A. Un cas particulier : la correction paternelle

C’est le code civil qui le dit :

‘« L’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère 230 .’ ‘Il reste sous leur autorité jusqu’à sa majorité ou son émancipation.’ ‘Le père seul exerce cette autorité durant le mariage.’ ‘L’enfant ne peut quitter la maison paternelle sans la permission de son père, si ce n’est pour enrôlement volontaire, après l’âge de dix-huit ans révolus. »(art. 371-374) 231

Le père, qui a décidément un pouvoir absolu, peut, s’il a de graves motifs de mécontentement, user de moyens de correction prenant essentiellement la forme d’une incarcération : jusqu’à un mois si l’enfant a moins de seize ans, jusqu’à six mois au-delà. Dans ce dernier cas seulement est évoquée pour le président du tribunal de l’arrondissement, la possibilité de refuser l’ordre d’arrestation ou de limiter le temps de détention requis par le père. Le père de son côté est tenu d’assurer la prise en charge financière de l’enfermement. Aucune trace ni formalité ne doit ralentir la procédure : la discrétion et l’efficacité sont assurées. Le père peut abréger la détention à sa guise, ou au contraire la faire renouveler si les écarts précédemment punis se reproduisent.

La correction paternelle est en somme un droit d’essence divine, mais parfois aussi un devoir puisqu’il permet de fournir à la société un enfant redevenu docile. Son usage est finalement assez limité, puisqu’elle paraît avoir été peu connue des familles. Elle reste cependant une possibilité offerte au père de régler discrètement les conflits internes à la famille, avec l’appui de la justice, et de préserver ainsi son honneur 232 . Au-delà des débats qui se développent à propos de son existence et de son maintien dans les années 1870-1880 particulièrement, le recours à la correction paternelle apparaît surtout comme une mesure urbaine et parisienne, liée à l’industrialisation et aux périodes de crise économique. La possibilité ouverte en 1885 d’une dispense de financement en cas d’indigence constatée en ouvre le droit aux pauvres. Bernard Schnapper considère que c’est son adoption tardive par les classes populaires qui en a ralenti la disparition 233 .

Il a beaucoup été écrit sur le sujet, et dans les années 1970 on voyait là le dernier retranchement d’un pouvoir discrétionnaire et abusif du père, en même temps qu’un moyen de pression des bien pensants sur les familles refusant de se conformer aux normes sociales, Philippe Meyer n’étant pas loin d’écrire que la loi de 1889 sur la déchéance de puissance paternelle n’en est jamais qu’une extension, au service des parangons de la norme et de la morale 234 . Il a raison en partie, et les pressions évoquées plus haut pour amener des parents à volontairement abandonner leurs droits confirment son jugement.

Mais les demandes de correction paternelle que nous avons pu consulter laissent malgré tout percer de la part de ces parents une honte discrète, une désespérance même, qui ne sont pas sans rappeler ce que l’on dit aujourd’hui de ces parents dépassés ou démissionnés par leur situation économique et sociale, et que des arrêtés municipaux de couvre-feu, des menaces de suspension des allocations familiales, sont supposés responsabiliser.

Notes
230.

L’article 371 du Code civil conserve aujourd’hui encore la même formulation.

231.

Le Code de l’enfance traduite en justice, op. cit., y ajoute de nombreux commentaires, que nous reprendrons à l’occasion : p. 5-21. Voir aussi Catherine Rollet, op. cit., p. 221 et suivantes. On trouvera en Annexe 8 deux exemples de demande de correction paternelle.

232.

Pascale Quincy-Lefèbvre, op. cit., p ; 56-57, p. 81, p. 120 et suivantes.

233.

Bernard Schnapper, « la correction paternelle et le mouvement des idées au dix-neuvième siècle (1789-1935) », Revue Historique, n°534 avril-juin 1980, p. 319-349, et plus particulièrement p. 326, p. 336 et suivantes, et conclusion p. 349.

234.

Philippe Meyer, op. cit., p. 62-68.