16 À la merci de Dieu et des hommes : la position du pédagogue chrétien

A la merci des hommes sans domicile fixe, ainsi vécut ANDERSEN.

Son oeuvre au style très peu littéraire se prêtait elle-même au plagiat et à l’exploitation que ne se sont pas privés de faire en toutes les langues nombre de pseudo traducteurs “d’après ANDERSEN”... Cette faiblesse constitue également semble-t-il la force d’ANDERSEN, auteur le plus édité au monde en vraies ou fausses versions. Cette attitude délibérément exposée n’est pas sans analogie avec l’attitude du chrétien dont la spécificité dans les combats de ce monde pourrait être de savoir par avance, suivant les traces du Christ lui-même, qu’il va perdre 3626 de se laisser dépouiller et de s’engager tout de même dans le combat de la foi, veillant simplement à ne pas perdre l’unique trésor : la saveur du message. 3627 Une laïcité, telle que nous l’avons rêvée, ouverte à la conviction de chacun, en recherche de sa vocation propre, en opposition à la neutralité bienveillante dont nous avons deviné plus que vraiment mesuré quelques écueils, supposerait sans doute, en préliminaire, la conversion de chacun. “L’évangile de la pure grâce” s’oppose au rapport de force il ne peut se diffuser que dans la libre rencontre de chacun avec Dieu sans contrainte ...N’y a-t-il pas là une radicale antinomie avec la prise du pouvoir politique en son nom ? 3628

La situation du pédagogue chrétien resterait donc toujours quelque soit le système scolaire inconfortable en partie : porteur d’un message de Royauté qui se refuse à régner selon les modalités du monde. 3629 Karl BARTH, après s’être opposé à la main mise du pouvoir nazi sur l’église allemande ... exhorta les chrétiens à rendre grâce simplement pour les structures politiques qui leur permettaient sans persécution d’exister. 3630 C’est sans doute dans cette pauvreté face aux puissants que ANDERSEN trouvait l’espace de s’adresser à Dieu, dans son journal personnel et dans ses contes... C’est dans cet espace irréductible que pourrait s’exprimer toujours aujourd’hui la prière et le soupir de l’éducateur chrétien.

Post-scriptum (Mars 1993 )

J’ai tout à fait conscience d’avoir été contraint pour ce travail de synthétiser outrageusement des parties qui mériteraient un réel approfondissement et un développement.

Notre école et notre culture spécialement françaises me semblent en effet comme sous l’effet d’un traumatisme historique qui lui font refouler la part chrétienne pourtant fondatrice de leur mode de pensée, et plus loin encore fondatrice de notre rapport aux autres, au monde et aux choses.

Parler de l’évangile à l’école comme lire la Bible ne sauraient de mon point de vue conditionner des élèves mais tout au contraire leur donneraient avant tout une clé de lecture et de compréhension du monde et de leur propre vie, comme une ouverture du regard et de l’intelligence en tant que compréhension de leur histoire, mais surtout ferait grandir leur conscience d’être homme.

La mesure d’une oeuvre éducative serait évaluable à partir de sa capacité à faire émerger un regard singulier et personnel sachant se distinguer des opinions générales, et la compassion active pour le faible et le souffrant : c’est bien là que cette Présence en toute présence, amoureuse de l’homme et de sa promotion, et que certains appellent Dieu, a choisi de se manifester dans la Bible.

Ce message ou texte bilblique ne contient-il pas en lui-même la liberté qui permet à l’homme d’en rejeter ou d’en accepter l’enseignement ?

Regardons autour de nous : nous sommes le seul pays d’Europe qui évacue l’éducation dite religieuse de ses programmes. Les autres pays ne sont pas pour autant des dictatures.

C’est que le message chrétien originel n’est pas une religion classique, se substituant ou s’ajoutant aux autres, il est fondateur d’un nouveau regard à la découverte d’une vie nouvelle, comme à partir d’un appel à la liberté, d’un dialogue entre Dieu et les hommes, et des hommes entre eux.

On n’impose pas un regard pas plus qu’une vie nouvelle... on s’y réfère . Ils se rencontrent et se découvrent ... se rejettent ou se contestent, mais on ne peut se passer de les connaître et d’en parler.

Une telle approche ne proposera donc jamais un modèle politique, tel n’est pas sa vocation, mais il inspirera toujours davantage d’écoute et de compréhension mutuelle et donc in fine plus de dialogue et moins de diktat. La démocratie ne devrait donc jamais en souffrir. C’est toute la faiblesse et la force de ce type d’argument que j’ai cependant voulu défendre.

Post-scriptum de mai 1998 (revu en Novembre 2003)

J’écrivais ces lignes en conclusion d’un exposé, donné à l’Université de Lyon II le 17 mars 1993, qui présentait l’oeuvre de Hans C. ANDERSEN, dans le cadre du cours d’éthique de l’Éducation conduit par Philippe MEIRIEU, avec deux collègues alors étudiants comme-moi-même en maîtrise des Sciences de l’Éducation, Alphonse IGLÉSIAS, et Paul-Luc MÉDARD.

Nous avions opté pour trois lectures d’ANDERSEN.

Alphonse IGLÉSIAS reliait l’oeuvre à la vie d’ANDERSEN privilégiant une entrée par la psychologie du personnage, son enfance malheureuse, et le contexte historique de son existence.

Paul-Luc MÉDARD évoquait plus précisément la question de l’exploitation des contes dans le cadre de la laïcité.

Mon exposé, enfin, dont le compte-rendu précède, mettait l’accent sur la dimension chrétienne de l’oeuvre. Un débat avait suivi sur la question de la laïcité.

À l’époque le débat sur l’étude des religions ou la culture religieuse à l’école, n’était pas encore vraiment un sujet d’actualité au point, en tout cas, qu’il atteint aujourd’hui.

Voici qui justifiait et contextualise ce post-scriptum de 1993.

Nota Bene

Quelques unes des références et des citations qui jalonnent ce texte se retrouvent dans le corps du texte, des annexes ou des connexes. Nous les avons laissées telles quelles pour ne pas rompre la lecture. Elles ne feront pas double emploi si le lecteur peut, par elles, mieux mesurer l’importance qu’ont jouées celles-ci dans notre cheminement, en les reliant aux différents contextes.

Notes
3626.

Ce que certains appellent le “scandale” de la croix .

3627.

Lire Matthieu V 13 “Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd de sa saveur avec quoi le lui rendra-t-on ?”

3628.

Matthieu IV 8 à 11 La tentation faite au Christ de posséder les royaumes de ce monde et son refus.

3629.

Jean XVIII 36 Lors du récit de la Passion : “ Mon royaume n’est pas de ce monde dit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi ...”

3630.

BARTH Karl “Communauté chrétienne et communauté civile” . Labor et Fides Genève 1947 ; (156 pages).