1) La vie quotidienne

a) horaires

Plusieurs emplois du temps nous sont parvenus, qui permettent d’avoir une idée assez précise du contenu des journées des colons.

L’emploi du temps de 1890 (Tableau 46) est assez comparable à ce qu’Eric Baratay décrit pour la colonie de Cîteaux 639 , hormis un lever un peu plus tardif et quelques permutations, comme l’instruction (religieuse) donnée à Cîteaux après le repas du matin, et à Saint-Genest juste avant celui du soir. Ceci n’a du reste rien pour surprendre puisque Saint-Genest est issue de Cîteaux où le père Cœur a commencé sa carrière. On peut donc reprendre ses rapprochements avec la vie au séminaire, lever aux aurores, coucher de bonne heure, et alternance de prières, récréations, études et repas. Mais il semble tout aussi opératoire, plus que d’une maîtrise du temps menée selon lui par la bourgeoisie, d’évoquer la vie paysanne que revendique la colonie dans une partie de ses activités et de ses inspirations, où le lever et le coucher du soleil imposent ceux de l’homme, et où par exemple la chaleur de l’été oblige à éviter les travaux à la mi-journée.

Tableau 46 : emploi du temps de la colonie de Saint-Genest (1890)
Été Hiver
5h30 lever et déjeuner 5h45-6h30 lever et déjeuner
6h30-9h classes 6h30-9h30 classes
9h-11h occupations manuelles 9h30-11h occupations manuelles
11h-11h30 récréation 11h-11h30 récréation
11h30 dîner 11h30 dîner
12h-12h45 récréation 12h-12h45 récréation
12h45-14h classes  
14h-16h occupations manuelles 12h45-16h occupations manuelles
16h-16h30 goûter 16h-16h30 récréation
16h30-18h occupations manuelles 16h30-18h30 classes
18h-18h30 récréation  
19h instruction et souper 18h30 instruction et souper
20h exercices divers 19h30 exercices divers
20h30 coucher 20h30 coucher

Si le temps de travail est important, 5 heures et demie l’été et 3 heures trois quarts l’hiver, le temps de classe n’est pas négligé : 2 heures trois quarts l’été et 4 heures l’hiver. En hiver, le travail scolaire prend même le pas sur le travail manuel, de peu il est vrai. Les récréations occupent presque deux heures (1h45) et donnent à cette assemblée d’enfants un aspect finalement assez comparable à celui de tous leurs semblables. Sans pousser trop loin la comparaison, puisque le travail manuel reste dominant, la vie des petits paysans ou fils d’artisans, très tôt associés aux activités parentales par leur côté d’abord le plus subalterne, devait donner une impression assez proche. Malgré quelques heures de classe de plus, d’ailleurs écourtées parfois l’été pour cause de travaux prioritaires, leur participation à la ferme ou à l’activité paternelle restait importante ; les plaintes ici ou là relevées à propos des pupilles de l’Assistance le montrent.

L’enseignement paraît être donc une nécessité légale plus qu’une priorité, sauf dans le cas particulier des quelques élèves qui suivent une scolarité secondaire et dont les succès peuvent à l’occasion rehausser l’image de la maison. L’objectif souvent répété étant de fournir à la nation de bons citoyens, paysans, ouvriers ou soldats, l’enseignement n’est qu’une partie de l’éducation reçue, qui pourrait à trop forte dose lui être contraire, s’opposant aux sentiments d’obéissance et de modestie qu’il s’agit de développer chez l’enfant, et peut-être même l’incitant à sortir de sa condition. Or, la colonie n’a jamais prêché le désordre social ni la révolution, il s’en faut même de beaucoup. Par ailleurs, cette nécessité est d’autant moindre que le niveau général des enfants reçus est plutôt bon, lié à l’âge moyen à l’entrée (quatorze ans environ) 641 . A leur arrivée, 10 % seulement sont analphabètes, 10 % savent un peu lire ou un peu écrire. Les autres ayant déjà quelques connaissances, la tâche à accomplir en ce domaine se réduit d’autant.

Notes
639.

Eric Baratay, op. cit., p. 124 : emploi du temps.

640.

ADL V540, dans une lettre du directeur de la maison au préfet, 17 juillet 1890.

641.

Et peut-être aussi à leur origine sociale, trop rarement indiquée, sinon par défaut via les tarifs de pension.