Annexes numéro 1. Écrits ou interviews à propos de la thèse

La pédagogie et la Bible. Article pour “foi et éducation” ... numéro 98 Avril Juin 1997 pages 14 et 15

Pédagogie et Bible, sont deux notions qui se visitent, se repoussent parfois, et s’interrogent mutuellement, et cela d’autant plus que, si la Bible est d’origine juive, la pédagogie trouve son origine étymologique dans la Grèce antique. La révélation biblique, visite et interroge donc la pédagogie, comme la pédagogie visite et interroge la Bible, selon un choc pratiquement culturel, entre Grèce et Israël.

Chacun sait que, dans l’antiquité, le pédagogue grec était cet esclave qui accompagnait l’enfant d’un maître à l’autre ... Nous passons du pédagogue à la pédagogie, par une sorte de rupture à l’origine de laquelle la Bible n’est peut-être pas étrangère. (Le Littré signale que la première introduction du mot pédagogie dans la langue française, serait l’oeuvre de CALVIN, dans l’Institution chrétienne). En effet, dans l’antiquité grecque, l’honneur d’instruire réellement, était le fait d’un maître chargé d’enseigner ses élèves dans sa discipline. Tout se passe donc comme si, de par l’apport biblique, tout à coup, le maître expert cédait son honneur à l’esclave accompagnateur, qui selon la tradition grecque devait répondre, par sa vie, de la vie de l’enfant qui lui était confié. En effet, dans la Bible, Dieu se révèle lui-même, comme choisissant de prendre la place de cet esclave par qui le salut est apporté au monde. C’est le Fils de Dieu, lui-même, Dieu lui même, qui répond, par sa vie, de la nôtre.

En effet , selon le phylum biblique, le savoir qui nous est enseigné s’échappe des représentations abstraites, ou concepts, comme par exemple ceux des débats entre essence et existence, tous issus des catégories grecques, pour se situer dans la perspective du Royaume, et selon l’action directe de Dieu lui-même, dans l’histoire humaine, au travers d’une histoire, de faits et de gestes.

La pédagogie biblique est donc avant tout celle insondable et mystérieuse de Dieu lui-même, insondable et mystérieuse présence. Dieu Tout Autre, se fait tout proche, parle, agit, s’implique progressivement, à chaque étape davantage, dans l’histoire humaine. Dieu parle, puis le verbe s’incarne, il prend chair pour chacun, se fait nourriture, et époux pour une création nouvelle dont le Christ est le premier né. Son projet final est de conduire l’homme à la conscience du Royaume de Dieu et de la distance qui l’en sépare, de l’inciter alors librement à se convertir à accepter l’invitation à la vie, à la liberté. Ce projet ne se dévoile que progressivement, par étapes successives. La Bible donc, finit par conduire, inviter à se convertir au Christ, que, simultanément, elle nous révèle .

Dès lors, il devient possible, pour mieux comprendre la richesse de son enseignement, de regarder la pédagogie biblique, selon plusieurs points de vues.

Le point de vue du texte lui-même qui, de par lui-même, se définit intrinsèquement comme parole de Dieu ... Ce point de vue nous révèle la pédagogie insondable et vivante, incarnée, de Dieu dans la Bible, son développement, son déploiement historique, le cheminement de l’alliance ...

Le point de vue de la pédagogie humaine suggérée aux hommes, par le texte biblique lui-même. Dans la perspective néo-testamentaire, spécialement, selon l’accomplissement de la parole en Christ. On voit dès lors que le prix, comme la parabole du trésor caché le signale, gagne sur les pratiques ou les méthodes, en même temps qu’il semble ouvrir un champ nouveau à celles-ci.

Enfin, le point de vue de l’action de la parole biblique, de la Bible dans le monde, dans l’histoire humaine commune, comme dans chaque histoire singulière. Les traces en sont objectivement très facilement perceptibles.

À ces trois points de vue, nous pouvons ajouter encore et surtout, que cette parole biblique se fait parole de Dieu par l’action, le témoignage de l’Esprit Saint, dans l’aujourd’hui, de façon nouvelle.

Ainsi en est-il, entre bien d’autres exemples possibles, du cantique de Marie ou des nombreuses citations par Jésus ou par les rédacteurs des évangiles, de l’Ancien Testament, “afin que cela soit accompli”. Une personne me disait récemment, qu’à chaque fois qu’elle lisait dans la Bible, des textes pourtant tant et tant de fois lus et relus, elle y trouvait une parole nouvelle. C’est cela aussi la prophétie qui s’accomplit.

Dieu est vivant. Il oppose la parole aux discours. Il agit quand il parle, il fait alliance, il pose ainsi comme un trouble, une circoncision invisible au coeur même de chacun, où s’écrira désormais l’alliance nouvelle et éternelle.

Par l’action de l’Esprit Saint, la prière s’active. L’action de la prière épouse alors gestes et pensées, pour une transcendance incarnée, inscrite dans le quotidien des gestes, de chaque histoire, de chaque vie qui l’accueille.

Ce sont, entre autres, les passages, de l’illusion sur ses propres forces à la conscience de sa propre indigence, de la conscience de sa propre indigence à celle de l’injustice qui frappe le prochain, de la conscience de l’injustice à la révolte, de la révolte à la prière intercessive, de la prière à la louange, de la louange à l’action, de l’action à l’action de grâce, de la discorde à la réconciliation, de la réconciliation à la communion, etc ... Autant de passages de la mort à la vie, selon ce mouvement inversé, renversé, allant de Dieu vers l’homme, et qu’on appelle la grâce.

Désormais, l’homme devra marcher par la foi, car la foi est singulièrement révélée par la Bible, comme l’outil par excellence de l’enseignement de Dieu. L’enseignement de Dieu, ne se lit plus entre théories et pratiques, on n’atteint pas Dieu au bout de spéculations purement virtuelles, intellectuelles, mais dans une rencontre personnelle, mais dans un dialogue, entre gestes et pensées, entre le dire et le faire, pour une création nouvelle. Il invite donc en priorité, non à un savoir savant mais à une communion d’amour, de pensées et d’actes, avec Dieu lui-même, avec tous les hommes. Une vie nouvelle est ainsi rendue possible, vie éternelle dès aujourd’hui.

La pédagogie de Dieu pose d’abord, et repose sur, un prix. Ce prix est celui de Dieu lui-même, pour chacun de nos frères, les hommes, et spécialement pour le plus méprisé ou délaissé d’entre eux, notre prochain, dans lequel la présence divine se manifeste, pour chacun de nous. Elle invite donc toujours à entendre la parole de Dieu, manifestée au milieu des hommes, parmi les hommes, dans le cri des hommes en quête de justice, de guérison, ou d’espérance, en priorité même à toute autre chose, de communier en elle, avec eux. Elle appelle chacun à devenir parole de Dieu lui-même, pour d’autres.

À la pédagogie insondable “verticale” de Dieu, l’homme chrétien peut désormais répondre par des pédagogies plurielles “horizontales”, qui posent toutes en Christ, leur valeur suprême. Comme autant de modestes questions en quêtes de réponses.

Ces pédagogies ne se résument donc pas par des pratiques et encore moins par des méthodes.

Elles échappent d’ailleurs à leur dictature éventuelle, par la respiration, la liberté d’un dialogue toujours possible, pour une consécration renouvelée.

La pédagogie insondable et singulière de Dieu a modifié, modifiera encore, jusqu’à la transfigurer, notre histoire commune, comme chacune de nos histoires singulières, c’est ce que nous disons par la foi. C’est aussi par la foi, que je comprends encore qu’il y aurait beaucoup à dire, à développer, sur la pédagogie de Dieu, et sur les réponses humaines qu’elle suscite, des choses que je n’ai pas eu la place d’écrire ici, et tant d’autres encore qui m’échappent aujourd’hui. L’essentiel est sans aucun doute révélé aux enfants et caché aux intelligents et aux sages.

La Bible nous apprend que la pédagogie de Dieu est vie, que la vie est pédagogie en Dieu, que la vie nous est donnée gratuitement en Dieu par son fils, Jésus.

À l’évidence, la Bible a traversé, traverse, et traversera encore, les représentations des hommes, démythifiant le monde, renversant son attraction magique, démythifiant les représentations humaines lorsqu’elles se prennent pour des dieux, les dénonçant comme de simples représentations mortes. Ce qui sort de cette pédagogie n’est donc pas une représentation supplémentaire, un concept, une idéologie, mais une personne pour qui, par qui, tout est créé, tout vit et respire, et qui règne à jamais, le Christ. Une invitation à une communion de pensées d’actes, est rendue possible en lui, avec Dieu lui-même, avec la vie en Dieu, comme une invitation à la vie, la vie éternelle, dès aujourd’hui.

Cette communion, où chacun est appelé par son nom, s’exprime dans le don gratuit, le don d’amour gratuit.

Antoine Caballé pour “Foi et Education” 1 et 2 Mai 1997