c) … et dans les patronages

Cette même évolution, cette même reprise d’anciennes formes d’aide par une nouvelle génération de femmes est visible également dans le cas des patronages de jeunes filles, qui accueillent dans leurs organes dirigeants des femmes plus proches de la vie réelle. Ainsi, lorsque l’Abri Féminin, né comme œuvre de guerre, entreprend de se séculariser en 1918, on peut remarquer dans son conseil d’administration, à côté de femmes classiquement sans profession — Mme Hutter, Mme Tézenas du Montcel par exemple —, un certain nombre de dames ou demoiselles engagées dans la vie professionnelle, très souvent fonctionnaires et plus particulièrement enseignantes : la trésorière est Melle Silly, professeur à l’Ecole pratique, la secrétaire générale Melle Roure, secrétaire à l’Office central à la préfecture, et l’on remarque parmi les membres Melle Ancel, directrice du Lycée de jeunes filles, Melle Arlès-Dufour, professeur au Lycée, Melle Baudin, surintendante 884 à la Manufacture ou Melle Ollanier, directrice de l’Ecole Normale.

Toutes, par leur profession, ont un lien avec l’enfance, la famille, le social au sens large.

L’Abri Féminin, qui « a pour but de procurer aux femmes et aux jeunes filles un logement convenable et une alimentation saine et de leur offrir un lieu de repos et de délassement », qui gère pour ce faire un restaurant, un cercle et des foyers féminins, a conservé en 1922 ce mode nouveau d’administration. Il dit alors avoir hébergé au cours de l’année précédente trente à quarante jeunes filles par jour, ouvrières ou employées, et signale sa collaboration avec les Foyers-Cantines Féminins 885 . De fait, les deux associations semblent bien avoir une origine proche, et leur développement paraît lié à un partage des tâches dans les mois qui suivent la fin de la guerre : à l’Abri Féminin celle de loger les jeunes filles au 2, cours Victor Hugo, au Foyer Féminin celle de les accueillir, les nourrir et les divertir 14, place du Général Foy. Leurs Conseils d’Administration respectifs ne sont pas non plus étanches.

Le Foyer Féminin, né en 1918 sous l’impulsion de l’American Young Women’s Christian Association comme œuvre de guerre américaine, devient en effet en 1920 une « œuvre permanente et française » et rejoint alors la Fédération des Foyers Féminins de France, que préside à Paris la comtesse de Roussy de Sales. Un autre Foyer, à Roanne, ne semble pas passer l’année 1924.

Le Foyer dit avoir servi en janvier 1923, mille neuf cent quarante-neuf repas, et deux mille deux cents en janvier 1924, pour un prix moyen de 2,61 à 2,83 francs. Des cours de coupe, lingerie, mode, éducation physique, français, anglais et sténographie sont également dispensés. En somme, on ne quitte guère le domaine des « ouvrages de dames » et, par les cours de langues ou de sténo, on reste proche du modèle d’une femme travaillant, certes, mais cantonnée dans des tâches de secrétariat.

Les activités montrent cependant que c’est la distraction qui domine : la gymnastique a infiniment plus de succès que la sténo 886 . Les dix-huit conférences données dans l’année 1929-1930 font preuve de leur côté d’un bel éclectisme : le Dr Briançon a parlé de Saint-François d’Assise, M. Guitton des Assurances Sociales, Me Simone Levaillant de la place de la femme dans la société moderne, Melle Heurtier 887 de « l’optimisme et la gaîté ». Fêtes, office de placement et de logement, maison de vacances complètent et rendent plus familiales encore ces activités.

Le Comité local compte parmi ses membres plusieurs représentantes du Lycée de Jeunes filles : Melle Bergert, professeur, Melle Wolff, surveillante générale, Melle Ancel, directrice. Lucie Comte est du nombre également.

La rupture en 1931 avec la Fédération nationale, par une équipe renouvelée le 15 novembre, marque une volonté d’autonomie vis-à-vis d’une tutelle parisienne, peut-être un peu trop conservatrice ou moralisatrice. Dans cette équipe nouvelle demeurent Mlles Bergert (vice-présidente) et Wolff, ainsi que Lucie Comte. D’autres fonctionnaires et enseignantes apparaissent : Melle Castaing, directrice de l’Ecole Normale, Melle Malon, ancienne directrice du Lycée, Melle Silly, directrice de l’Ecole pratique, ainsi que Melle Gras, employée à la Banque de France.

On ne peut s’empêcher de donner à cette rupture une signification qu’elle n’a peut-être pas, et de placer ici le véritable changement de génération évoqué plus haut. De ces femmes liées par leur profession au domaine de la jeunesse, on peut se demander si c’est cette profession qui a décidé de leur engagement ; cette marque d’autonomie permet de passer de la notion de vocation, où vie personnelle et engagement se confondent, à l’image de femmes autonomes par leur travail 888 , entrant dans le milieu associatif grâce auquel elles peuvent obtenir une certaine liberté d’action, et peut-être prendre une place nouvelle dans la société. La frontière certes est ténue, son franchissement jamais clairement revendiqué, et le maintien dans le domaine féminin par excellence de l’aide aux jeunes filles pourrait être contradictoire, mais d’autres exemples, certes individuels, comme l’avocate Simone Levaillant déjà évoquée, et dont l’engagement est allé plus loin dans le domaine du féminisme, ou les sœurs Heurtier, peuvent laisser penser que ces femmes trouvent dans leur engagement une façon d’atteindre une nouvelle condition. Et l’on ne saurait imaginer qu’une Lucie Comte, initiée par son père au féminisme, n’en ait pas gardé quelques traces…

Par ailleurs, l’abandon de toute référence confessionnelle, la volonté de ces femmes travaillant souvent dans l’enseignement public et donc laïc 889 de s’intéresser à des jeunes filles entrant dans le monde du travail, l’absence apparente d’un mouvement comparable dans les patronages masculins, contribuent à donner à cette nouvelle génération d’animatrices sa coloration originale.

Notes
884.

Assistante sociale.

885.

ADL, MSup 321 et AMSE, 2Q49.

886.

Cent soixante-douze jeunes filles ont en 1929-1930 suivi les cours de gymnastique, huit seulement la sténo, et trente-deux les cours d’anglais et la chorale (Rapport moral sur la marche du Cercle).

887.

Anna sans doute, professeur au Lycée.

888.

Et peut-être jeunes, même si l’omniprésence des demoiselles n’est pas forcément un indicateur fiable en ce domaine. On peut penser que c’est à ces femmes militantes que le Cercle Féminin, installé plus tard 2, place de l’Hôtel de Ville, doit sa longévité : les 9, 10 et 11 janvier 1968, le journal L’Espoir en célèbre les cinquante ans.

889.

Le parallèle est tentant avec l’image militante des instituteurs des débuts de la Troisième République, même si la féminisation du terme de « hussard » est délicate.