2) Ce que l’Assistance publique fait des enfants moralement abandonnés

Nés en ville, et dans les plus grandes et industrielles du département, ces enfants sont, sans trop de réflexion, considérés comme viciés par un environnement aussi délétère. La campagne est leur lieu naturel de destination. Mais il ne faut pas oublier l’âge plus élevé de ces pupilles, qui fait que pour un petit quart d’entre eux, le premier placement est un placement à gages.

Tableau 17 : lieu de placement des enfants moralement abandonnés à leur entrée dans le service (Loire, 1892-1942)
arrondissement % canton % commune %
Roanne 51,1 Saint-Just-en-Chevalet 23,6 Saint-Just-en-Chevalet 5,8
        Saint-Priest-la-Prugne 3,2
        Champoly 2,9
    Saint-Germain-Laval 22,4    
    Roanne 1,1    
Montbrison 35,6 Noirétable 14,8 Les Salles 4
        Saint-Didier-sur-Rochefort 2,9
        Noirétable 2,2
    Boën 10,2 Saint-Sixte 3,6
Saint-Etienne 10,3 Saint-Etienne 6,1 Saint-Etienne 5,4
autres départements 2,9        

Les régions écartées des grands centres restent dominantes (Tableau 17), et l’on retrouve le caractère montagnard des placements : poids des cantons de Saint-Just-en-Chevalet, de Saint-Germain-Laval et de Noirétable. On voit apparaître de petites villes comme Noirétable et Saint-Just-en-Chevalet, dont la présence montre le rapprochement avec de modestes centres d’activité, plus propices à un placement dans une activité artisanale. La présence notable de la ville de Saint-Etienne confirme la chose : la nature du placement d’un enfant moralement abandonné n’est pas tout à fait de la même nature que celle des autres pupilles, même si les ressemblances sont nombreuses.

Tableau 18 : placement des enfants moralement abandonnés à 13 ans (Loire, 1892-1942)
arrondissement % canton % commune %
Roanne 38,4 Saint-Just-en-Chevalet 15,1 Saint-Romain-d’Urfé 4,8
        Crémeaux 4
        Saint-Just-en-Chevalet 3,6
    Saint-Germain-Laval 11,9 Saint-Martin-la-Sauveté 2,4
        Saint-Paul-de-Vézelin 2,4
    Roanne 5,6 Roanne 4,4
Montbrison 31,7 Boën 6,7 Bussy-Albieux 2,4
    Montbrison 9,5 Verrières-en-Forez 2,8
Saint-Etienne 22,4 Saint-Etienne 10,7 Saint-Etienne 8,3
autres 7,4        

Le lieu de leur placement à gages après le certificat d’études (Tableau 18) confirme cette particularité d’une localisation un peu moins rurale et isolée ; les villes y gardent une place notable, même si ce sont souvent de petites villes ou de gros villages et Roanne et Saint-Etienne se font plus présentes.

C’est le plus souvent la nature du travail qui explique cette différence persistante par rapport au sort des autres pupilles, comme si des enfants venant essentiellement de la ville, et à un âge déjà avancé, ne pouvaient être placés dans un lieu trop éloigné, avec une activité trop agricole, afin de ne pas souffrir d’un trop radical changement de mode de vie.

Leur profession montre le même phénomène (Tableau 19). L’agriculture reste dominante, mais les activités industrielles se font une plus grande place. Les professions subalternes demeurent cependant importantes ; là non plus l’Assistance publique n’a aucun rôle de promotion sociale. On peut même affirmer que deux carrières sont principalement ouvertes aux enfants moralement abandonnés : les filles sont bonnes et employées, les garçons ouvriers, dans l’industrie et plus souvent l’agriculture. Dans tous les cas, ils servent.

Tableau 19 : profession des enfants moralement abandonnés (Loire, 1892-1942)
profession %
Ouvrier agricole 160 26,9
Bonne 22,7
Employé 5,4
Ouvrier d’industrie 161 4,8
Manœuvre 2,4
Mécanicien 2,4
Mineur 1,8

Pas plus que pour les autres, la poursuite d’études n’est favorisée pour les enfants moralement abandonnés ; nous n’avons relevé dans les dossiers qu’un envoi en Ecole primaire supérieure, trois en Ecole pratique (à Roanne et Firminy) et trois en collège moderne et technique (à Roanne encore), qui donneront une aide-comptable, une infirmière et, avec difficultés, une dactylo.

Les 4,8 % de soldats tués dans diverses guerres confirment cette idée de service, et aussi qu’il s’agit malgré tout d’une catégorie plus difficile et remuante. C’est là que le taux d’engagement dans l’armée est le plus fort : 10,5 % (contre 2,5 % chez les autres pupilles 162 ), et l’engagement est souvent une façon de solder des difficultés d’insertion ou de couper avec un début de spirale délinquante, dont la décision est prise moins par le jeune homme, qu’il faut essayer de convaincre, que par le service qui en a la responsabilité et qui commence à se lasser de son instabilité…

On relève chez les enfants moralement assistés quelques condamnations pour vol, à peu près autant que chez les autres pupilles (trois, dont deux pour vol), sur un nombre de dossiers il est vrai plus réduit. En revanche, les envois en correction sont nettement plus nombreux : dix chez les garçons (soit 5 %) et quatorze chez les filles (8 %). Les colonies sont les mêmes : Sacuny-Brignais surtout pour les garçons, les Bons Pasteurs (celui du Puy surtout) pour les filles ; c’est apparemment la proximité géographique qui constitue le principal critère de choix.

Notes
160.

Y compris les domestiques agricoles.

161.

Aux secteurs d’activités divers : tissage, usine, bonneterie, métallurgie.

162.

Pupilles entrés entre 1902 et 1942, hors enfants moralement assistés ; pour ceux entrés entre 1842 et 1892, aucun engagement relevé à Roanne et Montbrison, 2 à Saint-Etienne (soit 0,6 %).