La prédication de Denis MULLER sur Jean V 1-18, Temple de l’Église Réformée de Saint-Etienne le 27-07-96 ”La solitude humaine et le Dieu qui agit”

Jean V 1 à 18 La solitude humaine et le Dieu qui agit

La solitude humaine est la préoccupation de longue date de Dieu et l’action de Jésus-Christ tout au long de l’évangile jusqu’à la croix est d’y porter remède.

Notre texte dans l’évangile de Jean nous confirme dans cette découverte et nous permet de mieux comprendre en quel sens Jésus atteint, touche, guérit, sauve ceux qui sont dans la détresse et la solitude. Retenons dès le début l’élément central de ce récit que nous trouvons dans le verset dix-sept :“ Jésus leur répondit: “Mon Père agit jusqu’à présent; moi aussi j’agis.”

En Jésus-Christ se manifeste Dieu présent en actes, infatigablement tourné vers nous. Il n’y a pas d’autre motif que cette volonté manifeste de Dieu, d’être le Dieu juste, le Dieu de notre salut.

Nous devons comme Jésus considérer la solitude humaine, la prendre au sérieux, essayer d’en découvrir l’origine, nous efforcer de la rompre, ou du moins compter avec celui qui peut, veut et sait la rompre et nous utiliser dans ce travail dans la mesure où nous sommes disponibles et nous savons discerner ses signaux.

Le philosophe Georges GUSDORF 3717 dit que “l’homme contemporain est quant à la solitude, un asthénique “. Il se révèle ne plus posséder les forces qu’il faudrait pour sortir de son isolement. Un mur invisible le sépare d’autrui et ses efforts pour le briser le dépasser, le révèlent comme trop faible pour un tel travail.

Le terme asthénique utilisé par ce philosophe pour caractériser l’homme contemporain dans son incapacité à rompre la solitude, présente d’ailleurs une curieuse similitude avec notre récit.

L’homme dont il est question dans notre texte est en effet désigné dans la langue grecque du texte d’origine par ce terme : “ ho asthenoon “ traduit au verset sept par le malade. 3718

La solitude apparaît de façon très forte chaque fois que la maladie s’installe.

Le psaume trente-huit décrit en deux versets ce double mouvement, celui de la perte des forces vitales et celui de la solitude qu’entraîne la maladie.

Mon coeur est agité, ma force m’abandonne et la lumière de mes yeux n’est plus même avec moi. Mes amis et mes connaissances s’éloignent de ma plaie et mes proches se tiennent au loin. 3719

Au milieu de tous de ses “collègues” et compagnons d’infortune, le malade auquel s’adresse Jésus décrit sa situation avec quatre mots que beaucoup de nos contemporains pourraient crier : “Je n’ai personne.”

Au milieu de la foule de celles et ceux qui sont couchés là comme lui-même, de celles et ceux qui, jour après jour, pendant trente huit ans passent ces cinq portiques pour entrer ou sortir par la porte des brebis, il est seul affreusement, tristement seul.

Seul, il l’a toujours été depuis trente-huit ans, il l’est aujourd’hui, il semble, pour lui en tout cas, qu’il le sera demain.

Le pasteur FINET pasteur d’un petit village écrivait un jour dans le journal Réforme :

Je me rappellerai toujours un certain dimanche de Septembre où, dans mon village, je suis monté en chaire, alors que la veille un pauvre vieux s’était pendu parce qu’il vivait solitaire et n’avait plus d’argent. L’Écriture Sainte a eu ce jour là une résonance particulière : “Qu’as-tu fait de ton frère ? “ Ce qui me hante; c’est cette sorte d’isolement dans lequel nous vivons tous, ignorants du prochain, en huis clos. C’est notre incapacité à prolonger notre responsabilité plus loin que l’étroit cercle de famille (et encore!) et l’impassible assurance avec laquelle nous côtoyons des misères vers lesquelles nous ne tendons pas les mains.

Des millions d’hommes et de femmes, de jeunes sont obligés de dire dans leur vie, dans leur problème : “ Je n’ai personne.”

Mais la solitude vient aussi des autres. Comme nous dit Ésaïe “Chacun suit sa propre voie.” 3720

Un des mots de Jean Paul SARTRE que l’on a retenu, vous le connaissez, c’est celui par lequel il a définit les autres comme étant l’enfer, “l’enfer c’est les autres.”

“Depuis trente-huit ans “ précise notre texte dure la solitude de l’homme auquel Jésus adresse la parole. Trente-huit ans pendant lesquels, il a expérimenté qu’en dernier lieu, personne n’a d’intérêt pour le prochain. Notre récit nous montre une chose effarante sur cette source de solitude que peuvent être pour nous les autres : lisez les versets trois et sept.

Là même où les dons de Dieu se manifestent, l’espèce humaine montre encore plus fort son égoïsme. Dieu fait un geste de miséricorde, offre une possibilité de guérison et la solitude s’agrandit : c’est la course, la bousculade au miracle, l’esprit de concurrence jaillit : “un autre avant moi”

Cet esprit nous le retrouvons partout : dans les examens, dans la préoccupation à l’avancement, dans le travail, la réussite en affaires, en politique, et même des fois jusque dans l’église.

Enfin, notre récit met le doigt sur une troisième source de solitude.

Auprès du malade guéri, surgissent tout à coup des gens qui commencent à le remarquer. Ils l’entourent, ils lui adressent la parole. Est-ce pour l’aider, pour prendre part à son sort, se réjouir avec lui de sa guérison, de la nouvelle chance qui vient d’éclore dans son existence ?

Hélas non, comme le montre le verset dix : leur intérêt ne concerne pas l’homme lui-même. Ils le voient en rapport à des principes qu’il ne respecte pas : “c’est le sabbat, il ne t’est pas permis d’emporter ton lit !” (les rabbins distinguaient trente espèces de travaux interdits le sabbat parmi lesquels celui de porter un meuble et celui de traiter un malade).

À peine cet homme émerge-t-il de son isolement, que le scandale éclate et qu’on veut l’y rejeter.

Il faut que nous sachions quelle est la voie à suivre pour que cette solitude soit remplie. Notre récit nous montre que ce n’est pas en réunissant ensemble des gens qu’on les libère de la solitude. Plus on est nombreux ensemble, plus on est seul. Regardez le nombre de suicides dans les grandes villes, où les gens souffrent de solitude alors que c’est là qu’il y a le plus de monde. Autrefois, quand le premier voisin habitait à quelques kilomètres, tout était partagé, joies soucis, peines, réussite souffrance, deuils.

Aujourd’hui, notre voisin habite parfois à dix centimètres (l’épaisseur des murs dans certains immeubles) et on ignore jusqu’à son nom. Et pourtant, il semble qu’il existe des lieux qui portent en eux la promesse de la guérison, de la santé, de la libération.

La piscine aux cinq portiques près de la porte des brebis et un tel endroit. Le nom qu’elle porte est en lui même tout un symbole.

Bethesda : Maison de miséricorde de grâce. Dieu y intervient, y fait de temps en temps le geste de sa bonté (verset un) et ainsi elle est un endroit où subsiste une espérance.

Mais cela ne suffit pas, même là où Dieu manifeste sa miséricorde, la solitude humaine augmente à cause de la nature humaine.

Il reste tous ceux qui arrivent trop tard, les “laissés pour compte” qui assistent à la guérison du premier arrivé et sont rejetés dans l’amertume de la constatation que cela ne marche pas pour eux.

Comme geste de Dieu qui enrichissait l’un, appauvrissait l’autre.

Le geste de Dieu n’a de sens que dans la mesure où il me touche personnellement et ce sont de tels raisonnements de telles attitudes qui n’aident pas à se rapprocher des autres.

C’est à Bethesda que l’homme de notre texte réalisait seulement dans quelle profondeur de solitude, il était coincé : “Je n’ai personne.”

Il faut que Jésus-Christ lui-même arrive.

C’est par sa présence que Bethesda mérite seulement son nom, c’est lui seul qui peut briser les murs invisibles et enlever les séparations devant lesquelles notre solitude doit capituler.

En Jésus-Christ, la grâce et la miséricorde divine sont présentes vraiment.

La grâce et la vérité sont venues en Jésus-Christ.”

Nous pouvons en discerner les signes dans notre récit : Jésus prend au sérieux l’homme lui-même et (verset six) il le rencontre.

Avant de le libérer de sa maladie, il rompt sa solitude par sa question : “Veux-tu être guéri ? “

Pour la première fois, sans doute, depuis trente-huit ans, quelqu’un s’adresse à cet homme comme à quelqu’un qui est capable de volonté. C’est à lui de décider, en tout cas, il n’est pas considéré par Jésus comme asthénique, dépendant des autres. Ensuite, la miséricorde de Dieu se manifeste par la présence de Jésus dans la guérison et enfin Jésus continue à suivre ce malade qui maintenant d’un malade est devenu celui qui a été guéri (verset dix).

Ce qui est important c’est la rencontre au niveau de l’existence avec la réalité qu’est Jésus-Christ : Jésus rompt sa solitude et le voit, témoigne sa puissance de vie qui transforme et renouvelle.

Ce qui est important c’est son amour qui poursuit ce qu’il a commencé.

C’est de cette façon-ci que l’homme d’aujourd’hui a besoin de rencontrer Dieu.

Ce dont cet homme a besoin, ce ne sont pas tellement des dogmes, des principes qui régissent sa vie, mais d’une rencontre.

Sommes-nous libérés de notre solitude, avons-nous dans notre vie fait cette rencontre avec Jésus qui nous a libéré de la solitude ?

Lorsque nous approchons des autres, est-ce une addition des solitudes qui se produit ?

L’addition de deux malades ne produit pas la santé, l'addition de deux solitudes ne peut avoir pour résultat la communauté, mais crée une solitude en puissance.

C’est tout différent lorsque notre vie est marquée par deux présences, celle du Christ et celle du prochain.

Jésus a libéré cet homme de la solitude dans cette maison de miséricorde.

Bethesda, cette maison de miséricorde n’était pas si miséricordieuse en soit, nous l’avons vu, mais la présence de Jésus, le fait qu’il s’intéresse au plus démuni, montre toute sa grâce et sa miséricorde.

Jésus peut nous libérer de nos solitudes parce qu'il a vaincu la solitude totale à la croix.

Il sait ce que c’est que d’être seul. Une souffrance terrible l’a traversé à la croix, lorsqu’il a été seul, tout seul, et qu’il a eu ce cri terrible : “Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ?”

Jésus a vécu cela pour nous libérer de ce sentiment de solitude et d’abandon qui caractérisent trop souvent nos vies.

Bethesda, maison de miséricorde.

Notre église, l’Eglise, est-elle cette maison de miséricorde ?

Est-elle cette maison où l’amour, le don de soi pour les autres, la compassion, le pardon, s’exercent d’une manière forte, ou bien ressemble-t-elle trop souvent à cette Bethesda où tous les malades

que nous sommes, sont seuls, livrés à eux-mêmes, comme ne concurrence les uns avec les autres ?

Nous tous qui sommes des malades spirituels, des pécheurs, nous vivons dans notre vie de chaque jour, le plus souvent chacun pour soi, sans se préoccuper des autres, seul face à Dieu, en voulant vivre notre petite vie égoïste, que voulons nous faire de nos vies, comment voulons-nous vivre l’église ?

Le rôle de l’église avant tout c’est d’être une Bethesda, une maison de miséricorde et de grâce où l’amour et le pardon puissent être à la première place.

Sans la présence et la rencontre de Jésus, notre Bethesda, notre maison de miséricorde ne sera pas une source de guérison, d’apaisement de la solitude.

Le jugement des ennemis des premiers chrétiens devrait rester le même pour ceux d’aujourd’hui :

“ Ces chrétiens, ils s’aiment entre eux avant même de se connaître.”

Est-ce qu’aujourd’hui, nos contemporains ont ce même jugement ?

Les membres de l’église doivent là où ils vivent et travaillent être des occasions de rencontre pour leurs voisins, pour ceux qui les côtoient, être des briseurs de solitudes comme des brises glaces qui fraient le chemin pour des navires, à travers les eaux gelées, ils devraient ouvrir le chemin vers Jésus Christ et l’église dans les glaces de la solitude humaine.

Tant et tant de personnes crient tous les jours vers le Seigneur sans le connaître comme cet homme de Bethesda : “Seigneur je n’ai personne.”

C’est à nous d’y répondre.

Jésus-Christ veut rencontrer aujourd’hui tous ces isolés.

Ce matin, tu te sens seul isolé, tu peux venir à Jésus, c’est lui qui vient pour te rencontrer, c’est Jésus qui est allé trouver ce malade, comme il veut venir te trouver.

Oui, Jésus veut te rencontrer et rencontrer tous ces isolés mais il ne peut le faire au travers de théories, de dogmes, de programmes mais uniquement au travers de personnes, de vies humaines.

Nous ne devons pas apporter aux autres une théorie sur Dieu mais un amour de Dieu manifesté en Jésus.

Dans le même chapitre cinq aux versets tente-neuf et quarante, Jésus demande la foi non à une doctrine ou même à la Bible mais à celui qui y est révélé.

Vous sondez les écritures parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle: ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie ?

Nous ne devons pas apporter des théories mais être des instruments de Celui qui agit en nous et au travers de nous.

L’incarnation du Fils de Dieu dont nous attendons le retour se poursuit à travers son corps qui est l’église.

C’est aux membres de l’église, donc à nous tous, d’être le coeur, les yeux, la bouche, les mains dont il se sert pour aller vers les hommes de notre temps et les rencontrer.

Notes
3717.

On peut se reporter à la bibliographie pour les quelques ouvrages de Georges GUSDORF

3718.

La traduction lue est celle de la Bible SEGOND.

3719.

Versets 11 et 12

3720.

Ésaïe 53 v 3