En complément de l’action de l’Assistance publique dans la prise en charge des enfants, nous avons également voulu nous attarder un peu sur le fonctionnement dans la Loire de la Justice des mineurs, espérant à la fois y mesurer la délinquance et y constater le souci d’éducation ou de rééducation de l’enfance coupable.
Nous avons pour ce faire utilisé principalement deux sortes de sources : les registres d’écrou des maisons de correction 223 entre 1845 et 1945, en n’y retenant que les mineurs cités (moins de vingt et un ans) et les minutes de jugements du tribunal pour enfants entre 1918 et 1932 224 .
En complément, nous avons exploité les ressources de la série Y des Archives départementales, et notamment les dossiers individuels de jeunes détenus.
Nous avons déjà un aperçu du cadre législatif dans lequel s’inscrit la période étudiée. On y ajoutera la loi du 22 juillet 1912 225 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et la liberté surveillée, créant pour les mineurs de dix-huit ans une juridiction spécifique, avec quelques caractères proches déjà de la situation que nous connaissons depuis 1945, comme l’exigence d’une enquête sociale préliminaire au jugement 226 .
La fin du XIXe siècle montre quelques exemples des abus auxquels peut mener la notion de propriété du père sur ses enfants, à quoi l’on peut finalement résumer le droit de correction paternelle. Ils sont particulièrement parlants dans les cas de viols relevés par Georges Vigarello, mais désormais sont objet de scandale 227 . Dans le même temps qu’enfle le débat sur la correction paternelle change en effet la conception que la société se fait des crimes sur les enfants. Pour résumer, l’enfant n’est plus considéré comme une victime ordinaire ; l’acte qui le blesse devient signe d’une sorte d’anormalité chez son auteur. Dès les années 1820-1830 apparaît la notion de « violence morale », vis-à-vis des enfants plus particulièrement, dans les affaires de viol. S’il est difficile d’y voir la naissance de la notion d’enfant victime, c’est en tout cas le témoignage d’une attention nouvelle à son égard. La révision du code pénal de 1832 présuppose la violence dans tous les cas de viol de mineur de onze ans, même sans voie de fait. Cet âge est porté à treize ans en 1863, et étendu à tout mineur quel que soit son âge si l’attentat est le fait d’un ascendant : une responsabilité parentale apparaît, en contradiction avec l’autorité paternelle. L’abus d’autorité enfin est nommé vers 1860, s’appliquant aux maîtres, employeurs, etc. 228 : la sensibilité aux attentats d’enfants, et en contrepartie l’idée qu’une protection spécifique leur est due, s’accroît avec le siècle.
Il n’en reste pas moins que la place dévolue aux enfants dans les prétoires reste limitée. L’âge est difficilement perçu comme une circonstance véritablement atténuante au crime, au nom du danger que représentera dans l’avenir le jeune délinquant. Et l’on pousse presque jusqu’à l’absurde la notion d’irresponsabilité (le mineur de douze ans est réputé avoir agi sans discernement), puisque le témoignage même de l’enfant est difficilement reçu en justice ; au nom de sa tendance supposée 229 à l’affabulation, sa parole est a priori mise en doute. Paradoxalement pourtant, la fin du XIXe siècle est aussi une période où l’investissement affectif dans la famille et l’enfant prend une place grandissante. La sensibilité pousse donc à chercher des solutions autres que celle de l’enfermement des jeunes délinquants et vagabonds, d’où la loi de 1889 sur la déchéance qui prétend, par une sorte d’action préventive, soustraire le plus tôt possible l’enfant à de mauvaises influences familiales. L’action de la justice dès lors n’est plus qu’une action a posteriori, qui doit gérer le résultat de situations déjà trop avancées pour se contenter de mesures douces. On peut voir là une des raisons de sa relative sévérité, de sa propension à l’enfermement, et de la difficulté à faire entrer dans les tribunaux pour enfants les actions préventives.
Selon Eliane Viallard (Denys Barau, Eliane Viallard, Répertoire numérique de la Série Y, établissements pénitentiaires, 1800-1940, Saint-Etienne, Archives départementales, 79 p., p. 10), « les petits délinquants, condamnés à des peines de prison inférieures à un an, ainsi que les mineurs étaient placés dans les maisons de correction se trouvant également dans les chefs-lieux d’arrondissement. » La Maison de correction est donc une prison pour courtes peines. ADL 2Y18-25 (Montbrison 1845-1943), 103-107 (Roanne, 1906-1947), 204-214 (Saint-Etienne 1899-1941).
Au-delà, les minutes de jugement sont déposées au palais de justice, à peu près inaccessibles en raison des conditions matérielles de leur stockage.
Voir son texte en Annexe 2.
Supplément au Code de l’enfance traduite en justice, op. cit., p. 213 et suivantes.
Georges Vigarello, Histoire du viol, XVI e -XX e siècle, Paris, Seuil, collection l’Univers Historique, 1998, 364 p., p. 199-200.
Georges Vigarello, op. cit., p. 153-160.
Et scientifiquement établie en 1905 par le psychiatre Dupré, qui démontre l’existence d’une mythomanie propre à l’enfant. Catherine Rollet (op. cit., p. 233) fait remonter à 1880 cette thèse, élaborée notamment dans les affaires de viol et d’attentat à la pudeur.