Sortir de la double dialectique, geste pensée, théorie pratique, et la dépasser.
Le geste, la pensée, la théorie, la pratique que nous avions définis comme les variables dépendantes et indépendantes, propres à justifier les sciences humaines, à décomposer la compréhension de l’acte éducatif, sont-ils le tout ? Nous allons être conduits par Maurice BLONDEL à concevoir leur dépassement. “L’action volontaire” dont parle Maurice BLONDEL est encore tout autre chose que la double dialectique théorie pratique, geste pensée. Elle nous permet de comprendre que cette double dialectique est elle-même insuffisante, malgré, nous l’avons vu, la multiplicité des regards qu’elle permet de porter. “L’action volontaire” est, en effet, déjà, au delà ou en deçà de la pensée, et du geste,(apparence perceptible de l’acte); au delà de la théorie et de la pratique, dont nous avons vu qu’elles ne pouvaient être elles-mêmes qu’ultérieures au geste et à la pensée et s’inclure dans leur enceinte. L’action volontaire naît, dit BLONDEL, d’un besoin de solidarité universelle convergeant en deux tendances d’apparence divergentes, l’intérêt général; et l’intérêt particulier.
L’action volontaire intéresse en effet le système total (...). Aussi n’est-il pas surprenant de voir, en ce besoin de solidarité universelle, converger deux tendances en apparence divergentes, d’une part le dessein égoïste de la volonté individuelle qui cherche toujours à s’emplir et à se contenter, d’autre part le mouvement infiniment complexe de la vie générale dont l’immense engrenage semble broyer toutes les fins partielles et les prétentions de l’individu. Mais ce n’est qu’un seul et même mouvement. 3188
De cette approche première de l’acte lié à l’unique nécessaire, aucun homme n’est dispensé, aucun ne peut s’y soustraire, elle est le propre le plus objectif de sa condition même. Sans doute est-ce pourquoi nous avons trouvé facilement, au cours des entretiens, les références à une transcendance, toujours présente à la moindre initiative autodidactique. Maurice BLONDEL, encore vient à notre secours :
(...); car sous les ignorances, sous les négations, subsiste toujours la secrète affirmation d’autre chose que tout l’ordre visible, que toute notre réalité humaine : certitude inexpugnable que n’abolissent pas entièrement les refus les plus explicites et les arguments de la pensée discursive. L’homme, a-t-on dit, est un être religieux autant qu’il est un animal politique. 3189
Et c’est bien ce questionnement fondamental, que nous avons retrouvé, autant dans les rencontres transcrites que celles non transcrites (un luthier, le marionnettiste et d’autres encore).
C’est ce que G. H. KAPPERS a appelé the fondemental human thinking 3190 sinon la conscience, une question à la conscience, dont toujours selon lui la recherche de “l’intérêt bien compris de l’autre et de soi-même” est la réponse. On rejoint l’intuition personnaliste dont BLONDEL se détache cependant tant il s’appuie sur la radicalité qu’il accorde aux conséquences de la rencontre avec Christ et du mystère de la foi. En effet, dès lors, le singulier personnel épousé ne devient plus le lieu exclusif de l’égoïsme mais il éprouvera les sentiments de Dieu lui-même, l’accès à l’universel s’opère dans la communion des sentiments qui ne suppose plus un rapport d’opposition dialectique entre le général et le particulier qui étaient les propres du “vieil homme”. Maurice BLONDEL montre que deux tentations idolâtres spirituelles subsistent, “le sens propre qui, sous le nom d’élan vital présumerait de réaliser l’union mystique et réaliser Dieu en nous, (critique du personnalisme et du spiritualisme mystique de BERGSON),mais aussi l’idolâtrie de l’absorption dans ce tout où l’être et le néant se confondent absolument. 3191 ( critique de la spiritualité orientale, et de l’idéalisme ...). Ici, la personne singulière est épousée,” surnaturalisée”. Nous reviendrons, tout au long de ce chapitre, sur ce passage du naturel au surnaturel, qui donne à l’action même une toute autre dimension par la mort à elle-même et sa résurrection dans une vie toute confiée désormais, dans la quête de la communion au Père par le don du Fils et de l’Esprit Saint; nous y reviendrons.
L’approche par l’action de BLONDEL permet de trouver sur le terrain étranger de la philosophie grecque, des mots enfin qui expliquent le prophétisme, l’ intemporalité d’une parole qui germent dans le judéo-christianisme. L’action confiée est fécondée transfigurée ; elle inscrit déjà l’éternité dans les sillons du hic et nunc ; si elle échappe à l ‘expression conceptuelle formelle, elle ouvre le discernement dont elle semble provenir. Ainsi, un conte d’ANDERSEN pourra être analysé mille fois avec, à chaque fois, de nouvelle découvertes ; ainsi encore, le moindre objet artisanal est-il porteur d’une âme, et telle musique inspirée appelle chaque fois à un recueillement nouveau. Ainsi la collection “arc-en-ciel” fut un acte posé dont je ne cesse d’expliciter a posteriori le contenu. L’arc-en-ciel et sa référence à Noé et à l’universel accueilli de la première alliance, ne sont pas les moindres, même s’ils sont les derniers que j’explicitais dans le cadre laïque. L’intelligence de l’action n’est pas sujet d’orgueil, puisque la pensée ne parviendra qu’en dire des choses jamais à l’appréhender toute. Fruit d’une grâce, elle appelle discernement et reconnaissance. Elle peut dès lors, se répercuter au travers du temps et de l’espace : action de grâce.
La question de la médiation ... médiation ou accompagnement ?
Il faut, à présent, après avoir montré la limite des variables classiques, geste pensée théorie pratique, se pencher sur la question de la médiation. Comment le triangle pédagogique qui conçoit la médiation du maître entre l’élève et le savoir peut-il être ici dépassé ? Nous avons déjà dit qu’il ne pouvait répondre aux questions que l’éducation pose. Il suppose a priori un cadre scolaire ou parascolaire.
Une chose demeure : comme Pierre GANNE le dit : l’éducation à l’Amour (agapè) ne peut se faire sans amour. C’est l’amour des parents pour l’enfant qui permet son éclosion et sa croissance en confiance. Cet amour premier rejoint l’alliance première et éternelle : L’Amour premier de Dieu pour l’homme qui fit la promesse à Noé de sa fidélité quoiqu’il arrive. Qui serions nous, si chaque soir en nous couchant, nous n’étions plus sûrs que le jour suivant se lève, que Dieu tiendra parole ? C’est dans cette promesse tenue et renouvelée sans condition, ( je suis là, pour toi, tu existes pour moi, je t’aimerai quoiqu’il arrive), que Pierre GANNE trouve la transposition de l’Amour de Dieu pour l’homme dans l’amour de parents ou d’éducateurs, pour les enfants, dans ce qu’il appelle “un milieu amorisé” qui permet à l’enfant de comprendre, dans la paix, qu’il doit dépasser sa prime spontanéité instinctuelle et aussi pourquoi il doit le faire.
Si l’enfant vit dans un milieu d’éducateurs “amorisés” s’il a la certitude vitale d’être aimé, c’est l’amour qui va lui permettre d’affronter l’interdit positivement. L’enfant non aimé sera déséquilibré pour la vie. Si l’enfant a de vrais éducateurs, il pourra découvrir que la liberté est une transformation de sa spontanéité et non une destruction ; c’est l’aboutissement qu’il ne pouvait pas prévoir car il n’est pas de lui-même libre. Il ne peut le faire par lui seul, mais il faudra bien pourtant qu’il le fasse par lui-même, et il ne pourra le faire par lui-même que par la force de l’amour dont il est enveloppé. 3192
Pierre GANNE parle du passage de éros (le désir) à agapè (le don de soi ou amour gratuit) et rejoint les deux natures de l’action que voyait déjà Maurice BLONDEL : l’action naturelle qui oppose le général au particulier et l’action surnaturelle où singularité et universalité se rejoignent s’épousent et se fécondent, dans le don de l’Esprit. Ce passage, cette rencontre ne se programment cependant pas, et le milieu amorisé ne peut-y suffire, ils supposent la prise de conscience d’un naufrage, en toute liberté le constat d’échec de sa propre liberté naturelle, à vouloir rejoindre seul Dieu et les autres, par soi-même l’homme se perd, avant d’ entrer dans une autre liberté nouvelle à partir de la rencontre et de l’abandon de soi-même par le chemin de la confiance absolue, la foi accueillie Cette rencontre fera s’écrier à saint AUGUSTIN (354-430) :
Tu porteras Toi oui, Tu porteras, toi les tout petits et les vieillards chenus, c’est toi qui les porteras ! C’est que la force en nous, quand elle ne fait qu’un avec toi alors, oui, elle est la force; quand au contraire elle est de par nous, elle est faiblesse. En toi subsiste vivant notre bien. 3193
La médiation, l’accompagnement que nous cherchions n’est-elle dès lors pas, dans l’Esprit témoignage du Fils en nous ?
Ecrire
Nous avons évoqué les journaux ou carnets intimes de frère ROGER, de Maurice BLONDEL ou Hans C. ANDERSEN, mon propre cahier de classe. Maurice BLONDEL concevait ses écrits intimes comme une action, un engagement, ils ouvraient l’espace d’un dialogue. Et, de fait, ils nous aident à comprendre les véritables enjeux de sa philosophie, retentissant ou se répercutant au coeur de la personne.
Par l’effort de volonté que cette habitude matérielle réclame, par l’intention que j’y attache et l’offrande que j’en fais, par le caractère de ce que je veux y écrire et la méthode que je m’y propose, mon cahier n’est pas une théorie, c’est une action. 3194
Cette démarche est radicalement différente, bien qu’apparemment très proche, de celle que définissait Maurice BLANCHOT dans son espace littéraire 3195 ; en effet si BLANCHOT parlait bien de la solitude essentielle, ce lieu de retrouvailles que constitue l’espace littéraire ; ce lieu où “ la dissimulation apparaît” , il s’est avant tout attaché à considérer l’oeuvre de l’écrivain dramaturge ou du poète dans la réalisation de l’oeuvre artistique au sens contemporain du terme. Pour BLANCHOT l’oeuvre contemporaine suppose un double arrachement et un double renoncement, arrachement à la terre et aux regards et jugements de l’homme, et aux dissimulations de quotidien, arrachement au ciel à la rencontre de Dieu et à l’apaisement : l’oeuvre est ainsi selon BLANCHOT le lieu sacré où s’exprime “la vie pure de la séparation même”. Double renoncement et sacrifice de soi : à la reconnaissance humaine, à la reconnaissance divine. Le poète doit, en effet, d’après BLANCHOT renoncer à être l’intermédiaire entre Dieu et l’homme, comme le fut le poète de l’époque antique mais “se maintenir à l’intersection de ce double retournement humain divin, double et réciproque mouvement par lequel s’ouvre un hiatus qui doit désormais le rapport essentiel entre les deux mondes. Le poète doit ainsi résister à l’aspiration des dieux qui disparaissent et qui l’attirent vers eux dans leurs disparitions , (notamment le Christ.). “ 3196 En refusant de s’offrir en sacrifice à Dieu et aux hommes le poète finit ainsi par se sacrifier à l’autel de l’oeuvre personnelle. A la lecture de l’oeuvre contemporaine on est tenté de dire en effet : “ quel grand homme, ou quel style”. L’écriture autodidactique pourrait donc, par son objet et sa nature, se situer aux antipodes de l’espace littéraire de BLANCHOT. La démarche et l’évolution de Christian PRATOUSSY 3197 est, sur ce sujet, fort intéressante ; elle rejoint d’ailleurscelle qui fut la mienne quelques années plus tôt ; il va passer de “l’écriture oeuvre” à “l’écriture action” , au sens où Maurice BLONDEL l’entend. Christian PRATOUSSY écrivait déjà un journal dans son adolescence. Plus tard, marqué par l’idée et la conception du mémento de Jean VILAR, commencé alors qu’il faisait du théâtre, entrant dans le métier d’enseignant, abandonnant simultanément le théâtre qu’il avait pratiqué pendant des années, il poursuivra son propre mémento , comme outil autodidactique professionnel et en fera même le sujet de son mémoire de Licence en Sciences de l’Éducation. Son journal professionnel n’en est, en fait, dans un premier temps, que la suite, constituée d’écrits plus “littéraires” qu’ancrés dans l’action ; peu à peu ceux-ci vont se dépouiller, allant progressivement, vers la plongée dans la vie qu’ils permettent et qu’ils proposent. Après des premières pages littéraires et descriptives que véritablement en prise avec la difficulté d’être enseignant ou d’être tout simplement, il écrira le 21 Octobre 1991 : “Qu’un magicien me dise comment remonter la pente ... Et soudain je décèle l’utilité de ce mémento , je n’ai rien dit de ces désillusions qu’à ces lignes.” Aujourd’hui, il se contente de quelques lignes, une phrase ou deux, griffonnées par jour, qu’il traduit et résume par : “Je suis là ; ici maintenant.”
Est ce son journal de jardin qu’il pratique depuis trois ans où il note semis et observations prévisions et bilans, qui l’a poussé progressivement vers le concret ? Mais ce journal de jardinier pourrait être le symbole de son nouveau rapport à l’écriture. Ce n’est plus l’oeuvre au sens de BLANCHOT et de l’art contemporain qui importe, c’est la vie elle-même. L’écriture devient, au sens où WINNICOTT 3198 l’entendait, pour l’enfant ou l’adolescent, un espace potentiel, elle n’a de sens que dans la transition; elle est le lieu de la nécessaire confrontation .
Cela, Maurice BLANCHOT l’indiquait : au départ de l’oeuvre littéraire, comme de l’oeuvre artistique, il y a cette transcendance, vers une rencontre. Jean Paul SARTRE, depuis la bibliothèque de son grand père au grenier de la maison de son enfance, lui-même, ne l’exprime-t-il pas lorsqu’il écrit parlant de l’origine de sa vocation d’écrivain : “Ecrire, ce fut longtemps demander à la Mort à la Religion sous un masque d’arracher ma vie au hasard. J’étais d’Eglise. 3199 ”
Vincent VAN GOGH, également, ancien évangéliste, est une figure de l’autodidactie ; écrivant à son frère Théo, il fera une remarque très semblable.“Cela n’empêche, que j’ai un besoin terrible de - dirai-je le mot - de religion- alors, je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles.....” 3200 .Toute son oeuvre fut dans cette quête transcendantale, mal reconnue par les hommes de son temps ...
En lisant des journaux célèbres, et succès de librairie de Julien GREEN 3201 ou de Anaïs NIN 3202 on a souvent l’impression que l’écrivain ne sait trop quelle position prendre. Pour qui écrit-il, pour un public ou pour lui-même ? Comme coincé entre transcendance et besoin de reconnaissance. Cherche-t-il à faire oeuvre littéraire ou est-il en quête de sens ? Le sens pourtant Julien GREEN, le trouve auprès de Dieu, il écrit : “ ... mais je crois Dieu d’autant plus présent qu’il s’efface. Il est le Dieu caché de l’écriture et jamais on ne pourra rien changer aux relations entre lui et l’âme. (...)
mais le seul refuge on ne le dira jamais assez c’est Dieu. 3203 “ Le journal de frère ROGER est, de ce point de vue exemplaire, il ne trouve son équilibre que dans le provisoire renouvelé sans cesse en chemins d’éternités, dans la tension du “tout confié” dans l’émerveillement la louange et la prière et l’écriture se tourne naturellement comme la vie toute entière vers Dieu.
Là est son secret, lui t’a aimé le premier . Là est le sens de ta vie : être aimé et pour toujours, aimé jusque dans l’éternité, pour qu’à ton tour tu ailles jusqu’à mourir d’aimer. Sans l’amour à quoi bon exister ? Désormais dans la prière comme dans la lutte n’est rien grave si ce n’est de perdre l’Amour. 3204
Écrire trouve alors sa raison dans cette quête pour ne point perdre le seul don précieux, le trésor caché dans le vase d’argile de chaque existence. La recherche de l’esthétisme ou la glorification de l’oeuvre qui sont le propre de l’écrivain ou de l’artiste moderne, sont ici dépassés, ils font vite figure de trompe l’oeil, et l’écriture devient vitale enjeu de survie pour plonger dans la vie-même et non dans l’oeuvre. Toute beauté est-elle dès lors évacuée de l’écriture ? Non au contraire mais elle nous renvoie à la beauté première accueillie, du modèle Noé. Anton CABALLÉ nous dit : “La poésie permet de rendre présent et vivant aujourd’hui, et rempli d’enseignements, le passé ..”. Nordine BOUNDAOUI dira même : “Quand j’écris je pense aux enfants ... et à mon enfance qui fut si heureuse et dans laquelle je puise ... Je parle comme l’enfant à cet enfant symbole d’innocence et de pureté qui reste au fond de moi-même.” 3205
Il est, dès lors, une autre fonction de l’écriture qui s’oppose en quelque sorte à l’idée de la seule projection vers l’avenir, qu’analysait Jack GOODY dans la raison graphique, comme raison de la modernité ; elle devient au contraire lieu d’une incarnation renouvelée de l’action humaine, dans le présent, par une nouvelle prise en compte de celui-ci. Elle devient le lieu refuge de la personne, entre passé et futur, lieu d’une mémoire, comme l’arche préparée à traverser le déluge et à sauver l’essentiel. Pour retrouver et redonner sens à l’existence. Et nous comprenons pourquoi naturellement l’écriture se fait prière dans les carnets intimes de Maurice BLONDEL, le journal de frère Roger ou celui d’ANDERSEN dans les mots gribouillés de Christian PRATOUSSY, ou dans notre journal de classe. Paradoxalement, alors que sociologues et anthropologues postulent que la modernité se constitue sur le modèle de la pensée écrite, l’écriture elle-même apparaît comme un lieu refuge de la personne, lieu privilégié d’autodidactie, face aux agressions consécutives à l’évolution et au développement des conceptions généralistes et holistes de la modernité.
Lire
Le livre demeure encore sacralisé, symbole d’une culture qui se popularise certes, se massifie, à l’instar de l’école ; mais se démocratise-t-elle vraiment ? ... Le livre effraie parfois ou, au contraire, attire celui qui se sent ainsi, sans avoir lu, sans référence.
L’apport essentiel du livre est dans une rencontre des pensées, et des autres. En ce sens, le livre est outil par excellence de l’éducation et de l’éducation autodidactique, en particulier.
Le premier problème du livre comme de toute médiation est qu’il peut se substituer à l’expérience directe, créant comme par subterfuge, une expérience imaginée, qui risque d’en faire désormais figure, et d’en tenir lieu. Le livre permet ainsi parfois des vies par procuration avec tous les problèmes de dédoublement de personnalité que cela entraîne.
Le second problème du livre émerge lorsque l’expérience de lecture croit se suffire à elle-même et crée une distance entre celui qui a lu et croit connaître la référence parce qu’il sait en extraire quelques concepts formels, ou simplement s’en référer à des auteurs, et, qui va prendre un ascendant, dès lors, sur celui qui ne connaît pas la référence et qui donc va se taire : annihilant et annulant ainsi la qualité de son expérience non livresque.
L’expérience autodidactique peut être une expérience livresque mais toute lecture est une expérience autodidactique, dans la mesure de l’intimité même que l’acte de lecture, par définition, suppose et propose. De la lecture utilitaire de l’ouvrage documentaire ou technique, à la lecture évasion du roman à la poésie, des grands auteurs de la philosophie aux sciences humaines, à la bible, l’autodidacte ne lit pas par routine. De son livre et du moment de lecture, qu’il ne choisit pas toujours, il perçoit toujours le sens ou en tout cas un intérêt qui, s’il n’est dans le livre lui-même, est dans ce qui s’y rapporte directement ou indirectement . Car la lecture n’est pas seulement graphique, elle est selon les sémiologues ou les linguistes un acte de décodage du réel. Et nous retrouvons ainsi, encore l’un des points centraux de la philosophie éducative de Paolo FREIRE 3206 . Au delà de l’acte technique et limité en lui-même de la lecture graphique, la lecture participe d’un acte fondamental de compréhension du monde ou de distinction à l’intérieur de celui-ci : fonction première de toute éducation : apprendre à lire ou à décoder.
En effet, quel est l’objectif du décodage, de la lecture au sens large, objectif donc eux-mêmes de l’éducation ? Le savoir représenté ou bien le monde ? Les deux propositions ne forment pas une antinomie parfaite : le savoir représenté n’a de sens que dans la compréhension du monde de la vie et des événements qui l’englobent ; l’ignorer revient à ignorer le monde, mais s’en satisfaire revient à fuire le monde et à raisonner selon l’hypostase de la pensée objective. La compréhension d’une situation d’existence peut naître d’une lecture sans livre. Ainsi Henri OUDIN , ouvrier rectifieur au départ de sa carrière terminera professeur certifié parce que, dit-il, il a toujours su s’adapter avant que l’entreprise, ou, le secteur où il travaillait, ne soient dans l’obligation de fermer. Lui qui n’aime guère la littérature a fait une lecture réaliste de chaque situation traversée pour finalement, en sortir.
C’est parce que j’ai dû changer de boulot que j’ai dû me former et non l’inverse. J’ai des copains qui m’aident, j’ai toujours trouvé ce qu’il me fallait quand il le fallait. Je vais sans doute terminer avec l’indice certifié, de quoi me plaindrais-je ? Je crois qu’il faut être solidaire des hommes. 3207
Ainsi y a-t-il plusieurs lectures d’un même événement selon les personnes et les positions qu’elles occupent ; ces différentes lectures sont appelées par les théoriciens de différentes sciences humaines , les représentations. Le message de la philosophie est bien à son aise dans cette problématique des représentations qui est celle de la cohérence théorie pratique dans laquelle SOCRATE excelle.
La Bible, ne s’adresse pas à nos représentations, elle parle simplement de voir, de lumière et de ténèbres ; toute la Bible est lieu de la pédagogie de Dieu qu’on peut lire comme une lente révélation.
En mettant en parallèle la révélation de Dieu à Abraham 3208 au moment du sacrifice arrêté d’Isaac et Jean Le Baptiste prêchant dans le désert annonçant la venue du Christ dans les termes du prophète Ésaïe on peut discerner le plan de Dieu 3209 .
Sur la montagne du sacrifice arrêté d’Isaac, Abraham prit conscience que Dieu voyait l’homme comme une première brèche dans la séparation entre l’homme et Dieu et il appela la montagne : ” Le Seigneur voit”...Jésus, qui vient d’être désigné comme l’agneau qui ôte le péché du monde par Jean Le Baptiste, répond aux deux disciples qui lui demandent où il demeurait venez et vous verrez, et ils allèrent et ils virent et demeurèrent avec lui 3210 ...
A la première prise de conscience d’Abraham que Dieu n’était pas mort ni inerte puisqu’il voyait l’homme, répond deux mille ans plus tard la seconde prise de conscience que désormais l’homme verra ...et demeurera auprès de Dieu ... Ainsi la première prise de conscience que Dieu voyait, aboutit à la vue rendue aux aveugles, aux disciples, la vue des choses non leurs représentations. La singularité par la lumière reflétée rejoint l’universel et nous pouvons dire avec HELDER CAMARA.
Dieu le sait, et c’est son secret, mais le nombre n’est pas le plus important. Je pense toujours que le ciel tout entier peut se refléter dans une seule goutte d’eau ... 3211
Alors lire ce serait voir reconnaître et saluer tout ce ciel reflété dans la plus humble des gouttes d’eau.
Parler.
Henri OUDIN, ayant su lire les situations conjoncturelles, et ayant pris des décisions en conséquence, dit toujours avoir appris dans l’interaction, grâce aux amis qu’il a su trouver, par échanges oraux. Quant à mon expérience personnelle, la parole et les échanges verbaux m’ont permis dans ma prime adolescence de connaître bien des auteurs philosophiques, à partir de discussions avec un camarade de classe, qui lui lisait beaucoup.
Mais si parler est la transmission première du savoir ; est-elle la plus efficace ? Songeons que ni SOCRATE ni le Christ n’ont écrit une seule ligne. Car avant d’être efficace la parole est profonde et fondatrice. La voix, son timbre, les intonations et la respiration, le souffle qui accompagne les mots et leur rythme. Autant de messages dans le message d’une parole.
Mon grand père paternel, berger, ne savait ni lire ni écrire, il avait fui la maison familiale à 7 ans, et pourtant je me souviens encore de son flûtiau et de ses larmes sur ses joues lorsque, lors de nos étés en Catalogne espagnole, nous asseyant sur la table en face de lui, il ne terminait son morceau que dans un sanglot, pris par l’émotion, pensant à mon père toujours exilé, après la guerre d’Espagne et interdit de séjour en Catalogne. Je crois bien que de cette forte émotion de l’enfance, de ce passage de la mélodie au sanglot, je tiens mon goût pour la musique la dramaturgie et les chansons. A l’opposé, la langue de l’école et celle de la vie sont deux langues séparées ...
Ecoutons Claude PUJADE -RENAUD.
Pour l’enseignant qui parle du point de vue de l’émetteur, comme pour l’élève, qui parle du point de vue du récepteur, la voix professionnelle s’avère fortement travaillée et instrumentalisée. Tous deux perçoivent à travers l’écoute de la voix le dédoublement du sujet. Les élèves de surcroît dédoublent la voix professionnelle en voix pédagogisée et voix affectivisée, voix didactique et voix de la communication. C’est dire combien la voix est désignée comme un instrument scolaire dont l’enseignant use pour réguler une stratégie tout à la fois de pouvoir et de séduction... 3212
Il est “parlant” et piquant cependant de constater qu’à l’origine de la pensée et de la mise en place de l’école nationale et fondamentale, moderne, primaire et maternelle, que chacun s’accorde à reconnaître à Jan Amos COMENIUS, les langues nationales étaient annoncées et furent en fait développées comme devant être étudiées au même titre que la langue du prestige culturel qu’était le latin. La naissance de l’école a sans doute ainsi contribué au développement des langues locales du parler ordinaire au détriment de la langue écrite sacralisée et valorisée culturellement par l’écrit qu’était le latin .
... notre méthode universelle n’aspire pas seulement à posséder cette nymphe qui est généralement l’objet d’un grand amour , la langue latine , mais qu’elle cherche la voie à suivre pour qu’on puisse se rendre maître également des langues de tous pays. Il serait inopportun de troubler une telle intention par une abusive dispense d’aller à l’école nationale élémentaire. 3213
Il est certain cependant que paradoxalement depuis un glissement, et cela fut très visible en France, a renforcé une langue nationale au détriment de dialectes locaux devenus symboliquement le fait du profane par opposition au sacré de la culture prônée officiellement. Nous y reviendrons au chapitre traitant de l’école. L’enfant crie à sa naissance, son cri est parole de vie. Rien ne sera possible sans écoute de la parole de l’autre dans sa démesure, à la mesure du dérangement qu’elle opère en nous.
A la Pentecôte 3214 , les disciples réunis dans la chambre haute virent des langues de feu se poser sur leur tête ; lorsqu’ils sortirent, nous y reviendrons, chacun entend parler dans sa propre langue ; la parole fécondée par l’Esprit devient intelligible à la langue de l’autre. Mystère de la prière. L’enfant crie à sa naissance, le cri est signe de vie de sa parole. Cette parole devra grandir et ne pourra grandir si elle n’est pas reconnue par quelqu’un qui nomme cet enfant. Le nom est d’importance il désigne l’unité de la personne. Et pourtant en grandissant, et c’est cela grandir, l’enfant va devoir mourir à lui même, en apprenant l’écoute, la naissance à l’Autre.
Ecouter, l’acte instituteur.
Alors l’écoute pourrait toujours, dans le sens de Carl ROGERS, être l’acte instituteur de l’autre. Michel de CERTEAU insiste sur le fait de donner la parole ; alors laissons lui la parole :
Anne se met à parler. Elle n’a que 16 mois, mais déjà elle se tourne à demi et vous adresse la parole. Est-ce une demande de mot d’affection ou le récit d’un succès ? Impossible de le savoir. Son langage est incompréhensible, bien qu’il continue le vôtre. Son regard escompte une réponse, mais qui ne viendra pas ou qui apportera à son attente déjà complice et déjà déçue les mots étrangers de votre interrogation d’adulte. Votre parole vous revient du pays qu’elle a éveillé et déjà vous ne la reconnaissez plus dans ce poème au sens caché : née d’un amour elle vous révèle maintenant l’existence de votre enfant.
Tout éducateur expérimente cela, si vraiment il donne la parole à qui doit prendre la parole à son compte . Dérouté par le “devenir “ de son oeuvre, il découvre en son fils en son “dirigé “ en son élève le visage méconnaissable qu’il croyait façonner à son image. 3215
Rien ne sera possible sans écoute de la parole de l’autre dans sa démesure à la mesure du dérangement qu’elle opère en nous.
Si écouter est instituteur de l’autre, cette institution passe par la rupture de ne pas savoir ce qui est bon pour lui, la prière entre alors en action.
A la Pentecôte 3216 nous l’avons dit : la parole fécondée par l’Esprit devient parfaitement intelligible à la langue étrangère de l’autre. Le don gratuit de l’Esprit en surabondance produit un autre miracle que l’aspect premier visible par tous de ces disciples parlant des langues étrangères.(Jubilation de l’esprit qui faisait dire à certains qu’ils étaient pleins de vin doux 3217 !)
Sans traducteur, sans médiateur quelques uns comprirent et se convertirent. Mais nous avons changer de verbe, nous n’en sommes plus à écouter mais à entendre et comprendre.Et si l’écoute véritable était tout autre chose qu’une scrupuleuse prise d’information. Si écouter c’était comprendre et entendre et déjà communier.
Faire
Faire quoi, et pour quoi faire et comment faire ? Sans doute sont-ce les questions fondamentales (au sens de préliminaires) que l’homme se pose avant d’entreprendre une quelconque action , avant d’apprendre, avant de chercher. Ces questions sont déjà ce que Maurice BLONDEL appellera une action. Cette interrogation fondamentale, première, globale, englobante de l’oeuvre future est la même du chercheur, au cuisinier, du jardinier, à l’esthète. D’où nous vient alors cette distinction entre l’oeuvre et le travail ? Entre le savoir reconnu de prestige et le travail dit vulgaire. Encore une fois, il nous faut revenir aux sources de l’hellénisme. Écoutons SOCRATE :
Rappelons-nous donc ce que je disais à Polos et Gorgias. Je disais qu’il y a des activités qui aboutissent au plaisir et qui ne procurent que cela seul, ignorantes du meilleur et du pire ; il en est d’autres qui ont la notion du bien et du mal. Parmi les industries du plaisir je classais la cuisine comme un simple artisanat et non comme un art ; tandis que je comptais l’art de la médecine parmi les activités qui aboutissent au bien. 3218
Dans la Grèce, le travail, du latin vulgaire tripaliare (torturer) avec le tripalium 3219 , (d’après JP VERNANT 3220 ) , n’avait pas de rapport à l’Idée de la Vérité du Bien ou du Beau. Il était le fait d’artisans qui étaient des esclaves. Le travail, par opposition à l’oeuvre, ne prenait de valeur que dans l’immédiateté ( la cuisine en est un exemple), n’était qu’utile dans l’usage, ce que les Grecs et les romains dépressiaient par rapport aux Idées de valeur éternelle. L’oeuvre au contraire tenait au concept et au monde de la pensée. Dans Rome, l’ouvrage et l’oeuvre étaient des termes réservés aux charges administratives ayant un rapport avec la fonction sociale. Dans le Judéo-christianisme, au contraire, le travail est partout présent. Pensons à Noé construisant une arche, à Abraham conduisant son troupeau, aux paraboles du Christ faisant mention souvent d’un travail à faire, dans un champ ou une vigne, une terre à faire fructifier, à cultiver, comme pour signifier la responsabilité que Dieu confie à l’homme. Le voile du temple qui séparait le lieu très saint du monde profane, se déchirant, au moment de la mort du Christ sur la croix 3221 , comme la vie même du Christ sur la terre (le Fils vivant parmi les hommes) donnent au contraire, une valeur sacrée aux choses les plus humbles. 3222
Jusqu’au XII° siècle dans le Moyen Âge, la racine du mot “oeuvre” est employée dans le langage courant pour parler de travail, sous l’influence certaine ou probable du christianisme, pour les travaux artisans et l’ensemble des travaux manuels. L’italien a toujours gardé cette racine première dans le mot lavorare. Le mot travail apparaît vers le XII° siècle. Comment ne pas relier cette apparition à la montée de l’influence d’ARISTOTE, et de la pensée grecque sur la scolastique et la pensée du haut Moyen Âge.
Un des premiers effets, historiquement les plus visibles de la modernité, fut le taylorisme : la parcellisation, le morcellement des tâches découlaient d’une distance extrême entre les lieux de la pensée et des décisions et ceux de la production et de la concrétisation. La motivation exclusivement économique imposait une nécessité de réalisation au prix le plus bas, et donc au prix de l’homme. Le geste robotisé de l’homme suivant le rythme de la machine n’est certes pas une oeuvre pas plus que ne l’est la fonction de l’homme dont le seul travail, tout intellectuel cependant, est de contrôler le bon fonctionnement d’un dispositif pensé en dehors de lui-même par d’autres hommes ! 3223
Dans ce sens, ce n’est plus la distinction de SOCRATE se reportant à la nature de la tâche, spirituelle ou manuelle, qui nous permet de distinguer entre oeuvre et travail, mais, les motivations et les conditions ayant présidé à leur réalisation respective. L’oeuvre suppose toujours, sinon la maîtrise des finalités du moins la question de celles-ci posée à l’ouvrier. Elle s’inscrit toujours dans une perspective ouverte aux autres pour les autres. Nous retrouvons ce dilemme : si la rupture entre profane et sacré est brisée par la venue du Christ, cela signifie-t-il que tout soit profane ou au contraire que tout soit sacré ?
La première hypothèse “tout est profane” constitue la tentation toujours présente, par exemple, chez certains esprits révolutionnaires prônant à la manière des maoïstes des années soixante, un renversement de l’ordre culturel bourgeois par une révolution dite culturelle. La seconde hypothèse “tout est sacré” contient le message chrétien. Elle ne suppose pas un nivellement du sacré au niveau du profane mais à l’inverse, la reconnaissance de la valeur sacrée de toute entreprise humaine. Si Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils, cela ne donne-t-il pas au monde jusqu’à dans ses recoins les plus humbles, une valeur sacrée ? Toute oeuvre humaine peut-être désormais siège de l’oeuvre de Dieu, et plus particulièrement celles qui participent en communion d’Amour, du don gratuit. Alors, tout travail et particulièrement le plus désintéressé devient oeuvre. Alors, faire c’est toujours dire et parler. Toute action humaine mérite, en conséquence, respect et écoute.
Jean MERCIER marionnettiste stéphanois, de renommée, élève à Saint-Étienne, dans l’après guerre, de l’école de théâtre de Jean DASTÉ 3224 , me disait que, de son point de vue, la création des maisons de la culture, par André MALRAUX, ministre de la culture du général DE GAULLE (de 1958 à 1969), comme l’apparition des écoles subventionnées de formation d’artistes, comme le principe de l’art subventionné lui semblaient être préjudiciables à la création artistique, l’artiste n’a pas tant besoin de subventions que d’acheteurs une fois son oeuvre terminée . Rien n’est pire, disait-il, que l’art officiel. L’artiste est un témoin, il est forcément individualiste ou en tout cas indépendant ajoutait-il. Moi, concluait-il, je n’ai jamais demandé une subvention.
Cette remarque de Jean MERCIER peut s’étendre à toute l’action éducative : la professionnalisation de l’éducation, devenue secteur compartimenté, s’accompagne d’une orientation idéologique même inconsciente ou implicite distinguant arbitrairement entre profane et sacré. Est sacré ce qui est tenu par l’école, comme étant digne d’intérêt. Est profane ce qui est laissé pour compte à l’école. La relation que l’école entretiendra avec son extérieur devient dès lors l’objet d’un enjeu de première importance.
Tout au long des interviews, du jardinier à l’auteur dramatique, je n’ai pas trouvé sur ce point de ruptures ni de divergences : Le travail est toujours une oeuvre, lorsqu’il émerge d’une conviction profonde et lorsque son expression ne dépend pas exclusivement d’une reconnaissance sociale officielle. La reconnaissance n’ est alors rien d’autre qu’un plus, toujours bienvenu certes mais sans être jamais essentiel. A l’inverse toute oeuvre se ferait simple travail (dans le sens étymologique de torture) lorsque l’objectif et la motivation, excluant quelque autre considération, en seraient la réussite à l’examen, ou encore, la conformité avec les canons d’une idéologie dominante, ou encore, le fait de devoir gagner son pain en dehors de toute considération éthique ...
En fait, la contradiction entre travail et oeuvre, trouve sa résolution en ce que Maurice BLONDEL appelle l’action qui naît de ce que Maurice BLONDEL appelle un déterminisme de la condition de l’homme qui ne peut vivre ni survivre sans agir. Maurice BLONDEL introduit l’idée de l’inévitable transcendance de l’action humaine, transcendance qu’il définit comme l’unique nécessaire 3225 .
Cependant, paradoxe encore, ce déterminisme conduit à une rencontre ” II y au fond de ma conscience un moi qui n’est plus moi, j’y reflète ma propre image. Je ne me vois qu’en lui, son mystère impénétrable est comme le tain qui réfléchit en moi la lumière 3226 ” et débouche sur une liberté une alternative née d’un conflit qui travaille la conscience entre vouloir et ne pas pouvoir, pouvoir et ne pas vouloir. 3227 L’homme aspire à faire le dieu : être dieu sans Dieu et contre Dieu, être dieu par Dieu et avec Dieu, c’est le dilemme. 3228
Alors, paradoxe des paradoxes : la liberté et l’accomplissement de l’action s’obtiennent par une mort de l’action à elle-même , par un renoncement de l’homme à lui-même, par un renoncement libre, absolument libre à sa liberté naturelle pour entrer dans une liberté nouvelle. Et Maurice BLONDEL retrouve ce que nous avons appelé le don gratuit. Seulement, ce don a bien du mal à se faire et les résistances de l’homme à la mort à lui-même conduisant au don gratuit pourraient être la distance qui le sépare de la communion à la volonté de Dieu.
On demande bien à Dieu de se révéler. Mais, la plupart du temps, l’homme commence par y mettre des conditions, comme s’il ne cherchait qu’à discerner l’apothéose de ses propres désirs : souhaitant de suivre à l’écart un plus doux sentier, il exige que ce sentier même soit la vraie voie. Toujours quand on ne se livre pas à la volonté divine on veut que Dieu veuille ce que l’homme veut. 3229
Il reste donc qu’il convient de reconnaître l’oeuvre en tout don gratuit dont la relation éducative serait la quintessence. La qualité d’une relation devient dès lors, en effet, essentielle, cette qualité est toujours éminemment de nature éducative. Elle est en elle-même éducation, on peut même dire que l’éducation toute entière tient dans une qualité de relation. Cette qualité se manifeste en plénitude dans le don gratuit. Un paradoxe : tout travail imposé peut cacher ou aboutir sur une oeuvre créatrice, comme toute oeuvre peut contenir en son sein tout un travail. Les frontières restent floues et le regard éducatif pourrait tenir dans la recherche la perception et la découverte dans tout travail de l’oeuvre cachée, et dans toute oeuvre du travail nécessaire.
En résumé, nous avons cheminé et basculé de la scission gréco-latine entre l’âme et le corps, l’esprit et la matière, vers une vision unifiée de l’homme qui rejoint d’ailleurs les découvertes des travaux récents en biologie cognitive 3230 . Ce basculement nous a conduit à considérer avec Maurice BLONDEL que la transcendance était l’unique nécessaire de la fondation jusqu’au dépassement de l’action par la mort à soi-même. (...) suivait ici le passage parlant de BEUSTEIN BLANCHET que nous citons dans la note connexe précédente sur l’input... (à la page 281)
Penser
Dans cette perspective la pensée apparaît toujours comme seconde, courant derrière le geste pour tenter a posteriori de le comprendre et n’ayant pas contrairement à ce que croyaient les grecs privilège sur celui-ci. Le partage entre l’âme et le corps le monde “pur” des idées et celui “impur” des corps imposait en effet aux philosophes grecs la recherche d’une idée pure dénuée de toute subjectivité ayant, seule, à leurs yeux, caractère d’universalité. Pour PLATON et SOCRATE, comme pour ARISTOTE en effet, il fallait se défaire de la croyance subjective pour entrer dans la science objective et partagée universellement.
SOCRATE
Est- ce que, selon toi, le savoir et le croire, la science et la croyance sont la même chose ou pas ?
GORGIAS
Selon moi SOCRATE ce sont des choses distinctes.
SOCRATE
Et tu n’as pas tort, car en voici la preuve.
Si l’on te demandait : existe-t-il une croyance fausse et une autre vraie tu répondrais que oui, à ce que je présume ?
GORGIAS
Éxactement
SOCRATE
Bon, mais existe-t-il une science fausse et une autre vraie ?
GORGIAS
Non nullement.
SOCRATE
Il est alors évident que science et croyance sont distinctes. 3231
Aujourd’hui, l’évolution des sciences semble davantage conduire à considérer la science elle-même comme une théorie, une hypothèse, une croyance, certes construite mais croyance tout de même. La théorie de la relativité de Albert EINSTEIN (1879/1950), les travaux sur la physique de l’atome à partir des découvertes de Niels BOHR (1885/ 1962) et Arnold SOMMERFELD (1868/1951), et plus encore de Max PLANCK (1858 1947) par la constante de PLANK déterminant ( Décembre 1900), la plus petite quantité d’énergie existant dans notre monde physique : une limite, une barrière limite, à la divisibilité du rayonnement, la théorie quantique résultant de ces travaux ont encore accru ce paradoxe. A tel point que Jean GUITTON pourra écrire :
Et en fin de compte, ne trouve-t-on pas dans la théorie scientifique la même chose que dans la croyance religieuse ? Dieu lui-même n’est-il pas désormais sensible, repérable presque visible, dans le fond ultime que décrit le physicien ? 3232
Jean GUITTON parle du passage du règne de la pensée logique qui marqua notre modernité à celui de la métalogique : logique de l’étrange 3233 qu’il définit comme une sorte de compromis entre métaphysique et science ou une réflexion logique sur la logique. Maurice BLONDEL semble, encore ici, avoir eu une intuition intéressante, évitant tout à la fois l’orgueil d’une pensée toute puissante et le refuge d’une pensée floue et imprécise. La philosophie, et avec elle, la pensée, devront rester humbles puisque toujours impuissantes à comprendre tous les ressorts d’intelligence que cache et recèle l’action. Son ouvrage “ la pensée” 3234 , qui fait suite à l’action, et, qu’il a mis 30 ans à écrire,est lui-même conçu, selon un double mouvement, comme une construction à la fois horizontale, les chapitres et sous chapitres y sont rigoureusement marqués et numérotés, et verticale, on trouve, en tête de chaque page, un mot clé, une locution, permettant de comprendre le contenu de celle-ci de façon synthétique. Ce double mouvement horizontal vertical, immanent et transcendant correspond également au fonctionnement que BLONDEL décrit comme étant celui de la pensée.
Il distingue de façon personnelle les termes de noétique et de pneumatique pour indiquer ces deux aspects, mouvements constitutifs de la pensée, opposés mais complémentaires et non contradictoires. Le noétique est le commun de chaque pensée qui le rapporte de manière sous-jacente au pur physique (certains l’appelleraient l’universel), le pneumatique ce qui “en un être singulier en un point spécifié et réagissant de façon qualitative, aspire le milieu universel, puis l’assimile et l’expire ensuite : secret échange qui introduit toujours dans le monde du nouveau ... “ 3235 .
Selon cette vision, la pensée comme l’éducation singularise, distingue tout en unifiant, les deux mouvements inverses s’appelant l’un l’autre.
Distinguer les fonctions d’homogénéisation et de singularisation de l’éducation ou de la pensée n’est pas du tout original d’ARISTOTE à HEGEL de Michel SERRES jusqu’à Olivier REBOUL 3236 , ainsi se marque chaque tentative de construction philosophique.
La première spécificité de Maurice BLONDEL est de situer l’universel dans le noétique, préliminaire à toute pensée et le singulier dans la façon construite et respirée (pneumatique) que chacun a de singulariser son rapport à l’existence ... Se trouvent en ces termes inversés les principes fondateurs de la philosophie d’origine grecque où le domaine de l’idée (idéal) était seul susceptible d’universalité ce qui renvoie le monde concret et du visible au niveau de la particularité non communicable et du vulgaire. On voit bien les conséquences d’une telle vision... L’intérêt original de la démarche de Maurice BLONDEL, par rapport à celle classiquement admise, est de situer en bout de compte tout l’universel dans le singulier et tout singulier dans l’universel.
L’on a (je parle même des techniciens de la philosophie) presque toujours mêlé général et universel, individuel et singulier, comme si ces termes s’équivalaient, deux par deux , ou s’opposaient deux à deux. Et l’on a oscillé d’une prétendue science du général à une prétendue science de l’individuel, rivales ou ennemies l’une de l’autre, alors qu’en réalité il n’y a, pour parler rigoureusement, ni science réelle du général, ni science véritable de l’individuel. Ce que nous devons viser à atteindre, c’est une science du concret où communient le singulier et l’universel dans la pensée et dans l’action 3237 .
La seconde spécificité de Maurice BLONDEL est d’inclure ce double mouvement dans la construction même de sa pensée personnelle et d’échapper ainsi enfin au règne des philosophes et de la pensée conceptuelle. IL y parvient par un redoublement (paradoxe encore) ... de rigueur.
Dans ce sens l’autodidactie est non seulement réhabilitée mais élevée au niveau d’un objectif. Quant à la subjectivité, elle n’est point jamais combattue, elle est, au contraire, dès le point de départ, l’alliée, l’impulsion qui permet l’émergence indispensable et singulière de la personne.
De la force d’une conviction à la rencontre d’une vocation.
Les différentes actions : écrire, lire, parler, écouter, faire, penser, sont reliées par une médiation d’accompagnement que nous avons entrouverte.
Cette médiation n’est donc pas une technologie, même si la technologie peut en être un outil ; elle n’est pas non plus en l’autre, même si l’autre peut en être un témoin facilitant la nécessaire rencontre l’appelant même sans jamais pouvoir la programmer : se trouve-t-elle dès lors en soi-même ?
Michel De MONTAIGNE, à l’orée de la modernité, disait déjà sa conviction intime qu’il fallait donner son opinion, pour parvenir à comprendre et dire ainsi, quelles sont aujourd’hui notre appréhension, et notre compréhension personnelles du monde et les mettre à l’épreuve.
Je dis librement mon avis de toutes choses, voire et de celles qui surpassent en aventure ma suffisance et que je ne tiens aucunement être de ma juridiction : ce que j’en opine, c’est aussi pour déclarer la mesure de ma vue, non la mesure des choses. 3238
Cette attitude qui est celle de la construction personnelle de son savoir, de l’autodidactie donc, va-t-elle de soi, de nos jours ? Cette prise en compte de la subjectivité se trouve de plus en plus prise en compte et reconnue dans les démarches individuelles par la mise en valeur, par exemple, des processus de type métacognitif, ou les processus de construction du savoir personnel que la pensée constructiviste a voulu mettre en exergue. Michel DEVELAY écrit :
Apprendre est un processus mystérieux par lequel un sujet se transforme et généralement s’enrichit psychiquement en prélevant de l’information dans son milieu de vie. Pourtant l’apprenant ne se comporte pas comme un prédateur. Il ne consomme pas, mieux même, il se crée en faisant exister le réel. 3239
Il n’en va pas de même dès que nous pénétrons les sphères sociales et institutionnelles. Le savoir objectif hypostasié y trône et y fait figure de divinité.
Malgré les évolutions des sciences humaines que nous avons soulignées, vers une prise en compte ouverte de la subjectivité, l’hypostase de la pensée objective ne joue-t-elle pas, nous l’avons évoqué, le rôle de frein et ne charge-t-elle pas toute subjectivité exprimée du même sceau de la suspicion ?
Christian PRATOUSSY explique dans son mémento combien il a eu du mal à faire accepter par le professeur d’université que la subjectivité, prise en compte, pouvait être un élément de l’objectivité scientifique 3240 .
Le modèle Babel proposait une construction abstraite du savoir, le modèle Noé supposait un savoir en actes, en prise avec le réel. Le savoir construit collectivement nous pose donc une question incessante en tant que réalité dont il faudrait tenir compte. Une double question en résulte.
-Cette subjectivité, si elle a valeur dans la construction personnelle, serait elle préjudiciable dès qu’il s’agirait de s’en référer à un savoir commun ?
-Est-il des raisons de le penser sans pour cela s’en référer à l’hypostase de la pensée objective mais en se référant à la nécessaire prise en compte d’un minimum commun ?
Autrement dit, peut-on pénétrer à l’intérieur de la tour et ressortir, c’est à dire faire de cette tour, une pièce de l’arche ? Ou peut-on en extraire quelques pièces pour les mettre dans l’arche ? La construction du savoir commun serait-elle dès lors une réalité dont il faudrait tenir compte sans rester pour cela enfermer dans son enceinte ?
Cet écrit est peut -être une tentative de la sorte : ne pas refuser la tour de la construction commune du savoir mais l’insérer dans la globalité d’une universalité accueillie. Faire que cette tour puisse devenir déjà, par le regard qu’on y porte, une arche.
Cela supposerait une double entrée : dans le monde des savoirs reconnus d’une part, mais sans y demeurer le prisonnier et, dans l’intimité d’une rencontre transcendante, en fait, fondatrice, d’autre part. Pour répondre à l’injonction du Christ “être dans le monde sans être du monde” 3241 , Emmanuel MOUNIER parle, après le nécessaire engagement de l’homme dans la pensée, du non moins nécessaire dégagement de la pensée nécessaire à la mise à l’épreuve de celle -ci, à son renouvellement, avant un nouvel engagement. Il écrit :
... Ce serait en effet oublier un aspect essentiel de l’expérience de la pensée que d’omettre à force de parler d’engagement, le besoin non moins passionné de dégagement qui s’y fait jour. La pensée se perçoit confusément comme transcendante aux objets qu’elle doit expliquer, aux termes qu’ elle doit lier, aux besoins collectifs auxquels elle doit répondre. Les objets menacent toujours de lui imprimer leur impersonnalité, les concepts de l’arrêter dans leurs formes, les collectivités de l’asservir à leurs intérêts. En fuyant ses engagements sous le prétexte des dangers qu’elle y court, elle trahit sa mission et de dévalorise faute de sève. Mais si elle doit être dans le monde elle doit y être comme n’y étant pas. (...).
Rien n’est plus difficile que le maintien convergent de l’engagement et du dégagement essentiels à la vocation de l’intelligence. Rares sont ceux qui en trouvent l’équilibre : peut-être n’a-t-il jamais été réalisé. 3242
La conviction nous pousse à l’engagement, mais qui nous pousse au dégagement ? Un lent cheminement qui conduit à la rencontre de la vocation. Emmanuel MOUNIER parle de tension tragique née d’un besoin double et contradictoire d’apparence : incarnation et compréhension, compréhension et incarnation. Ne trouvent-ils pas une première résolution dans l’action selon BLONDEL. Emmanuel MOUNIER insiste sur ce dépassement de la raison rationnelle et de l’entendement même qui se conjuguent dans cette tension existentielle fondamentale vitale et incontournable.
Cette tension d’incarnation, si nous y étions fidèles, sans abus de mot, nous obligerait dans chaque moment du temps à tenir ensemble les positions les plus contradictoires pour le bon sens, à mourir au monde en même temps qu’à nous y engager, à nier le quotidien et à le sauver, à nous affliger dans le péché et à nous réjouir dans l’homme nouveau, à ne compter de valeur qu’à l’intériorité, mais à nous répandre dans la nature pour conquérir la vie universelle à l’intériorité, à nous connaître la dépendance d’un néant et la liberté d’un roi, par dessus tout à ne jamais tenir aucune de ces situations partagées pour substantiellement contradictoire ni comme définitivement résoluble dans une expérience d’homme. 3243
Et nous sommes conduits ici, comme annoncé, à distinguer Maurice BLONDEL, rejoignant Karl BARTH et LUTHER, de la pensée personnaliste. Seule pour Maurice BLONDEL
(...)la présence en l’homme et entre les hommes, du Médiateur, du réalisateur, du Sauveur Universel doit et peut obtenir alimenter et parfaire cette vie d’amour et de dévouement, sans laquelle la personne et la société même se ferment à leur destin et entretiennent en elles plus qu’un malaise, une crise permanente de désordre, d’insatisfaction, de combats fratricides et cette sourde irritation provenant d’une carence indéfinissable, mais trop réellement féconde en luttes sociales en hostilités, entre les classes et les nations, comme au sein même de chaque personne humaine, si elle reste, fût-ce à son insu, infidèle à l’appel de sa divine vocation. 3244
0Des variations ... du personnalisme à la philosophie de BLONDEL.
Bertrand RUSSELL (1872-1969) exprimait une philosophie très proche de celle de G. H. KAPPERS que nous avons interviewé qui nous parla du “basic fondamental thinking” que nous avons évoqué et nous dit encore.
Les problèmes les plus complexes se subdivisent en de simples questions concrètes qu’il faut savoir distinguer puis résoudre ... Bien souvent le simple fait de poser la bonne question induit la résolution du problème ... Le raisonnement de base est toujours le même et d’une simplicité désarmante. 3245
Bertrand RUSSELL, philosophe britannique pacifiste et libéral, qui, à l’instar de VOLTAIRE, était antireligieux et s’engagea dans de grandes causes, contre la guerre au Vietnam, pour le désarmement, entre autres, voyait, en effet, dans la logique, la base de la philosophie. Il voyait se résoudre l’ensemble des problèmes philosophiques dans des problèmes de logique fondamentale, s’opposait aux systématisations, et prônait une méthode expérimentale dans la recherche d’une vérité pure.
Pour devenir un philosophe pratiquant la philosophie comme une science il faut une certaine discipline particulière de l’esprit. Il faut que soit présent, avant tout, le désir de connaître la vérité philosophique, et ce désir doit être suffisamment puissant pour survivre des années durant, quand ne surgit aucun espoir d’y donner satisfaction. Le désir de connaître la vérité philosophique est très rare dans sa pureté et on ne le rencontre même pas fréquemment chez les philosophes. 3246
Cet attachement à une vérité pure abstraite est d’origine platonicienne, nous l’avons dit et redit. L’émergence chrétienne fait apparaître la vérité non plus comme purement spirituelle et extérieure mais depuis la Pentecôte comme le fait d’une expérience réelle et “surnaturelle” .
Les chrétiens ont concédé, dans la modernité, devant l’irrationalité apparente de l’expérience de la foi, à la philosophie grecque cette recherche par les voies de l’abstraction, de la logique, d’une vérité. Progressivement ils ont fait l’abstraction de l’ expérience “surnaturelle” chrétienne. Et c’est là tout le drame puisque c’est toute l’expérience fondamentale de la foi qui est ainsi mise hors jeu : si Bertrand RUSSELL exprime une certaine cohérence dans la mesure où il ne se réclame pas du christianisme il n’en va pas de même sans doute pour la pensée personnaliste qui ne pousse peut-être pas jusqu’au bout sa logique. Si Emmanuel MOUNIER continue à penser nécessaire le passage par l’objectivation lors du “dégagement”, il sait fort bien qu’il ne tire pas de ce processus, sa conviction intime. Les forces ne se trouvent pas par un simple “désaisissement” de l’action, par un passage par l’objectivation de celle-ci, mais par l’abandon intégral de toute chose au pied de la croix, dans la prière, par la prière, qui dans cette optique est l’espace du dialogue entre Dieu et l’homme, l’espace d’une rencontre dans l’Esprit de consolation 3247 . Michel DELCOURT nous a dit comment pour lui toute la vie fut une lutte pour rester “les deux pieds sur la terre” ; il nous parle de la prière :
Peu à peu, elle lui donne le sens de l’équilibre et de l’incarnation dans le concret; elle l’oblige par l’intercession par l’entrée dans le regard de Dieu à sortir de son propre monde égocentrique et de sa prison. L’incarnation : C’est ici le sens de son existence. Retrouver Dieu dans l’incarnation manifestée en Jésus Christ, seul. Cette soif d’absolu doit trouver sa résorption dans le monde et dans les combats de ceux-ci. Chaque fois qu’il revient à l’évidence de cette quête première, il se sent consolé et reprend des forces. (...) 3248
L’homme y cherche, consolé, fortifié, un renouvellement, le sentiment de la communion qu’il perçoit depuis l’expérience initiale de l’Esprit Saint de vérité et Consolation de Pentecôte, comme une paix intérieure et profonde, plus forte que toute angoisse et que tout trouble extérieur ou intérieur.
Dans cette extrême faiblesse où il se trouve il dit avoir appris le sens des choses et des personnes humbles et le goût pour celles-ci. Il se réjouit de pouvoir aider là où il se trouve ses compagnons d’infortune car il a traversé ce qu’ils traversent et donc il les comprend. De l’attirance pour le savoir savant référent il est passé au goût pour les choses révélées aux enfants et aux simples et cachées aux intelligents et aux sages. 3249
Dès lors, pour Michel DELCOURT, les livres qui le fascinèrent dans son adolescence sont pour lui comme le costume de cet empereur dont nous parla ANDERSEN, prétendu invisible aux imbéciles et aux ignorants mais en fait pure fiction. L’expérience de la foi seule s’incarne dans la réalité dans l’élan la tension perpétuelle vers le Père.
C’est cette expérience profonde radicale surnaturelle de l’Esprit qu’a décidé de ne pas occulter Maurice BLONDEL, prenant à la lettre l’injonction philosophique de SOCRATE à ALCIBIADE : “or se connaître soi-même, ne convenons-nous pas que c’est là que se situe la sagesse. 3250 ” .
Or, se connaître soi-même dans une perspective chrétienne passe par cette expérience qui fit passer Pierre l’apôtre de sa promesse de fidélité au Christ jusqu’au reniement au moment de la croix, jusqu’à l’expérience de l’Esprit et de l’Eglise, du jour de la Pentecôte 3251 .
Or, cet événement pour les disciples va tout changer.
Certes, le personnalisme est une saine et bien nécessaire réaction que nous avons soulignée, aux dérives de la pensée occidentale qui semble s’être entravée entre spiritualisme et matérialisme, contradiction hellénique à la sauce d’un judéo-christianisme mal assimilé, mal digéré. Il met l’accent sur l’éminente dignité de la personne humaine, et dénonce avec bonheur toute entreprise totalitaire.
Cependant ses motivations, son enracinement historique restent à dimensions humaines. Au nom de l’incarnation, la tendance est de confondre, le Royaume et l’évolution sociale et politique. Car, il y a dans le message évangélique un mouvement à double sens : Ce n’est pas Dieu seulement qui descend au niveau de l’homme, même si la reconnaissance de ce premier pas permet d’être délivré de toute schizophrénie, dans l’Universel accueilli, nous l’avons souligné également ; c’est l’homme qui est invité au Règne avec Dieu. La personne humaine naturelle n’est pas la mesure suprême, la mesure c’est l’Homme Nouveau. Après les krachs de Wall Street de 1929, c’est bien en des termes très socio philosiphico politiques, qu’ Emmanuel MOUNIER nous parle des conditions historiques de la naissance du personnalisme, concrétisé en 1932 par la naissance de la revue Esprit.
De quelle nécessité intérieure notre affirmation est-elle sortie ? Devant la crise dont beaucoup se cachaient la gravité, deux explications se présentaient.
Les marxistes disaient : crise économique classique, crise des structures ? Opérez l’économie le malade se remettra.
Les moralistes opposaient crise de l’homme, crise des moeurs, crise des valeurs. Changez l’homme et les sociétés guériront.
Nous n’étions satisfaits ni des uns ni des autres. Spiritualistes et matérialistes nous semblaient participer de la même erreur moderne, celle qui à la suite d’un cartésianisme douteux, sépare arbitrairement le corps et l’âme, la pensée et l’action, l’homo faber et l’homo sapiens. Nous affirmons pour nous : la crise est à la fois une crise économique et une crise spirituelle, une crise des structures et une crise de l’homme.
Nous ne reprenions pas seulement la parole de Péguy : “La révolution sera morale ou ne sera pas.” Nous précisons : “La Révolution morale sera économique ou ne sera pas.
La Révolution économique sera morale ou ne sera pas.” 3252
Maurice BLONDEL tenait son engagement, nous l’avons vu, de la conviction recueillie accueillie dans la prière. Ainsi, là où les personnalistes parlent d’un engagement raisonné à partir des combats socio politiques du monde, BLONDEL insiste sur l’action surnaturelle, intemporelle humble cachée mais victorieuse déjà, signe aujourd’hui d’un Amour et de vie Éternelle, de l’Esprit Nouveau, de la Pentecôte qui fait entrer l’homme dans la communion au Règne de Dieu. Nous avons souligné cependant, combien la présente étude, rejoignait la thèse de Emmanuel MOUNIER, sur l’unité profonde de l’homme et en était redevable.
Mais si la personne est bien le lieu de la conviction nécessaire, elle ne peut rencontrer la vocation que par la mort à elle même. C’est toute l’expérience de Pierre que je viens tout juste de rappeler.
L’intérêt du personnalisme demeure donc en ce qu’il rappelle que la personne est une, et ce sont bien des personnes unifiées qui rencontrent le Christ dans la liberté de leurs chemins par les routes de Galilée. A ceux-là il dit : “Ta foi (confiance) t’a sauvé”. 3253
Lorsqu’il rencontre le démoniaque qui était plusieurs (ou légion), Jésus doit d’abord le guérir 3254 , pour que l’homme retrouve son unité initiale, un nom, un préalable à l’exercice de sa liberté.
L’idée, ou plutôt la réalité d’unité de la personne et d’indépendance de celle-ci, vis à vis des autres, et surtout de l’organisation sociale, puise bien dans le christianisme, sa source. Elle est un préalable, celui qui permet à Pierre de confesser sa foi. Elle interdit à tout pouvoir politique de s’établir au nom du Christ. Elle n’est pas l’expérience chrétienne elle-même, fondatrice de cette liberté première de l’homme, mais qui l’invite à une transcendance par la rencontre avec la Parole même de Dieu qui lui est directement adressée en personne; par l’invitation à aimer comme il est aimé, à être ainsi habité, épousé par l’Esprit de Dieu.
L’expérience chrétienne est dans la rencontre d’un Amour absolu, fondateur premier et dernier, le Christ lui-même. La philosophie de Maurice BLONDEL parle de toutes ces choses en entrouvre une porte, pour que nous puissions désormais situer encore l’espace de la “surnature”, cette réalité dont certains des autodidactes nous ont parlé, mais dont tous semblent venir ou vouloir aller et qui nous permet en tout cas d’envisager les choses désormais autrement, à partir d’un centre, au carrefour de la rencontre décisive, de toute rencontre, ouvert à toutes les routes, les accueillant toutes mais n’en suivant aucune, puisqu’il est lui même chemin : Jésus, le Christ.
L’effort symbolique qu’exprimait l’ébauche avortée de la Tour de Babel n’avait abouti qu’à la confusion des langues et à la dispersion des peuples. (...) l’arche de Noé n’était qu’une image de la nef spirituelle que devait être l’église dont le Christ est le constructeur, le nautonier, le perpétuel aliment. 3255
Ici, il n’est plus question de la Révolution mais de Recréation, il ne s’agit plus dans l’acte d’apprendre de sauvegarder la création dans l’arche, il s’agit de participer gracieusement, gratuitement, à la joie parfaite, d’une création nouvelle. BLONDEL parle encore de l’événement de la Pentecôte.
(...)car il ne faut pas imaginer que l’édifice nouveau soit une simple superposition de l’ancien (...) ce qui importe et ce qui a en effet constitué ce prodige unique, c’est que la signification intime des paroles s’est mise à la portée des esprits les plus inégaux (... ) 3256
L’universel n’est décidément plus à construire, il s’accueille dans les sobres libations de l’Esprit qui vient au coeur de chacun faire de nos langues étrangères les messagères de la Parole de Vie pour une Bonne Nouvelle. Parole créatrice de personnes nouvelles parfaitement intelligentes et intelligibles raisonnables et rationnelles. L’orgueil fait définitivement place à la louange, à l’émerveillement, au don de soi par Amour , comme offrande vivante, la solitude brisée ouverte béante fait place à la communion. Nous voici Fils d’adoption, et, en cela, frères, au prix le plus fort, les uns des autres.
En synthèse, en rupture ... en chemin : le Médiateur Universel.
Nous avons avancé jusqu’à dire qu’il n’y a pas de pensée humaine exprimée en dehors de l’expérience dont la première serait l’action, et que l’expérience est plus grande en pensée que la pensée. Penser humblement, donc. Nul ne peut prétendre à la supériorité, sur l’action, de la pensée exprimée théorisée puisqu’elle est elle-même contenue dans ce que BLONDEL appelait le déterminisme de l’action, et donc la pensée est action elle-même. Déterminisme ouvert, non matérialiste, signification de la condition humaine ... et dont seule la mort sera la délivrance. Tout juste la pensée en tant que telle s’exprime-t-elle dans un temps qu’Emmanuel MOUNIER appelait celui du dégagement. Nous avons entrevu que l’expérience elle-même comme l’action pouvait rejoindre la “surnature”. Il y aurait donc deux niveaux de l’action et de l’expérience : le naturel, et le surnaturel. Cette deuxième forme ne s’accueille que dans le coeur brisé cassé humilié ayant fait la libre expérience de ses limites propres. C’est Karl BARTH qui écrit
La Bible ne s’intéresse à l’homme, avec une angoissante urgence, qu’à partir du moment ( ce moment est-il plus haut ou plus bas ?) où le doute l’a envahi. La louange l’action de grâces, la jubilation et la certitude ont leur place dans la Bible, mais d’un côté seulement de la ligne ; du côté où l ’homme est devenu un chercheur, un quémandeur, quelqu’un qui frappe ; du côté justement où la suprême perplexité l’a conduit à l’église pour y recevoir du secours. 3257
La “surnature” divine du Christ c’est l’homme épousé par l’Esprit insaisissable soufflant où il veut 3258 , que nul ne peut contenir ni tenir prisonnier, mais qui s’exprime en dehors de nous et parfois en chacun de nous-même, par l’intercession, dans ce que l’apôtre Paul appelait des soupirs inexprimables 3259 .
Bien difficile donc de parler de l’Esprit Saint, surtout dans des termes se rapportant davantage à ceux de la pensée naturelle. Le pari cependant est que si la pensée doit rester humble elle n’en doit pas moins tenter d’être intégrale et comprendre ou décrire le lieu intime de ses ruptures, de son propre dépassement, de sa propre limite, de sa transfiguration. L’Esprit est témoin du Dieu de toute consolation 3260 , là où il souffle naît une liberté 3261 , une vie renouvelée. René GIRARD cite le passage biblique de la vallée de ces ossements que le prophète Ézéchiel plusieurs siècles avant Jesus Christ voit se transformer en songe et se vêtir de chair. Il y a un mystère une parole donnée et cette parole rend à la vie, les morts que nous étions.
La main de YHVH fut sur moi, et il m’emmena par l’esprit de YHVH au milieu de la vallée , une vallée pleine d’ossements. Il me la fit parcourir parmi eux en tout sens. Or les ossements étaient très nombreux sur le sol de la vallée et ils étaient complètement desséchés. Il me dit: “Fils de l’Homme ces ossements vivront-ils ?” Je dis “Seigneur YHVH. Tu le sais .“ Il me dit : prophétise sur ces ossements Tu leur diras ossements desséchés écoutez la parole de YHVH. (....) Je prophétisai comme il m’en avait donné l’ordre; et l’esprit vint en eux, et ils reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds : grande immense armée. 3262
Remarquons que la parole prophétique n’est pas d’abord une pensée, ni même une action, elle est obéissance et communion à une volonté. Mystère insondable de Dieu qu’il ne s’agit donc pas de sonder, ici, mais simplement de signaler. La raison se trouve à l’endroit où elle se perd, elle se perd quand elle croit trop s’être définitivement trouvée. Mais ses retrouvailles ne sont jamais des redites, elles sont le lieu d’une transfiguration ; toujours renouvelée.
De l’esprit de la logique, à la logique de l’esprit.
I. nous dit à quel point le travail manuel ne présentait pas à ses yeux de difficulté, le travail intellectuel ne lui a pas donné pendant longtemps la même sensation. Elle parlait du bricolage en ces termes.
J’ai la sensation de confiance en mon intuition que tout ce que j’entreprends de mes mains ne peut que réussir ... 3263
Il est comme une logique de l’esprit et de l’action une symbiose qui semble se perdre et se rompre lorsque la personne n’est pas en mesure de concevoir la globalité de l’acte qu’elle est entrain d’entreprendre.
Ceci signifie-t-il que l’autodidaxie radicale serait la seule garantie de cette symbiose, et l’interférence de la pensée de l’autre comme de son action serait-elle toujours, à l’origine un dérangement ?
G. H. KAPPERS nous signale, avec raison, que “l’autodidactie (autodidaxie ) n’est pas une garantie d’un mode de penser indépendant” . G. H. KAPPERS nous dit encore : “L’intelligence n’est pas abstraction ni abstraite mais au contraire concrète par excellence” . 3264
Une rupture entre les deux mondes de la théorie et de la pratique, homo sapiens homo faber, était jugée nécessaire par ALAIN et BACHELARD, elle ne l’est peut-être pas du tout, elle peut n’être, nous l’avons vu, que le résultat de l’hypostase d’une pensée objective, qui idéalise l’idée et la rend dépendante d’une forme de discours, la sépare du même coup de l’action.
Il est une violence faite à l’homme, à l’enfant, chaque fois que nous n’accueillons pas l‘universel que représentent ses tâtonnements, ses croyances, ses convictions présentes quelles qu’elles soient, telles qu’elles sont. Elles germent dans le noétique (le repos, en étymologie) de sa pensée.
Ils sont déjà l’universel en ce qu’ils sont l’état présent de son être. C’est pourquoi il y avait une violence à forcer des jeunes filles à quitter le voile qu’elles portaient en entrant à l’école. Non pas que ce voile ne puisse cacher des fanatismes, mais il pouvait être un élément de leur conviction temporaire qu’on ne pouvait pas ne pas accueillir dans la mesure où il ne portait atteinte qu’aux fantasmes, non à la réalité, ni à la loi. Il était largement préférable de dialoguer que d’interdire. Chacun ne peut changer d’opinion qu’à partir de l’opinion qu’il a aujourd’hui. Par contre, il existe une autre rupture dont chacun pourra d’autant plus prendre conscience, dès lors qu’il se sentira libre de dire opinions et convictions et de les mettre en pratique : son geste ne répondra pas à sa pensée, il est une pensée hors de lui même, un geste et une parole et ce sont eux qu’il s’agit de rencontrer en actes et en pensées.
Je n’avais pas encore vingt ans, je venais de réussir mon bac à l’École Normale d’instituteurs,et j’exerçais comme moniteur pour la première fois dans une colonie de vacances. Dans le groupe de très jeunes enfants, il y avait une petite fille qui avait été longtemps sous alimentée, qui avait le ventre ballonné caractéristique de certains enfants du quart monde. Jamais un mot, jamais un sourire. Jamais une parole, ni une larme. Son visage était inerte et n’exprimait pas la moindre émotion. Elle se contentait de me donner la main lors des balades que nous faisions ; je lui cueillais des fleurs mais rien entre nous ne passait ; apparemment. Un jour, à midi, alors que nous mangions, je sentis à l’odeur qu’elle venait de “faire” dans ses culottes. Je me levais et me dirigeais dans la salle de bains avec elle pour faire sa toilette. Alors que je la nettoyais j’entendis pour la première fois un cri aigu et léger sortir de sa bouche : des larmes coulaient de ses joues ... et elle pleurait. 3265
Qu’avais-je donc fait dont je n’avais conscience ? Je ne lui avais pourtant pas dit qu’elle m’avait agacé, qu’elle avait choisi un bien mauvais moment. Cette fillette venait de me rappeler à l’intelligence des choses, à la distance, une rupture entre mes geste et ma pensée. Je n’ai jamais oublié cet événement ; il est toujours fondateur et me donne le sens de la vocation enseignante. Enfermer la pensée dans la logique revient à la priver de ses ailes. La pensée retournera d’elle-même à la logique chaque fois qu’elle posera son pied à terre, avant de repartir. La logique se construit par assertions et réfutations, la pensée s’édifie en se dépouillant d’elle même. Antoinette BUTTE, soeur protestante, fondatrice de la communauté de Pomeyrol, que j’ai eu la joie de bien connaître, écrivait :
“On peut avoir suivi les grands esprits dans leur avidité à tout expliquer, à tout définir, tout comprendre, mais il faut avoir dépouillé l’orgueil de tout comprendre.. Notre génération a dû faire ces dépouillements.” 3266
L’hellénisme au regard du christianisme.
Nous avons évoqué combien l’hypostase de la pensée théorique objective, caractéristique de la modernité, était le résultat d’une prédominance d’une lecture hellénique d’une société traversée également par le message judéo chrétien, séparant dès lors inutilement ce qui ne pouvait l’être, et aboutissant à une conception de l’universalité construite, conçue symbolisée, mais de nature schizophrénique, car on ne peut bâtir qu’après avoir accueilli. Et accueillir c’est accueillir le réel commun et singulier, universel, l’aspect noétique de la pensée. G. H. KAPPERS nous explique que, de son point de vue, on ne fabrique ainsi que des moitiés d’hommes.
Il ne faut pas séparer faire de penser, autrement vous ne ferez que des moitiés d’homme. (...) Cette démarche (...) nous conduit à savoir que nous ne sommes pas séparés de la réalité...Et que plus l’individu développera sa propre opinion des choses plus il sera conduit à faire corps avec cette réalité et à ne pas s’en extraire contrairement aux dérives d’un certain intellectualisme... 3267
Alors lire la philosophie avec des yeux éclairés par le message contenu dans le judéo-christianisme, peut permettre de pacifier la pensée et l’action afin de reconsidérer l’homme dans son unité, dans le respect et l’écoute des mouvements intimes et personnels de son action, de sa pensée, dans l’appel à sa transfiguration divine.
Maurice BLONDEL explique en effet que la philosophie comme toute démarche humaine contenait en prémisses la présence qu’il suffit à présent de nommer et qui change tout :
“ARISTOTE avait substitué aux caprices individuels et aux variations d’une sensibilité protéiforme le critère de l’homme exemplaire, l’homme comme il faut qu’il soit pour mériter son nom et sa fonction, l’homme avec sa nature raisonnable, sa formation sociale, sa vertu morale et même cette ascension contemplative, qui, l’élevant au dessus du monde de la génération et de la corruption, l’éternise par instants en une contemplation pour ainsi dire déiforme. Par là déjà, sans que le Stagyrite 3268 l’ait soupçonné, la spéculation philosophique se frayait un chemin vers l’idée non plus seulement d’une méditation occulte, mais vers la sublime conception d’un universel et parfait Médiateur. 3269 ”
Ce qui est vrai pour la philosophie de l’essence, l’est aussi pour la philosophie de l’existence, écoutons PLATON faisant parler SOCRATE.
“Eh bien mon cher ALCIBIADE, l’âme à son tour, si elle veut se connaître elle-même, n’est-ce pas vers une âme qu’elle doit regarder et surtout vers cette partie de l’âme en laquelle réside la capacité propre d’une âme, la sagesse ou encore vers telle autre partie qui lui est semblable. 3270 ”
Cet être en nous qui appelle la perfection, et celui en dehors de nous qui appelle notre contemplation, n’est-il pas le Christ ? Alors l’éclairage devient possible, ce que ARISTOTE et PLATON avaient cru concevoir entrevoir, est une réelle expérience concrète de la Vie par la mort à nous-mêmes ; Vie toute entière extérieure et autre, et toute entière proche comme en nous-mêmes, et qui appelle toujours notre dépassement. Moins à concevoir qu’ à accueillir : le Christ est don, à chaque instant renouvelé, de la Vie pour nous. La philosophie comme la science ont leur place, mais non plus la première, tout juste la dernière, car désormais c’est par les simples, les pauvres, les sans esprits, les gestes humbles, les gestes quotidiens, les paroles de réconfort, le don de soi qu’une parole va nous être adressée. Toute notre science est à échanger, à chaque instant, contre la pierre précieuse 3271 .
Maurice BLONDEL “L’action 1893” P. U. F. Paris 1973 495 pages ; ( p. 279).
Maurice BLONDEL “L’action tome 2 L’action humaine et les conditions de son accomplissement. “
PUF Paris édition de 1963 ; ( p. 344).
Annexes p. 34 et 37 portrait numéro 4 ; Annexes numéro 5 ; page 463
Maurice BLONDEL “ L’action” tome 2 “L’action humaine et les conditions de son accomplissement” . ; ( p. 528).
Pierre GANNE ”Le don de l’esprit” Leçons sur l’Esprit Saint Le Centurion Paris 1984 ; p. 32
Saint AUGUSTIN “Les confessions “ traduction de Louis De MONDADON, Éd. Pierre Horay Paris 1947 ; p 105
Maurice BLONDEL “Les cahiers intimes” tome 2 (en préface) Les éditions du cerf Paris ; (404 pages) 1966
Maurice BLANCHOT L’espace Littéraire Gallimard Paris (1955) Idées ; ( p. 28)
Ibidem p.375
Annexes p. portrait numéro 3 (p 25) ; Annexes numéro cinq ; page 454 : le mémento.
D. W. WINNICOTT “Jeu et réalité l’espace potentiel” Gallimard Paris 1973 ; (212 pages)
(Lire à la page 206 ce que dit D. W. WINNICOTT sur la confrontation nécessaire de l’adolescent avec l’adulte, ici il peut s’agir d’une même confrontation avec le Père.).
J P SARTRE ”Les mots” Gallimard Paris 1964 Collection Folio ; ( p. 21 ).
VAN GOGH Vincent “Lettres à Théo” Gallimard Col.” l’imaginaire” Paris 1988 ; (p 41 ).
Julien GREEN : “Vers l’invisible Journal 1958/1967 “ Plon Paris ; ( 477 pages).
Anaïs NIN Journal 1931/1934 STOCK Paris 1966/1969 ; (508 pages).
Julien GREEN : Vers l’invisible Journal 1958/1967 Plon Paris ; ( p. 477 ).
ROGER frère “Les sources de Taizé” Le Seuil Paris 1980 ; (p.72).
Annexes pages 57 et 69 ;
Annexes numéro cinq ; p 486 : Anton CABALLE ; p. 498 : Nordine BOUDAOUI ...
Paulo FREIRE L’ Education pratique de la liberté traduit du brésilien 3 ° édition Cerf Paris 1975 déjà cité.
Paulo FREIRE “Pédagogie des opprimés” Maspéro Paris 1971
Annexes p.44 ; portrait numéro 6 ; Annexes numéro cinq ; page 473.
Genèse chapitre 13 verset 11 à 13 au verset 12 : Abraham appela ce lieu : “le Seigneur voit”.
Esaïe chapitre 29 verset 18 Luc chapitre 7 verset 21. “ Les aveugles voient ...”
Évangile selon Saint Jean chapitre 1 verset 29 à 41
Dom HELDER CAMARA “Des questions pour vivre “ Seuil Paris 1984 p.76 (105 pages)
Claude PUJADE -RENAUD ” Le corps dans la classe.” Édition E.S.F. Paris 1983 Collection “Science de l’Éducation“
Jan Amos COMENIUS “La grande didactique” traduction Jean Baptiste PIOBETTA P U F Paris 1952 ; (p. 192)
Livre des Actes des apôtres au chapitre 2 des versets 1 à13
Michel. de CERTEAU “L’étranger ou l’union dans la différence” De Brouwer Foi vivante Paris 1969 p. 48 (245 pages )
Livre des Actes des apôtres au chapitre 2 des versets 1 à13
Ibidem verset 12 “Ils étaient tous déconcertés, et dans leur perplexité,ils se disaient les uns aux autres ; “Qu’est-ce que cela veut dire ?” D’autres s’esclaffaient, ils sont plein de vin doux.”
PLATON “Gorgias” extraits traduits par François MILLEPIERRES Collection Hatier 1967; p.44 64 pages
D’après “Le Nouveau dictionnaire étymologique” de Jacqueline PICOCHE Hachette Paris
Cité par l’Encyclopédie Universalis d’où je puise cette référence..
Mathieu chapitre 27 verset 51 (voir Luc chapitre 23 verset 45, voir enfin Marc chapitre 15 verset 38 )
Citons que Dieu choisit “Les choses folles pour confondre les sages” 1° épître de Paul aux Corinthiens chapitre 1 verset 27. Tout l’évangile culmine dans ce renversement radical des valeurs “Les derniers seront les premiers” (Luc chapitre 13 verset 30) dont le Christ roi humble sans honneurs, né dans la mangeoire des animaux, entrant aux rameaux à Jérusalem sur un âne, est l’incarnation même. Ce renversement des valeurs n’est donc pas de nature idéologique, mais il s’incarne dans le Christ présent en toute chose car en lui pour lui,avec lui tout fut créé.(Lettre de Paul aux Hébreux chapitre 1 verset 2)
Aujourd’hui, le taylorisme est en partie révolu du moins en récession, dans les pays occidentaux en tout cas. Le technicisme lié à l’évolution des technologies nécessitant de moins en moins d’oeuvre directement productive pourrait bien lui avoir succédé. Dans le taylorisme comme dans le technicisme l’homme personnel est séparé de la réflexion sur les finalités qui , ici comme là, lui sont confisquées. Dans le premier cas son corps était aliéné, dans le second c’est sa pensée. Lire de ELLUL Jacques “La technique ou l’enjeu du siècle”. Économica Paris ; (424 pages).
Jean DASTÉ, élève de Jacques COPEAU (1879-1949), fut acteur, metteur en scène. Il fut le créateur de la comédie de Saint-Étienne dans l’après guerre, en 1947, il la quitta en 1970. Il fut un des pionniers de la décentralisation culturelle et artistique en France. Jean Dasté qui fit entrer le théâtre dans les cours des usines, partage sans nul doute le point de vue de Jean Mercier. Ce mouvement de la culture reconnue en direction des lieux de vie et de travail des hommes est exactement l’inverse de celui des maisons de la culture qui, par définition, localisent la culture dans une enceinte. Intervenant dans un stage ZEP en Janvier 1991, stage que j’avais la tâche d’organiser, Jean Dasté nous déclara que, selon lui, le théâtre était l’art de créer du rêve avec trois fois rien. Il regrettait son évolution vers des superproductions spectaculaires qui sont des prouesses de la technique mais qui éloignent de l’émotion crue première vitale et intégrale. Dans notre journal de Zone il déclarait, au soir d’une vie toute consacrée à servir le théâtre : “Le théâtre c’est la récréation des grands.’ (Passerelle n°1 p. 3 Décembre 1991)
Maurice BLONDEL “L’action 1893” PUF Paris 1973 ; (pages 339 à 356).
ibidem p. 347
ibidem p. 355
ibidem p. 356
ibidem p. 397
Voir JP. CHANGEUX,qui bien qu’optant délibérément pour une idéologie matérialiste, retrouve cette unité première de l’homme, qu’il revendique et dont il s’étonne de la voir être refusée par bien des scientifiques modernes (entre autres, dit-il, les psychanalystes et psychologues). Il écrit : “L’identification d’événements mentaux à des événements physiques ne se présente en aucun cas comme une prise de position idéologique , mais simplement comme l’hypothèse d e travail la plus raisonnable et surtout la plus fructueuse. (L’homme neuronal déjà cité p. 334).
Et encore :
“ L’identité entre états mentaux et états physiologiques ou psychochimiques du cerveau s’impose en toute légitimité.”Cette conclusion entraîne encore bien des résistances. Le débat sur le “mind body problem” (que les auteurs français hésitent à traduire : problèmes des relations de l’âme et du corps !) n’existe que dans l’unique mesure où l’on affirme que l’organisation fonctionnelle su système nerveux ne correspond pas à son organisation neuronale. Il est remarquable que des résurgences de ces vieilles thèses bergsoniennes se retrouvent sous la plume de quelques psychologues contemporains.” (L’homme neuronal déjà cité p. 334 et 335).
Paradoxalement Jean Pierre CHANGEUX rejoindrait donc Maurice BLONDEL qui s’opposa à l’idéalisme bergsonien.
BLONDEL voyait en Dieu et le surnaturel une manifestation incarnée tout aussi concrète que nécessaire.
JP CHANGEUX se réfère lui-même aux travaux de :
M. PIATTELLI PALMARINI “Structure distale et sensation proximale : critères de co-traduisibilité”.1979
in Communication n° 31 p.171 à 188.
M. BUNGE “The mind body problem” 1980 Oxford Pergamon Press.
J. FODOR “The mind body problem”1981 SC Amer n° 244 (1)( p. 114 à 123)
PLATON “ Gorgias” extraits traduits par François MILLEPIERRES collection Hatier 1967; p.24 64 pages. On retrouve cette citation à la page 75 de ces notes connexes, voir l’explication à la note au bas de la page 75.
Jean GUITTON et Grichka et Igor BODGANOV “Dieu et la science” Paris Grasset 1991 p. 23 (196 pages).
Ibidem p. 21
Maurice BLONDEL “La pensée” tomes 1 et 2 1934 librairie Félix ALCAN Paris 1934
ibidem tome I p. 275
Olivier REBOUL “La philosophie de l’éducation” PUF collection ” que sais-je ?” Paris 1° édition 1989, 3° édition corrigée 1992. 121 pages.
Olivier REBOUL a cette formule qui réunit bien les deux aspects. “Ainsi il nous semble que la fin de l’éducation est de permettre à chacun d’accomplir sa nature au sein d’une culture qui soit vraiment humaine. Si cette fin paraît utopique elle est la seule qui préserve du laisser-faire comme de l’endoctrinement (p25)”
BLONDEL Maurice “Itinéraire philosophique” éd. Aubier Montaigne Paris 1966 (p. 42) (1928)
propos recueillis par Frédéric LEFÈVRE
MONTAIGNE “Les essais” livre 2
Extraits des essais Hachette 1914 Paris par A JEANROY ; (p. 149).
Michel DEVELAY “De l’apprentissage à l’enseignement “E S F Paris 1992 p. 161 (163 pages)
PRATOUSSY Christian “mémento”1992 1993 ; Annexes numéro 5 ; page 454 : le mémento ; op.cit.
Il se référait à l’ouvrage de KOHN et NÈGRE “Les voies de l’observation” Nathan Paris.
KOHN et NEGRE y distinguent deux possibles méthodologies de recherche compatibles et complémentaires :
La méthode qui tente d’ éliminer de prime abord toute référence subjective ; celle au contraire qui ne gomme pas ses a priori. Dans les deux cas cependant il convient d’analyser la position du chercheur et d’en tenir compte : la recherche d’objectivité étant elle-même une subjectivité.
Évangile selon Saint Jean chapitre 17 versets 15 et 16.
Cité par :
Étienne BORNE : “Emmanuel MOUNIER ou le combat pour l’homme”. Éditions Seghers Paris 1972 ; (p.152 ).
Tiré de :
Emmanuel MOUNIER Oeuvres complètes tome 2 Seuil Paris 1962 p. 678 679 (794 pages)
Cité par Ibidem p. 181
Tiré de :
Emmanuel MOUNIER : “Qu’est-ce que le personnalisme “? Ed du Seuil Paris 1947; (p. 179)
Maurice BLONDEL : “ La philosophie et l’esprit chrétien .“ Ed. PUF tome 2 1946 ; (p. 184) .
Annexes page 32 portrait numéro 4 ; Annexes numéro cinq à la page 461
Bertrand RUSSELL “La méthode scientifique en philosophie. Notre connaissance du monde extérieur”.(traduit par DEVAUX) Petite bibliothèque Payot 1971 ;( p. 238 )1° édition française en 1928 chez Vrin.
Le Paraclet est le nom de l’Esprit Saint, nom donné par le nouveau testament ; il signifie le Consolateur.
(Évangile de Jean chapitre 14 verset 26)“Le Paraclet , (l’Esprit de Consolation, donc)l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit.”
Annexes page 52 Portrait numéro 8 ; Annexes numéro cinq à la page 481
Ibidem. Lire l’évangile de Luc X 21 ou Mathieu XI 25 op. cit.
PLATON “L’alcibiade majeur.” Hachette Paris 1986 Traduction introduction et notes Pierre José ABOUT.; ( p. 91) .
Trois étapes de la vie de Pierre :
La confession de foi ( Marc chapitre 8 versets 27 à 30). Il reconnaît le Messie en Jésus “Le Fils du Dieu Vivant.’
Le reniement.(Matthieu chapitre 26 versets 29 et suivants). Il avait présumé de lui-même; au moment de la croix, il cède.
Le discours de la Pentecôte : institution de l’Église.(Actes chapitre 2 versets 14 à 36).Il reprend et annonce comme accomplie la prophétie de Joël “Je répandrais Mon Esprit sur toute chair ...”
Cité par Étienne BORNE”MOUNIER” Édition Seghers Paris 1972
In Emmanuel MOUNIER : “Qu’est-ce que le personnalisme ? “ (1947)
In Oeuvres complètes tome 3 Édition du Seuil 1962 Paris p. 197 198 .
Cette phrase est souvent répétée par Jésus en direction de ceux-là même qui n’ont pas la connaissance des écritures et qui simplement ont confiance et Espèrent en Lui. ( Marc Chapitre 5 verset 34)
Évangile de Marc chapitre 5 versets 1 à 20
Maurice BLONDEL “La philosophie et l’esprit chrétien” tome 2 PUF Paris 1946 (tome 2) p. 51.
Ibidem p. 50 51
Karl BARTH “Parole de Dieu et parole humaine” édition : Je sers Paris 1933 ; (p. 143).
Le même mot pneuma indiquait le vent et l’esprit. Lire en Jean chapitre 3 verset 8. “Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va...” (Parole de Jésus à Nicodème.)
Lettre de Paul aux Romains chapitre 8 verset 22
2° épître de Paul aux Corinthiens chapitre 1 verset 3 et 4 “il nous console dans toutes nos détresses pour nous rendre capable de consoler tous ceux qui sont en détresse par la consolation que nous nous-mêmes recevons du Seigneur.”
2° épître de Paul aux Corinthiens chapitre 3 verset 17. “Là où est l’Esprit du Seigneur est la liberté.”
Ézéchiel chapitre 37 versets 1 à 4 puis verset 10.
L’ensemble du texte : versets de 1 à 10 est cité par :
René GIRARD “Des chose cachées depuis la fondation du monde”. Édition Grasset Paris 1978 ; ( p. 469).
Annexes p.63 portrait numéro 11 ; Annnexes numéro cinq ; page 492
Annexes p. 32 portrait numéro 4 ; Annexes numéro cinq ; page 461
Nous évoquons cette histoire dans les notes annexes numéro 3 de la thèse présente lors d’une lettre à la classe ; à la page 159 des notes annexes ...
Antoinette BUTTE “Semences” p. 15 Édition Oberlin Strasbourg 1989 p. 15 (187 pages)
in Antoinette BUTTE “L’incarnation La Sainte Cène l’Église “Librairie Fischbacher 1936
Annexes p.34 portrait numéro 4 ; Annexes numéro cinq ; page 463
ARISTOTE était habitant de Stagire en Macédoine
Maurice BLONDEL “La philosophie et l’esprit chrétien” Autonomie essentielle et connexion indéclinable
tome 1 édition PUF Paris 1944 ; (p. 88)
PLATON “L’alcibiade majeur” traduction de Pierre José ABOUT éditions Hachette Paris 1986 ; (page 91).
Évangile selon Saint Matthieu chapitre 13 verset 45 : “Le Royaume des cieux est encore comparable à un marchand qui cherchait des perles fines. Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé vendre tout ce qu’il avait, et il l’a achetée.”