b) le patronage des détenues et libérées

Depuis 1894 existe à Saint-Etienne la Société de patronage des détenues, des libérées et des pupilles de l’Administration pénitentiaire, filiale locale du Patronage des détenues et des libérées fondé en 1890 par Mme Schlumberger de Witt 406 . Le compte-rendu de l’assemblée générale nationale du 26 avril 1902 donne quelques exemples de l’action du groupe stéphanois dans l’année écoulée : deux jeunes garçons placés à Brignais, pour une pension de 300 francs, « donnent beaucoup d’espérances », une ancienne détenue, « après plusieurs années d’égarement » et d’insistance des membres de la Société, est rentrée dans sa famille et a retrouvé ses deux enfants. Elle donne des preuves de son repentir et s’engage à travailler, à soutenir ses parents et à ne plus être « en scandale » à ses enfants. Un jeune ménage, dont la femme « était inscrite sur les registres de la police des mœurs » lorsque la Société l’a rencontrée, à la prison, s’est reconstitué. Par son travail et son économie, ce jeune couple commence à rembourser les avances faites pour permettre son installation. Enfin, le Patronage est venu en aide à une jeune libérée handicapée, abandonnée de son mari, sans logement ni travail en lui fournissant « un appareil qui permet à cette pauvre créature de pouvoir travailler dans une usine où on a pu la placer. »

Dans les mots employés, parfois (involontairement ?) cruels par la distance sociale voire la condescendance qu’ils laissent entrevoir, se retrouvent quelques valeurs traditionnelles et déjà rencontrées : le travail, considéré comme une sorte d’ascèse salvatrice et nécessaire au reclassement, la famille, vue comme un espace de calme et de paix domestiques et gage d’harmonie sociale. Dieu s’y ajoute, car le Patronage se considère aussi comme une œuvre de conversion :

‘« Le jour de Noël, nous avons donné le café et du gâteau à dix-huit prisonnières. Elles sont toujours touchées de cette petite fête que nous leur faisons le jour de la grande joie pour tout le peuple. C’est une bonne occasion de leur parler de cet Ami Tout-Puissant, qui est venu chercher ce qui était perdu. Plusieurs, par leur émotion, nous ont donné l’espoir qu’elles reconnaissent être de celles qui sont perdues. Puissent-elles faire bientôt l’expérience que le sauveur ne met point dehors qui vient à Lui ! »’

Si les enfants ne sont pas la cible principale de l’œuvre, ils sont concernés lorsqu’ils sont enfants de détenus et que l’absence de la mère doit être suppléée. Mieux, on apprend incidemment, dans la demande de subvention envoyée le 15 mars 1907, que le Patronage reçoit les enfants en danger moral que lui remet la police ou le procureur, et « fait son possible pour procurer à ces jeunes vies, un milieu qui les rende capable d’en faire de bons sujets. » C’est une explication possible à l’envoi de jeunes garçons à Sacuny signalé plus haut 407 , mais ce sont malgré tout les jeunes filles qui restent la préoccupation principale du Patronage, comme de dit le rapport de l’Assemblée générale du 2 juin 1905 qui parle « des pupilles placées soit en apprentissage, soit dans une famille ou une maison de relèvement. »

Plus qu’une association destinée aux enfants délinquants ou moralement abandonnés, ce qu’il n’est qu’à l’occasion et pour un nombre apparemment limité d’enfants — suppléant parfois ainsi auprès de la Justice l’absence d’une œuvre spécifique —, le Patronage des détenues et libérées reste avant tout une œuvre de préservation et d’assistance aux anciennes prisonnières ; il ne sort guère des modes classiques de prise en charge déjà évoqués.

Il est cependant renforcé par un Foyer de jeunes filles, dont la création est plus originale que le fonctionnement. Ce Foyer est longuement décrit par Mme Chevet, présidente du Patronage, à l’Assemblée générale du 23 mai 1901, après trois ans de fonctionnement.

Les fondatrices du Foyer sont toutes membres du Patronage ; c’est en visitant les détenues que le désir leur est venu d’offrir aux jeunes filles un véritable foyer leur procurant asile et protection, vie de famille et influence chrétienne. Ainsi espèrent-elles sauver quelques ouvrières en les préservant des tentations de la grande ville, « résultat du travail dans les usines où ouvrières et ouvriers sont mélangés. » Elles ont écouté les plaintes et les regrets des détenues : « Si j’avais une mère, ou une amie qui m’eût bien conseillée, je ne serais pas là ; mais quand on est seule, sans famille, on se laisse entraîner par les mauvaises compagnies et l’on est vite au fond de l’abîme. »

Grâce à un don de 2 000 francs, le Foyer ouvre avec une pensionnaire qui y est encore et un loyer de 400 francs. Trois ans après, elles sont vingt-sept à table, reçues sans distinction de religion ou de nationalité.

‘« Depuis la fondation du Foyer, nous avons hospitalisé, ou donné le repas de midi à 130 jeunes filles. Celles qui nous ont quitté et qui habitent Saint-Etienne reviennent nous voir avec plaisir, surtout si elles ont quelques chagrins à raconter, ou une démarche à demander. »’

La dimension morale est visible dans les mots, qui supposent là encore une certaine distance sociale, même si en ce début de siècle il faut remarquer une volonté très originale de se mêler aux jeunes filles et de partager une partie de leur vie :

‘« La vie de famille que nous leur offrons a une bonne influence sur ces jeunes filles. Elles n’oseraient même pas avoir des paroles vulgaires et sont très convenables dans leurs manières. Elles sont contentes d’être à notre table, car elles mangent avec nous, et notre nourriture est la leur. Elles sont même fières de se trouver avec nous et cela les oblige à être convenables. »’

On passera donc sur les termes et le ton du discours, qui sent parfois lourdement sa dame d’œuvres, pour relever l’originalité de la démarche. Pour une fois, pour aboutir à ce Foyer qui ressemble fort aux Patronages évoqués plus haut (jusque dans le prosélytisme), on est parti d’une expérience vécue, celle de la fréquentation des jeunes détenues. On peut moquer ces dames, leur suffisance, leur religion et la banalité de leur discours sur la perversité intrinsèque de la ville et de l’usine, mais seule leur écoute des jeunes filles emprisonnées les a menées à étendre leur action en direction de celles qui, au-dehors, risqueraient à leur tout d’y entrer. La modernité est dans la démarche, plus que dans les méthodes éducatives employées : d’abord déterminer le besoin, puis tenter d’y répondre. Le sens de l’écoute et du partage, la volonté de « vivre avec », d’origine clairement religieuse, donnent une certaine modernité au fonctionnement de ce foyer, où s’estompe la distance de classe.

Dans ce foyer, la pension complète (logement et nourriture) coûte 45 francs par mois 408 , et le repas de midi 60 centimes. C’est un Comité des Amies de la Jeune Fille qui le gère 409 .

C’est un cheminement finalement comparable que connaît, sur une plus longue période et pour des raisons bien différentes, le couvent du Refuge, d’abord lieu d’enfermement des jeunes filles dévoyées avant de finir foyer de jeunes filles.

Notes
406.

Code de l’enfance traduite en justice, op. cit., p. 445.

407.

A moins qu’il ne s’agisse d’enfants de détenue un peu trop turbulents.

408.

Ce qui paraît considérable au vu des salaires, guère supérieurs à 1 franc par jour. Voir Nicole Verney-Carron, op. cit., p. 16-17 ou Brigitte Reynaud, op. cit., p. 120.

409.

Toutes les assemblées générales sont aux AMSE 4I2, et accompagnent des demandes de subvention. Les responsables de l’œuvre stéphanoise sont : Mmes J. Chevet présidente, Gerin secrétaire, Babu trésorière, remplacée en 1902 par Mme Coste-Henriquet, et quelques autres : Mlle Leconte directrice de l’Ecole normale ou Mlle Lessieux professeur au lycée.