2) Le jugement des magistrats

Le plus surprenant dans cette affaire est que les représentants de l’Etat eux-mêmes ne paraissent guère croire aux vertus de la correction paternelle, ainsi exercée en tout cas.

C’est le cas en 1911, alors que le père parle de « maison de Providence » mais refuse que son fils aille en prison. Le président du tribunal de Montbrison évoque la possibilité d’une mesure de correction paternelle, en prévenant que ce serait « une mesure fort grave—et d'ailleurs parfaitement inefficace et très peu usitée », et payante. Et il s’en explique : au contact de prisonniers de droit commun, l’enfant risque de devenir encore plus vicieux.

La même opinion est professée en 1882 par préfet, mais il a finalement barré la phrasedans sa lettre au maire de la commune du demandeur, selon laquelle cette mesure risque non seulement d’être de peu d’effet en raison de sa faible durée, mais surtout de produire un effet contraire à celui escompté, la fille du demandeur devant la purger en prison. Plutôt que de renvoyer à l’appréciation finale du père, dont il paraît avoir un instant voulu changer la manière de voir, il transmet sans état d’âme apparent la demande d’exonération des frais d’incarcération qu’il reçoit un mois et demi plus tard.

Et déjà en 1874, le préfet toujours, en posant l’alternative entre placement payant à Saint-Genest-Lerpt ou la possibilité d’un enfermement en maison d’arrêt, ajoute : « Dans ce dernier cas, qui est rarement efficace, les jeunes gens enfermés ne se moralisent pas, l'Etat pourra prendre les frais de détention à sa charge, si l'indigence de la famille est constatée. »

Faut-il voir là une concession faite à une survivance du pouvoir des pères, un sursaut (discret malgré tout) d’humanité ou la volonté, par la dissuasion, d’épargner les deniers publics ? On remarquera en tout cas que le préfet s’engage bien avant les magistrats 240 , et que le débat sur le maintien de la correction paternelle concerne l’ensemble des fonctionnaires chargés de son application.

Notes
240.

Même si la volonté de supprimer la correction paternelle est ancienne, cette opinion préfectorale est singulièrement précoce. Congrès international pour l’étude des questions relatives au patronage des détenus et à la protection des enfants moralement abandonnés, Anvers, 1890, Bruxelles, imp. E. Guyot, 1891, 535p. Le vœu n°9 réclame la suppression de l’emprisonnement par voie de correction paternelle.