Les onze cent deux fiches saisies à partir de ce registre 739 permettent de se faire une idée des élèves de Saint-Genest, dont nous connaissons déjà la région d’origine et avons donné plus haut une idée de l’âge et de la formation scolaire antérieure.
On trouve surtout ici des confirmations (Tableau 55). C’est le cas de l’âge des enfants, qui entrent pour la plupart au début de l’adolescence, malgré quelques très jeunes qui contredisent la limite officielle d’admission à sept ans. Les plus âgés, dont quelques majeurs, montrent l’existence de la section paternelle réservée aux fils de famille, sans véritable limite d’âge, source précieuse de ressources mais bien peu nombreuse. Aux commencements de la maison a été appliqué un principe de gratuité à partir de quinze ans, en raison du travail que peut alors fournir l’enfant. Il paraît disparaître au cours de la période couverte par le registre. Sa dernière mention dans les Statistiques et faits divers 740 date du 15 mai 1889 (« Victor V. passe aux Gratuits ayant 15 ans révolus »). Le lien avec la durée du séjour paraît évident. Car s’il est logique d’appliquer cette variation de tarif sur les longs séjours, que la maison réclame d’ailleurs, et qui permettent à la fois un travail progressif sur l’enfant et une certaine rentabilité de ses activités, la tendance est aux courts passages à Saint-Genest, à peine deux ans en moyenne, les plus nombreux faisant moins d’un an.
Séjour : | ||||||||||||
durée moyenne : | 1 an 11 mois 24 jours | |||||||||||
le plus long : | 11ans 11mois 13 jours | le plus court : | 2jours | |||||||||
- 1 an : | 408 (37 %) | 1-2 ans : | 151 (13,7 %) | 2-5 ans : | 201 (18,2 %) | |||||||
+ 5 ans : | 59 (5,4 %) | durée inconnue | 390 (35,4 %) | |||||||||
Age : | ||||||||||||
âge moyen à l’entrée : | 14 ans 5 jours | |||||||||||
le plus jeune : | 5ans 5 mois | le plus vieux : | 28 ans 1mois 18 jours | |||||||||
- 6 ans : | 5 (0,5 %) | 6-9 ans : | 55 (5 %) | 9-12 ans : | 204 (18,5%) | 12-15 ans : | 326 (29,6%) | |||||
15-18 ans : | 326 (29,6%) | 18-21 ans : | 63 (5,7 %) | + 21 ans : | 10 (0,9 %) | âge inconnu | 113 (10,3%) | |||||
Décès : | 17, soit 1,5 % | |||||||||||
expulsions : | 4, soit 0,4 % | orphelins : | 131, soit 11,9 % | |||||||||
engagements dans l’armée : | 8, soit 0,7 % | enfants placés à leur sortie : | 11, soit 1 % | |||||||||
Pension : | ||||||||||||
pension annuelle moyenne : | 322 francs | |||||||||||
la plus élevée : | 900 f | la plus basse : | 100f | |||||||||
Instruction : | ||||||||||||
ni lire ni écrire : | 111, soit 10,1 % | un peu lire : | 24, soit 2,2 % | |||||||||
un peu lire et écrire : | 87, soit 7,9 % | lire et écrire : | 421, soit 38,2 % | |||||||||
étudiants 741 : | 312, soit 28,3 % | |||||||||||
musiciens : | 83, soit 7,5 % | notés « F » (fifres ?) : | 80, soit 7,3 % |
Les causes n’en sont pas précisées, mais le tarif moyen de la pension (un peu plus de 300 francs, soit le salaire d’un cloutier ou d’une dévideuse, un peu plus de la moitié de celui d’un ouvrier rubanier, un peu moins de la moitié de celui d’un mineur 742 ) réservent le placement dans un tel établissement à des personnes d’un certain niveau social ; les bourses officielles, éventuellement les bienfaiteurs privés (cent quatre enfants ainsi placés, soit 9,4 %) restent minoritaires. Et même si des efforts de la part de la maison peuvent être consentis, certaines pensions étant particulièrement réduites (minimum à 100 francs pour un pensionnaire de l’Hospice de Saint-Etienne et pour le fils d’une couturière de Saint-Galmier), elle ne peut aller trop loin au risque de mettre en péril une situation financière toujours précaire.
L’origine sociale des enfants est donc bien mélangée, les quarante à cinquante entretenus par la Ville de Saint-Etienne ou le département de la Loire (un quart à un tiers des pensionnaires) étant issus de familles dont l’indigence a été dûment constatée, les autres des classes moyennes, avec en plus une petite minorité de fils de famille (noms à particule, fils de hauts fonctionnaires ou de militaires) surtout lorsque la section paternelle se développe en fin de période.
Le niveau d’instruction des élèves à leur arrivée est plutôt élevé, mais en lien avec leur âge moyen qui correspond à peu près avec la fin de la scolarité obligatoire. On peut supposer d’ailleurs que pour des raisons pratiques la séparation entre première et seconde division correspond à cet âge de treize ans, ce qui simplifie les déplacements, la première division partant au travail quand la seconde reste entièrement en classe 743 .
Quant aux indications portées en marge du registre, clé de sol pour musique ou F peut-être pour fifres ou pour fusils, elles confirment que la musique et la logique militaire sont parties prenantes de l’organisation de la maison.
Les décès sont peu nombreux 744 : une vingtaine entre 1880 et 1891. Leur absence d’indication de cause rend périlleuse l’incrimination des conditions sanitaires de la colonie. Nous avons vu qu’une toilette quotidienne est imposée, qui l’été consiste en un bain dans un des étangs de la propriété. Les baignades dominicales d’été dans la Loire confirment en tout cas qu’il n’existe aucune peur particulière de l’eau. La vigueur entretenue par les travaux manuels et les marches militaires a dû faire le reste. Après quelques cas de rougeole en février 1883 745 , sans gravité, une épidémie de variole, plus sérieuse, est signalée, en juillet 1887 746 : six enfants sont envoyés à l’hôtel-Dieu et cinq sont retirés par leur famille (soit onze sur un total de deux cent soixante-six enfants placés). Des mesures comme la vaccination sont rapidement prises, et il ne paraît y avoir eu aucune suite fâcheuse.
Le problème des évasions est nettement plus épineux, et dénote soit un défaut de surveillance, soit une excessive confiance faite aux enfants (Graphique 16 747 , Tableau 56). La presse peut s’en faire l’écho, ce qui est fâcheux pour la réputation de la maison, ainsi la Loire Républicaine du 6 mai 1897 : « Hier matin soixante-dix élèves de la Colonie sont partis en bordée. (…) C’étaient en partie des jeunes gens de la musique qui se plaignent et de leurs chefs et de leur nourriture. » Mais elle rectifie le lendemain : ils n’étaient en réalité que quinze musiciens et dix « têtes légères », qui sont allés se promener à Saint-Victor-sur-Loire (se baigner ?), sans dommage pour quiconque, et sont rentrés ensuite.
évasions : | 173, soit 15,7 % |
évasions définitives : | 106, soit 9,6 % |
nombre moyen d’évasions par évadé : | 1,4 |
Il reste que plus de 15 % d’élèves qui veulent s’évader, souvent plus d’une fois, et presque 10 % qui y parviennent de façon définitive, sont des chiffres élevés 748 . Même s’il est difficile de connaître les causes de ces départs, même s’il peut arriver que l’enfant se réfugiant chez lui arrive à convaincre ses parents de le garder (contre promesse de se mieux tenir, ce qui est finalement un succès pour la colonie…), même si on peut remarquer que la fugue est chez l’adolescent une réaction assez banale, il reste que 10 à 15 % des élèves de la colonie ne parviennent pas à s’y habituer. Les primes offertes aux personnes retrouvant les élèves évadés peuvent aider à les rapatrier, mais elles ne règlent pas la question de leur volonté de départ.
Malgré l’encadrement, et l’organisation militaire qui doit le faciliter, la taille du domaine (80 hectares), la multitude des groupes de travail et des recoins des nombreux bâtiments existants rend inévitables les possibilités de se cacher puis de se sauver, sans compter que l’âge seul des élèves — ce sont pour beaucoup des adolescent — peut renforcer leur désir de fugue. Les promenades, les déplacements à l’extérieur d’une partie des colons (pour jouer ici, livrer là, transporter ailleurs les animaux à présenter à un concours de foire) peuvent se traduire par un certain allègement de la surveillance, voire par une certaine confiance faite aux enfants, même si rien ne prouve qu’il a pu arriver de les laisser sortir seuls. En ce sens, les évasions peuvent être vues comme la sanction du système éducatif mis en place.
Elles paraissent bien en tout cas avoir lieu surtout l’été, époque des promenades, et aussi des grands travaux dans les champs, où les enfants peuvent être dispersés sur de grandes étendues. Ces activités, travail ou loisirs, font bien l’essentiel de l’identité et de l’originalité de l’établissement.
Il reste que plusieurs lettres conservées montrent que tel qui s’est sauvé après avoir commis un petit vol regrette son acte et s’en repent, que tel autre demande le pardon et promet de se mieux conduire à l’avenir. Ce sont des signes 749 qui laissent penser que malgré des errements, les enfants passés par Saint-Genest ont acquis une certaine moralité, et que l’éducation reçue peut toujours finir par porter ses fruits. Du reste, la durable confiance montrée par les autorités locales prouve que la bienveillance envers la colonie est longtemps restée intacte, et sa réputation, bonne. Et surtout, nous l’avons déjà dit, aucune preuve n’existe de mauvais traitements, sinon une plainte anonyme et laissée sans suite. Ce n’est donc pas la rancœur qui fait s’évader les enfants, et il est difficile d’en rendre un quelconque manquement de la colonie directement responsable.
ADL 85J, onze cent deux enfants entre août 1875 et avril 1893.
Montgay.
Appellation particulièrement ambiguë, assimilée parfois à des connaissances dites élémentaire, c’est-à-dire, dans cet esprit, d’un élève ayant achevé le cycle de l’école élémentaire…
Nicole Verney-Carron-Mavridorakis, op. cit., p. 16.
Mais une logique comptable aurait choisi la limite de quinze ans, âge auquel l’enfant cesse d’être payant, dans la première moitié au moins de l’existence de la colonie. La colonie du Luc possède la même division par âges que Saint-Genest : Petits de sept à douze ans, Grands de treize à vingt ans. Voir Geoffroy Lacotte, op. cit., p. 65.
ADL 85J, un Répertoire du registre de catholicité de la colonie, couvrant les années 1880-1891, relève 25 décès (mais pas seulement de pupilles : deux sœurs, deux frères, et la mère du père Rebos), soit à peine deux par an.
Montgay, Statistiques et faits divers.
AMSE 4I3.
Source : Statistiques et Faits divers.
Geoffroy Lacotte cite également au Luc un nombre élevé de fugues, sans les dénombrer. Geoffroy Lacotte, op. cit., p. 68.
Même si a priori seules les « bonnes » lettres ont été conservées.