l’homme, devient “l’objet”, mais nous voyons vite que ce mot est impropre partant d’un Dieu qui cherche l’homme. L’homme qui est sujet d’une telle réflexion ne peut-être réduit à l’état ou notion d’objet, tel qu’on l’entend communément.

La nouveauté, en effet, introduite est celle-ci : si Dieu cherche l’homme, l’homme n’est plus objet ordinaire, Dieu est le Tout Autre, celui qui fait naître le sujet.

Dieu sujet est une sorte de “sur Sujet”, l’objet est devenu sujet, le verbe est habillé d’une transitivité réciproque et réciprocité sémantique, Dieu cherche l’homme qui lui-même désormais ne peut faire autrement, pour donner sens à sa vie que de chercher Dieu en Dieu et en l’homme que Dieu cherche.

Nous avons là sans doute par une corrélation, l’occasion de mieux comprendre la spécificité de la langue hébraïque, et de la culture juive liés à la spécificité de la révélation biblique.

Avec le christianisme, où Dieu épouse l’homme, pour le conduire à lui, dans la personne du Christ, dans un acte d’amour total et gratuit, le retournement culturel est encore plus profond, et spectaculaire, il s’accomplit ici une nouvelle création de l’homme dont Jésus est le premier né.

Le mystère de la mort et de la résurrection mystère central introduit à cette nouvelle compréhension des choses.

Ainsi, cheminons-nous lentement vers l’acte d’éducation biblique qui germe et se renouvelle sur d’apparentes apories comme transfigurées plus que résolues logiquement par une sorte de modification simultanée du paradigme et du syntagme de la double structure logique et linguistique de base, alors l’une et l’autre radicalement renouvelées.

Soulignons simplement quelques unes des apparentes apories et un aspect de leur dépassement par l’accomplissement en Christ et le retournement du regard qu’il propose.

-La mémoire, le pardon et l’existence sont transfigurés par l’amour gratuit vécu aujourd’hui dans l’accueil et le don.

-La mémoire l’oubli et le pardon sont également transfigurés dans le don d’amour de Christ toujours à reconquérir, à accueillir, ils ne se repoussent mais se consolent mutuellement dans une même quête de miséricorde envers tous et soi-même.

-La loi et la foi ne s’opposent plus si la loi est un pédagogue qui conduit à la foi qui à son tour rend libre par rapport à la lettre de la loi dont elle donne donne l’intelligence profonde et première.

-La grâce et les oeuvres ne s’opposent pas davantage lorsque les oeuvres deviennent manifestation de la grâce de Dieu. Grâce et oeuvres sont toujours l’oeuvre de Dieu à laquelle l’homme prend sa part.

-L’élection et le messianisme ne s’opposent pas davantage si l’un conduit à l’autre par le passage de la mort à la vie, par la résurrection dont le Christ ouvre le chemin.

-La finalité et le fondement sont reliés par la vision organique de la germination du sarment relié au cep.

-Le geste et la pensée en dialogue ouvrent la dimension essentielle d’une conscience entièrement autre révélée par l’expérience de la vie au regard de la foi.

-Le maître et le disciple, le serviteur et le maître et l’enfant sont tous enseignés par le même maître dont l’amour les dépasse. Alors l’acte d’apprendre et celui d’enseigner, de servir et de commander, finissent par s’épouser dans une communion d’une autre dimension.

-Intelligence et raisonnement ne sont effectifs que s’ils sont éclairés par une foi existentielle, déjà Karl JASPERS le soulignait, nous l’avons relevé. La foi en Christ commence là où meurt le raisonnement pour venir renouveler l’intelligence ou, en tout cas, chacun doit en convenir, une intelligence autre.

-Temps présent, chronologie, éternité ne s’opposent plus lorsque l’éternité fait son entrée dans le présent des histoires personnelles ou collectives pour y ouvrir la brèche d’une espérance nouvelle se révélant pédagogiquement suivant un ordre dans la chronologie d’une autre histoire qui nous est révélée par la Bible.

-Intelligence de la foi, foi de l’intelligence se résolvent dans l’abandon à l’oeuvre de Dieu manifestée par le don de Jésus entièrement homme entièrement Dieu.

-Institution, valeur et personne se conjuguent lorsque l’institution est le fait de la personne elle-même que l’amour de Dieu vient édifier et relier aux autres dans l’église corps vivant.

-Pouvoir, service et ministère se résolvent lorsque le seul pouvoir est celui de servir et le seul ministère celui de l’amour comme Dieu aime, ministère de réconciliation entre les hommes.

-Fondement et intégrisme se repoussent dans l’évangile. Le fondamentalisme finalement tout aussi radical qu’original du christianisme devient l’antidote de tous les intégrismes puisqu’il s’appuie sur l’expérience personnelle de la foi qu’il revendique comme étant seule essentielle. Nul ne peut contraindre cette expérience intime et intégrer de force l’autre dans un système, tout juste peut-il avec joie l’accueillir.

-Prophétie et réalité se réunissent dans l’action concrète de la parole dans l’aujourd’hui, et l’histoire et d’une certaine manière l’intemporalité de la vérité s’écrit dans l’histoire que cette même vérité prophétise.

-Prière et action se conjuguent lorsque dans le dialogue des gestes et des pensées Dieu s’interpose dans l’action et la prière de l’homme. La prière devient action et l’action se fait prière, la frontière de l’une à l’autre se dilue, il reste le seul désir d’entrer dans le désir du désir de Dieu, don gratuit d’amour pour les hommes en communion avec le Christ.

-La paix est comme l’épée tranchante, elle nous retranche de l’équilibre du monde, pour nous envoyer dans le monde comme ses ambassadeurs. Elle n’est donc pas tranquillité, et conformisme mais prémisses du royaume lorsqu’elle témoigne dans l’aujourd’hui, de l’espérance autre du Royaume tout autre.

Notes
3181.

MAGNIN Thierry “ Quel Dieu pour un monde scientifique ? ”Nouvelle cité Paris 1993 ; (121 pages) ; des pages 79 à 99.

3182.

Linguiste danois (1899 - 1965) fondateur avec Viggo BRONDAL du cercle linguistique de Copenhague en 1931, créateur, dans ce cadre, avec H. ULDALL, de la glossématique : véritable initiation à une théorie structurale du langage.

3183.

BARTHÈS Roland “Mythologies “ Éditions du Seuil Paris 1957 ; 247 pages. A la page 246.