15 - Morale ... éthique ... ou la pure grâce ?

Avant de conclure cette partie une dernière réflexion s’impose puisqu’il s’agissait ici de travailler la question philosophique de l’éthique en matière d’éducation. Nous l’avons dit : l’aspect chrétien de l’oeuvre de ANDERSEN ne fut guère noté de son vivant pas plus que chez certains commentateurs relativement récents. Le fait culturel chrétien allant davantage de soi on ne songeait sans doute pas à le commenter, à moins que les temps portaient davantage à une occultation de celui-ci 3620 . J’ai bien conscience de n’avoir délibérément tiré de ANDERSEN que le christianisme. Or, nous avons effleuré d’autres influences déterminantes pour bien comprendre et lire ANDERSEN 3621 . Cependant j’espère avoir moins tiré ANDERSEN vers le christianisme que révélé comme une réalité latente plus ou moins implicite ce qui était, de mon point de vue et je l’espère et je le crois du point de vue de ANDERSEN lui-même, déjà dans son oeuvre. Le christianisme constitue bien du point de vue de l’éthique ou de la morale la référence majeure sinon même exclusive de l’oeuvre. Nous avons vu qu’il ne s’agissait d’ailleurs pas dans cette perspective d’une morale dont la valeur nous soumet et nous oblige de l’extérieur ni d’une éthique dont le prix se conquiert par l’effort et la volonté personnelle mais plutôt de la grâce pure 3622 dont le bénéfice se reçoit gratuitement. Toute morale ne suppose pas l’entendement du pourquoi des principes qu’elle énonce. Qu’elle défende les valeurs de biens du groupe ou des intérêts personnels, comme c’est le cas par exemple des fables de Jean DE LA FONTAINE, elle est un principe de jugement plus que de discernement. L’homme moral n’ouvrira sa porte qu’à celui qui ne lui fera pas tord selon les principes et les préceptes qui sont les siens. ANDERSEN n’est de mon point de vue que rarement dans une telle perspective... Au contraire toute éthique est exigence envers soi-même avant toute chose : une valeur personnelle qui est valeur pour soi qui ne se gagne que par l’effort et le mérite et qui refuse de principe de s’imposer à autrui. Toute rencontre de cet ordre est une providence ...Elle ne peut avoir lieu qu’entre deux vrais hommes qui ont gagné le droit de celle-ci par leur qualité : la qualité d’homme. Citons JANKÉLÉVITCH :

“Quand deux hommes l’un à l’autre étrangers et inconnus l’un pour l’autre se rencontrent dans l’immense solitude d’un désert ou dans le silence éternel des montagnes, ces deux hommes esseulés se regardent et se saluent; ils se serrent la main sans autre forme de protocole. Ils sont seuls dans la nature hostile, mais ils se connaissent déjà, bien qu’ils ne se soient jamais vus : ils échangent une première parole et le vent, les rochers, la nature élémentaire leur renvoie l’écho de cette parole. Cette parole est déjà en elle-même une bienvenue. Telle est la parole que le voyageur solitaire perdu dans la nuit adresse à un autre voyageur solitaire; telle parole qu’au delà de toute prospolexie mesquine l’homme adresse à un autre homme sur le chemin de la vie. Dans un monde inhumain cette salutation atteste la fraternité de deux visages et célébrera la rencontre de deux regards. 3623

JANKÉLÉVITCH me fait irrésistiblement penser à Jean Le Baptiste prêchant dans le désert. Jean le Baptiste est le dernier prophète de l’ancienne alliance. JANKÉLÉVITCH appelle à l’authentique repentance il prépare en quelque sorte à la manière de Jean Le Baptiste “le chemin du Seigneur”.Dans l’alliance nouvelle, Dieu, que JANKÉLÉVITCH se plaisait à ne point nommer autrement que le “Tout Autre” est donc devenu également le “Tout Proche”. Le Christ; à la fois complètement Dieu, tout Autre, et complètement homme,tout Proche, Dieu et homme à la fois, donc; tel est le message de l’Evangile qui semble nourrir à chaque ligne l’oeuvre et l’esprit de ANDERSEN. La pure grâce n’est en effet que grâce et grâce seulement. Tout est donné il suffit d’accueillir...La grâce pure n’attend rien de l’autre que cet accueil; elle espère tout elle soulève le coeur et nous arrache les larmes. 3624 ANDERSEN parle d’elle et par elle exclusivement ou presque. Elle signifie la victoire inconditionnelle et radicale de l’Amour. 3625

Notes
3620.

Isabelle JAN dans son ouvrage (op. cit.) paru au cours des années 1970 ne voit pas en ANDERSEN, l’influence chrétienne comme déterminante contrairement à Eric BOYER dans l’ouvrage paru en 1992 dans la collection de la Pléiade (op. cit).

3621.

Parmi celles-ci notons l’influence de la culture des légendes scandinaves des fables helléniques, du théâtre etc...

3622.

Rappelons que ce terme reprend un des fondements de la “théologie” réformée.

3623.

Vladimir JANKÉLÉVITCH “Le paradoxe de la morale” Le Seuil Paris; ( p. 49).

3624.

Luc XV 11 à 24 la parabole du fils prodigue. Lire au verset 20 “Comme il était encore loin son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa.”

3625.

Luc I 17 C’est en ces termes que l’on parle du Baptiste enfant “afin de préparer au Seigneur un peuple bien disposé”