En 1895, Donat est décédé. Guillermain, dernier propriétaire en titre de Cîteaux, est fort âgé. Bérerd, précédemment Supérieur, a été désavoué par le prédécesseur de l’évêque régnant. Qui dirige la congrégation, ou ce qu’il en reste ? Cœur en a la direction de fait, malgré les manœuvres de Mgr Oury, avec le soutien des membres de la société laïque stéphanoise. Mais est-il plus que le mandataire de Guillermain ? Quelques éléments, ténus, permettent de le supposer.
En 1878, un notable de Montevideo, Jackson, propose à Donat un domaine pour établir une colonie agricole en Uruguay 812 . Il n’est pas certain que la congrégation ait véritablement pris la mesure de la tâche demandée, ni surtout se soit donné les moyens de la mener à bien. Plusieurs lettres conservées dans les papiers du père Cœur 813 dénotent un certain abandon de la propriété en 1896 : il y a cinq frères ou prêtres et six religieuses, apparemment pas d’enfants, et le domaine n’est peu ou pas mis en valeur. A la fin de cette année, la propriété est même enlevée à la société de Saint-Joseph par les héritiers du donateur, et remise aux Salésiens, déjà présents à Montevideo depuis plusieurs années et qui y ont installé une école d’Arts et Métiers 814 .
Visiblement, le manque de dynamisme de la congrégation sur place 815 et sa difficulté à présenter aux autorités ecclésiastiques locales une organisation claire (qui est supérieur, quelles sont les règles de l’ordre…) ne la font pas prendre très au sérieux, alors que les Salésiens de Don Bosco, arrivés après elle, ont développé une école qui fonctionne fort bien.
D’autres espoirs s’offrent cependant sur place : la société charitable qui a confié une crèche aux sœurs, à Buenos Ayres, envisage à nouveau d’ouvrir une maison d’Arts et Métiers (tailleurs, cordonniers, menuisiers) et souhaite la confier à la congrégation 816 ; il est également question de poursuivre la formation de deux étudiants pour fournir quelques années plus tard deux nouveaux prêtres à la société 817 .
Nous ignorons tout de la suite de l’œuvre en Amérique latine. Mais en revanche, dans le courant des courriers échangés en 1896-1897, apparaissent plusieurs allusions à l’élection d’un Supérieur général en août ou septembre 1896. En juin, le père Ailloud dit donner sa procuration au père Bonnafous, et annonce que celle du père Henri (Enrique) est au nom de Cœur. Et cette dernière procuration a été conservée, comme une lettre du père Enrique qui proclame sa confiance dans l’élection de Cœur, et l’invite à venir quelque temps se distraire en Amérique latine de ses problèmes de France. Le 3 septembre, le père Ailloud se réjouit que l’élection ait eu lieu. Le 6 décembre, le père Enrique remercie Cœur de l’honneur qu’il lui fait en le nommant représentant officiel de la congrégation pour l’Amérique du Sud, et le félicite pour son élection comme Supérieur (en lui souhaitant bon courage !). Enfin, daté du 9 octobre 1896, existe la copie d’un pouvoir signé Claude-Marie Cœur « agissant en qualité de Supérieur Général de la Société ou Congrégation de St Joseph de Cîteaux, dont le siège est à Cîteaux (Côte d’Or) » autorisant Mgr Soler, évêque de Montevideo, à disposer des biens de la congrégation au Manga.
Ce serait sans doute un étrange Supérieur Général, que celui qui est chargé de mettre fin à sa propre congrégation, déjà déchue de sa reconnaissance légale. Aucune autre source que les lettres citées ne permet à notre connaissance de confirmer le fait 818 .
Cœur en aurait sans doute eu la stature ; il s’est en tout cas toujours considéré comme tel à Saint-Genest, maître en son petit domaine, et sans doute a dû caresser le regret que, à la place de Bérerd ou surtout de Donat, il aurait autrement (et mieux) poursuivi l’œuvre du père Rey. Ses tentatives de fondations montrent son ambition pour l’œuvre, comme ses essais malheureux de recruter de nouveaux prêtres.
On ignore à peu près comment les pères Rebos et Berjat ont rejoint Cœur 819 . Du premier, ordonné le 15 juin 1878 (à vingt-cinq ans) et nommé alors vicaire à La Terrasse-sur-Doizieux 820 , on peut supposer que, vite en contact avec la maison de Saint-Genest, il a été convaincu par Cœur d’abandonner une vie de paroisse qui lui plaisait peu. C’est ce qu’une lettre de lui laisse entendre en septembre 1879 821 : il est ravi de la nomination de Cœur à la tête de la maison et promet une visite prochaine à Saint-Genest. Il s’y installe avant la fin de l’année.
Le père Berjat entre à Saint-Genest un peu avant son ordination 822 en 1891, dans la période la plus prospère de la colonie dont on peut alors penser que sa renommée en faisait un poste de choix pour un jeune prêtre souhaitant se consacrer à l’enfance. Fils d’un petit industriel de Saint-Héand fabricant des platines pour l’armurerie stéphanoise, son frère est Mariste, également religieux et enseignant. Il est de toute évidence issu d’un milieu très catholique : sa mère, apparentée au bienheureux Bonnard 823 , l’a consacré tout jeune à Notre-Dame de Valfleury. Lui aussi est passé par le séminaire de Saint-Sulpice.
Leur attachement au père Cœur et leur rôle dans la direction de la maison en font des acteurs importants de son histoire.
Le père Cœur a tenté de susciter d’autres vocations en faveur de la société de Saint-Joseph. Certaines sont un peu incertaines, comme cet abbé Ploton 824 avec qui il est en correspondance depuis 1872, et qui successivement décline les offres de postes à Cîteaux, La Forêt, en Tunisie, au Meix-Tiercelin et reste dans ses paroisses. Deux prêtres passent au Meix-Tiercelin, les abbés Giraud et Clément, le premier dès son ordination 825 , après avoir déjà fait part de son désir d’entrer à Saint-Genest quelques années auparavant 826 . L’ambiance de la maison, en cours d’installation et pleine de petits conflits de personnes, entre ses habitants, ses financeurs et ses voisins, ne l’inspire guère. Jeune prêtre sans expérience nommé directeur, il ne reste guère qu’un an à son poste. Son successeur, l’abbé Clément, arrive le 13 juillet 1888 au Meix. Il n’y demeure guère plus longtemps. Dans les deux cas, on ignore leur carrière future, et même s’ils sont restés dans la congrégation (où ils ont, c’est clair au moins pour Clément, pris le parti de Cœur contre Donat) ; aucun document ne les cite plus ensuite 827 .
L’abbé Morin, plus que tout autre, paraît être le fils spirituel que Cœur a voulu se donner. Parisien, orphelin de père, d’abord pensionnaire de Saint-Genest à partir de 1880, où il paraît avoir un peu enseigné la musique, il est envoyé par Cœur, après le baccalauréat, au petit séminaire d’Alix puis au séminaire de Saint-Sulpice. Parallèlement, il participe au fonctionnement de la maison en achetant une partie de la propriété du Meix-Tiercelin, à la direction de laquelle il paraît destiné. Mais il décède avant même son ordination 828 le 20 juillet 1891, à vingt-cinq ans. Un service funèbre a lieu à la chapelle de Saint-Genest, avant l’enterrement à Saint-Etienne.
En somme, pas plus qu’il n’a réussi à ouvrir de nouvelles maisons, le père Cœur n’a pu recruter pour sa congrégation. On peut sans doute invoquer un certain recul des vocations, surtout dans un domaine aussi particulier que l’éducation de jeunes difficiles. Il reste que ce constat d’impuissance face au déclin de la société de Saint-Joseph, tant par la réduction de son champ d’action (avec la fermeture des maisons) que par son incapacité à renouveler ses effectifs religieux 829 , a dû lui être particulièrement douloureux, et difficile à accepter la stérilité de ses propres initiatives.
Eric Baratay, op. cit., p. 193.
ADL 85J.
29 décembre 1896, lettre de Mariano Soler, évêque de Montevideo.
6 juin 1896, lettre du père Enrique à Cœur : il dit être resté seul des années au Manga, pensant que son départ ferait perdre à la congrégation une propriété riche de tant de possibilités.
6 mars 1897, lettre du père Ailloud à Cœur.
3 septembre 1896, lettre du père Ailloud à Cœur.
Les Petites Sœurs de Saint-Joseph affichent au Montgay les portraits de leur fondateur et celui de Donat, dont les restes reposent à côté de ceux de Rey dans la chapelle. Mais elles récusent tout successeur…
On trouvera en Annexe 41 les notices nécrologiques des pères de Saint-Genest, retraçant leur carrière.
Ancien nom de La Terrasse-sur-Dorlay, au-dessus de Saint-Chamond ?
ADL 85J, lettre de Rebos à Cœur, 17 septembre 1879 : « Cela me paraît une chance de succès pour des projets qui depuis longtemps me préoccupent. Je ne suis certes que par force dans le ministère des paroisses avec lequel je n’ai jamais sympathisé, à cause de la vie un peu mondaine qu’on est obligé d’y mener souvent. »
La Note sur l’Œuvre de Saint-Joseph (ADL 85J, 31 juillet 1911) dit qu’il est à Saint-Genest depuis 1890 ; il est ordonné le 23 mai 1891. Sa notice nécrologique dans la Semaine religieuse du 24 janvier 1936 précise qu’il a connu Saint-Genest dans la période qui sépare la fin de ses études théologiques de son ordination ; il n’aurait cependant jamais été intégré à la Société de Saint-Joseph, se contentant d’être « prêtre auxiliaire » attaché à la maison.
Natif de Saint-Christo-en-Jarez, ancien élève du séminaire de Saint-Jodard, martyr au Tonkin. Ceux qui ont fréquenté le petit séminaire de Saint-Gildas à Charlieu conservent le souvenir de la représentation de son supplice, particulièrement réaliste et colorée.
Peut-être un cousin à lui ; Cœur a un neveu qui porte ce nom.
Il arrive au Meix en octobre 1887 ; le 4 juin il a été reçu diacre. Il a dû être ordonné prêtre entre ces deux dates.
En mai 1885.
La dernière lettre de Clément date du 22 janvier 1890, de Valfleury où il a peut-être trouvé une cure.
Il n’est alors que sous-diacre.
Masculins uniquement ; nous avons vu que les religieuses continuent à Saint-Genest à recevoir des postulantes.