b) le privé s’intéresse d’abord aux filles

Ce sont apparemment surtout les filles qui attirent le plus les sollicitudes, peut-être parce que cette population paraît particulièrement fragile et soumise aux dangers du dehors. Le nombre des établissements qui leur sont particulièrement destinés est fort respectable.

Citons ainsi la Providence de la Reine, 35 rue de la Paix, d’origine parfaitement plébéienne. C’est nous dit le Dr Cénas, Reine Françon, « humble ouvrière philanthrope qui, tout en secourant ses parents infirmes, se mit à recueillir des jeunes filles orphelines ou abandonnées. » Au nombre de vingt en 1821, elles sont cent trente-cinq en 1848, soixante-dix en 1896. Si la date de 1848 apparaît, c’est en grande partie parce que l’établissement défraie alors la chronique : exemple local de « couvent-atelier » (depuis 1823, à l’entrée de Reine Françon dans l’ordre des sœurs de Saint-Joseph, les religieuses en ont la direction), ses métiers sont détruits par la population qui voit dans le travail de ces jeunes filles une concurrence insupportable en période de crise, et sous-payée 387 . Elle n’en subsiste pas moins, modifiant ses activités. Les pensionnaires, au moment où écrit Cénas, reçoivent un enseignement primaire et professionnel dans l’établissement. L’ourdissage et le dévidage ont été abandonnés ; on prépare désormais les jeunes filles aux emplois de magasin, de lingère, brodeuse ou repasseuse. Lorsqu’elles sont placées à vingt ans, elles reçoivent leur trousseau et une petite somme d’argent.

Recevant également les orphelines, également dirigée par les sœurs de Saint-Joseph de Lyon, la Providence Sainte-Marie a été fondée en 1812 par Mme Marie Vacher, religieuse, et M. Bréchignac. Les jeunes filles y sont gardées jusqu’à vingt et un ans, et reçoivent une instruction primaire puis professionnelle (repassage, blanchissage, cuisine, lingerie et broderie). Elles sont quatre-vingts en 1896. Avant 1848, un atelier de dévidage et d’ourdissage y occupait cent trente orphelines.

L’Orphelinat de Saint-Vincent de Paul (cinquante lits pour des filles, le plus souvent orphelines, et de plus de quatre ans) et l’Orphelinat de Notre-Dame (une cinquantaine de filles également) fonctionnent sur le même modèle.

Ces œuvres religieuses et féminines contribuent à perpétuer un modèle familial traditionnel ; les domaines professionnels qui lui sont parcimonieusement ouverts ne sont jamais qu’une extension des « ouvrages de dames » domestiques. Il n’est évidemment pas question là non plus de promotion sociale, mais de la formation de bonnes ménagères et d’ouvrières pieuses, avec un débouché tout trouvé dans les usines textiles locales marquées par le paternalisme.

Malgré un côté systématique qui contribue à l’outrer un peu, ce modèle n’est au total guère différent de celui des autres institutions, publiques et privées.

A côté de ces enfants sans famille ou abandonnés (les deux catégories ne sont pas distinguées) en existent d’autres qui doivent quitter tôt leur famille, laissant le cadre policé de l’institution scolaire pour entrer dans le monde des adultes. Eux aussi méritent une certaine protection, car de même qu’un orphelin ne saurait seul acquérir éducation, instruction et formation professionnelle hors de lieux « recommandables », un enfant passant le seuil de l’institution scolaire, à peine adolescent, pas encore adulte, ne saurait seul entrer sans dommage dans le monde du travail et de l’atelier, d’autant plus que son foyer familial, recours et refuge hors des heures de travail, est rarement stéphanois. Des institutions existent donc, qui entendent remplacer ce foyer lointain et offrir à ces enfants garde-fous et bases morales : les patronages.

Notes
387.

Voir à ce propos Yves Lequin, op. cit., tome 2, p. 158-159 et Daniel Mandon, op. cit., p. 251-252., ainsi que pour un récit détaillé, Jean Pralong, Saint-Etienne, Histoire de ses luttes économiques, politiques et sociales, tome 2, Saint-Etienne, 1990, 213 p. (autoédition), p. 78-79.