4) Les magistrats du tribunal pour enfants : bribes

On aimerait pouvoir, en complément, fournir sur les magistrats des éléments plus personnels pour expliquer cette tendance à la sévérité. Mais les sources sont rares 307 , et les éléments qui suivent fort lacunaires.

Dolfus Francoz est nommé vice-président du tribunal de première instance de Saint-Etienne le 12 mai 1912, venant de Nantua où il était procureur. Il est maintenu comme juge au même tribunal le 27 mai 1919 ; on peut voir là une sanction puisque son titre est moins éminent, mais cela lui permet aussi de s’attarder sur place, en refusant peut-être une promotion, dix ans. Il est nommé le 7 novembre 1922 conseiller à la cour d’appel de Grenoble, poste éminent qui montre que sa promotion, en apparence interrompue, a repris En août 1921, un rapport de police le décrit comme honorablement connu, sans activité politique, mais « on lui prête des opinions républicaines très modérées  ».

Ce jugement est le seul élément, d’ailleurs ténu, autorisant peut-être à prêter à un des magistrats du lieu des tendances personnelles à la répression, pour autant qu’il est possible d’associer des opinions réactionnaires à une pratique judiciaire répressive, ou à l’inverse des opinions progressistes à une pratique plus libérale. Pour les autres, les renseignements trouvés sont plus légers encore, et ne permettent guère que de donner leur durée de présence dans le poste. Mazen, nommé vice-président du tribunal de première instance le 1er août 1918, en remplacement de Sérol qui en devient président, y reste près de dix ans, comme Le Pennetier (nommé juge au tribunal de première instance le 27 mai 1919, puis à la cour d’appel de Douai en avril 1928) et Vigier (juillet 1920 – juin 1928).

Jean Perrin Jaquet prend sa retraite en juin 1928, après quatre ans de présence à Saint-Etienne comme juge au tribunal de première instance. Quant au substitut Meynadier , il ne fait qu’un passage éclair, rapidement mis à la disposition du ministère des Affaires étrangères pour remplir les fonctions d’avocat général près la cour d’appel de Beyrouth.

Il a cependant paru utile d’essayer de trouver des renseignements un peu plus complets sur le juge Sérol et le substitut Pommerol, en raison de leur rôle qui ne se limite pas à rendre la justice 308 .

Né le 15 mai 1883 à Gerzat (Puy-de-Dôme), son père est pharmacien : Pierre Adrien Pommerol est issu de cette classe des petits notables de province sur laquelle repose la Troisième République. On lui reconnaît des qualités de pénaliste : de l’autorité, de la rapidité, une capacité à faire face à de longues audiences, de la fermeté face aux délits graves, ce qui peut également sous-entendre une certaine clémence pour les petits délits, et peut-être même une certaine ouverture à des mesures plus éducatives en faveur des primo-délinquants. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec son rôle dans le Comité de patronage des enfants délinquants et en danger moral, dont il sera président entre 1942 et 1945. Il passe plus de vingt ans à Saint-Etienne : la moitié de sa carrière, comme substitut d’abord (février 1922 – mars 1929) puis comme vice-président du tribunal (septembre 1936 – juin 1950). Cette durée est remarquable, laissant supposer qu’il a pu marquer la justice locale, mais on ne peut également s’empêcher de remarquer que sa carrière plafonne vite : il ne peut accéder au poste de conseiller à la cour d’appel ou de président de tribunal, pourtant désirés depuis les années 1930 309 .

La carrière d’Antoine Sérol est exclusivement locale. Ses deux carrières même, pourrait-on dire, puisque avant d’être juge il a été longtemps avocat à Roanne. Né le 7 mai 1851 à Charlieu, d’un père commis fabricant en soierie, il est avoué à Roanne de 1876 à 1878, puis avocat : il sera six fois bâtonnier. Il est également adjoint au maire de mai à décembre 1877, puis rallie la République. Il mène de front ses activités d’avocat et de juge suppléant, d’abord suppléant au juge de paix de Roanne (mai 1894 – juin 1895) puis juge suppléant à Roanne (juin 1895 – mars 1908), et sa valeur professionnelle est reconnue par ses supérieurs, particulièrement dans les fonctions ingrates de juge aux ordres (de 1896 à 1912) chargé de la répartition de sommes entre créanciers. Alors qu’il est devenu juge titulaire à Saint-Etienne, on salue ainsi en 1911 la rapidité et la rigueur avec laquelle il a distribué aux anciens mineurs de la Chazotte 1 029 000 francs provenant de la Caisse de secours de la Compagnie, au prix d’un travail considérable et grâce à des connaissances pratiques vraiment exceptionnelles.

Il ne devient véritablement juge titulaire qu’en mai 1908, s’effaçant devant son fils, avocat de grande valeur, et demandant à la magistrature, « comme les anciens avocats en Angleterre, le couronnement de toute une existence de travail et d’honneur » 310 . Antoine Sérol est nommé à Saint-Etienne, laissant effectivement à Roanne les mains libres à son fils. Ce fils avocat (l’autre est saint-cyrien) n’est autre qu’Albert Sérol, qui vient d’être élu au conseil municipal de Roanne, puis adjoint. Il sera plus tard maire et conseiller général (décembre 1911), député (mai 1924) puis ministre (du Travail dans le second cabinet Blum en mars-avril 1938, de la Justice dans le cabinet Daladier de mars 1940 à la débâcle). Membre du Parti Socialiste Français en 1900, puis du PCF qu’il quitte en juillet 1921, il a été président du groupe SFIO à la Chambre 311 . Etrangement, les autorités ne font pas état de ce lien de famille avec une personnalité locale, sinon en classant au dossier d’Antoine Sérol une coupure de presse soulignant son accès à la magistrature (fonctionnaire de la République, alors qu’en 1877 il était adjoint d’une municipalité fidèle au Maréchal-Président), au moment où son fils, socialiste, entre à l’hôtel de ville ; cela ressemble fort à la dénonciation d’une promotion politique 312

En réalité, les nombreuses recommandations politiques qui soutiennent sa carrière émanent de l’ensemble de la représentation républicaine du département, dès la fin des années 1890, avec une tonalité plutôt radicale qui montre que son fils n’y est pour rien : le député puis sénateur-maire de Charlieu (dont Sérol est natif) Jean-Morel, le sénateur puis président du conseil général Réal (Néronde) sont les plus nombreux (quinze et sept lettres de recommandation respectivement), et par eux interviennent Waldeck-Rousseau puis Aristide Briand. Le sous-préfet le soupçonne en 1901 de connaître le député Audiffred. Mais surtout, il devient en 1908 maire de la petite commune de Luneau (Allier, à 15 km de Marcigny et 40 de Roanne), conquise grâce à lui sur les réactionnaires. Autant que l’élection de son fils, la sienne propre a pu lui valoir sa nomination à Saint-Etienne. Juge au tribunal de Saint-Etienne, il en sera successivement vice-président (12 mai 1912), président (19 mai 1918) puis président honoraire (donc retraité, 7 mai 1921). C’est l’exemple parfait d’une carrière exclusivement locale, contre les usages de la profession autant que les pressions de la hiérarchie 313 , avec un enracinement qui n’est que la suite de ses propres origines, et une certaine permanence politique associée à des relations apparemment personnelles avec les parlementaires de l’arrondissement.

On note en juillet 1917 314 que depuis sa création Antoine Sérol préside le tribunal pour enfants de Saint-Etienne, et qu’il apporte à cette tâche un zèle et une sagacité louables ; on relève en décembre 1920 315 qu’il est particulièrement soucieux des œuvres « qui tendent au sauvetage de l’enfance et au patronage des détenus libérés ». Evidemment, il faut faire le lien avec son rôle dans la création du Comité de défense des enfants traduits en justice, en 1909, à l’exact point de rencontre entre les fonctions d’avocat qu’il vient de quitter et celles de juge dans lesquelles il entre 316 .

Son action est cependant beaucoup plus large : il s’occupe de l’Union des Femmes de France (société de Croix-Rouge), de l’Alliance Française, et crée en 1897 un cours gratuit de droit commercial. En 1920, on le trouve président-fondateur de la Caisse régionale roannaise du Crédit agricole mutuel créée en 1904, président de la Fédération des assurances mutuelles, de la Fédération départementale des syndicats agricoles, du Syndicat départemental de la culture des céréales, de l’Office public des HBM de l’arrondissement de Saint-Etienne, et membre de quelques autres organismes comme l’Office des pupilles de la Nation et le Comité départemental du ravitaillement. Le préfet de la Loire recommande même sa promotion sur place, en raison de ses activités multiples, dans le domaine agricole surtout, afin de ne pas courir le risque de le voir quitter le département 317 .

Antoine Sérol est donc une personnalité forte et multiple, marquée par une grande ouverture aux autres. A la fois comme fondateur du Comité de défense des enfants traduits en justice et comme juge d’enfants, il est fort possible que son action ait été conditionnée par une expérience personnelle, mais aussi par une conception peu répressive de sa nouvelle fonction. Même si on ne peut évidemment pas aller jusqu’à dire que devenant juge, il a volontairement donné à sa tâche une portée, disons sociale.

Peut-on faire le lien entre les opinions indiquées et la façon de juger ? Avec d’un côté un républicain tiède (en 1921…) et de l’autre un maire boutant hors de Luneau (cinq cents habitants) les conservateurs, l’analogie est tentante avec les pratiques judiciaires des intéressés, d’autant que le contraste est facile. Mais l’honnêteté oblige aussi à faire la part de celle des magistrats, et de quelque chose qu’on nommera, faute de mieux, leur conscience, dont le rôle dans leurs décisions n’est pas mesurable 318 .

On se bornera à constater que les audiences présidées par Sérol ont lieu en 1918, celles présidées par Dolfus Francoz entre juin 1918 et novembre 1922, et que le nombre de liberté surveillée a tendance à fléchir à partir de 1919. Il remonte en 1922-1925, alors que les audiences sont le plus souvent présidées par Mazen et Ravoux (56 % à eux deux). Mais la baisse de 1926-1927 a lieu alors que les mêmes Mazen et Ravoux président la plus grande partie des audiences (presque 85 %).

Si les sentiments personnels ont pu jouer, d’autres facteurs extérieurs s’y ajoutent. Pourquoi ne pas ainsi voir dans l’éloignement de Sérol, premier président de l’éphémère Comité de défense des enfants en justice, après 1921, une raison du déclin apparent de la cause des enfants jugés ? De même entre 1930 où le nombre de liberté surveillée est au plus bas, et 1931-1932 où il remonte, c’est Bouton qui préside le plus souvent (toutes les audiences de 1930, 47,5 % de celles de 1931-32), mais entre temps le Comité de patronage commence ses activités, et la présence de Marinette Heurtier aux audiences commence à être indiquée.

Il s’agit d’un ensemble aux interactions complexes et pas toutes connues, les relations de personnes se mêlant à celles des institutions publiques et privées. Nous nous en tiendrons donc à ce qui a l’air de se dessiner : lorsqu’une association fournit au tribunal pour enfants des délégués, il y fait appel et la liberté surveillée se développe ; lorsqu’il lui faut aller les chercher lui-même, il a tendance à se cantonner à ceux qui sont à sa portée (les avocats), ne va guère plus loin, et la liberté surveillée stagne ou décline. La Justice n’est pas seulement fonction des personnes, aussi éminentes ou actives soient-elles, qui la rendent, mais aussi de son environnement, surtout évidemment si ce sont les magistrats eux-mêmes qui suscitent les associations qui la secondent.

Cette étude d’ensemble montre que les deux institutions publiques fonctionnent de façon concordante : l’Assistance publique place à la campagne, quand les justiciables sont surtout d’origine urbaine.

Un autre élément concordant est la place des hommes : celle de l’inspecteur qui peut rendre humaine la tutelle de l’Assistance, celle des magistrats et des avocats qui s’impliquent parfois au-delà de ce qu’exigent leurs seules fonctions. Cet engagement personnel montre à la fois que le secteur de la protection de l’enfance sait susciter de belles prises de conscience, mais également à quel point il est dépendant de telles bonnes volontés individuelles.

A la limite même, certains nourriciers peuvent être comptés au nombre de ces militants, non qu’ils fassent preuve d’un quelconque engagement en faveur de l’enfance — de tels engagements restent circonscrits dans un milieu très fermé, composé essentiellement de professionnels —, mais simplement parce qu’ils savent offrir aux pupilles des conditions de vie qui dépassent leurs simples obligations contractuelles : de la considération, de l’amour, la garantie de leur avenir matériel. Pour une rémunération pourtant limitée, les nourriciers savent se comporter en véritables parents.

Quelques permanences également apparaissent, principalement le poids de la pauvreté, à la fois comme cause d’abandon et dans les délits justifiant les condamnations. De même, on peut relever la proximité entre l’origine sociale des mères qui abandonnent leur enfant, les professions données aux pupilles et celles des délinquants : ce sont à peu près toujours des milieux modestes. A ceci près cependant que le caractère urbain est dominant chez les condamnés, ce qui d’une certaine façon justifie a posteriori les pratiques de l’Assistance publique.

De toute évidence, le poids des milieux urbains, populaires et ouvriers est la marque de la région : les nombreuses industries de l’agglomération de Saint-Etienne (au sens large, jusqu’à Rive-de-Gier et Firminy) et de Roanne dans une moindre mesure. La délinquance en est fortement marquée, jusque dans ses éléments les plus anecdotiques : les vols de charbon et de bicyclettes par exemple.

On relèvera enfin quelques caractéristiques de la délinquance des mineurs : le poids de la récidive et des délits de groupe sinon de bandes, face auxquelles la justice se doit de réagir par une diversification des mesures. La liberté surveillée en est un exemple, qui se développe dès lors que la justice parvient à se susciter des auxiliaires motivés. Tout concorde en effet : le constat d’inefficacité des seules mesures de rigueur (l’enfermement), la prise de conscience de quelques particuliers, et leur engagement dans des œuvres privées auxiliaires de la justice.

Ainsi, le privé n’est pas concurrent, mais complémentaire des administrations. Plus souple et réactif, animé par des individus que poussent leurs convictions, il est davantage capable de s’adapter aux nécessités de l’époque et du terrain, en grande partie aussi parce que son financement n’est pas seulement d’Etat.

C’est ce qu’entend explorer la seconde partie.

Notes
307.

ADL U119, personnel de Justice.

308.

Dossier personnel d’Antoine Sérol : AN BB6II1223, et de Pierre Adrien Pommerol : CAC 19970067 article 374 (B3474), en dérogation pour ce dernier. Le contenu est assez décevant, remarquable surtout par le nombre de recommandations (députés, sénateurs, ministres…) appuyant les demandes de promotion. Les fiches signalétiques de carrière, transmises par le service des Archives de la Chancellerie et reprenant la liste des postes successivement occupés, sont plus lisibles et finalement presque aussi parlantes… Mme Valérie Jourdan a bien voulu nous les envoyer, et nous faciliter l’accès à divers documents déposés par le ministère de la Justice. Qu’elle en soit ici remerciée. Ces fiches sont reproduites en Annexe 10.

309.

Deux raisons apparaissent à cet arrêt de promotion, alors que ses qualités de magistrat ne sont jamais ouvertement mises en cause : sa volonté de limiter ses promotions au centre de la France, pour se rapprocher de ses parents âges demeurant à Clermont-Ferrand et pour éviter le climat du Sud qui ne lui convient guère, et un ou deux épisodes de sa vie privée, d’ailleurs d’une gravité très discutable au vu des mœurs actuelles. La magistrature est un corps qui tient apparemment par dessus tout à la respectabilité des ses membres. Il est également l’auteur en 1932 d’un petit ouvrage sur la responsabilité des médecins et chirurgiens ; un passage malheureux laissant entendre que parfois les soignants ne font pas tout pour soulager les malades, et qui a choqué certaines fédérations départementales de médecins, a pu également laisser des traces. Pas de vraie cause donc à sa stagnation de carrière, hormis un possible sursaut de moralisme de la part de sa hiérarchie. Mais il est bien difficile au profane de décrypter des appréciations en apparence anodines, et qui peuvent dissimuler des non-dits propres à la profession.

310.

AN, BB6II1223, 29 juillet 1911 : rapport annuel du procureur général et du 1er président.

311.

ADL, 1M556, dossier Albert Sérol. A la démission du cabinet Raynaud, Pétain lui aurait demandé, dans la nuit du 16 au 17 juin, d’entrer dans son ministère, ce qu’il a refusé. Voir aussi Jean Joly (Dir.), op. cit., tome VIII, p. 2997.

312.

Le Caillou dans la mare aux grenouilles, journal roannais satyrique, scientifique, économique et comique, n°2, 19 avril 1908. Dans la chronique scientifique, un article de zoologie est consacré au « Cerrolh » : « Elégant petit quadrupède peu connu mais très sympathique. On ne l’a découvert que depuis fort peu de temps. Timide et doux, il a des mœurs qui le caractérisent.

Possède à un très haut point l’instinct d’imitation. A ce point de vue, il tient à la fois du perroquet et du singe, du singe parce qu’il sait imiter tous les gestes et du perroquet parce qu’il sait s’assimiler tous les langages.

Est très dévoué. S’il avait été connu plus tôt, il aurait supplanté le pélican dans la collection des animaux héraldiques, car tandis que le pélican ne fait que se déchirer les flancs pour nourrir ses enfants, lui n’hésite pas à se supprimer pour se conserver un père. »

313.

D’autres exemples existent dans une période plus récente, de deux juges des enfants stéphanois, formant un couple presque homonyme, et refusant des promotions pour rester sur place, dans un poste et un travail auxquels ils trouvent de l’intérêt. L’un d’eux y est (presque) encore, président désormais de la Chambre des mineurs à la Cour d’appel de Lyon.

314.

Notice du président et du procureur, 12 juillet 1917.

315.

Présentation par le procureur général et le 1er président à la Légion d’honneur, 3 décembre 1920, afin de lui obtenir une récompense au moment de son départ à la retraite.

316.

Forez-Auvergne-Vivarais pittoresque et illustré, Journal littéraire, historique, mondain, sportif, artistique, n°53, 1er mars 1909 : un article consacré à la création du Comité de défense revient sur la carrière d’Antoine Sérol et donne sa photographie. Il est reproduit en Annexe 11.

317.

Préfet Lallemand, 19 mai 1917. Le 2 juillet 1914, lorsque le préfet le présente à la Légion d’honneur, c’est au titre du ministère de l’Agriculture. Et le 25 juin 1912, lorsque le sénateur Réal le présente comme Commandeur du Mérite Agricole, il souligne les « grands services rendus par M. Sérol en organisant et vulgarisant par des conférences le Crédit agricole dans le département. »

318.

Il n’empêche : il y aurait là une explication simple (parce que non mesurable ?) des divergences d’opinion concernant la justice des mineures dans le département. Ainsi, alors qu’en 1904 Paul Drillon dénonce l’existence d’un certain laxisme chez les magistrats stéphanois, qui répugnent à envoyer un mineur en correction dès sa première faute, préférant attendre deux ou trois passages en justice avant d’y recourir, et du même coup l’impunité qui en découle pour les jeunes délinquants, Dominique Dessertine, elle, constate que, quelques années plus tard, « les condamnations pleuvent sur les jeunes » : 40 % sont envoyés en prison. Malgré la création de la liberté surveillée, les magistrats ne sortent guère de l’alternative condamnation-acquittement. Il faut attendre 1936, et la création du Comité de patronage, pour que la liberté surveillée atteigne 35 % et que les peines de prison descendent à 10 % (alors que précisément Paul Drillon regrette en 1904 l’absence d’une Société de patronage dans la Loire, au vu notamment de l’importance de son tribunal…). Paul Drillon, Les mineurs délinquants en province, Paris, Chaix, 1904, 76 p., p. 23, 27 et 29. Dominique Dessertine, « Aux origines de l’assistance éducative, les tribunaux pour enfants et la liberté surveillée, 1912-1941 », in Michel Chauvière, Pierre Lenoël, Eric Pierre (Dir), Protéger l’enfance, raisons juridiques et pratiques socio-judiciaires (XIX e -XX e siècles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996, 183 p., p. 137-147, p. 141.

On retrouve d’ailleurs un débat proche vers 1900 : Henri Joly dénonce en 1902 l’inégalité de traitement selon les tribunaux, les uns acquittant systématiquement tous les enfants de moins de 16 ans et les envoyant en maison de correction, quand d’autres les condamnent à de petites peines de prison au prétexte que les maisons de correction sont mal tenues. Sans compter que, quelle que soit l’issue de la comparution, elle est souvent précédée d’une période de prison préventive en attente du jugement, qui provoque des « contacts souvent meurtriers »., et qu’il faut ensuite attendre un convoi vers la maison choisie. A total : un an de prison, voire plus si parallèlement est instruite une affaire où des adultes ont utilisé l’enfant, qui doit alors témoigner. Henri Joly, A la recherche de l’éducation correctionnelle à travers l’Europe, Paris, Victor Lecoffre, 1902, 379 p., p. 48 et suivantes.