2) Condamner les délinquants

La maison de correction est une prison pour courtes peines. Les mineurs qui y entrent sont emprisonnés ; ils sont parfois plus de cent par an. La seule variable utilisable ici est la durée de la peine.

Tableau 30 : durée d’incarcération en maison de correction (Loire, 1845-1940)
incarcération Montbrison Roanne Saint-Etienne total
1845-1861
durée moyenne 2m 25j      
maximum 13 mois 269      
6 mois – 1 an (%) 20,1      
plus d’1 an (%) 3,1      
1900-1925
durée moyenne 2m 26j 2m 7j 4m 22j 4m 5j
maximum 1 an 6 mois 270 1 an 1 jour 271 5 ans 272  
6 mois – 1 an (%) 15,6 9,1 18,1 16,3
plus d’1 an (%) 2,5 0,7 9,8 7,7
1925-1940
durée moyenne 2m 15j 4m 7j 5m 4m 16j
maximum 1 an 3 mois 273 2 ans 274 10 ans 275  
6 mois – 1 an (%) 13 24,1 17,4 18,7
plus d’1 an (%) 1,8 4,4 10,3 9

La tendance globale paraît bien être à la baisse, malgré une sévérité que montre l’augmentation des peines extrêmes (Tableau 30). Les variations d’un lieu à l’autre pourraient s’expliquer peut-être par les juges concernés, même s’il est bien difficile de connaître leurs opinions, ou par le milieu où ils officient : les villes plus grandes avec des délits plus graves et davantage de longues peines, les villes plus petites avec des peines plus courtes et de plus petits délits ; retour en somme de l’opposition ville-campagne. L’aggravation des durées d’incarcération reprend l’impression, dans la dernière période, d’un transfert vers le tribunal pour enfants des peines les plus légères concernant les enfants les plus jeunes. Cela est confirmé par la part des envois en correction, qui tend à devenir inexistante (Tableau 31), même s’il faut prendre garde à leur interprétation, puisque tout ce qui n’est pas incarcération fait suite à un temps de détention préventive qui justifie seule la présence des mineurs au registre d’écrou.

Tableau 31 : envois en correction après passage en maison de correction, Loire, 1845-1940 (%)
  Montbrison Roanne St Etienne total
1845-1861 1,5      
1900-1925 1,6 2,6 1,6 1,8
1925-1940 0 0,7 0,3 0,4

Les pratiques, et c’est logique, sont différentes au tribunal pour enfants. Sans doute, les peines classiques (prison, amendes), tempérées par le recours fréquent au sursis, y gardent une place importante, mais la part des mesures alternatives se développe et se maintient à partir de 1922 autour de 50 %, avec des variations cependant (Tableau 32, Graphique 7). Le recours à la colonie pénitentiaire, certes durable, tend toutefois à s’estomper sur la fin de la période.

La principale innovation de la loi de 1912, la liberté surveillée, connaît un certain succès, qui tarde cependant à se confirmer, et son évolution est inverse de celle des incarcérations. Elle est le plus souvent associée à un sursis à statuer, en général définitif, mais dans quelques cas limité dans le temps : six mois, un an, deux ans, et tient lieu alors en quelque sorte de mise à l’épreuve.

L’envoi en colonie pénitentiaire résulte du refus des parents de reprendre l’enfant ou de l’aveu de leur incapacité à le surveiller (trop de travail pour le surveiller efficacement, mauvais instincts déjà prononcés…) : il est donc décidé avec leur accord, même si là aussi le rôle éventuel de pressions extérieures est inconnu. Il apparaît donc autant comme un constat d’impuissance des parents que comme une marque de la sévérité du tribunal.

Les audiences du tribunal pour enfants montrent, comme les registres d’écrou des maisons de correction, une délinquance qui, quoi qu’étant le fait d’enfants plus jeunes, est marquée par les récidives et les délits de groupe (Tableau 33). Les récidivistes représentent en effet souvent plus de 15 % des enfants jugés, et ne descendent guère en dessous des 10 %. Le phénomène est réel, important et durable. Il serait sans doute hardi d’y voir une raison de l’augmentation des mesures de liberté surveillée, c’est-à-dire d’une forme nouvelle de surveillance, encore que ce soit le signe que les décisions traditionnelles d’enfermement ne règlent pas tout. Ce taux de récidive est en tout cas la preuve d’une délinquance installée, presque d’habitude, dont le développement n’a pas pu être arrêté à temps.

Tableau 32 : décisions du tribunal pour enfants (Saint-Etienne, 1918-1932)
% 1918 1919 1920 1921 1922 1923 1924 1925
innocents 2,8 0,7 1,1 0 2,5 4,3 3,4 1,5
irresponsables (âge) 2,8 10,5 12 3,5 9,1 6,8 1,7 0,7
acquittés sans discernement 21,1 31,4 56,5 24,8 53,7 52,1 39,7 57,8
dont remis aux parents 55,8 41,7 65,4 60 56,9 65,6 52,2 60,3
dont colonie pénitentiaire 15,9 22,9 15,4 20 16,9 11,5 10,9 9
autres 73,3 57,5 30,4 71,6 34,7 37,6 53,4 40
dont prison 48,1 38,6 82,1 40,6 45,2 59,1 67,7 72,2
dont amende 49,2 54,5 14,3 53,5 47,6 38,6 22,6 13
dont prison + amende 2,7 6,8 3,6 5,9 7,1 2,3 9,7 13
dont colonie correctionnelle               1,8
dont sursis 34,8 44,3 46,4 42,6 40,5 54,5 40,3 48,1
                 
% 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932  
innocents 0,7 1,8 1,9 0 3,6 1,9 5,4  
irresponsables (âge) 0 1,8 0 0 0 9,3 2,7  
acquittés sans discernement 47,7 45,6 75,9 76,5 42,9 67,6 54,1  
dont remis aux parents 68,5 65,4 52,4 69,2 61,1 83,6 35  
dont colonie pénitentiaire 9,6 7,7 18,3 1,9 2,8 0 0  
autres 51,6 50,9 22,2 23,5 53,6 21,3 37,8  
dont prison 53,2 63,8 66,7 43,8 46,7 69,6 50  
dont amende 35,4 32,7 25 50 53,3 21,7 35,7  
dont prison + amende 11,4 35 8,3 6,2 0 8,7 14,3  
dont colonie correctionnelle                
dont sursis 44,3 55,2 41,7 75 44,4 69,6 71,4  

Le nombre des enfants jugés en groupe, souvent plus de 30 %, rarement moins de 20 %, renforce cette impression d’une délinquance presque organisée. Joint au rajeunissement des enfants jugés, il donne une idée de l’importance sociale de la tâche dévolue aux magistrats, et de son ampleur.

Graphique 7 : tribunal pour enfants de Saint-Etienne, liberté surveillée, incarcération et envoi en colonie pénitentiaire (1918-1932)
Graphique 7 : tribunal pour enfants de Saint-Etienne, liberté surveillée, incarcération et envoi en colonie pénitentiaire (1918-1932)

Cela n’empêche pas, paradoxalement, l’adoucissement des mesures prises, dans le même temps que s’affirment les droits des enfants, et l’idée que l’enfant est un être à éduquer plus qu’à punir 276 .

Tableau 33 : peines prononcées par le tribunal pour enfants (Saint-Etienne, 1918-1932)
% 1918 1919 1920 1921 1922 1923 1924 1925
liberté surveillée 5,3 11,1 9,8 5,7 14 12 16,4 17,8
envoi en colonie 3,2 7,2 8,7 5 9,1 6 4,3 5,2
récidivistes 22,9 23,5 10,9 15,6 17,4 11,1 21,6 16,3
jugés en groupe 38,1 33,3 45,7 22 30,6 41 31,9 26,7
incarcérés 35,2 22,2 25 29 15,7 22,2 36,2 28,9
                 
% 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932  
liberté surveillée 10,4 11,4 22,2 22 15,5 20,4 37,8  
envoi en colonie 4,6 3,5 13,9 1,5 1,2 0 0  
récidivistes 16,3 16,7 13,9 4,4 13,1 8,3 18,9  
jugés en groupe 32 38,6 35,2 29,4 14,3 24,1 18,9  
incarcérés 27,4 32,4 14,8 10,3 25 14,8 18,9  

Cet adoucissement, qui s’inscrit dans un mouvement général que provoque la loi nouvelle de 1912, reste récent. Dominique Dessertine et Bernard Maradan 277 ont montré qu’il était néanmoins valable pour l’ensemble de la région, et durable.

Notes
269.

Pour vol, transféré à la Centrale de Riom.

270.

Vol, transféré en maison d’arrêt.

271.

Vol, transféré à Bourg.

272.

Cinq condamnations à cinq ans, pour vol qualifié (trois), attentat à la pudeur avec violences et meurtre réciproque et port d’armes.

273.

Vol de récoltes.

274.

Vol.

275.

Viol.

276.

Et que couronne l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945 : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »

277.

Dominique Dessertine, Bernard Maradan, op. cit. p. 146 : « Au total donc, si on recompose la notion de répression en additionnant aux peines de prison les peines de colonie pénitentiaire (…) on observe (…) un déclin régulier de la tendance des juges à punir. Alors qu’au cours de la Première Guerre et des années proches qui la suivent les tribunaux condamnaient un prévenu sur deux, au cours des années trente, ils n’en condamnaient plus qu’un sur trois, et un sur dix sous Vichy. L’évolution est globalement partout la même. »