c) la coopération360

Il présente la coopération comme une extension des principes de la mutualité, puisqu'il la décrit comme « un moyen de transformer, sans violence et sans injustice, le mode économique actuel, basé sur la concurrence, en un mode économique nouveau, reposant sur l'association pour la vie. » Ainsi, aux formes de communauté — de vie, de pensée... — déjà rencontrées et qui tentent d'aménager mieux la vie quotidienne de la population ouvrière, il voit un couronnement, passant par la transformation des rapports de production. En regrettant le peu d'importance des expériences en cours, il trouve l'occasion d'exposer quelque chose qui pourrait bien ressembler à sa propre doctrine politique :

‘« Les ouvriers eussent dû se tourner en masse vers la coopération et lui demander ce qu'ils attendent trop, aujourd'hui, de l'Etat. Mais, précisément parce que les travailleurs ont, dans le bassin houiller de la Loire, une tendance à voir dans l'Etat une puissance plus ou moins surnaturelle qui fera leur bonheur sans qu'ils aient autrement à s'en occuper, ils ont négligé la seule méthode qui leur permettrait d'obtenir leur émancipation économique et sociale, à savoir l'action collective résultant des initiatives individuelles. »’

Et Louis Comte de regretter que ce bel outil soit laissé comme à l'abandon, et vide de sens. Car non seulement les coopératives de vente ne sont qu'au nombre de vingt-cinq, soit plus de douze cents adhérents, mais encore leur gestion comme leur fonctionnement sont peu cohérents. D'abord, elles demandent essentiellement à la coopération la possibilité de vivre à meilleur marché et pratiquent donc souvent des prix peu élevés. Or, les coopérateurs devraient se rappeler qu’en faisant baisser les prix des biens de consommation, ils font baisser les salaires, tandis que s’ils maintenaient des prix élevés, ils ne contribueraient pas à avilir la rémunération de leur propre travail et pourraient même, « au surplus, constituer avec les bénéfices réalisés un fonds social pour commanditer des industries et devenir ainsi maîtres de la production. » Ensuite, les bénéfices sont conséquemment fort réduits, apparemment dans la plupart des grosses coopératives. Louis Comte cite le cas de l'Union des Travailleurs de Saint-Etienne, la plus importante du département avec plus de trois mille quatre cents membres, qui pour un chiffre d'affaires de plus d'1,3 million ne dégage pour tout bénéfice que 56 000 francs (un peu plus de 4 %). Enfin, il déplore qu'une bonne partie de ces ventes concerne la charcuterie et les vins, denrées certes faciles à consommer mais peu saines. Quand elle vend 336 000 francs d'épicerie, l'Union des Travailleurs de Saint-Etienne livre 84 000 francs de charcuterie (un quart) et 283 000 francs de vin (plus des trois quarts).

Dès lors, il ne peut que regretter, dans la plupart et les plus grosses coopératives, un manque flagrant d'idéal, une recherche qui ne dépasse guère la volonté de vivre un peu mieux, mais au jour le jour.

Le constat est à peine plus glorieux pour les coopératives de production, dont il regrette l'improvisation, d'ailleurs logique : c'est dans la coopérative de consommation que l'ouvrier peut « faire un apprentissage sérieux, se rompre avec la connaissance des affaires et acquérir les qualités d'ordre, de discipline surtout, de prévoyance, qui sont les conditions premières de tout succès commercial et industriel. » Ce constat, du reste, est général : « Ce qui a retardé le triomphe de la coopération en France, c'est qu'après 48, on a voulu immédiatement commencer par où on aurait dû achever, par la coopérative de production. » Par manque d'apprentissage et donc de qualification, rubaniers, veloutiers, teinturiers, plâtriers, maçons et même chiffonniers ambulants connurent la faillite.

Sur les six sociétés existant en 1897, fortes de trois cent quinze membres, certaines sont mal parties, et notamment les « mines aux mineurs », parce qu'on ne crée pas une exploitation viable avec des concessions abandonnées par les Compagnies.

Plus intéressantes lui paraissent les verreries de Saint-Etienne et de la Ricamarie, parce qu'elles sont moins subventionnées et sont confrontées à la même situation que tout autre entreprise. Cet enthousiasme est balayé par Yves Lequin 361 qui raconte l'échec de ce « syndicalisme de métiers », dans les années qui suivent immédiatement l'article de Louis Comte.

A défaut de regroupements vraiment durables, la place reste donc largement occupée par les initiatives privées, relevant de la charité la plus classique, mais où les collectivités locales commencent à prendre une certaine importance.

Notes
360.

Louis Comte, « La coopération dans le bassin houiller de la Loire », in Association Française pour l’Avancement des Sciences…, op. cit., tome 1, p. 377-386, pour l’ensemble du paragraphe.

361.

Yves Lequin, op. cit., tome 2, p. 277-279 pour les « mines aux mineurs » et p. 279-280 pour les verreries coopératives. Notons que ce qu’il dit du manque d’expérience dans la gestion de ces entreprises rejoint assez les paroles de notre pasteur…