b) dans les Sociétés de Croix-Rouge…

Œuvres de guerre par définition, les sociétés de Croix-Rouge ont évidemment participé au mouvement de renouvellement de l’époque. Ainsi, c’est à la Croix-Rouge américaine que l’on doit, en 1918, la création de l’Hôpital pour enfants de Chantalouette, géré ensuite par l’Association pour l’aide aux enfants malades. De même, la Croix-Rouge Française de Saint-Chamond (SBM) possède à partir de la guerre un dispensaire-école et une consultation de nourrissons. A Roanne, la Croix-Rouge Française (UFF), à partir de l’hôpital auxiliaire créé en 1914 dans le pavillon de chirurgie, a ouvert en 1924 un dispensaire permettant consultations, pansements et petite chirurgie pour adultes et enfants 878 .

Mais leur activité se poursuit au-delà de l’immédiat après-guerre 879 . Ainsi, par lettre du 20 mars 1924 au maire, la Société Française de Secours aux Blessés Militaires, afin de venir en aide aux « enfants qui sont la France de demain et l’avenir de la race », sollicite une subvention pour la consultation gratuite de nourrissons ouverte dans les quartiers ouvriers de Côte-Chaude et Monthieux : en 1923, onze cent vingt-six enfants y ont été pesés, examinés et soignés, et soixante et onze femmes, enceintes ou nourrices, ont reçu les soins et conseils nécessités par leur état.

On notera l’importance, numérique au moins, de l’aide apportée, ainsi que l’obsession des pesées et des conseils aux mères qui caractérisaient déjà les consultations des Mutualités, et qu’on peut rapprocher de cette autre lettre, envoyée pour la même raison par l’autre Société de Croix-Rouge, l’Union des Femmes de France, le 30 juin 1925 : son comité stéphanois a décidé l’ouverture d’une consultation gratuite des nourrissons dans le quartier du Soleil, afin de venir en aide à la population ouvrière et de contribuer « au développement et à l’amélioration de la famille. »

Il faut insister sur les termes employés, « l’avenir de la race » ici, le « développement et (…) l’amélioration de la famille » là : au lendemain de la guerre, dans ces sociétés qui sont venues en aide aux soldats blessés, l’enfant est fortement valorisé, et la famille présentée comme son cadre naturel de développement, qu’il faut à ce titre soutenir et protéger. Les deux sociétés reçoivent d’ailleurs de la Ville l’aide demandée 880 .

Il ne s’agit pas véritablement de créations, mais de la reprise et de l’extension d’un modèle qui paraît avoir fait ses preuves. Du reste, on peut voir dans la Maison maternelle de la Loire, dont les statuts sont publiés en 1922, une confirmation de cet état d’esprit général. Ainsi que le signalent Mathilde Dubesset et Michelle Zancarini-Fournel, elle

‘« est à la fois un lieu plus particulièrement destiné aux femmes célibataires et aux enfants de l’Assistance publique, mais aussi une maternité ouverte à toutes les femmes, celles-ci pouvant s’installer quelques temps avant l’accouchement, une manière de lutter contre la mortinatalité. » 881

Jeanne Tarantola nous a d’ailleurs confirmé la place de telles consultations dans son travail à la Mutualité maternelle de la Loire à cette même époque 882 , laquelle repose très largement, outre donc cette Maison maternelle, sur des consultations de nourrissons bihebdomadaires où officie notamment le Dr Lucie Comte (la fille du pasteur Comte), sanctionnées par une prime (1 franc), et sur des consultations de grossesse hebdomadaires où est également pratiqué le dépistage de la syphilis. La distribution de layettes, confectionnées sur place, à la Maison maternelle, est en quelque sorte le lien entre les services réunis à Saint-Etienne et les sociétaires de la Mutualité dispersées dans tout le département. Ce lien est matérialisé par les voyages réguliers d’institutrices dont le rôle, central dans l’organisation, consiste donc à répartir les layettes aux sociétaires de leur ville ou village. Là encore, l’instituteur, dans sa version uniquement féminine toutefois parce qu’il est ici question de maternité, est un efficace et bénévole auxiliaire de la protection de l’enfance.

Cette action préventive, dont la forme unique est ainsi largement démultipliée, semble marquer une certaine évolution par rapport à la génération précédente qui, appuyée pour partie sur un système de dépistage qui prenait souvent la forme de visites à domicile, s’apparentait passablement aux organisations de dames d’œuvres. Si dans l’entre-deux-guerres les femmes gardent un rôle prépondérant, il passe par un certain renouvellement des actrices. Colette Giron insiste sur le fait que sa mère, présidente de la Croix-Rouge (SBM) dans les années 1920 et femme de rubanier (elle partage cette présidence avec M. Descours, industriel également), est avant tout une professionnelle. Sa situation d’épouse lui permet effectivement de disposer de temps libre, mais ses prises de positions ou ses décisions sont très largement inspirées par sa propre expérience d’infirmière à Saint-Etienne pendant la guerre 883 .

Notes
878.

Guide des Œuvres et Institutions publiques et privées du département de la Loire, protectrices de la Natalité, de la Maternité, de l’Enfance, de la Jeunesse et de la Famille, aux points de vue médical, moral, éducatif et social, à l’usage de MM. les Maires, Secrétaires de Mairie, Médecins, Administrateurs, Pères de famille et de Mmes les Infirmières, Sages-femmes, etc., Saint-Etienne, Fédération des Œuvres publiques et privées de protection de l’enfance du département de la Loire, 1935, 319 p.

879.

AMSE, 4Q70.

880.

Les 13 mai 1924 et 12 août 1925, respectivement 2000 et 1000 francs.

881.

Mathilde Dubesset, Michelle Zancarini-Fournel, thèse citée, p. 405, et plus largement p. 403 sq. pour les intentions sanitaires de la Maison maternelle.

882.

Entretien du 3 décembre 1990. Melle Tarantola travaillera ensuite à la Fédération des Œuvres de l’Enfance, puis comme secrétaire de direction à l’ADSEA (Sauvegarde de l’Enfance).

883.

Entretien avec Melle Colette Giron, 19 juin 1991.