L’intérêt de l’enfant est d’abord pécuniaire. L’Inspection veille à ce que les contrats comprennent des salaires corrects, partagés entre entretien, argent de poche et versements au livret de Caisse d’Epargne, dont le pupille n’a la libre disposition qu’après sa majorité. Lorsqu’il obtient le certificat d’études, la prime qu’il reçoit en récompense y constitue le premier versement. Les sommes varient peu sur la période. Le nourricier emploie le plus souvent le pupille pour la période qui sépare son treizième anniversaire de la fin de l’année ; les contrats sont en effet renouvelables à la Noël.
Deux exemples 201 pour les filles, l’une faisant ses placements en ville, l’autre à la campagne, permettent de donner un ordre de grandeur de ce pécule. Les sommes indiquées correspondent respectivement à l’évaluation du coût d’entretien de la pupille (achat d’habits, chaussures…, que le patron doit justifier par factures), l’argent de poche et les versements à la Caisse d’Epargne ; elles sont annuelles.
Antonine A. est née à Saint-Etienne en juillet 1882, abandonnée dans la semaine suivant sa naissance. Elle est élevée à Noirétable, puis est placée à treize ans comme domestique à Valfleury. Elle rentre à quatorze ans chez une demoiselle de Saint-Etienne comme apprentie couturière à 80 francs par an, puis 95 francs la deuxième année ; les versements à la Caisse d’épargne sont respectivement de 27 puis 40 francs, faibles puisqu’elle reçoit par ailleurs une formation. Elle reste ensuite comme employée chez cette couturière, avec des contrats de 200 (60+10+130), 230 (80+20+130), 250 (90+20+140) francs. A sa majorité, son livret porte une somme de 484 francs, mise dès lors à sa disposition.
Catherine B. est née à Saint-Etienne en septembre 1882, abandonnée à quelques jours elle aussi. Elle est élevée à Saint-Didier-sur-Rochefort où elle fera la moitié de ses placements comme domestique de ferme, et l’autre moitié à Saint-Georges-de-Baroille. Ses contrats évoluent ainsi : entretien par son patron et 80 francs à la caisse d’épargne, 130 francs (30+0+100) les deux années suivantes, 220 (90+20+110), 240 (90+20+130) et 250 francs (90+20+140). Elle dispose à sa majorité d’un livret d’environ 400 francs.
Les sommes sont comparables, un peu plus élevées en ville, mais la campagne offre des placements plus stables et souvent plus sécurisants puisque proches de la commune et de la famille où l’enfant a été élevée. Ce sont également les plus fréquents.
La chose est vraie également pour les garçons, où les placements ruraux sont plus nombreux, puisque seules les filles sont employées comme bonnes ou employées de maison. Deux exemples là encore.
Michel C. est né en 1882, sa mère décède à Villers où elle est domestique, et l’enfant âge de 11 ans passe sous la tutelle de l’Assistance publique. Il est placé à Saint-Priest-la-Prugne, où il reste jusqu’à sa majorité, chez deux patrons en tout. Les salaires sont les suivants : 40 francs plus l’entretien, 100 francs (dont 40 à la Caisse d’épargne), 130 francs (dont 62 versés au livret), 160 (dont 90), 200 (80+20+100), 260 (100+30+130), 280 (100+30+150). Il a à sa majorité un peu plus de 500 francs à sa disposition.
Louis Auguste D. est né à Saint-Etienne en mars 1882, abandonné quelques jours après sa naissance. Il est élevé à Saint-Didier-sur-Rochefort, et placé à quinze ans comme apprenti chez un armurier de Saint-Etienne. Sans salaire mais entretenu, il dispose ainsi, à défaut d’économies, d’un métier qualifié.
Les cas individuels sont évidemment tous uniques, mais le plus souvent l’Inspection privilégie la qualité du placement au montant des gages, cherchant ainsi à maintenir entre pupilles et patrons des relations comparables à celles qui existent dans une famille. Dans le même ordre d’idée, s’il advient que plusieurs enfants d’une même famille entrent dans le service, ils sont autant que possible placés à proximité les uns des autres, dans la même commune ou des communes proches. Et rien ne paraît être fait pour empêcher des communications fréquentes, sauf dans le cas où l’un d’eux est l’objet de mesures disciplinaires (déplacement, voire placement en colonie pénitentiaire) et risquerait de leur montrer le mauvais exemple.
D’où ces chiffres 202 : un nombre moyen de 4,2 placements dans 3,2 communes différentes, entre treize et vingt et un ans, montrant une grande stabilité. Pour 18,9 % des enfants, un seul placement et pour 24,4 % une seule commune de placement ; près de la moitié (44 %) n’a pas plus de trois places en huit ans. Et le livret de Caisse d’épargne s’élève à environ 466 francs 203 .
Les exemples qui suivent proviennent du croisement du contenu des liasses 1204W 1 et 2 (enfants abandonnés en 1882) et 355 (1892 Roanne), avec X25 (registres de tutelle Saint-Etienne) et X26 (Roanne).
ADL X25-25 (registres de tutelle Saint-Etienne 1879-82 et 1890-93, Roanne 1882-89).
Pour les enfants abandonnés jusqu’en 1892, majeurs donc avant les années 1920 où les chiffres de salaires et d’économie s’envolent, suivant l’inflation et faussant les comparaisons.