b) la Société protestante de secours mutuel

Un exemple de Société de secours mutuels à recrutement non professionnel nous est donné par la Société protestante de secours mutuels, fondée en 1868 356 . Contre un droit d'entrée, dont les montants fixés à l'assemblée générale du 23 janvier 1870 semblent rester stables par la suite : 4 francs (adhérent ayant de seize à vingt ans), 7 francs (vingt à trente ans) et 10 francs (trente à quarante ans), et une cotisation mensuelle de 1,50 franc, elle verse des indemnités de maladie en cas d'arrêt de travail, couvre les soins médicaux (un médecin titulaire est chargé des visites), et verse des pensions de retraite (à l'assemblée générale du 26 janvier 1873, il est annoncé qu'un adhérent admis à la retraite recevra 8 francs par mois). Les sociétaires sont exclusivement masculins, mais les soins s'étendent à leur épouse et, à partir de 1872, à leurs enfants (la cotisation mensuelle passe alors à 1,75 franc).

Le règlement est strict, et les assemblées générales tiennent scrupuleusement le compte des sociétaires rayés des registres faute de cotisation à jour. Mais également, il est annoncé à la séance du 18 décembre 1869 qu'un adhérent est rayé pour avoir indûment touché les indemnités de maladie : non seulement il n'était pas présent lorsque les administrateurs de son quartier sont passés chez lui, mais il a travaillé pendant cette période et a même été vu au café. Le 21 mai 1880, un adhérent est rayé pour avoir été frappé d'une « condamnation infamante ». Le 4 juin 1890, on refuse l'adhésion d'une personne sur qui les renseignements recueillis sont trop mauvais. L’adhésion repose donc non seulement sur des critères confessionnels, mais aussi de moralité : c’est une véritable cooptation.

A travers la vie de cette Société transparaît celle de l'ensemble du mouvement mutualiste stéphanois, et ses tentatives de fédération. Le pasteur Dupont, fondateur de la Société, tient ses membres au courant de la création et du développement de l'Union des Sociétés de secours mutuels et de prévoyance de la Loire : il en lit les statuts provisoires à la séance du 12 juillet 1886, et indique les prestations proposées. L'adhésion de la Société protestante à l'Union ne tarde pas : elle est approuvée à l'unanimité par l'assemblée générale du 30 janvier 1887. A cette date, l'Union des Sociétés de secours mutuels et de prévoyance de la Loire compte trente-quatre adhérentes. On n'en retient pas le bénéfice d'une pharmacie commune aux Sociétés de l'Union : les adhérents de la Société protestante sont trop dispersés à travers la ville, et certains bénéficient déjà des dispensaires des mines 357 . En revanche, il est décidé lors de la réunion du 1er juin 1887 qu'une cotisation de 0,50 franc par membre sera versée à la caisse des veuves et Orphelins, et qu'une autre de 0,10 franc par membre ira au trésorier de l'Union. Enfin, lorsque paraît la Mutualité Forézienne, organe de l'Union, le pasteur Dupont en est membre fondateur (séance du 5 juillet 1888).

Autrement dit, certains avantages trop coûteux pour une Société de secours mutuels de très petite taille (elle ne dépasse qu'une fois, en 1875, les deux cents membres 358 ) sont accessibles grâce au regroupement de tous les mutualistes dans une fédération, qui ne gomme pas pour autant leurs originalités. La devise adoptée par la Société protestante, « Portez les fardeaux les uns des autres » (Gal., VI, 2), à son assemblée générale du 30 janvier 1876, est donc parfaitement respectée.

C'est d'ailleurs sur le même principe que s'organise la vie intérieure de la Société. Si les conditions d'accès exposées plus haut concernent une population diversifiée (outre les employés des mines, déjà entrevus, citons : des armuriers, menuisiers, teinturiers, veloutiers, maréchaux-ferrants...), les membres honoraires, dont il est sous-entendu qu'ils ne bénéficient pas des prestations de la Société, apportent un soutien moral et financier à l'entreprise (cotisation élevée : 40 francs, dons).

Le Bureau élu par l'assemblée générale du 24 janvier 1889 est composé de quatre membres honoraires et de trois membres adhérents, mais il faut tempérer cette relative prépondérance : le trésorier, le trésorier-adjoint et le caissier sont membres adhérents, alors que deux seulement des membres honoraires ont des tâches réelles, à savoir le secrétaire et le vice-président qui n'est autre que le pasteur Louis Dupont, fondateur et principal animateur de la Société. Le président honoraire, Pierre-Frédéric Dorian, et le président en titre, Thomas Hutter, apportent essentiellement, pour leur part, le patronage de leur nom. D'ailleurs, si aux Dorian et Hutter on ajoute un autre des membres honoraires, Jules Holtzer, on constate que se retrouvent à la Société protestante de secours mutuels une bonne partie de ce que Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel appellent « les élites métallurgiques du Bassin stéphanois » 359 , lesquelles font ainsi la preuve que leurs devoirs sociaux dépassent les murs de leurs entreprises.

C'est également sans grande surprise que l'on voit le pasteur Louis Comte, dès son arrivée à Saint-Etienne en 1885, compter parmi les membres les plus actifs de la Société : la hausse du nombre des adhérents au cours de l'année 1886 lui est largement due, après qu'il a mis en œuvre une vaste politique de visite systématique de chaque foyer protestant de la ville pour lui expliquer les bienfaits de ladite Société. Il trouve en effet ici une occasion de mettre son activisme et ses principes en actes, et du reste souhaite aller plus loin. C'est en tout cas le sens qu'il nous paraît possible de donner à un article qu'il publie en 1897 sur la coopération.

Notes
356.

Renseignements tirés du registre de la Société protestante de secours mutuels, alors conservé au Temple de la rue Elisée Reclus, et depuis déposé aux ADL par Marie-France Marcuzzi à la suite de son travail sur Louis Comte (cote générale 114J pour les documents concernant l’Eglise Réformée de Saint-Etienne).

Membres au :Membres honorairesMembres adhérentsMembres au :Membres honorairesMembres adhérents1/1/1868449631/12/1880469731/12/1868475731/12/18814310031/12/1869476831/12/18823710331/12/1883349231/12/18744410331/12/1884358731/12/18754414931/12/1885328731/12/18863012031/12/18774711031/12/18873010531/12/18784711731/12/18882910931/12/18794911231/12/188929108Société protestante de secours mutuels , effectifs (1868-1889), d'après les statistiques données aux AG annuelles.

357.

Jean-Paul Burdy, op. cit., p. 225 a noté l’importance de la communauté protestante dans le quartier ouvrier et minier su Soleil, et le rôle que la Fraternité y a joué.

358.

Voir tableau des effectifs en note, page .