2) La (première et) courte vie du Comité de défense des enfants traduits en justice

a) création

Dans un cas au moins cependant, la guerre est mortifère ; du Comité stéphanois de défense des enfants traduits en justice, dont on a vu qu’il aurait pu être un auxiliaire utile à l’application de la loi de 1912, on perd en effet toute trace après 1916, et pour quelques années.

Le 27 février 1909 890 , ses statuts sont déposés par le juge Antoine Sérol, l’avocat Pierre Meynieux, et le greffier Emile Peix. Leur premier article montre bien l’ampleur des buts pratiques autant que théoriques qu’il entend poursuivre 891  :

  • contribuer à l’amélioration du système pénal et du système pénitentiaire concernant les enfants ;
  • organiser d’une façon pratique, avec l’appui des pouvoirs publics et le concours du barreau, la défense des enfants arrêtés, en signalant aux magistrats, grâce aux renseignements recueillis, les mesures qui paraîtront devoir être prises dans l’intérêt des mineurs et de leur relèvement moral ;
  • veiller sur les enfants au cours de l’exécution desdites mesures ;
  • étudier et signaler les différentes questions pouvant se rattacher à la protection et à l’éducation des mineurs délinquants ou soumis à l’application de la loi du onze avril 1908 892 .

Son siège est au palais de justice de Saint-Etienne, ce qui confirme sa forte tonalité juridique jointe à une volonté de patronage des autorités judiciaires, civiques et économiques, et le différencie d’un Sauvetage bien davantage centré sur la « société civile ».

Il paraît vite reconnu par les autorités locales. A l’occasion de sa première demande de subvention, le maire note que le Comité, afin d’enrayer le développement de la criminalité juvénile, recueille des renseignements sur les enfants pour faciliter au tribunal la recherche de la solution la plus utile « dans l’intérêt de l’enfant. » Il les assiste lors de leur comparution et enfin se charge de leur placement, « soit dans des maisons spéciales d’éducation ou de réforme, soit, surtout, à la campagne. » 893

C’est dans ses activités qu’apparaissent les parentés entre le Sauvetage et le Comité de Défense : l’intérêt de l’enfant est bien cité, considéré comme point de départ du travail de rééducation, lequel reste confié en priorité au système de placement chez des agriculteurs. En revanche, il n’est rien dit d’un éventuel intérêt de la société à se voir protéger de ses éléments dangereux ; là aussi, un tournant se dessine qui pourrait mener à l’ordonnance de février 1945. A une sorte de peur bourgeoise de l’atteinte au droit de propriété se substitue l’idée que le pays a besoin de ses enfants, et que tous méritent d’être protégés et, le cas échéant, rééduqués. Sans doute, ce parallèle esquissé doit beaucoup à la situation, de guerre (ou d’avant-guerre) dans les deux cas, où la vie est particulièrement valorisée, comme du reste l’intérêt de la « race » et de son avenir auquel tous doivent contribuer. Il reste que l’apparent accord de tous, y compris des autorités et des représentants de l’Etat, peut donner sur ce point au Comité une tonalité originale, et moderne.

La place donnée aux enquêtes avant même que ne soit énoncée la loi de 1912, et l’ambition du Comité, extérieur malgré l’éminence de ses membres, de donner un avis circonstancié à la justice incluant les mesures à prendre (au nom de l’intérêt de l’enfant et non celui de la loi ou de la société), confirme cette impression. Du reste, sa traduction annoncée est l’organisation de la défense des prévenus mineurs, ce qui montre bien que les magistrats concernés se sentent plus proches de l’avocat que du ministère public. D’un strict point de vue corporatiste, ce rapprochement peut paraître un peu paradoxal. Cet accès étendu au droit à la défense n’est d’ailleurs pas isolé, puisque depuis décembre 1900 le barreau de Saint-Etienne a pris en charge l’organisation d’un « bureau spécial de consultations gratuites » à l’usage des indigents 894 . On peut donc voir là un mouvement plus général, dont les enfants ne sont qu’une partie des bénéficiaires.

En revanche, rien ne permet de dire que l’ambitieux projet de faire précéder les comparutions d’une enquête propre à aider le tribunal dans sa décision a été suivi d’effet. On se demande bien d’ailleurs qui aurait pu s’en charger, magistrats et avocats étant trop impliqués dans le déroulement des procédures pour avoir le recul et l’impartialité nécessaires, et en l’absence de toute indication concernant d’autres professionnels disponibles.

Notes
890.

Et non pas en 1913 comme le dit le Guide des Œuvres, trop heureux sans doute de marquer ainsi l’importance de la loi de 1912…

891.

ADL, versement 271/74.

892.

Philippe Robert, Traité de droit des mineurs, Paris, Cujas, 1969, 640 p., p. 104 : « Une loi du 11 avril 1908 avait tenté de régir la situation des mineurs prostitués. Il suffira d’en dire qu’elle n’a jamais été appliquée. »

893.

Subvention de 200 francs, renouvelée en 1910 et 1911 : délibérations des Conseils municipaux des 30 avril 1909, 21 octobre 1910 et 15 septembre 1911.

894.

Barreau de Saint-Etienne, Conseil de l’Ordre des Avocats, registre des délibérations, réunion du 1er décembre 1900. Ce bureau, ouvert chaque quinzaine, et composé à part égales de jeunes et d’anciens avocats, passe, en raison de son succès, à une séance hebdomadaire en janvier 1901. Sa disparition n’est pas clairement datée. Mais il est dit au cours de la séance du 16 février 1921 que « toute personne privée de ressources peut librement venir demander au cabinet de chacun d’entre nous des conseils gratuits. Cette pratique traditionnelle est si bien entrée dans nos mœurs qu’elle a fait échouer au bout de quelques temps l’essai d’un bureau de consultations gratuites fonctionnant au Palais. Le bureau ne tarda pas à suspendre ses séances, faute de clients, les indigents ayant continué à demander conseil au cabinet de l’avocat avec le même bénéfice de gratuité. »