2) Le patronage des jeunes détenus et libérés

Une place particulière paraît devoir être ici faite aux enfants de détenus, dont le sort se rapproche de ces enfants orphelins ou abandonnés, et dont la condition de leurs parents fait que plus que tout autre ils semblent justifier d’une protection, et aux jeunes détenus.

a) les déboires du Comité officiel398

On pourrait passer sous silence l’officiel Comité de patronage des prisonniers libérés, sans cesse recréé par le préfet qui doit mettre en œuvre les instructions officielles, entre 1832 et 1936, où enfin une réelle activité paraît se dégager. Mais ces difficultés mêmes sont le signe que son domaine d’activité est délicat.

Dès le 23 août 1832, une circulaire du ministère de l’Intérieur entend en fixer le cadre et les conditions d’action : les condamnés appartenant pour la plupart « aux dernières classes de la société », les travaux manuels sont les seuls auxquels ils peuvent se livrer en sortant de prison. La méfiance qu’ils inspirent peut les mener au découragement puis à une nouvelle violation des lois. Cet obstacle sera moins grand s’ils trouvent « dans les prévoyantes dispositions d’une charité active et bien entendue » le moyen de nouer des relations utiles afin de retrouver du travail et des moyens d’existence.

‘« C’est donc le patronage des gens de bien que je viens réclamer pour eux ; et comme les amis éclairés de l’ordre et de l’humanité sont toujours disposés à seconder l’Administration dans ses vues d’amélioration, les éléments de succès ne manquent nulle part. »’

Déjà, il est suggéré de s’appuyer d’abord sur les commissions de surveillance des prisons. Toutefois, aucun signe d’activité ne nous est parvenu, malgré ce beau programme où la bonne œuvre est subordonnée à l’ordre, la réinsertion au travail manuel, et le retour à l’emploi à la charité des gens de bien.

On signalera cependant ce courrier du préfet, le 20 juin 1865, faisant valoir aux présidents des Comices agricoles et des Sociétés d’agriculture du département combien leur concours serait utile pour le placement des jeunes détenus libérés à la campagne. Le président du Comice de Saint-Symphorien-de-Lay lui répond le 22 juillet suivant qu’après débat de la question avec les membres son Comice,

‘« l’idée d’avoir dans leur exploitation des détenus libérés, ne leur a pas souri le moins du monde, d’autant mieux que vous ne dites pas à quelles conditions on pourrait les prendre ni quel pouvoir on aurait sur eux. (…) Les cultivateurs répugneront beaucoup à y [dans leur ferme] introduire ce qu’ils pourraient croire des éléments de désordre. » 399

Autrement dit, on ne saurait envisager d’employer, et encore avec réticence, d’anciens détenus qu’à des conditions de salaire favorables, la possibilité de descendre au-dessous du tarif normal compensant en quelque sorte le risque encouru.

Il faut attendre 1879 pour en retrouver une trace, et encore s’agit-il de la liste des tentatives infructueuses du préfet pour relancer la Société de patronage, depuis 1875. D’où un ton un rien désabusé :

‘« Saint-Etienne (…) est une ville industrielle où tout le monde travaille et où personne ne consent à donner une partie de son temps même pour une œuvre de la nature de celle qui nous occupe. » ’

Les personnes sollicitées se récusent, refusant d’assumer la responsabilité du placement ou de la recommandation d’un ancien détenu, qui « trop souvent, trompera la confiance des gens chez lesquels le comité sera parvenu à le faire placer. » On retrouve là des motivations bien contemporaines ; la méfiance a supplanté la supposée bonté native des gens de bien.

Le 7 avril 1881 sont cependant rédigés les statuts d’une Société pour le patronage des libérés dans le département de la Loire, dont on retiendra la finale prudente : elle a pour but de placer les détenus à leur sortie de prison, de les soutenir moralement par son patronage et de leur accorder au besoin une assistance matérielle. Mais

« la Société n’est pas civilement responsable des délits que peuvent commettre ses patronnés. » 400

Le 17 septembre 1885 le préfet est bien obligé d’avouer au ministre de l’Intérieur que le comité ne s’est jamais réuni, qu’il n’a pas même de président, et que de ce fait les subventions reçues (et dont le procureur est devenu l’officieux trésorier) ont été distribuées à des détenus s’étant bien comportés afin de leur permettre de s’acheter des vêtements convenables leur permettant « de pouvoir solliciter du travail avec quelque chance de succès. » Le même constat d’inexistence est fait en mai 1889.

D’où sans doute la relance de janvier 1896, avec des membres désignés autoritairement par arrêté préfectoral, à la fois chez les personnes intéressées par la question, et des employeurs putatifs 401 . En 1901, un nouvel arrêté constitutif, de nouveau sans résultat apparent hormis le placement d’un jeune homme à Sacuny 402 , montre l’effet du précédent… En 1908, il apparaît que quelques membres veulent visiter les prisonniers, et demandent l’autorisation ad hoc. Il en est de même en 1926.

Il faut en réalité attendre 1935 pour qu’enfin un Comité se mette en place, à l’initiative des membres de la Commission de surveillance des prisons de Saint-Etienne. Marinette Heurtier paraît faire partie de ses principaux animateurs, avec d’autres personnes que nous retrouverons au Comité de patronage des enfants délinquants.

Deux thèmes dominent son action : la recherche de travail 403 , et l’accueil des détenus libérés. Il est ainsi plusieurs fois question dans les réunions de l’Asile Saint-Léonard de Couzon-au-Mont d’Or, lieu d’accueil spécifique le plus proche 404 . Il est même question d’installer un local avec atelier destiné aux détenus libérés en attente d’un emploi, avec l’aide d’industriels 405 . En 1937, le Comité demande son adhésion à l’Union des Comités de patronage des détenus libérés.

Il n’empêche qu’au total, on a bien l’impression qu’il y a davantage d’énergie dépensée en organisation, qu’en réalisations réelles, et que lorsqu’une structure enfin paraît perdurer, elle est en réalité animée par les responsables d’une autre œuvre, purement privée et plus spécifiquement destinée aux enfants délinquants. Ce constat déjà fait pour la justice, qu’une action publique efficace a besoin de s’appuyer sur un milieu associatif et privé vivant, se renouvelle ici. C’est clairement le cas également pour le pendant féminin du Patronage des détenus libérés.

Notes
398.

ADL 1Y111-113. Malgré l’intitulé général, il semble que ce Comité soit particulièrement destiné aux jeunes détenus et libérés, il est vrai particulièrement concernés par les difficultés de la réinsertion. C’est ainsi en tout cas que le considèrent ses membres, comme en mai 1882 le président du tribunal qui s’excuse de ne pouvoir assister à une réunion : « L’arrivée imprévue de quelques amis qui viennent me demander à déjeûner, ne me permettra pas de me rendre aujourd’hui à la commission des jeunes libérés de la Loire. » (C’est nous qui soulignons).

399.

ADL Y205.

400.

ADL 1Y112 : il y a une liste des membres en avril 1881, qui ont accepté : Duchamp maire de Saint-Etienne, Fabre président du tribunal civil, Allut vice-président du même tribunal, Garriot procureur, Euverte président de la Chambre de commerce, Guitton président du tribunal de commerce, Rebour président du tribunal des Prud’hommes, Tardy avocat et ancien maire, Richarme député et conseiller général (Rive-de-Gier), Prugnot négociant à Rive-de-Gier et maire, Jacquemard négociant et maire de la Ricamarie, Pinel ingénieur des mines de Montrambert, Castel ingénieur en chef des mines, Evrard conseiller d’arrondissement et directeur des Aciéries de Firminy, Maximilien Evrard ingénieur et directeur des mines à Sorbiers, et quelques autres… Une tentative est aussi faite à Montbrison, sans beaucoup plus de résultat.

401.

En suite d’une nouvelle circulaire de l’Intérieur du 18 janvier 1894, ce qui laisse penser que les réticences ne sont pas propres à la Loire.

L’arrêté du 14 janvier 1896 désigne les membres suivants : Boulisset inspecteur du travail, de Castelnau ingénieur en chef des Mines, Chavanon maire et président du tribunal de commerce, Cholat directeur des Aciéries de Saint-Etienne et membre de la Chambre de commerce, Comte pasteur, Couffinhal ingénieur civil et adjoint au maire, Monsarrat conseiller de préfecture, Lapala chef de division honoraire à la préfecture, Lemaire propriétaire et ancien adjoint au maire, Loubat procureur, Martouret négociant et maire d’Andrézieux, de Montgolfier président de la Chambre de commerce et directeur des Aciéries de la marine et du chemin de fer (Saint-Chamond), Naudin président du tribunal civil, du Rousset directeur des Mines de la Loire, Vergnette entrepreneur de travaux publics, Villiers directeur des Houillères de Saint-Etienne. Un second arrêté du 28 janvier y ajoute : Brossy président de la Chambre syndicale des tissus, Coste ingénieur des Mines, Devignol professeur à l’Ecole supérieure, Gerest (père) fabricant d’armes, Germaix substitut du procureur, Pellenc et Rouquet juges au tribunal.

La composition des deux Comités est comparable par les fonctions de leurs membres.

402.

AMSE 4I2.

403.

Qu’une lettre-circulaire aux maires du département essaie de faciliter, en leur demandant de signaler les emplois que les établissements industriels de leur commune pourraient fournir, voire de rechercher eux-mêmes un emploi.

404.

Cet établissement est issu de la Société de Saint-Joseph, dont nous reparlerons à propos de la colonie de Saint-Genest-Lerpt.

Une visite est organisée pour les membres du Comité le 17 juillet 1937, à l’instigation de Marinette Heurtier qui connaît bien la maison, mais insiste pour que le substitut Mailhol, sceptique sur les possibilités de réadaptation au travail que peuvent y trouver les anciens détenus, s’y rende. C’est Antoine Pinay qui transporte tout le monde dans son automobile. A la séance du 4 octobre, Mailhol fait un compte-rendu de la visite et « fait ressortir notamment les avantages que peuvent retirer les détenus de leur séjour au Patronage où sont susceptibles d’être admis les libérés conditionnels et les libérés définitifs. » Pour l’information des détenus, Marinette Heurtier propose une conférence à la chapelle de la prison, comme cela se fait à Fresnes, et la rédaction d’un vœu pour que l’Etat verse pour les libérés conditionnels l’allocation journalière qu’ils avaient à la Maison d’arrêt, au Patronage qui les reçoit.

405.

On ne sait rien de son éventuelle réalisation. Le plus souvent, les cas évoqués sont ceux de jeunes libérés. Du reste, l’action de Marinette Heurtier au sein du Comité de patronage des enfants délinquants reprend les mêmes thèmes, puisque là aussi elle se préoccupe de caser ses protégés.