Lettres à la classe 1995 /1996

Le Lundi 4 Septembre 1995

Première lettre à la classe.

Bonjour et bonne année scolaire à vous tous.

Lors de cette année scolaire qui commence aujourd’hui j’aimerais que chacun apprenne beaucoup de choses car c’est pour cela que l’on vient à l’école.

Mais qu’est-ce que apprendre ?

Il nous faudra sans doute beaucoup de temps pour le comprendre. Et je crois même qu’une vie entière ne saurait suffire pour expliquer ce mot.

On dit généralement que dans une classe ce sont les enfants qui apprennent et le maître qui enseigne.

En tout cas, je crois pouvoir vous dire dès aujourd’hui, qu’apprendre et enseigner ne sont pas très différents l’un de l’autre.

Lorsque je sais quelque chose je peux l’enseigner à quelqu’un d’autre.

Mais lorsque j’apprends quelque chose, j’enseigne déjà également mon maître dans l’apprentissage, qui au travers de mon apprentissage, de mes façons de m’y prendre de savoir ou de ne pas savoir faire, apprend quelque chose de moi comme de la matière même; que j’essaie d’apprendre.

Chacun est donc toujours un peu enseignant ou maître et un peu apprenant ou élève.

On pourrait dire qu’un bon enseignant est un bon apprenant et inversement.

Autrement dit pour être un bon maître il faut savoir être élève et un bon élève est également un bon maître.

Ainsi, nous pouvons dire aussi que tout élève, que chacun de vous, est déjà un petit maître.

J’aimerais donc que chacun apprenne beaucoup de choses au cours de cette année scolaire, mais qu’il prenne aussi conscience qu’il est un enseignant et qu’il enseigne les autres de tas de bonnes choses.

Le maître

Commentaire personnel écrit pour moi-même après la présentation de la première lettre.

Elles étaient trois élèves professeur. Elles ont assisté, dans la classe, à la première matinée, puis elles sont revenues en fin d’après midi, après la classe, pour un échange sous la forme d’un dialogue.

J’avais écrit ce matin la première lettre à la classe.

Les élèves sont des C E 2 et il est bien normal de penser que, même si la lecture de la classe fut largement commentée par moi-même au fur et à mesure de la lecture collective, les enfants ne l’avaient pas bien, ou en tout cas complètement, comprise.

Ainsi, l’une des trois élèves professeur, Christine, me demanda-t-elle : “Mais, qu’ont-ils compris, et comptez-vous reprendre cette lettre pour la rendre plus claire?”

Je répondis alors , un peu par provocation, je l’avoue à peu près ceci ... :

mais je ne compte ajouter à cette lettre rien du tout .... Je vais seulement veiller à être convaincu dans ce que j ‘énoncerai tout au long de l’année et ce que je dis, mais la perfection d’une pleine compréhension dans la relation humaine n’existe pas. Je poursuivrai un dialogue avec les enfants ... mais sans trop d’illusions sur ce qu’ils comprendront, je ne cherche pas à dresser ou à rendre docile, je ne cherche pas à conditionner mais à éveiller ... Toute relation éducative est, disent les spécialistes , mue dans un rapport à une médiation. La médiation pédagogique n’est pas dans l’outil comme a voulu le faire croire le langage techniciste contemporain. La médiation n’est pas la médiatisation, elle n’est pas non plus contenue à l’intérieur de ce qu’on appelle vulgairement les médias, ceux-ci ne sont que des porte-voix des amplificateurs, augmentant quantitativement le nombre de personnes concernées par le message ou encore facilitant l’accès pratique à celui-ci. Le media ainsi réduit au médiatique suppose une relation morte où l’effet recherché est prédéterminé se veut déterminant pour la suite et irrévocable en même temps qu’unilatéral et univoque. J’ai un objectif de message parfaitement clos et défini et je me sers du media technique pour atteindre cet objectif. Mais cette relation d’ordre technique suppose que j’aie le sentiment d’avoir quelque chose à faire ou à enseigner vis à vis d’un autre sans effet de réciprocité.

Ainsi ne se joue pas la relation éducative. Comme l’indique le message même de cette lettre apprendre et enseigner sont réversibles et finalement se rejoignent s’épousent et se fécondent mutuellement..

La relation éducative est une quête qualitative. Lorsque je parle vraiment ce n’est jamais avec la sensation de l’effet seulement recherché, mais avec le sentiment qu’il faut dire un rapport à la vérité. La médiation est davantage dans ce rapport à la vérité recherchée communément, une vérité qui n’est pas la possession de quiconque mais qui est la quête commune de chacun. La médiation n’est pas seulement,non plus dans la recherche de la vérité, elle est elle-même cette vérité même insaisissable qui cependant se laisse nommer invoquer, prier, chercher et, comme par intermittence, posséder. Elle se nourrit et se révèle aussi dans cette quête de vérité, essentielle. à chacun”

En disant ces paroles je pensai sans citer mes sources à deux passages de l’évangile. “il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes” I Timothée II 5

Et aussi : “Frappez et l’on vous ouvrira “Matthieu VII 7

Je peux, à présent, prolonger et approfondir cette réflexion. On peut toujours me rétorquer que les médiateurs de la relation pédagogique, tels que les conçoivent les maîtres à penser de la pédagogie contemporaine, ne sont pas contenus dans le médiatique. Avec HOUSSAYE, la formalisation la plus souvent usitée est celle du triangle pédagogique à trois pôles : le savoir, l’enseignant, l’élève. La médiation est, selon ce triangle, triple entre chacun des trois pôles par rapport aux deux autres.

L’enseignant est médiateur entre le savoir et l’élève. Le savoir est médiateur entre l’élève et l’enseignant. L’élève est médiateur entre le savoir et le maître. N’empêche que cette vision intéressante du point de vue de ses débouchés sur la pratique pédagogique en reste prisonnière en quelque sorte en en restant à une sorte d’immanence exclusive de la relation où tout se jouerait dans l’horizontalité d’une intersubjectivité. La question que je me pose : Cette vision des choses n’est-elle pas celle qui conduit par répercussion au glissement pour chacune des trois médiations aboutissant à la substitution exclusive de cette médiation par l’outil 3463 chargé d’opérer les réajustements, les remédiations lorsqu’un problème, un déséquilibre constaté se pose et que l’on veut le résoudre.

Exemple : si un problème se pose dans l’une des trois dérives que suggère HOUSSAYE selon le principe du tiers exclu, prenons la dérive démiurgique qui exclut le savoir pour ne privilégier que la relation maître élève, on va trouver la réponse par une mise en place d’une technique, voire d’une organisation qui va permettre de “remédier” à cette médiation problématique.

Ainsi, nous avons glissé à partir du modèle triangle pédagogique à une vision techniciste de l’apprendre et de l’enseigner qui a dominé au cours des années quatre-vingt et quatre vingt-dix.

Le triangle éducatif qui se joue, selon AVANZINI, entre trois pôles différents qui sont les finalités , les représentations, et les contenus, élargit notre regard.

En effet, la notion de représentations inclut par définition l’ incomplétude, dans ce que les linguistes pourraient appeler le discours du maître, et le discours de l’élève. Pour être complet on pourrait y ajouter le discours du savoir et le discours des finalités explicites. Si nous reposons donc la relation pédagogique sur la relation éducative fondatrice cette notion de discours nous renvoie à l’ incomplétude et à l’incontournable nécessité de l’acte de foi initial. Dans le triangle éducatif de Guy AVANZINI, l’acte de foi est donc, selon mon analyse, implicitement suggéré comme étant fondateur.

Et nous retrouvons là la question essentielle que pose le message biblique. Toute finalité suppose un acte de foi, toute finalité suppose un fondement. Ainsi se poserait la première question de la Bible à l’éducation : Où est ton fondement, quel est ton acte de foi ?

L’acte de foi, dans une pensée théiste, oscillerait entre transcendance et immanence, pensée magique et pensée mécaniste, dans une pensée anthropomorphiste, il aurait du mal à se situer sur un autre fondement que l‘hypostase du doute systématisé d’où émerge la construction idéologique, totalisante. Le mystère du Christ, tout à fait Dieu et tout à fait homme, la révélation de Dieu dans l’histoire des hommes au travers de l’histoire d’Israël, seule, ouvre un espace et un dialogue entre immanence et transcendance, un trouble entre gestes et pensées.

La relation “Je tu “ qui en émerge tant du point de vue de Dieu que du point de vue de l’homme, n’est cependant pas contenue dans ce que les théoriciens nomment la relation intersubjective.

Je est je. Tu est tu.

L’un et l’autre entrent en dialogue. L’intersubjectivité est un système de représentations qui tente de s’approprier le je et le tu pour les rendre opérationnels vis à vis d’une construction théorique cohérente. Je pense à HABERMAS bien sûr mais aussi déjà dans une moindre mesure peut-être à la phénoménologie selon HUSSERL précurseur de la vérité dans l’intersubjectif. Il s’agit d’un dernier obstacle qu’il nous faut contourner pour entrer dans le mystère de la révélation biblique et de son impact éducatif.

Où est la cohérence dans le cheminement par la foi ? Elle est dans la quête du royaume et dans l’irruption impromptue du Tout Autre dans le quotidien, le regard qu’évoquait Maurice BLONDEL de celui qui cherche à reconstituer entre deux intermittences lumineuses à partir du chemin déjà parcouru le lieu de la prochaine apparition, elle est dans le mystère de ses apparition successives. La cohérence est dans la quête et non dans le système. Je me réjouis de voir que dans son dernier ouvrage P. MEIRIEU semble enfin le reconnaître et en faire le constat. 3464

Lundi 11 Septembre.

Deuxième lettre à la classe.

Bonjour et bonne semaine à tous.

Nous sommes en classe depuis une semaine, et, particulièrement depuis Jeudi, avec la venue de Brigitte Ayme 3465 , j’ai noté que tout n’allait pas pour le mieux. Brigitte Ayme me disait être fatiguée, car beaucoup d’élèves font du bruit et n’écoutent pas. J’ai dû moi-même, lorsque j’étais avec vous, hausser la voix, à plusieurs reprises. Alors, pour vous conduire à réfléchir, j'ai pensé vous laisser le texte d’une lettre que j’avais écrite à la classe de l’année dernière juste avant que nous ne commencions les répétitions sérieuses du spectacle que vous avez vu en fin d’année : “L”enfant pauvre et sa mère”.

Il me semble qu’il nous faut, à présent préciser, quelques choses encore.

Nous avons vraiment besoin de chaque enfant pour réussir le spectacle.

Une idée m’est venue hier, tandis que je voyais que Taous n’était pas très concentrée.

Prenons l’exemple d’un musée et d’un magnifique tableau.

Imaginons qu’un enfant passe avec de la peinture et fasse une petite tache noire au centre de la toile.

Tout le monde en passant devant la toile ne verrait plus que cette tache et en oublierait le tableau.

Tout le travail du peintre serait réduit à zéro par une seule tache noire d’un seul enfant.

Qui a-t-il de plus facile à faire qu’une tache ? Et pourtant ...

Pour continuer notre exemple, nous pourrions imaginer que ce même enfant ait fait cette même petite tache sous le préau de la cour qui est déjà tout recouvert de graffiti et d’inscriptions ?

Qui la remarquerait ? Personne évidemment. Cela signifie que très souvent plus les choses sont belles, plus elles sont porteuses d’un message d’amour de paix et de liberté, plus elles sont fragiles, et il faut l’attention de tous pour que chacun puisse les admirer.

Il en ira ainsi avec le spectacle. Si un seul enfant décide de faire sa tache noire, j’ai bien peur que le public ne voie qu’elle et oublie tout le travail de tous les autres enfants.

Chacun de nous a donc une grande responsabilité. “ 3466

Le message est clair : la classe n’est pas une cour de récréation. Plus nous voudrons avoir une classe qui fait de belles choses et plus elle s’exposera, et aura besoin de chacun de nous, et plus sans doute elle paraîtra, vue de l’extérieur, fragile.

Il reste que l’année dernière nous avons réussi tant bien que mal à jouer le spectacle.

Puissions-nous cette année réussir une très bonne année scolaire.

Nous avons besoin de chacun de nous pour cela.

Le maître

Lundi 18 Septembre.

Troisième lettre à la classe.

Bonjour et bonne semaine à tous.

Nous sommes en classe depuis deux semaines, et, nous allons peu à peu vers une organisation définitive.

Il faudra du temps pour arriver à une classe qui soit bien organisée.

Mais bien plus important que l’organisation est de bien s’entendre d’être amis les uns des autres.

Une bonne organisation de travail ne remplacera jamais l’amitié qui doit exister entre nous.

J’aimerais vous apprendre à ne pas vous fâcher inutilement et à rechercher toujours le point de vue de l’autre.

Hier, on m’a parlé d’un homme , qui fut un peu l’inventeur des écoles maternelles, il ouvrit dans son village des écoles dites du tricot où les petits enfants apprenaient à coudre, il s’appelait Oberlin, il était un pasteur alsacien. Il vécut entre le XVIII et le XIX ° siècle.

Lorsqu’un problème se posait entre deux personnes de sa paroisse, de son village, il leur demandait de s’asseoir l’un en face de l’autre autour de sa table de bureau.

Sur la table une image étrange était posée.

Chacune des personnes regardait la même image, mais d’un point de vue différent.

Ainsi, l’un voyait un singe tandis que l’autre voyait une colombe. Lorsque Jean Frédéric Oberlin leur demandait ce que chacun voyait, chacun disait ce qu’il voyait de l’endroit où il était assis. Puis, Oberlin demandait à chacune des deux personnes de changer de place, et chacun disait alors ce qu’il voyait à présent depuis sa nouvelle place. Celui qui avait vu la colombe voyait à présent le singe et inversement celui qui avait vu le singe discernait une colombe.

Lorsque vous avez un conflit avec quelqu’un, pensez à prendre sa place, à imaginer les choses telles qu’ il les voit. Alors vous le comprendrez mieux. Sans doute, vous ne vous disputerez plus, et commencerez à vous réconcilier en essayant de dialoguer.

Parfois, les problèmes ne proviennent que de ce que nous voyons de la place où nous nous trouvons et qui nous apparaît différent de ce que les autres voient alors que chacun sans doute cherche une même chose mais de façon différente.

Il suffit de changer de place pour voir tout autrement, avec une autre perspective et comprendre alors un autre point de vue que le sien propre.

Par exemple un bébé regarde une table comme une montagne, et une montagne pour un aviateur ne ressemble depuis son avion qu’à un tas de terre ou un pâté de sable.

Apprenons à prendre la place de l’autre.

Le maître

Lundi 25 Septembre.

Quatrième lettre à la classe.

Bonjour et bonne semaine à tous. Cette semaine commencera vraiment le travail de la classe. Je ne sais si vous avez compris ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons à l’école.

Une chose est sûre cependant, rien n’est possible si chacun n’y met pas du sien.

Je vous avais parlé d’apprendre et d’enseigner, comme d’une même chose, de la tache de peinture noire sur un tableau dans un musée ou sous le préau dans la cour, de l’image de Jean Frédéric OBERLIN .

J’aimerais aujourd’hui vous parler de Hans BRINKER, un enfant de Spaarndam petit village près de Haarlem aux Pays-Bas.

Les Pays-Bas sont souvent appelés vulgairement la Hollande. La Hollande n’en constitue en fait qu’une partie, la plus importante du pays certes, mais encore divisée entre Hollande du sud et Hollande du nord, en deux provinces.

On appelle ces pays les Pays-Bas car ils sont très bas effectivement sous le niveau de la mer et en partie construits par les hommes et comme gagnés sur elle. Les Hollandais disent souvent : “ Tous les peuples ont reçu une terre, nous nous avons dû gagner la nôtre par notre travail.” Les terres gagnées sur la mer s’appellent des polders, elles sont protégées de la mer par d’immenses digues. Lorsqu’une digue cède c’est une immense catastrophe car l’eau recouvre tout des champs aux maisons sur des kilomètres...

Une légende que certains prétendent être une histoire vraie, raconte l’histoire de Hans BRINKER, un petit garçon de Haarlem qui la nuit se rendant chez lui et passant devant une digue qui protégeait la ville de la mer, vit une minuscule fissure en celle-ci. La fissure était certes minuscule mais l’eau commençait à suinter et Hans savait qu’elle allait rapidement devenir un flot qui allait tout emporter sur son passage.

N’ayant pas le temps de courir prévenir les habitants, il mit son doigt dans le trou qui commençait de s’ouvrir afin de le boucher. Il resta toute la nuit ainsi sans bouger, transi de froid, car il s’agissait d’une nuit d’hiver et qu’il fait très froid l’hiver, en Hollande.

Au matin, les pêcheurs qui partaient au travail le découvrirent frigorifié mais fidèle au poste qu’il s’était lui-même imposé.

Ils comprirent alors que cet enfant leur avait sauvé la vie.

Si vous vous rendez à Spaarndam un jour, vous verrez une statue dédiée au petit Hans BRINKER, au milieu du village. Je ne sais si cette histoire est vraie ou pure légende mais de toute façon elle nous laisse un message. Parfois, un enfant seul peut sauver une ville, une classe ou une école ...

Cet enfant c’est peut être chacun de vous, aujourd’hui.

Le maître de la classe.

Lundi 2 Octobre.

Cinquième lettre à la classe.

Bonjour et bonne semaine à tous.

Nous nous retrouvons après quelques jours de séparation, j’étais parti pour quelques jours à un colloque à Angers, j’espère que vous avez bien travaillé pendant mon absence. Apparemment, vous n’avez pas terminé les petits albums destinés aux petits du CP.

Demain, nous allons au château de la Perrotière, nous pourrions essayer d'y faire la chanson de l’automne, je me souviens que l’année dernière nous avions créé, avec mon groupe, la chanson du printemps, je crois bien que Rahime, Rédouane et Fatima étaient dans ce groupe ... Cette chanson était celle-ci - est-ce que Rédouane, Fatima et Rahime s’en souviennent ? - :

La chanson du printemps.

Après un si long sommeil

La nature, enfin, s’éveille ...

Dans nos coeurs, comm’ une danse ...

C’est le printemps qui commence ...

Les prés sont pleins de couleurs

C’est le temps des premières fleurs,

L’écureuil fuit le pic-vert,

Une chanson va prendre l’air ...

Le soleil nous dit bonjour,

Un nuage lui fait la cour ...

Et quand le ciel se fait bleu ...

Les oiseaux chantent joyeux ...

Les prés sont pleins de couleurs

C’est le temps des premières fleurs,

L’écureuil fuit le pic-vert,

Une chanson va prendre l’air ...

Lors de la visite de demain, nous serons en automne.

La nature aura-t-elle changé ? Il nous faudra bien ouvrir nos yeux et nos oreilles. Préparons-nous donc dès aujourd’hui à observer et à découvrir l’automne, alors, peut-être, nous donnera-t-il sa nouvelle et toute dernière chanson ?

Le texte du chant écrit lors de la visite

Chant d’automne au château de la Perrotière.

L’automne est jaune, marron et vert,

Au vieux château de la Perrotière,

On est parti un clair matin,

Grands et petits tout plein d’entrain,

On a joué

On a dansé

On a couru

On s’est caché ...

Le vieux fermier,

Dix ans après,

Et la fermière

Nous attendaient

L’automne est rouge, marron et vert,

Au vieux château de la Perrotière

Un chant joyeux ouvrait nos mains

Semions nos jeux sur le chemin ...

On a chanté

Pour l’amitié

Autour du cèdre

Qui en tremblait

On a trouvé

Dix ans après

La même guerre

Pleurant la paix

Adieu fermier, adieu fermière

Adieu, château de la Perrotière

Et toi le cèdre, si vient le soir ...

Garde cette chanson pour ta mémoire ...

Octobre 95

La chanson précédente fait référence, comme en écho, à cette autre ancienne chanson sur le château de la Perrotière, écrite avec les enfants d’un CP aux Ovides et que les enfants de la classe du CE2 de cette année avaient déjà apprise.

La chanson du château de la Perrotière (1985 )

Au château, au vieux château d’ la Perrotière

On a vu, le vieux fermier et la fermière

Au château, au vieux château d’ la Perrotière

On a lancé nos bouts de pain

Et de raisin

Derrière les grilles de la volière.

Morceaux de pain

Grains de raisin

Gentil refrain

Chantez la venue du matin

Morceaux de pain

Grains de raisin

Gentil refrain

Chantez la venue du matin

Au château, au vieux château d’ la Perrotière

Tout autour du très vieux cèdre centenaire

Au château, au vieux château d’ la Perrotière,

On a chanté pour l’amitié,

Pour que la paix

Gagne la terre ...

Morceaux de pain

Grains de raisin

Gentil refrain

Chantez la venue du matin

Morceaux de pain

Grains de raisin

Gentil refrain

Chantez la venue du matin

Lundi 9 Octobre.

Sixième lettre à la classe.

Bonjour et bonne semaine à tous. Nous avons parlé, Mardi, de la liberté que chaque enfant, mais aussi que chaque personne, a de choisir le sens qu’il donne aux choses, à la vie. Cette liberté est très grande, si grande que nul ne peut la prendre, la voler, ni fort heureusement, totalement l’interdire. Même pas le maître.

C’est alors que Rédouane a dit : “ Il n’y a qu’à en faire une lettre.” J’ai écouté Rédouane, j’ai réfléchi, j’ai pensé qu’il avait raison. Je vous ai répété plusieurs fois que ce qui était important est souvent caché. Ainsi, vous ai-je expliqué, que le désir d’être gentil avec les autres, ou d’être sage, est certainement plus important que le fait même d’être sage.

C’est pourquoi, lorsque vous montez seuls en classe, comme des petits maîtres, que personne ne vous surveille, il est très important pour moi, que vous soyez très sages. Il en va de même lorsque vous vous trouvez quelque part sans maître. De même encore lorsque des enfants se servent de la guitare lorsque je ne suis pas là, cela me rend très triste et perplexe. Veulent-ils que je ne l’apporte plus jamais, une fois qu’elle sera complètement cassée ?

On peut faire semblant d’être sage, en obéissant au maître, pour ne pas se faire disputer ou punir, mais dès qu’il a le dos tourné, on

peut se mettre à taper le plus faible, ou régler ses comptes avec ceux avec qui nous ne nous entendons pas. Ce n’est évidemment pas bien du tout.

L’éducation que l’on vous donne n’aura vraiment réussi que lorsque le maître n’aura plus besoin d’être là pour veiller sur votre comportement, pour vous dire ce que vous avez à faire ou pas, lorsque vous irez seuls, de vous-mêmes, vers les bonnes choses, et que, toujours seuls, de vous-mêmes, vous refuserez les vilaines choses. Allez donc à la recherche de ce qui est caché, car c’est un trésor qui se cache. Alors, vous verrez : les enfants de la classe, de l’école, ou du quartier, vos petits élèves du CP prendront exemple sur vous, ils auront envie de vous ressembler. Ne brûlons pas l’espace qui nous sépare de chacun. Cet espace est celui de la liberté, celui ou chacun existe en tant que lui-même. Allons vers les autres ainsi. Des trésors de vie , d'intelligence et d’amitié sont à découvrir. Signé le maître.

Lundi 16 Octobre

Septième lettre à la classe.

Bonjour et bonne semaine à tous. Souvenez-vous, je vous avais parlé, en début d’année, du fait que chaque enfant, chaque personne, est à la fois un élève et un maître. L’année dernière, j’avais raconté une histoire aux enfants de ma classe et nous en avions fait un album que vous pourrez retrouver à la bibliothèque et dont voici le texte écrit donc par les enfants de l’année dernière.

Une petite fille si triste

Il était une petite fille qu’on croyait muette et idiote.

Elle n’avait pas de parents et vivait abandonnée.

Elle avait une silhouette très maigre ainsi que le ventre gonflé des enfants qui ne mangent pas à leur faim.

Son visage ne semblait jamais exprimer le moindre sentiment.

Elle put aller un été en colonie de vacances grâce à l’assistante sociale.

Lorsque son moniteur cueillait des fleurs pour elle, elle restait à côté de lui en lui tenant la main, mais son visage restait toujours impassible.

Ce midi là, alors que tous les enfants étaient à table, elle fit dans ses culottes.

Lorsque le moniteur excédé se leva pour la laver aux toilettes, il vit des larmes sur son visage.

Pour la première fois la petite fille sanglotait, le moniteur comprit qu’il avait manqué de tendresse.

Il n’oublia jamais le message d’éducation de cette petite fille si triste dont le visage s’était enfin animé pour exprimer sa détresse.

Ce moniteur ... c’était moi. Cette colonie de vacances fut le lieu de ma première rencontre avec des enfants, alors que je n’étais pas encore maître d’école et que je venais juste de réussir mon bac. Je ne sais pas quel âge - peut-être trente ans ?- doit avoir maintenant cette fillette qui s’appelait, je crois, Christine. Je n’ai jamais oublié cette histoire et je m’en suis souvent souvenu dans mon métier d’instituteur. À votre tour, j’espère qu’elle vous fera réfléchir et vous instruira sur ce qui est vraiment important.

Peut-être vous donnera-t-elle des idées pour écrire un nouvel album, pour vos petits élèves du CP.

Une histoire qui parle d’éducation. Ce serait très bien. Signé le maître.

Lundi 23 Octobre

Huitième lettre à la classe.

Bonjour et bonne semaine à tous.

Je vous ai raconté, la semaine dernière plusieurs contes d’ANDERSEN, auteur danois du 19°siècle. Souvenez-vous de ce vilain petit canard dont tous se moquaient, dont personne ne voulait, et qui voulut même en finir avec la vie. Pourquoi se moquait-on de lui ?

Sans doute, parce qu’il ne ressemblait pas aux autres canards, ses frères et soeurs de couvée, qu’il était plus pataud, plus lourd , plus gros, plus laid ...

Il n’était pas conforme à l’idée que l’on se faisait d’un canard. Les autres canards et tous les habitants de la mare semblaient d’accord pour dire que ce vilain petit canard ne méritait pas de vivre. On appelle cela le bouc émissaire. Il est si facile d’être tous d’accord sur le dos d’un seul. Alors on veut sa mort.

S’est-il alors élevé une seule voix pour le défendre ?

Pour le défendre il aurait fallu oser se mettre à sa place, mais aussi être assez courageux, être seul contre tous.

Quelqu’un d’attentif aurait cependant su voir, derrière ce vilain petit canard, le cygne magnifique qu’il allait un jour devenir. Et surtout, il aurait su deviner sa peine et aurait souffert avec lui.

L’autre jour, les pompiers sont venus à l’école. Le petit Samy était malencontreusement tombé dans le couloir. Nous savons aujourd’hui que ce n’était pas grave, fort heureusement.

Dans la cour, tous les enfants étaient déchaînés contre le malheureux élève qui avait bousculé Samy et provoqué sa chute, ils scandaient son nom et se moquaient de lui.

Cet élève pleurait et j’ai dû, seul contre tous, prendre sa défense.

Il n’est pas facile de dire la vérité seul contre tous.

Et pourtant, la vérité marche souvent à pied lorsque la majorité des hommes trop pressés prend les autoroutes pour aller plus vite.

En marchant à pied on peut voir les détails d’un paysage.

Lorsque nous lirons le journal d’Anne Frank, nous verrons ce qui s’est passé pour les juifs, lors de la dernière guerre mondiale.

On leur mettait une étoile jaune pour les montrer du doigt, on les interna dans des camps, où six millions d’entre eux sont morts.

Le roi du Danemark, lorsqu’il reçut l’ordre d’Hitler de faire mettre une étoile jaune à tous les juifs de son pays occupé, décida qu’il porterait lui-même une étoile jaune.

Il fut courageux et beaucoup de danois suivirent son exemple.

Vous aussi, soyez assez courageux pour défendre celui que tout le monde rejette ou méprise, sachez vous mettre à sa place.

Soyez attentifs pour reconnaître et accueillir celui dont personne ne veut. Signé le maître de la classe. Antoine Caballé

Lundi 6 Novembre

Neuvième lettre à la classe.

Bonjour. Nous nous retrouvons et je suis content de vous retrouver, j’espère que nous allons bien travailler pendant cette deuxième moitié de trimestre.

Vous avez grandi, vous comprenez davantage de choses, alors je vous raconte une petite histoire qui nous vient de Chine.

Un petit oiseau, qui volait toujours très haut dans le ciel se posa un jour au bord d’une rivière pour y boire de l’eau.

Il rencontra là un poisson qui, lui, nageait toujours très profondément, mais, qui, précisément, au même moment, ce même jour, avait décidé de prendre un peu de soleil en flottant en surface.

Et le petit oiseau aima le poisson ; et le poisson aima le petit oiseau.

Ils devinrent amis.

Aussitôt qu’ils s’aimèrent, ils furent attristés car ils savaient qu’ils ne se rejoindraient jamais. Personne n’avait jamais vu un poisson survivre plus d’une minute , hors de l’eau, et comme cet oiseau n’était pas un oiseau d’eau, il ne savait pas non plus nager.

Comment faire alors pour se rencontrer ?

Ils décidèrent alors que, tous les soirs, ils se trouveraient en bordure de rivière et se raconteraient ce qu’ils avaient vu pendant la journée écoulée, l’un au fond des eaux, l’autre dans le haut du ciel.

Et ainsi firent-ils ...

Au bout de quelques temps, ainsi donc, sans trop savoir, ni pourquoi, ni comment, l’oiseau se mit à nager.

Et le poisson, quant à lui : il vola.

J’aimerais que vous lisiez cette histoire, et que vous la relisiez souvent. Puissions-nous, les uns et les autres, comme cet oiseau, comme ce poisson, apprendre à réaliser, par l’amitié qui nous unit, ce qui peut paraître, aujourd’hui, complètement impossible.

Dans un premier temps, dans le grand classeur, vous pourriez copier ce texte sans faire de fautes (Texte collectif numéro 2).

Ensuite, sur le petit classeur, vous pourriez répondre à ces quatre questions dont la réponse est cachée dans le texte. Vous la trouverez si vous cherchez bien. (Lecture petit classeur numéro 2)

1/ Pourquoi le poisson et l’oiseau furent tristes ?

2/ Quelle solution trouvèrent-ils ?

3/ Que se passa-t-il d’extraordinaire, ensuite ?

4/ Pourquoi le maître a-t-il choisi cette histoire ? 3467

Signé le maître de la classe. Antoine Caballé

Lundi 13 Novembre

Dixième lettre à la classe.

Bonjour. Vous avez donc réalisé des albums pour les CP, pour les aider à apprendre à lire. Toutes les personnes qui les ont regardés pendant le week-end, les gens à qui je les ai montrés, les ont trouvés très beaux. Je trouve, moi aussi, vraiment bien que vous ayez réussi de si beaux albums écrits à partir du stock de mots que connaissaient les CP. Vous voilà devenus des petits maîtres !

Mais il reste encore bien du chemin pour que cette classe et cette école ressemblent à un rêve que je fais souvent ...

Dans ce rêve, les enfants viennent à l’école en chantant. Les plus grands aident les plus petits dans leurs devoirs.

Les plus grands encore écrivent plein de livres d’albums, d’histoires sur toutes sortes de sujets pour que les petits puissent apprendre.

Ils essaient d’être de bons exemples en toutes choses.

Dans cette école, il y a parfois un peu de bruit dans les classes, mais ce sont des chuchotements, un bruit semblable à celui d’une ruche qui travaille, il n’est pas fatigant.

On entend parfois se dégager du fond sonore très doux quelques mots qui font comme un pont entre les hommes.

“Veux-tu que je t’explique ?”

“Ne t’inquiète pas je vais t’aider ...”

“Oh comme tu écris bien !” ou encore “Quel beau dessin !”

Il y a comme cela des petits bruits qui font silence.

Dans cette école, dans cette classe, l’amitié s’écrit en lettres d’arc-en-ciel dans tous les coeurs.

Le khalife Haroun el Rachid fit venir un jour un homme tout simple dont on lui avait dit qu’il était un sage. Pour éprouver sa sagesse, le khalife lui posa cette question :

On me dit que vous avez de nombreux enfants. Veux-tu m’indiquer, de ces enfants, quel est ton préféré ?

Et l’homme de répondre : celui de mes enfants que je préfère,

c’est le plus petit jusqu’à ce qu’il grandisse,

celui qui est loin jusqu’à ce qu’il revienne, celui qui est malade, jusqu’à ce qu’il guérisse, celui qui est prisonnier, jusqu’à ce qu’il soit libéré, celui qui est éprouvé jusqu’à ce qu’il soit consolé ...

J’ai trouvé cette semaine ce texte dans un vieux cahier, écrit par un vieil ami, qui l’a laissé dans notre maison. Je le trouve très beau, il me parle bien de cette amitié dont je rêve entre tous, enfants, maîtres, parents de cette école.

Alors, je vous le laisse pour qu’il nous aide en ce sens.

Signé le maître de la classe. Antoine Caballé

Lundi 20 Novembre

Onzième lettre à la classe.

Habib a l’air si heureux en classe que, très souvent, il dit vouloir rester dans la salle, pendant les récréations. Cela pourrait être une très bonne idée, et, parfois, le maître est d’accord ... s’il ne se cachait pas sous les tables, les fois justement où le maître lui demande de descendre quand même.

Entre chaque personne, au milieu de nous, mais sans doute aussi au coeur de nous-même, au coeur de chacun de nous, il existe comme un vide, un appel, un espace, qu’il faut respecter, car c’est seulement à partir de là que chacun se dispose à son tour à accueillir les autres et à découvrir le monde, à apprendre.

Je vous avais parlé, dans une lettre précédente, de cet espace de liberté qui est propre à chacun, maîtres, élèves, parents, enfants et adultes, espace que personne ne peut ni ne doit forcer.

Cela est vrai en direction des élèves mais cela est vrai aussi en direction du maître. Or, nous piétinons souvent cet espace.

Ainsi, il est bon que les enfants écoutent lorsque le maître a besoin de repos, de silence, de paix, et qu’ils respectent ce repos, ce silence, cette paix.

Il n’est pas bon de forcer la porte derrière laquelle chacun se retrouve, comme à l’intérieur de lui-même, et aussi avec les autres.

Hier dimanche, je me suis émerveillé en découvrant les forêts colorées de l’automne. Autour de la maison, un rapace assez gros, peut-être une buse ou un milan, s’est tenu perché pendant tout le week-end. Je me suis dit alors qu’il ne serait pas resté si nous l’avions effrayé par notre bruit. Je me suis dit encore que je ne l’aurais même pas vu si j’avais été énervé comme je le suis parfois en classe, comme je n’aurais même pas remarqué, sans doute, les belles couleurs de l’automne.

Et, m’est revenu que, mardi matin, dans des moments de travail, tout à coup, sans que cela ne gène en rien la concentration de tous, une chanson venait et des enfants se mettaient à chanter dans la classe. Une chanson c’est un peu comme cet oiseau sauvage, il faut l’apprivoiser par le silence, alors tout devient plus beau.

Très bonne semaine à tous. Le maître de la classe. Antoine Caballé

Lundi 27 Novembre

Douzième lettre à la classe.

Hier dimanche, je me suis à nouveau promené au milieu des belles forêts colorées de l’automne.

Tout à coup, un gros arbre mort, abattu, un vieux chêne, a retenu mon attention. Il semblait être tombé d’un coup, comme déraciné.

Il gisait au milieu de la forêt.

Un ami cheminot qui se promenait avec moi me dit alors un vieux proverbe africain: “On voit bien l’arbre abattu, mais on n’entend pas la forêt qui pousse ...”

Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire. Il m’a répondu : “ À la S. N. C. F., où je travaille, nous disons souvent que tout le monde parle beaucoup du seul train qui arrive en retard, mais que personne ne parle jamais de tous ces autres trains qui arrivent à l’heure.”

J’ai un peu mieux compris, alors, ce que mon ami voulait dire.

Nous parlons souvent des choses qui vont mal, mais rarement des choses qui vont bien qui pourtant portent et permettent la vie, parce que chacun trouve cela normal.

J’ai pensé alors à la classe. Je me suis souvenu que je vous avais dit à peu près la même chose concernant la paix. En classe, nous parlons beaucoup de la paix, lorsqu’elle fait défaut, que deux enfants se disputent, ou se sont battus ... mais nous n’en parlons pas lorsque tout se passe normalement. Et pourtant n’est-ce pas alors qu’il nous faudrait parler plus que jamais de la paix ?

Par exemple, nous allons donner chacun un franc, à la demande de l’association USEP, pour le téléthon, saurons-nous en parler ? Ou encore les jouets que nous porterons pour le Père Noël vert des enfants sans jouets. Saurons-nous, également, parler des poèmes que Rahime avait écrit pour son petit élève et qu’elle gardait secrets. Il s’agissait de poèmes de paix. Et tant d’autres choses encore.

Pour la fiche lecture petit classeur numéro 4, j’aimerais que vous racontiez, par une seule phrase à chaque fois, le plus de choses possibles dont personne ne parle jamais mais qui vous paraissent pourtant si importantes car elles permettent plus que d’autres, à une classe de vivre et d’être heureuse.

Très bonne semaine à tous. Le maître de la classe. Antoine Caballé

Lundi 4 Décembre Treizième lettre à la classe.

Bonjour et très bonne semaine à tous. J’ai envie de vous raconter un cauchemar. Lisez bien cette histoire :

Le cauchemar de Pédro.

1. Pédro s’est endormi devant la télévision, hier soir, il dort allongé sur le canapé.

2. Tout à coup, il se réveille : Quoi ? Déjà 8 heures 15 !!!

3. Il n’a pas le temps de déjeuner ni de faire sa toilette, il prend son cartable et il court vers l’école à toute vitesse pour ne pas arriver en retard.

4. Dans la cour, il se dispute avec Sandra au sujet de pogs qu’il a trouvé par terre.

5. Pédro dit que ce sont les siens parce qu’il les a trouvés, mais Sandra prétend qu’elle les avait perdus la veille ...

6. Ca sonne ... Dans le rang, Sandra et Pédro se disputent ...

7. En classe, Sandra et Pédro se battent et le maître leur dit d’arrêter ...

8. Mais ils n’en finissent pas, et toute la classe les regarde, le maître leur confisque les pogs jusqu’à ce qu’il soient d’accord ... et les sépare, demandant à chacun de faire la paix ...

9. Lorsque Pédro a fait la paix, c’est l’heure de l’auto-dictée.

Zut, pense-t-il, non seulement il ne l’a pas apprise mais encore il a oublié le papier sur lequel elle est écrite...

10. Lorsqu’il ouvre sa trousse il s’aperçoit qu’elle est vide : pas de crayons, pas de stylos, pas de colle ...

11. C’est alors qu’on le secoue : sa maman vient le réveiller.

12. Pédro dort dans son beau lit blanc, il est 7 heures trente, il sait par coeur toute son auto-dictée, il a vérifié sa trousse la veille, tout ça n’était qu’un cauchemar.

13. Il est prêt pour aller à l’école.

Après avoir lu ce texte qui est construit comme un album, essaie d’imaginer comment tout peut se passer pour que tout aille bien lorsque Pédro va à l’école, depuis son réveil jusqu’au début des activités. Trouve un titre intéressant et écris un autre album en séparant bien les phrases et les pages. Attention ce texte servira pour les contrôles. Tu peux demander au maître les mots que tu ne sais pas. Tu peux t’aider des mots de la lettre.

.Le maître de la classe. Antoine Caballé

Lundi 11 Décembre

Quatorzième lettre à la classe.

Bonjour! Aujourd’hui, comme tous ces derniers jours, une partie des classes et écoles sont fermées, les trains et le courrier également ne fonctionnent plus. J’avais fait grève ces derniers jours, mais je vous avais promis, comme à Christelle et Sylvain, de revenir Lundi. Je suis donc là. Malheureusement, il est cependant possible que nous n’allions pas à la Perrotière demain, si la grève continue, car, dans ce cas, je crois probable que je la reprenne.

Mais qu’est-ce qu’une grève ? Le savez-vous au moins ?

Si vous ne le savez pas je vais vous l’expliquer : une grève, c’est un arrêt de travail qui a lieu lorsque des gens réclament quelque chose qu’ils pensent ne pas pouvoir obtenir autrement.

Lorsque j’étais petit et que j’avais votre âge, je me souviens de longues grèves de mineurs. En effet, à l’époque, il y avait beaucoup de mines de charbon à Saint-Étienne qu’on appelait aussi la ville noire, et, beaucoup des parents des enfants de ma classe étaient des mineurs, qu’on appelait aussi les “gueules noires”. Dans ces années-là, les années soixante, on commençait à fermer les puits de mine et les mineurs manifestaient beaucoup car ils voulaient conserver leur travail ou bien qu’on les aide à en trouver un autre.

Hier et avant hier, j’ai regardé le téléthon à la télévision. La classe y a participé pour une toute petite somme qui a sûrement son importance. Vous savez que l’argent du téléthon sert aux enfants malades de maladies génétiques, en particulier, les myopathies. Un enfant myopathe est un enfant qui perd peu à peu l’usage de ses muscles et qui ainsi se paralyse peu à peu, jour après jour, jusqu’à ce qu’il meure, en général d’ asphyxie, quand ses poumons ont perdu l’élasticité suffisante pour respirer. Je ne sais pas si l’argent récolté permettra de trouver des remèdes à ces maladies. Je l’espère de tout coeur. Ce que je sais de sûr, au moins, c’est que, pendant un instant, des enfants, des femmes et des hommes, dans notre pays, se sont mis à penser à ceux que nous ne devrions jamais oublier : les plus faibles d’entre nous. Je trouve cela très important.

Alors, je me suis mis à rêver d’un monde où le travail serait partagé ... et multiplié entre tous les hommes, où les handicapés et les plus démunis seraient comme privilégiés et protégés, entourés de l’amitié profonde de tous, où chacun viendrait en aide à son voisin selon ses besoins. Verrons-nous ce monde parmi nous, un jour ? Il me semble parfois le voir doucement, tendrement, se lever, déjà ...

Très bonne semaine à tous. Le maître de la classe. Antoine Caballé

Lundi 18 décembre 1995 Quinzième lettre à la classe.

Nous entrons dans la dernière semaine avant Noël et les vacances les bienvenues. En cette dernière semaine scolaire de l’année 1995, j’espère pouvoir rencontrer aujourd’hui Lundi, et également Jeudi, après la classe, les derniers parents que je n’ai pas encore vus.

Avec les parents qui sont déjà venus, Jeudi ou Vendredi dernier, nous avons passé une alliance qui porte sur trois engagements qui concernent chacun de vous pour vous aider à réussir à l’école. Et chacun doit la signer : les parents, l’élève, le maître.

Ces trois engagements sont, en principe, décidés par chacun de vous après que j’aie présenté votre travail du trimestre. Ces trois engagements portent en général sur le travail scolaire.

Lorsque les enfants n’ont pas pu accompagner leurs parents, nous avons forcément dû décider à leur place, et il leur restera donc à signer l’alliance, s’ils en sont d’accord, ou bien éventuellement à la modifier s’ils le désirent. Il est donc important que vous accompagniez vos parents dans cette visite. En effet, on ne réussit pas tout seul à l’école, nous réussissons tous ensemble.

Mais, qu’est-ce que réussir à l’école ? Pourquoi va-t-on à l’école ? Est-ce important l’école ? Qu’y apprend-on et pourquoi ?

Autant de questions que vous vous posez sans doute et auxquelles il n’est pas bien facile de répondre. Disons déjà, comme une première réponse, avant de revenir plus tard sur cette question, que l’école vous aide à entrer dans la vie et le monde des grands, à connaître, à apprendre, à comprendre, et à vous préparer ainsi de toutes sortes de manières à découvrir le sens que vous voulez donner plus tard, mais aussi déjà aujourd’hui, à votre vie.

Ce temps, cette dernière semaine, qui concluent cette première partie d’année scolaire seront aussi ceux des adieux à la classe pour Rahime qui déménage à Saint-Chamond, à partir de Noël. Nous espérons qu’elle emportera de nous tous les meilleurs souvenirs et qu’elle travaillera très bien dans sa nouvelle école.

Rahime, tu vas nous manquer. Si tu nous laisses ton adresse, nous pourrons t’écrire. Nous te remercions beaucoup pour ta si grande gentillesse que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

Allez, bonne fin d’année à vous tous. Antoine Caballé

Seizième lettre à la classe. Lundi 8 Janvier 1996

Changement d’année. L’occasion pour moi de présenter tous mes voeux à chacun de vous : voeux de santé, de joie et de progrès, en toutes choses. L’heure venue également des bilans sur le premier trimestre scolaire déjà écoulé.

Les lettres écrites, au fur et à mesure, en témoignent : Tout ne fut pas toujours facile. Ces lettres se proposent cependant de chercher à comprendre, chaque jour un peu plus, ce que veulent dire des mots comme enseigner, apprendre, comprendre, école.

Les contrôles l’ont bien montré. Beaucoup d’entre vous ont fait quelques progrès scolaires au cours de ce trimestre. C’est bien. Nous avons cependant des progrès à faire encore surtout dans l’écoute, c’est à dire la capacité à vivre ensemble. Ces progrès, nous les ferons ensemble. Car moi aussi, bien que déjà vieux maître à présent, je crois vraiment avoir des progrès à faire en ce sens.

On n’en a, en effet, jamais fini d’apprendre. Comme je le disais, dès ma toute première lettre, apprendre c’est déjà enseigner, et, enseigner c’est toujours apprendre. D’ailleurs, en travaillant avec vos petits élèves, vous avez sans doute commencé à comprendre cela. Un maître n’est donc vraiment pas du tout quelqu’un qui ne se trompe jamais, mais quelqu’un qui cherche toujours dans la direction qu’il croit bonne et utile à tous et à ses élèves. C’est pourquoi il est bon que les élèves écoutent attentivement leurs maîtres comme aussi que les maîtres écoutent attentivement leurs élèves.

Il nous reste deux trimestres à accomplir. Je vous propose trois idées pour progresser encore.

1/ Songez à votre contrat personnel, contrat d’alliance, établi lors de la visite de vos parents entre vous, eux et le maître. Revenez y souvent.

2/ Pensez à toujours venir en classe avec votre matériel au complet. Pour cela il n’est pas inutile de vérifier votre trousse chaque matin. Ainsi vous pourrez la compléter au fur à mesure de l’usure des crayons, feutres, stylos, cartouches etc... et vous ne gênerez pas le déroulement de la classe.

3/ Songez souvent à cette phrase très simple : Être l’ami de tous ou essayer vraiment de le devenir.

Je vous propose également trois choses pour nous aider dans le sens des trois idées.

1/ Une boîte aux lettres pour vos réponses aux lettres du maître. Le maître les lira toutes.

2/ Un journal personnel où vous pourrez écrire, jour après jour, des choses qui vous aident et que vous avez envie d’écrire sans obligation de les communiquer à d’autres.

3/ La mise en route, dès ce trimestre, des services, par équipes, tels que nous les avions composés suivant le planning des tableaux, avant de nous quitter en Décembre. Merci pour votre amitié entre vous et tout ce que vous faîtes en ce sens.

Mardi 16 Janvier 1996

Supplément à la dix-septième lettre à la classe écrite par Michelle au sujet du journal intime.. .

Bonjour ...

Michelle vous a présenté dans la dix-septième lettre que nous avons reçue hier, l’idée du journal intime. J’aime beaucoup cette idée. J’aimerais cependant nous aider encore à chercher ce que pourrait être un tel journal.

Les grecs dans l’antiquité, il y a plus de deux mille ans donc, représentaient une civilisation très avancée, ils nous ont laissé beaucoup de choses, nous aurons l’occasion d’y revenir en histoire, ou dans d’autres lettres.

Ils nous ont laissé aussi et surtout des légendes, c’est à dire des histoires qui ne s’étaient pas vraiment déroulées mais qui peuvent nous instruire. On appelle aussi ces légendes des mythes.

Parmi ces légendes, l’une est particulièrement intéressante si nous la lisons en pensant à ce que pourrait ou ne pourrait pas devenir un journal intime.

Il s’agit de la légende de Narcisse. Narcisse s’aimait tellement lui-même qu’il passait son temps à se regarder dans le reflet de l’eau d’une fontaine. IL se penchait sur l’eau et se languissait de désespoir devant une image, sa propre image, idole insaisissable.

Narcisse se regarda tellement et fut si désespéré de ne pouvoir jamais s’atteindre lui-même qu’il finit par tomber dans l’eau et se noyer.

Ainsi, un journal intime pourrait n’ être qu’un reflet inutile et peut-être dangereux, un miroir en quelque sorte dans lequel chacun se regarde trop et en finit par ne plus aimer que lui-même et à perdre le goût de la vie.

Mais la vie n’est pas faite pour apprendre des choses seulement de soi-même. Tout en nous, des yeux pour regarder, à la bouche pour parler ou manger, aux oreilles pour écouter, au visage tout entier qui peut rire ou pleurer ou encore exprimer toutes sortes de sensations, oui, tout en nous-mêmes est tourné vers l’extérieur à nous-mêmes, vers les autres, le monde et la vie.

Si nous retournons en nous-mêmes, c’est pour mieux se tourner vers ces autres et le monde qui sont hors de nous-mêmes. À la légende de Narcisse, je préfère la réalité du geste du sauteur en hauteur. Nous aurons peut-être l’occasion de nous exercer au saut en hauteur au cours du troisième trimestre en éducation physique.

Mais vous avez sans doute pu déjà observer à la télévision, qu’un athlète avant de passer l’obstacle, au moment précis d’ entreprendre son saut, lorsqu’il arrive au niveau de la barre qu’il doit franchir, semble s’arrêter un court instant. Sa course d’élan, semble alors s’interrompre. Comme un arrêt sur image. Il se ramasse sur lui-même avant de s’élever vers la hauteur maximale qu’il puisse atteindre.

Ainsi donc, que chaque journal intime vous aide à franchir l’obstacle de la vie parmi les autres et non à vous perdre en vous-même. Que ce journal soit comme ce moment où le sauteur se ressaisit avant de passer l’obstacle. Amitiés à tous.

Lundi 22 Janvier . Dix-huitième lettre à la classe.

Un ami a envoyé chez nous, pour nous souhaiter une bonne nouvelle année, une bien étrange carte de voeux avec à l’intérieur un très beau texte. Il s’agit d’un conte indien.

Un jour, les étoiles allèrent voir le soleil.

Elles lui dirent :

-Soleil, connais-tu les ténèbres ?

-Non, répondit le soleil.

-Veux-tu que nous allions te chercher

un morceau de ténèbres.

-Oui, je veux bien !

Alors, les étoiles se rassemblèrent : elles montèrent sur le grand chariot et s’en furent voir madame la lune.

-Veux-tu nous prêter un croissant ?

-Volontiers répondit la lune et elle leur donna un morceau de ténèbres.

Aussitôt, les étoiles repartirent vers le soleil : mais plus elles avançaient vers l’orient,

plus elles voyaient fondre leur morceau de ténèbres.

Elles étaient très inquiètes,

et quand elle arrivèrent vers le soleil,

elles n’avaient plus de ténèbres.

En écho à cet ami, je vous envoie, à mon tour, ce poème comme des voeux que je fais aussi pour chacun de nous en cette année nouvelle.

J’ai remarqué que la première chose qu’aie faite Michelle en entrant dans la classe la première fois qu’elle y entra fut d’ouvrir les rideaux car elle trouvait que tout y était bien sombre.

Sans lumière, la vie serait impossible sur terre, tout ce qui vit des plantes, aux animaux, jusqu’aux êtres humains que nous sommes, toute créature a besoin de lumière.

C’est pourquoi, naturellement, chacun aime la lumière. Parfois, pour qu’elle éclaire nos vies, il suffit de s’approcher d’elle et surtout de lui ouvrir ce qui est à l’intérieur de nous-mêmes. Alors, ce qui était ténèbres en nous devient lumière, la colère se fait tendresse, le mensonge s’efface devant la vérité, et la violence devant la paix et la joie d’être aimé et d’aimer. Le maître.

Lundi 29 Janvier . Dix-neuvième lettre à la classe.

Nous nous retrouvons seuls pour quelques jours avant que d’autres jeunes élèves professeurs ne viennent dans la classe, bientôt, dès la semaine prochaine. Juste le temps de souffler un peu.

Michelle est donc repartie en nous laissant ses belles histoires sur l’Algérie qu’elle connaît bien. Elle, qui aimait tant que nous ouvrions les rideaux des fenêtres de la classe, pour laisser passer la lumière du soleil, nous à aider à ouvrir la fenêtre des histoires vraies de chacune de nos vies comme autant de sources de découvertes et d’émerveillements.

Dans quelques temps, Michelle va retrouver une classe de petite section, elle souhaiterait que nous lui enregistrions les chansons que nous apprenons pour les présenter aux classes maternelles. Ce serait bien en effet que nous y parvenions.

Michelle aimerait aussi recevoir des lettres qui parlent de ce que vous faîtes. Peut-être vous répondra-t-elle si vous lui écrivez.

Nous avons passé des jours difficiles et nombre de nos projets se sont arrêtés en route. Souvenez-vous de la difficile sortie en ville pour voir le spectacle de théâtre, souvenez-vous des moments où nous n’arrivions pas à travailler en classe.

Nous n’avons toujours pas rendu visite aux maternelles pour leur présenter nos chansons, nous n’avons pas non plus pu concrétiser complètement l’idée du journal intime.

Jeudi matin, après que je vous aie appris la chanson “chenille ma chenillette “ à la récréation de 10 heures Imelle a retrouvé ... une chenille dans la cour. Nous l’avons déposée dans le bac à plantes. Monsieur Jean Yves Durousset n’en revenait pas. Il me disait ne pas comprendre qu’on puisse trouver une chenille en plein hiver.

Cette chenille est comme un signe, peut-être, pour nous de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons devenir. Lorsque nous chantons, et Michelle aimait beaucoup nous entendre chanter, il me semble que nous devenons déjà un peu comme des papillons.

La chenille tissera-t-elle un cocon, une chrysalide, et, deviendra-t-elle papillon ? Tous, nous l’espérons. Bonne semaine à chacun.

Le maître.

Lundi 5 Février 1996. Vingtième lettre à la classe.

Michelle est revenue nous voir Vendredi soir à l’étude. Elle a emporté les très jolies lettres de Souade et Samira B. À son tour, elle nous a laissé une belle lettre racontant une histoire de la vie quotidienne en Algérie. En voici le texte.

Lilia et son petit frère.

Lilia est une petite fille de cinq ans,l’avant dernière d’une grande famille de 13 enfants. Elle a 10 soeurs et 2 frères. Son grand frère aide son père au magasin. Ses soeurs vont à l’école et s’occupent aussi de la maison car leur mère est très fatiguée. La maison est grande mais propre. Chaque jour les filles se partagent le ménage.

Lilia est petite mais elle aussi a sa part de travail : elle doit s’occuper du petit frère Yacine. Elle doit le surveiller pour qu’il ne se fasse pas mal. Elle doit le protéger contre ceux qui pourraient lui faire mal. Et, surtout, elle doit

toujours l’emmener avec elle. Mais comment jouer à chat perché puisque Yacine ne peut courir aussi vite qu’elle ?

Mais Lilia sait aussi que cette situation va changer. Un jour elle pourra aussi prendre du temps pour elle. À six ans, elle ira à l’école et elle ne pourra plus emmener son petit frère. Elle attend avec impatience ce jour là.

Cette histoire me fait penser à beaucoup de choses mais surtout à une chose qui est très proche de ce que nous essayons de vivre dans la classe. Cette petite fille, Lilia, qui n’a pas six ans, est un peu déjà l’éducatrice de Yacine, son petit frère, elle le garde comme la prunelle de ses yeux. Ce n’est pas facile pour elle. Et pourtant je suis sûr que, malgré tout, elle apprend des tas de choses ... en enseignant et éduquant son petit frère. Relisez la lettre numéro 1, écrite le premier jour de l’année scolaire. Elle nous parle d’apprendre et d’enseigner. Elle dit que ce sont les deux volets d’un seul et même acte, d’une seule et même chose.

Celui qui enseigne apprend, celui qui apprend enseigne.

Tout à l’heure, nous irons à la patinoire pour la première d’une série de huit séances. Lorsque je m’étais inscrit, je croyais qu’il y aurait un moniteur pour nous enseigner. Il va falloir vous enseigner mutuellement, car je ne sais pas moi-même patiner ! C’est l’occasion rêvée de mettre en pratique ce que j’ essaie de vous faire comprendre depuis la première lettre.

Le maître.

Lundi 12 Février 1996. Vingt et unième lettre à la classe.

Michelle nous a encore écrit une nouvelle belle lettre racontant une nouvelle histoire de la vie quotidienne en Algérie.

Une soirée de Ramadan pour les enfants du quartier.

Mon quartier à Sidi Aïch s’appelle Timezegha (gh se prononce (R). La circulation se passe surtout dans une grande rue commerçante. Mais le quartier tourne le dos à cette rue. Les entrées des maisons ouvrent directement sur de petits chemins de terre. Et c’est dans les ruelles que les enfants se sentent chez eux. Ce sont les chauffeurs qui doivent faire attention aux enfants.

Les moments les plus merveilleux pour les enfants, ce sont les soirées de Ramadan. Elles commencent dès le chant du muezzin. Il faut d’abord attendre (et c’est long) que les grands aient fait leur prière pour que tout le monde passe à table.

Et le repas a été préparé minutieusement une grande partie de la journée. Puis c’est la liberté de sortir retrouver ses amis dans la rue. Cette année le carême est en hiver mais auparavant il était en été. Il avance de 14 jours chaque année. Je me souviens des soirées douces.

Les enfants aiment jouer à se faire peur. On les entend crier dans le noir. Ils préfèrent jouer à cache-cache. Chaque coin d’ombre permet de se dissimuler.

En Algérie les enfants peuvent veiller plus tard car l’heure de l’école est retardée d’une heure comme celle du travail pour les adultes.

Voici une belle lettre qui apprend à mieux connaître l’Algérie à faire une place pour ce qui concerne la culture du pays d’origine de beaucoup d’entre vous. Nous avons beaucoup dit cette semaine qu’éduquer c’est faire une place à l’autre. Lui permettre de parler, l’écouter. Lorsque je vous avais parlé de Nabil Maanane, élève du CE2 des années 1983 ou 1884, à l’école de Montchovet, par qui l’idée de l’entraide avec les CP a commencé, nous avons eu la surprise de voir qu’il s’agissait là du cousin d’Imelle. Nabil avait donc lui-même appris à lire en enseignant la lecture à des plus petits que lui. Faire une place à l’autre. Lui laisser l’espace de sa parole de son existence, c’est tout à la fois apprendre et enseigner.

Le maître.

Lundi 19 Février 1996. Vingt-deuxième lettre à la classe (suite).

Cette lettre fait suite aux deux lettres de Sandrine et Claire et veut les poursuivre et les prolonger.

Claire et Sandrine parlent dans leurs deux belles lettres de l’enfance, de la petite enfance.

Deux histoires vraies qu’elles vous ont déjà racontées lors de notre rituel du matin justement intitulé “histoires vraies”.

Claire nous explique, avec tendresse et émotion, comment son arrière grand-mère lui a appris à lire.

Sandrine nous explique comment son fils, Clément, qui est tout petit encore, se pose des questions sur le métier de sa maman : une même personne peut-elle être à la fois maîtresse et maman ?

À votre tour vous voici invités à vous souvenir. Vous souvenez-vous d’avoir été petits vous aussi ? Vous souvenez vous d’un moment particulier où vous avez appris quelque chose de précis, au cours de votre petite enfance, et de la manière dont vous l’avez apprise ?

Pour être un bon petit maître, un bon petit élève, il faut de la mémoire. La mémoire est essentielle pour apprendre, essentielle pour enseigner. Sans mémoire nous ne saurions rien et surtout nous ne retirerions rien des expériences de la vie.

Au moment où nous travaillons à faire un jeu de cartes pour nous aider dans la vie de la classe, à ouvrir la place de l’autre, nous sommes invités à nous souvenir. Il nous faut penser à tout ce qui s’est bien ou mal passé entre nous. Pour trouver les moyens d’améliorer les choses de la vie de chaque jour.

Tout à l’heure nous retournons à la patinoire. Jeudi, madame Henckel propose que nous allions à la maternelle présenter nos chansons. Saurons-nous faire, de notre mémoire, un enseignement, pour que ces moments soient eux mêmes pour nous, plus tard, de bons souvenirs ?

Je le crois, mais il faut encore que chacun pense encore et toujours à laisser ouverte, comme une invitation de chacun de ses gestes, paroles ou silences, la porte de la place de l’autre.

Le maître.

Lundi 1 Avril 1996. Vingt-sixième lettre à la classe.

Nous abordons la dernière partie de l’année. Au cours des soirées de Jeudi et Vendredi, j’ai beaucoup aimé rencontrer des parents, j’ai beaucoup aimé rencontrer des grands frères ou des grandes soeurs, des cousins même, comme celui qui accompagna Farid, j’ai beaucoup aimé vous entendre, les uns et les autres, parler de la classe.

J’ai appris ainsi beaucoup de choses et mieux compris, sinon les véritables causes, quelques aspects cachés des difficultés que nous avons traversées. On m’a parlé, en effet, de racket, de l’argent soutiré à certain. Il faut, bien sûr, non seulement que cela cesse, mais que ceux qui l’ont fait subir à d’autres, s’en expliquent.

Oui, toute ma pédagogie est basée sur la confiance, or la confiance suppose l’unité des paroles et sentiments, de dire ce que nous pensons et de penser ce que nous disons, pour aller vers plus de respect les uns pour les autres, plus d’écoute, plus d’attention.

Savez-vous ce que signifient et d’où viennent les mots pédagogie et pédagogue ? Le mot pédagogue vient du grec poedagogus qui signifie conduire à pied, en marchant, les enfants.Dans l’antiquité, dans la Grèce antique quelques siècles avant Jésus-Christ, le pédagogue n’était pas un maître comme pouvait l’être,le maître de philosophie, le maître de musique, ou de mathématique. Le pédagogue était l’esclave qui accompagnait l’enfant d’un maître à l’autre, il n’était pas maître lui même. En général, il n’accompagnait qu’un seul élève à la fois. Et il était payé et nourri par les parents de l’élève qu’il accompagnait. Sur les chemins, entre les différents cours qu’il suivait d’un maître à l’autre, maints dangers guettaient chaque enfant, et le pédagogue était chargé de les protéger. S’il arrivait malheur à un enfant il pouvait même en répondre de sa vie, n’oubliez pas qu’il n’était qu’un esclave.

En début d’année, le premier jour dans la première lettre, je vous avais parlé de devenir des petits maîtres, j’aurais peut-être dû dire des petits pédagogues. Devenir chacun comme un esclave pour accompagner les autres, non par obligation, mais par choix tel pourrait être le but de l’éducation. Les contrats d’alliance que vous avez signés avec le maître et les parents doivent être compris dans cet esprit. Nous nous accompagnerons les uns les autres pour les accomplir. Chacun de nous pourra, ainsi répondre non par sa vie heureusement, mais par tout son être, de tous les autres, dans la confiance mutuelle, indispensable.

Bonne semaine et bon trimestre à nous tous. Le maître

Mardi 9 Avril 1996. Vingt-septième lettre à la classe.

Il a fait très beau pendant ces trois jours qui constituaient la fête de Pâque, où les chrétiens célèbrent la résurrection du Christ. Je suis allé à la campagne, avec Thomas notre fils, et Iny ma femme, dans la Drôme, dans une maison perdue dans les bois, non loin de Valence, à la porte du Vercors.

Dimanche matin, Marie notre petite nièce qui habite cette maison avec ses parents, nous a réveillé : une procession de chenilles traversait à quelques trois cent mètres de là, le chemin, à la queue leu leu. Elles faisaient le chemin qui allait du pré au bois, elles voulaient aller ensemble, comme elles le font toutes les années, jusqu’à la forêt où elles tisseront chacune leur cocon, accroché à un arbre. Ces cocons sont gros et blancs, et on pourra les voir à la fin du printemps envahir les branches des pins sylvestres. Bientôt de beaux papillons en sortiront. J’ai pensé alors à la classe, à la chenille que nous avons trouvée un jour et qui a disparu.

Peut-être elle aussi s’est elle caché derrière un meuble pour tisser un cocon. Peut-être aurons-nous un matin la surprise de voir un papillon voler dans la classe. Nous saurons d’où il vient, mais nous ne saurons rien sans doute de ce passage mystérieux qui fait qu’un jour les chenilles deviennent des papillons, comme le dit la chanson, puisque notre chenille s’est bien cachée pour tisser son cocon. Il nous est permis de rêver et d’espérer surtout. Puissions-nous nous aussi au cours de ce troisième trimestre nous envoler. Nous verrons alors les enfants faire des progrès dans tous les sens.

Lundi dernier, de retour de la patinoire, en voyant certains d’entre vous écrire sur la buée des vitres des mots ponts comme amour amitié, paix, je vous avais parlé, de ces tableaux que les enfants écrivaient à l’école de Montchovet, où je travaillais il y a quelques années ... Il m’a semblé qu’il y avait, dans ces mots écrits sur les vitres, comme l’amorce d’un passage, une annonce du chemin qui va de la chenille au papillon. L’amitié deviendra un silence d’évidence entre nous. Nous n’en parlerons plus comme nous ne parlerons plus de tableaux de silence, nous les vivrons. Imelle nous a dit que son cousin Nabil, l’ancêtre des petits maîtres, qui maintenant a plus de vingt ans, continue dans sa chambre à faire des tableaux du silence sur un grand tableau Velléda accroché au mur. Alors, toutes les difficultés traversées s’évanouiraient et nous nous envolerions.

Le maître Antoine Caballé

Lundi 29 Avril 1996. Vingt-huitième lettre à la classe.

Nous nous retrouvons après les vacances de Printemps, même s’il ne s’agit pour pas pour vous, d’une rentrée puisque vous avez travaillé deux jours avec Patrick. Aujourd’hui beaucoup d’entre vous seront sans doute absents.

La fête que beaucoup parmi vous célèbrent est l’une des plus importantes pour les musulmans. Elle s’appelle l’aïd el kébir, la fête du mouton.

Ce jour là beaucoup de familles sacrifient un mouton. La viande est en général mangée par la famille et parfois distribuée aux plus pauvres.

Cette fête commémore l’agneau qu’Abraham sacrifia au lieu de son fils Isaac, environ deux mille ans avant Jésus Christ, il y a quatre mille ans donc, et qui marque un moment important pour trois religions qui se réfèrent à cette histoire. Les juifs, les musulmans, les chrétiens. Cet épisode est rapporté dans le livre de la Genèse dans la Bible. Mahomet dans le Koran en reprend l’exemple.

Je sais qu’il n’est pas facile de parler de ces choses parfois compliquées. Surtout à l’école qui regroupe souvent des enfants de religion différente. On pourrait dire que chacun, chaque homme, chaque enfant doit être respecté et écouté dans ce qu’il croit, car nul ne peut vivre sans se référer à des valeurs, à une croyance, ou plus simplement en une foi.

Je rêve souvent d’un monde, où, au lieu de se disputer, les hommes essaieraient de se convaincre mutuellement, non par la guerre, mais par les actes, par l’exemple et la parole. Mais aussi et surtout où chacun essaierait d’être un véritable ami pour son semblable, d’aimer vraiment celui qui est à son côté, d’être sensible à ses joies comme à ses peines. Peut-on être pleinement heureux tant que l’on sait que quelque part quelqu’un pleure, souffre ?

Sur les frontons des vieilles écoles françaises, il y a écrit liberté, égalité, fraternité. La fraternité entre les hommes, sans acception de personne, telle pourrait être la vocation que nous suivrons. Mais la fraternité n’est jamais acquise, il faut toujours la repenser, la refonder, la revivre. Puissions-nous ensemble avancer dans ce sens jusqu’au dernier jour de cette année scolaire.

Le maître Antoine Caballé

Lundi 6 Mai 1996. Vingt-neuvième lettre à la classe.

Bonjour à tous ... Vendredi soir, nous avons planté dans le jardin, les quelques châtaignes qui avaient germé, et que nous avions cueillies au château de la Perrotière.

Quelques autres graines que nous avions plantées ou semées dans des pots dans la classe, ont bien poussé, particulièrement les haricots. Par contre, d’autres, comme les tournesols, n’ont apparemment pas encore germé. Nous essaierons de trouver une place dans le jardin pour ces plantations, mais ce sera bien difficile, car il ne reste plus beaucoup de place disponible, au minimum, nous les regarderons pousser en classe.

Nous pouvons rêver qu’un jour, dans soixante ans, par exemple, l’un d’entre vous revienne se promener, dans les parages de cette école, tenant ces petits enfants par la main. Il ne resterait plus d’autoroute, plus d’école, tout ne serait qu’un vaste et magnifique jardin où des enfants joueraient. Au coeur du jardin, accrochée aux branches d’un vieux châtaignier, une balançoire bercerait de nombreux petits...

Alors, celui parmi vous, dont nous racontons l’histoire, verrait ses yeux se remplir de larmes, et il se souviendrait. Il dirait à ses petits enfants :

“Cet arbre, c’est nous qui l’avons planté lorsque nous étions petits, avec les élèves de notre classe. Nous avions trouvé une châtaigne avec un germe au château de la Perrotière et nous l’avions enterrée dans la terre d’un jardin, regardez comme il a bien grandi depuis.”

Mais tout ceci n’est bien entendu qu’un rêve. Pour revenir à la réalité, il faut avouer que ces arbustes ont bien peu de chance de devenir vieux. En effet, il faudra, à chacune des petites châtaignes, traverser beaucoup d’épreuves, pour espérer survivre.

Il y a quelques jours, mon ami cheminot dont je vous avais déjà parlé dans une lettre précédente, me disait, une autre pensée :

“Il faut aux arbres, beaucoup de force, pour accrocher leur racine toujours au plus profond de la terre, ce n’est qu’alors que leurs branches, s’élèveront toujours plus haut vers le ciel.“ Il me semble que cette pensée pourrait également s’appliquer à chacun d’entre nous et à notre classe : s’accrocher à la terre pour monter au ciel.

Bonne semaine à tous. Le maître Antoine Caballé.

Lundi 13 Mai 1996. Trentième lettre à la classe.

Bonjour ... Dans cette lettre, je voudrais résumer trois choses importantes que nous avons dites ou apprises en cours d’année ...

1/ L’important, justement, est souvent caché : le prix dans l’éducation, comme dans la vie, est dans le coeur de chacun. Pensez à la pomme, dont je vous avais parlé. Lorsqu’une pomme n’est “touchée” qu’en surface, elle reste bonne, et parfois même meilleure, une fois ôtée la partie légèrement pourrie, qu’une autre pomme, encore trop verte. Cependant, lorsque le coeur de la pomme est atteint par la moisissure, tout le goût devient amer. Préserver son coeur, chercher les bonnes dispositions à l’intérieur de soi-même est donc très important. Les mêmes mots, les mêmes gestes, les mêmes phrases, les mêmes pensées, prennent des sens très différents pour nous, suivant l’intention avec laquelle nous les recevons ou nous les donnons. L’être humain est bien cependant plus qu’une pomme et il peut agir lui même sur son propre coeur, ne l’oubliez pas.

2/ Nous n’échappons pas à l’exemple. Quoi que nous fassions ou disions, nous sommes toujours un exemple que les autres regardent. Alors, il faut choisir d’être un bon exemple. L’exemple passe souvent davantage par ce que nous faisons que par ce que nous disons et que nous n’appliquons pas.

3/Vous vous souvenez enfin du jeu du “dilemme du prisonnier”. Ce jeu veut reprendre les principes de de la vie naturelle, vie organique des cellules, ou des animaux. Lorsqu’on est face à quelqu’un, on peut, soit vouloir collaborer, tendre la main, soit s’opposer, montrer le poing. Selon cette loi naturelle, dite aussi loi de la jungle, main contre poing, donne malheureusement l’avantage au poing, poing contre poing ne donne pas toujours un avantage à l’un mais toujours une perte pour les deux. Main avec main donne un double avantage à chacun. Ce jeu propose une réflexion. La loi de la jungle donne raison au plus fort. La loi du talion qui tend systématiquement premièrement la main, mais répond oeil pour oeil dent pour dent, permet de survivre et de remettre un peu d’ordre, un certain sens de la justice. Enfin, la loi de l’amour qui cherche à convaincre l’autre de tendre la main à son tour en la tendant soi-même toujours, fait prendre à celui qui l’applique le risque de tout perdre. Mais si l’autre se laisse réveiller à cette conscience, alors les avantages se multiplieront pour tous. Quelques uns prennent le risque de perdre pour que tous ensemble nous puissions gagner. Il faut à ceux-là du courage, le courage d’aimer sans lequel rien n’est vraiment possible. Bonne semaine, confiance, joie et courage à tous. Le maître Antoine Caballé.

Lundi 20 Mai 1996. Trente et unième lettre à la classe.

(Lettre seulement lue oralement mais après réflexion non distribuée.

Bonjour ... Aura-t-il fallu que je me fâche comme jamais, mardi après-midi, pour que mercredi matin, je trouve la classe complètement transformée, et des enfants, silencieux, s’écoutant parler les uns les autres ?

Souvenez-vous, comment, après une journée difficile, puisque deux enfants faisaient, depuis le matin, le contraire, exactement de ce que je disais, et qu’ils mettaient leurs tables en groupes, alors que justement je venais de désigner les élèves qui devaient changer de place, je décidais de renverser leurs tables. Ces deux enfants les ont remises ensuite debout en rangeant les casiers, mais ma colère était grande ...

Je ne suis vraiment pas fier de ce que j’ai fait et je vous ai dit, le lendemain, que, jamais lorsque j’étais petit, je n’avais vu mon maître renverser une table sous la colère. Jamais non plus, je n’avais vu des enfants agir aussi durement que le font certains, parfois, vis à vis des autres élèves et de moi-même.

Il est vrai aussi, cependant, que ma surprise, mercredi matin, où nous avions exceptionnellement école, à cause du pont de l’ascension, fut de taille.

La classe était devenue très sage, sans que j’aie à me fâcher. J’avais l’impression que, pour la première fois depuis bien longtemps, les élèves, attendaient le maître et non le contraire, comme nous en avions pris l’habitude.

Dès le matin, les enfants silencieux attendaient le maître, par deux, sous le préau. Impressionnant. Quel changement tout à coup ! La classe devenait à nouveau agréable. J’ai eu le même sentiment l’après-midi lorsque je suis passé et que vous travailliez avec Patrick Poyet. Il nous reste un peu plus d’un mois de classe, et les derniers contrôles à faire.

Puissions-nous continuer sur ce chemin entrouvert.

Il n’a été possible que parce que chacun a bien voulu le comprendre et participer à un mouvement d’ensemble de tous. Alors, peut-être parviendrons-nous à terminer l’année de la meilleure manière et à réaliser quelques choses qui nous laisserons de bons souvenirs et je serai moins triste en me souvenant des deux tables renversées.

Bonne semaine à tous. Le maître Antoine Caballé.

Mardi 21 Mai Trente et unième lettre à la classe.

( Lettre finalement donnée aux enfants, le lendemain).

Bonjour.

Voici, après une réflexion personnelle, suite à vos propositions l’histoire que nous pourrions montrer à une autre classe.

Il s’agirait de deux jumeaux, Samy et Sarah, qui se rendraient à plusieurs moments de leur vie au château de Perrotière, ils verraient ainsi la nature évoluer au long des saisons, ils verraient aussi les choses et les êtres se transformer, au fil des années.

Leur première visite aurait lieu alors qu’ils seraient tout petits. Leurs secondes visites, il pourrait y en avoir plusieurs cette année là, seraient en CE2 par exemple.

Leur dernière visite, aurait lieu beaucoup plus tard, alors qu’ils seraient vieux, avec leurs petits enfants, et que le château serait tout transformé probablement.

D’une visite à l’autre, nos amis verraient apparaître, disparaître ou grandir des êtres et des choses.

L’idée que nous avons est bien ténue, et je ne sais pas si nous pourrons faire quelque chose de si peu de chose. Nous avons beaucoup de chansons à chanter qui pourraient se joindre les unes aux autres.

Il reste à trouver des idées beaucoup d’idées, je compte sur vous pour cela. Il reste surtout à trouver suffisamment d’écoute entre nous, pour parvenir à sortir de ces forces, nées des conflits entre vous, qui nous tirent vers le bas, parfois.

Souvenez-vous, mercredi matin, vous étiez très sages, comme jamais, il est vrai que je m’étais fâché fort la veille au soir ; mais souvenez-vous, vous attendiez sous le préau sans bruit, vous montiez en silence, nous avons chanté beaucoup de nouvelles chansons.

Ce matin là, est comme une graine, qu’il faut mettre dans nos coeurs, pour qu’elle grandisse et porte fruit. Je vous avais dit alors : il faudrait lorsqu’on est content se souvenir que des gens sont tristes quelque part, il faudrait, lorsqu’on est triste se souvenir que quelqu’un au loin, ou tout près, a le coeur qui chante.

Courage, bonne semaine à tous Le maître Antoine Caballé

Mardi 28 Mai 1996 Trente deuxième lettre à la classe.

Bonjour. Cette semaine sera consacrée aux troisièmes et derniers contrôles de l’année scolaire. Ces contrôles du troisième trimestre décideront, pour quelques uns d’entre vous, en tout cas, du passage en CM1. Pour vous tous, ils serviront de base aux derniers entretiens que j’aurai avec chacun de vous et vos parents, à partir, probablement du milieu de la semaine prochaine. Ces contrôles revêtent donc une très grande importance,ils couronnent, en quelque sorte, votre travail de l’année. Lisez donc attentivement cette lettre, car cette lecture fait partie intégrante de ces contrôles.

Pour le contrôle d’expression écrite, je vous demande, à partir d’une lecture attentive de celles que vous avez dans vos dossiers, d’écrire votre propre lettre à la classe. Celle que vous auriez aimé recevoir ce matin, si vous aviez été le maître ou la maîtresse. Attention, cette lettre ne doit pas comporter moins de sept phrases ... et pas plus de quinze. Pensez, pour l’écrire, aux choses que nous avons en projet, aux contrôles, à la visite que nous a rendu Michelle, Mardi, nous présentant le livre qu’elle va écrire à partir des lettres, justement, envoyées à notre classe.

Lorsque vous aurez écrit votre lettre, je vous demande, de vous reporter attentivement à l’ensemble des lettres, cela suppose une lecture rapide, avant de répondre aux cinq questions suivantes. Les réponses serviront pour le contrôle de lecture compréhensive.

1/ Cite, dans l’ensemble des lettres, en les recopiant, trois choses que tu as envie de retenir. Indique entre parenthèse à chaque fois le numéro de la lettre dont il s’agit.

2/Cite un passage, au choix, qui parle d’apprendre à devenir maître.

3/À ton avis, quelles sont les idées directrices, principales que l’on retrouve dans beaucoup de lettres, tu en cites trois.

4/Donne l’exemple d’une chose que les lettres prévoyaient de faire et que nous n’avons pas pu -ou pas encore pu- réaliser. Cite le numéro de la lettre dont il s’agit et recopie la phrase.

5/ Cite au contraire, l’exemple d’une chose qui s’est vraiment réalisée. Cite le numéro de la lettre et recopie la phrase.

Bon travail, bonne semaine à tous. Le maître Antoine Caballé

Lundi 3 Juin 1996 Trente troisième lettre à la classe.

Bonjour. Nous avons beaucoup travaillé la semaine dernière, mais les contrôles ne sont toujours pas terminés, ils le seront donc cette semaine.

J’ai beaucoup apprécié les lettres écrites par beaucoup d’entre vous pour ces contrôles. Certaines sont assez belles. Je cite donc quelques passages que j’ai aimés, parmi tant d’autres :

Chez vous avant de vous endormir il faut lire quelques lettres. C’est bien les lettres ça vous apprendra beaucoup de choses.

Si dès le début de l’année vous aviez compris, on aurait pu faire beaucoup plus de choses. Essayez de comprendre la paix, la vérité, être copains.

Moi, j’ai vu des enfants qui progressent.

Quand je fais un travail j’essaie de bien le faire ..

D’autre part, nous avons reçu de nouvelles lettres de Michelle destinées à chacun d’entre vous. Ces lettres sont très belles également. J’ai pu en lire quelques unes car elles n’étaient pas cachetées. Voici donc ce que Michelle écrit à l’un d’entre vous.

C’est vrai, tu continues ton journal intime ? Pourras-tu me le montrer ? Ce n’est pas obligé que je le lise. Je voudrais juste le regarder de loin. Continue je suis sûre que cela t’apporte beaucoup.

Moi aussi j’aime écrire.

Gardez bien précieusement ces lettres de Michelle dans votre dossier document ou ailleurs.

Il reste aujourd’hui et demain, puis Jeudi, avec Patrick POYET, les contrôles à terminer. Il faudra donc bien s’appliquer. Les premiers résultats montrent que ceux qui travaillent et écoutent les conseils font beaucoup de progrès. Cette après-midi, après l’étude nous planterons les graines de fleurs apportées par Aurélie et Sébastien. Il reste encore deux livres à retrouver ainsi que la trousse de Maxime. Ce serait vraiment bien de les retrouver.

Bon travail et bonne semaine à tous.

Le maître de la classe Antoine Caballé

Lundi 10 Juin 1996 Trente quatrième lettre à la classe.

Bonjour.

Je vous avais dit que, dans une prochaine lettre, je vous parlerai du pharmakos. À Athènes, dans la Grèce antique, il y a donc plus de deux mille ans, au temps des philosophes, qui étaient des hommes qui discutaient toute la journée sur le sens de la vie et des choses, les citoyens de cette ville avaient une étrange coutume. Athènes entretenait, en effet, à ses frais un certain nombre de malheureux et, quand une calamité s’abattait ou menaçait de s’abattre sur la ville (épidémie, famine, invasion étrangère ou dissensions intérieures), elle choisissait, parmi eux, une victime expiatoire, qu’on appelait le pharmakos, qu’elle immolait pour conjurer le mal.

Une fois ce pauvre malheureux mort, on chantait ses louanges, c’est à dire qu’on disait partout le mérite qu’il avait eu de vivre ainsi pour que les autres survivent. Étrange coutume ... qui, faisait donc mourir un pauvre pour que le mal soit conjuré de la cité. On appelle cela la victime émissaire. Cette coutume s’appuie sur la superstition qui croyait ainsi conjurer la colère des dieux auxquels les grecs croyaient. En effet, les grecs comme beaucoup de sociétés anciennes, croyaient en plusieurs dieux et imaginaient leur destin comme un jouet entre les mains de ceux-ci, c’est pour cela entre autres, qu’ils consultaient les oracles, les astrologues et les devins pour savoir de quoi demain serait fait.

Aujourd’hui, heureusement nous savons que chacun de nous est responsable de lui-même et donc des autres. Samedi, dans les rues de Saint Étienne j’ai rencontré une vieille institutrice en retraite. Nous avons parlé. Je lui ai expliqué notre classe, les difficultés que nous rencontrons parfois, la difficulté que beaucoup d’entre vous ont à tenir leurs engagements, et les dérapages de fin de journée malgré les bonnes résolutions du matin. Cette institutrice me dit alors que dans sa classe, il y a longtemps, au début de chaque journée, les enfants faisaient leur examen de conscience et examinaient ce qu’ils avaient de bien à faire, les projets de leur journée. Le soir, en fin de journée, ils faisaient un nouveau point, regardant ce qu’ils avaient fait de bien et de mal. Oui, le bien et le mal passent par chacun de nous. À chacun, donc, de s’améliorer par l’intérieur c’est une grande liberté que de le savoir.

Les rouges coquelicots, devant ma maison, s’éteignent chaque soir et naissent nouvellement chaque matin. Il nous faut, nous aussi, penser souvent à ce difficile chemin de la responsabilité pour s’ouvrir à nouveau aux autres, pour donner le meilleur de nous mêmes.

Bon travail et bonne semaine à tous. Le maître Antoine Caballé

Lundi 17 Juin 1996 Trente cinquième lettre à la classe.

Bonjour.

Nous approchons de la fin d’année, peu à peu ... Je crains que quelques uns des projets que nous avions formulés ne se réalisent pas vraiment. Ainsi va la vie, il n’est pas toujours possible de réaliser tout ce que nous avions projeté de faire.

Et si nous y réfléchissons, nous voyons qu’il vaut bien mieux qu’il en aille ainsi. En effet, si nous ne faisons pas toujours ce que nous avons projeté, cela ne signifie pas que ce que nous réalisons finalement soit moins important ou moins précieux que le projet lui même, au contraire, même.

Cela ne signifie pas, non plus, qu’il ne faille pas faire de projets. Mais il est bien mieux de devenir un projet soi-même.

Devant la porte de la cuisine de notre maison, il y a un vieux cerisier. C’est le plus vieil arbre de la maison. Son tronc, depuis très longtemps, a été abîmé par des enfants qui jadis, pour s’amuser, lui avaient enlevé une partie de son écorce.

Lorsque nous le voyons, en hiver, sans feuilles, et avec le tronc si abîmé, nous pensons tous qu’il va bientôt mourir. Mais chaque année au printemps, le même miracle se reproduit : de tous les cerisiers c’est toujours lui qui donne les meilleures cerises.

Hier dimanche, nous avons observé qu’un couple de mésanges avait fait sa nichée dans la plus profonde crevasse de son vieux tronc blessé. C’était un ravissement de voir ce couple d’ oisillons aller et venir, dans un manège presque incessant, cherchant de la nourriture pour nourrir sa progéniture. Je me suis dis alors, que ce vieux cerisier qui ressemblait, il y a tout juste quelques mois encore, à du bois mort, est bien vivant, bien utile. Il a su devenir projet, porter du fruit en la saison, et abriter au coeur de son vieux tronc abîmé, la vie fragile de bébés oiseaux, tout juste nés.

Lorsque j’ai vu, Lundi dernier, en début d’après midi, Souade et Samira, venir à l’école, avec un petit bouquet de coquelicots, lorsque j’ai lu certains tableaux du silence, j’ai pensé que, nous aussi, pourrions bien devenir chacun pour sa part, et à sa place, un projet vivant, les uns pour les autres, et, pour tous les autres plus loin. Alors, cette fin d’année, pourrait nous laisser, comme un doux parfum d’une fleur de printemps, le meilleur des souvenirs.

Bonne semaine à tous. Le maître Antoine Caballé

Lundi 24 Juin 1996 Trente sixième lettre à la classe.

Bonjour. Souvenez-vous de Lotfi, élève du CM1, qui entra deux fois dans notre classe, alors qu’il se rendait au cours du CRI, l’autre jour, nous dérangeant donc, pendant que nous travaillions, en poussant de grands cris. ” C’est vrai ce que vous dîtes, maître, vous les enfants écoutez-le” . Comme je lui demandai pourquoi il nous dérangeait, il s’en alla. Quand, pour la troisième fois, il passa devant la classe, avec l’intention d’y entrer, pour continuer son “cinéma comique”, je lui demandai de s’asseoir et d’écouter l’histoire vraie que j’ allais justement vous raconter dans le cadre d’un rituel quotidien. L’histoire vraie parlait du fond et de la forme. De l’image et du coeur. Souvenez-vous j’avais dessiné une usine au tableau. Et voici à peu près ce que j’avais dit alors.

Voyez cette usine, cette entreprise ; elle produit des choses. Alors, pour que cette entreprise marche elle doit réussir à vendre les choses qu’elle produit. Elle va donc faire de la publicité pour soigner son image, l’image du produit qu’elle fabrique. Si la publicité est bonne, il y a des chances qu’elle trouve des acheteurs, des distributeurs, des vendeurs du produit qu’elle fabrique. Mais voyez-vous une classe ce n’est pas une fabrique, ni une usine, ni une entreprise. Ce qui importe ce n’est pas l’image du produit, puisque de produit il n’y a pas. De l’école il ne sort pas des objets mais des êtres. Ce qui est important pour moi, maître d’école, est le plus souvent caché et se joue dans le coeur des hommes, le coeur de chacun, le coeur de chaque enfant. C’est bien le coeur qui éclaire l’intelligence. Le coeur qui est vivant est donc plus important que l’image qui reste toujours morte, malgré les efforts qu’elle fait et les apparences qu’elle se donne pour singer la vie. L’image d’une figure n’est donc qu’une représentation de la réalité, elle n’est pas la réalité. Alors, voyez-vous pour moi l’image, ce n’est pas très important. Il n’en reste pas moins, Lotfi, que tu n’aurais pas fait ce que tu as fait dans une autre classe. Tu aurais eu peur d’être puni, peut-être, ou, en tout cas l’idée ne t’en serait peut-être même pas venue. Peut-être alors souffrons-nous, dans la classe, d’un “déficit d’image”.

J’aimerais que vous réfléchissez bien à ces choses, au moment, cette semaine, de chanter nos chansons et jouer notre petite représentation devant vos petits élèves du CP. Bonne semaine à tous. Le maître Antoine Caballé

Vendredi 28 Juin 1996 Trente septième lettre à la classe.

Bonjour. Je vous écris aujourd’hui pour la dernière fois de l’année.

Quelques uns d’entre vous en effet comme Samira partent déjà en vacances. Pour les autres il restera trois jours de classe, mais nous allons devoir déménager les bureaux dans une autre salle et donc je crois que nous n’aurons sans doute guère le temps de lire des lettres.

Tout à l’heure, Michelle va venir nous faire voir son livre écrit à partir aussi des histoires d’ Algérie qu’elle vous avait écrites.

Nous présenterons notre petite représentation aux CP. “Samy et Sarah au château de la Perrotière”.

J’espère que tout le monde va s’appliquer pour donner le meilleur de lui-même. Ces élèves du CP sont vos petits élèves et vous pouvez leur montrer que vous êtes devenus vraiment des bons et vrais petits maîtres à qui il reste cependant beaucoup de choses à apprendre. Mais c’est aussi peut-être cela être maître : savoir qu’il nous reste tant de choses à apprendre. être un maître c’est donc savoir rester toute sa vie comme un élève.

Puis ce seront bientôt donc les vacances. Chacun de vous emportera son dernier contrat. J’espère qu’il essaiera de le respecter et que l’année prochaine votre prochain maître sera content de vous.

Bon, le temps est venu de vous souhaiter de très bonne vacances, à jouer et apprendre, à rire et partager, à grandir et s’épanouir.

Je ne sais pas ce qu’il va rester de toutes ces lettres où très souvent je vous ai écrit comme à des grandes personnes. J’espère que vous emporterez de cette année le meilleur : une vraie expérience de vie.

Peut-être qu’un jour l’un d’entre vous devenu vieux les relira et se souviendra. Que chaque jour vous apporte la paix et la joie, l’amitié et la simplicité de ceux qui cherchent pour trouver et qui trouvent en cherchant encore plus loin ou plus près tout simplement.

Très bonnes vacances à tous et bonne représentation.

Le maître de la classe.

Notes
3463.

Il s’agit, bien entendu, de l’outil au sens large. Je veux dire la technique, et plus largement la réflexion sur les procédures. Tout ce qui est contenu dans la question : “Apprendre oui mais comment ?”

3464.

MEIRIEU Philippe “La pédagogie entre le dire et le faire” “Le courage des commencements” tome 1 ESF éditeur Paris 1995 ; (281 pages).

3465.

Donnons ici une explication.

Brigitte Ayme, tout juste titularisée, occupait là son premier poste en tant qu ‘institutrice prenant la classe pendant les décharges d’enseignement dont bénéficient les maîtres formateurs. Brigitte Ayme se disant effrayée particulièrement par cette classe de CE2 demandera une autre affectation qu’elle obtiendra, et ne restera que quinze jours à son poste.

Cette note ne faisait évidemment pas partie de la lettre.

3466.

On peut lire à la page 134 de ces notes annexes ce texte inséré dans le contexte qui lui a donné le jour.

Cette note ne faisait évidemment pas partie de la lettre.

3467.

Pour cette question tu peux , bien évidemment, donner ton avis personnel.