a) les Sociétés de secours mutuels

La « vieille tendance à constituer une communauté industrielle fermée, hiérarchique et patriarcale » 351 peut également être combattue par des formes horizontales de regroupement, soit catégorielles mais hors de l'usine, soit sociales ou cultu(r)elles. Les Sociétés de secours mutuels sont en effet une forme spécifique d'association de particuliers, permettant de faire face aux incertitudes de la vie 352 , et il est logique que cette communauté d'intérêt se traduise par une unité professionnelle : les Sociétés des instituteurs et institutrices de la Loire, des ouvrières du lacet de Saint-Chamond, des ouvriers métallurgistes de l'arrondissement de Saint-Etienne en sont des exemples. La sécurité de la vie acquise, il est parfois possible de s'intéresser à sa qualité : la mutualité peut être un premier pas vers le syndicalisme 353 .

Dans l'ensemble pourtant, leurs activités sont peu originales. Les Sociétés de secours mutuels proposent des indemnités journalières en cas de maladie, couvrent les frais de médecin et les frais de funérailles, versent des pensions de retraites. Elles y ajoutent souvent des secours aux veuves et orphelins des sociétaires décédés et, quoi que plus rarement, la couverture des frais pharmaceutiques.

On peut remarquer leur importance, même si Eugène Joly signale qu'aucune n'est antérieure à 1848 354 : de quarante et une en 1870, elles sont passées à quatre-vingt en 1885 et cent cinquante-neuf en 1896 ; leur nombre a quadruplé en moins de trente années. Elles comptent en 1897, 27 888 sociétaires dont 5 575 honoraires, leur capital placé à la Caisse nationale de retraite représente 1 541 922 francs à quoi s'ajoutent les fonds disponibles, soit 888 755 francs. Aussi bien, la Loire qui occupait en France le vingt-sixième rang en 1885 au point de vue mutualiste, est en 1897 au sixième rang ; par le développement opéré dans les dix années précédentes, elle occupe désormais le même rang que le Pas-de-Calais : le premier 355 .

Reste à noter que les Sociétés de secours mutuels sont très attachées à l'autorité du chef de famille : à l'encontre de beaucoup de régions et malgré une propagande active, elles sont restées, dans la Loire, réfractaires à l'admission de la femme aux bienfaits de la mutualité. Une seule accepte indifféremment hommes et femmes : la Société des instituteurs et institutrices ; une est exclusivement féminine : celle des ouvrières du lacet de Saint-Chamond ; une vingtaine enfin donne aux femmes certains avantages sociaux mais leur refuse l'accès à l'administration. Dans le même ordre d'idées, quatre sociétés admettent les enfants à bénéficier de certains avantages.

Notes
351.

Yves Lequin, op. cit., tome 2 p. 54.

352.

Henri Hatzfeld, op. cit., p. 25 et suivantes, montre, chez Marx comme chez les philanthropes, l’importance de la notion de paupérisme comme insécurité, rançon de la liberté de travail.

353.

Yves Lequin, op. cit., tome 2 p. 197 et suivantes montre ce passage de la Société de secours mutuels au syndicalisme.

354.

Eugène Joly, « Les Sociétés de secours mutuels et de retraites dans le département de la Loire », in Association Française pour l’Avancement des Sciences…, op. cit., tome 1, p. 370-376. Il précise que « les Caisses de secours des Compagnies de mines, régies par une loi spéciale, ne sont pas comprises » dans son étude. La plupart des renseignements cités, sauf indication contraire, proviennent de cet article. L’Union du commerce et de l’industrie, dont Eugène Joly est dit président, est vraisemblablement une des Sociétés qu’il étudie.

355.

Eugène Joly note que cette progression concerne surtout les arrondissements de Roanne et Saint-Etienne, celui de Montbrison, plus rural, restant un peu en retrait.

Signalons qu’à propos du mutualisme roannais, c’est Honoré Audiffred, député de la première circonscription de Roanne, qui est en 1898 le rapporteur de la loi sur la Mutualité, au titre de président de la Commission d’assurance et de prévoyance sociales de la Chambre.