La loi du 24 juillet 1889 « sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés » intervient à la fin d’une décennie législativement marquante ; avec les lois scolaires qui entendent façonner le citoyen, et la loi de 1889, l’Etat devient véritablement une sorte de puissance tutélaire de l’enfance, et se donne le droit de disposer de la puissance paternelle. Le pouvoir absolu du père, issu de cette fameuse patria potestas venue de Rome, agréé par le code civil, et passant par la possibilité du père de faire interner son enfant (avec un passage chez le juge, sans qu’on puisse assurer qu’il est accompagné d’un contrôle des motivations de cette incarcération), est désormais battu en brèche. L’Etat se reconnaît le droit de juger de la qualité et des conditions d’éducation de l’enfant, et de le retirer de sa famille qui perd du même coup tous ses droits sur lui.
Les cas prévus par la loi peuvent être précis : condamnation des parents pour crimes ou délits sur leurs enfants (art. 1, déchéance de fait découlant de la condamnation même), pour crimes graves (art. 2, la déchéance est facultative, et doit être prononcée en complément de la peine fixée : travaux forcés, longue peine de prison, et dans ce cas il s’agit surtout de soustraire l’enfant au manque de surveillance qui en résulterait), ou beaucoup plus généraux, puisqu’il est prévu que la déchéance peut également être prononcée « en dehors de toute condamnation, [contre] les père et mère qui, par leur ivrognerie habituelle, leur inconduite notoire et scandaleuse ou par de mauvais traitements, compromettent soit la santé, soit la sécurité, soit la moralité de leurs enfants. » (art. 2, §6) 152 .
D’autres ont décrit l’insertion de cette loi dans l’œuvre plus générale de l’organisation de l’assistance sous la Troisième République 153 , et en ont relevé les enjeux 154 . Il reste cependant à voir comment la loi a été appliquée localement, et ce que sont devenus les enfants confiés par ce biais à l’Assistance publique 155 .
Le titre de l’ouvrage de Jacques Donzelot, La police des familles, Paris Minuit, 1977, 221 p. trouvera ici une jolie illustration…
C’est toujours le cas aujourd’hui, mais dans des cas plus précis où l’enfant est directement concerné. : l’article 378 du Code civil actuel prévoit le retrait de l’autorité parentale comme peine complémentaire, mais expressément énoncée, des parents condamnés comme auteurs ou complices d’un crime commis sur leur enfant, ou par leur enfant. Par ailleurs, l’article 378-1 prévoit le retrait d’autorité parentale, hors de toute condamnation, les parents qui, « soit par de mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, soit par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant. » Les termes ont été actualisés et précisés, mais une bonne partie du texte original demeure.
Olivier Faure, « La loi de juillet 1889 dans le cadre d’une nouvelle politique sociale » in Annette Jacob (dir.),Les droits de l’enfant, quelle protection demain ?, Actes du colloque organisé par la Société Lyonnaise pour l’Enfance et l’Adolescence les 8 et 9 novembre 1990 à Lyon, Paris, Lierre & Coudrier, 1991, 338 p., p. 34-40.
Dominique Dessertine, Bernard Maradan, Pratiques judiciaires de l’Assistance éducative (1889-1941), rapport MIRE, avril 1991, 262p., p. 6-29.
La loi prévoit que les enfants (qui passent sous la tutelle de l’inspecteur départemental des Enfants assistés) peuvent soit être confiés à l’AP, soit à des œuvres privées, soit même à des individus (art. 12 et 17) ; ce point sera examiné plus loin, avec les œuvres privées prenant en charge des enfants.