Première Partie : les prises en charge publiques : Assistance publique et Justice

L’administration a pour fonction de mettre la loi en application : soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. C’est là, pour le sujet qui nous occupe, ce qui distingue l’Assistance publique de la Justice.

D’un côté, il faut recueillir les enfants abandonnés et suppléer à l’absence de leur famille. Il est difficile de connaître précisément le regard posé par les membres du service de l’Assistance publique sur les enfants qu’ils accueillent ; rares sont les jugements directs sur eux ou leur famille. Sans doute, un certain sentiment de condescendance, en vertu du principe selon lequel un parent indigne (n’a-t-il pas refusé d’assumer ses responsabilités parentales ?) ne saurait avoir engendré un enfant qui ne le soit pas un peu, a pu exister. Par ailleurs, le souci d’une saine gestion des deniers publics a pu mener à des opinions peu amènes sur les parents usant des services de l’assistance publique en cas de difficulté passagère, comme d’une possibilité de garde temporaire, et par glissement sur les enfants bénéficiant indûment de la sollicitude publique. Cette méfiance peut être entrevue ici ou là, mais les opinions les plus clairement exprimées penchent plutôt du côté des qualités de cœur et de la mise en cause du fonctionnement de la société : plus que la duplicité supposée des familles, c’est leur pauvreté qui les contraint d’abandonner leurs enfants. Rien ne permet de dire que c’est cette dernière opinions qui prévaut. Il n’empêche cependant qu’examniner le fonctionnement du service des enfants assistés de la Loire doit amener à étudier la façon dont les enfants y sont accueillis et traités. On y trouvera une sollicitude plus paternelle que gestionnaire, et une impression plus familiale qu’administrative. Famille de substitution, l’Assistance publique paraît avoir à cœur de remplir sa mission.

De l’autre côté, la Justice des mineurs punit l’enfant déviant, et lui cherche un lieu d’éducation de rééducation ou de mise à l’écart. Il n’est pas toujours facile de distinguer la volonté de punir l’enfant, celle de le protéger, de celle de protéger la société. D’autant plus qu’au-delà des classiques possibilités d’enfermement il existe bien peu de solutions alternatives. La liberté surveillée bien sûr existe (depuis 1912), mais ne justifie guère son appellation lorsqu’elle est confiée à un établissement fermé. Ce sont les particuliers, les associations, qui permettent à le Justice d’utiliser à fond les dispositions légales, sans en dénaturer le sens. Plus encore qu’à l’Assistance publique où les personnes en charge du service (l’Inspecteur, surtout) ont un rôle considérable, la Justice ne peut jouir de la totalité des possibilités prévues par la loi qu’avec l’aide de particuliers et d’organismes qu’elle sollicite, suscite et soutient.

Cependant, la séparation entre Assistance publique et Justice ne doit pas être exagérée. La législation elle-même se charge d’atablir des points de rencontre. Par exemple, l’Assistance publique peut être un lieu d’accueil pour les enfants de Justice. C’est particulièrement le cas dans le cadre de la loi de 1889 sur la déchéance de puissance paternelle, grâce à laquelle la puissance publique peut garder un œil sur (dans) les familles et sanctionner une éducation par trop déficiente. Il y a certes punition, mais des parents, au nom de la protection de l’enfant. C’est pourquoi il en est surtout question dans le chapitre consacré à l’Assistance publique.

A l’inverse, les lignes concernant la correction paternelle sont volontairement placées au début du chapitre sur la Justice des mineurs dans la Loire, en guise de transition, puisqu’elle montre la survivance d’une Justice mise à la disposition des familles, sans réel contrôle, dans un seul but de punition. Mais il est remarquable que les critiques relevées dans la Loire proviennent de fonctionnaires, de l’administration générale ou de la justice, c’est-à-dire de ceux-là même qui sont supposés appliquer, sinon promouvoir, la loi. C’est bien le signe que la conception que la Justice se fait des enfants change dans la période. C’est pourquoi du reste nous avons tenté de rechercher, en particulier par l’esquisse de quelques récits de carrière, sinon de vie, de magistrats, la trace d’opinions, d’une cohérence d’action, la trace d’explications d’ordre idéologique ou personnel à leur façon de rendre la Justice.

Les paramètres sont donc nombreux : contenu des lois successives, volonté ou possibilité de les appliquer, rôle et place des individus, à quoi s’ajoute l’émergence de la volonté de prendre en compte l’intérêt de l’enfant.