1) La Fédération, entre « bonnes œuvres » et Administration

Lorsque le 9 juillet 1931, à 17 heures, s’ouvre l’assemblée constitutive de la Fédération des œuvres publiques et privées de protection de l’enfance du département de la Loire, c’est le docteur Charles Beutter, pédiatre depuis 1909 aux Hôpitaux de Saint-Etienne, qui expose les buts poursuivis par l’association naissante, en se réclamant à la fois du patronage de l’Office central 896 et du Comité de l’Enfance fondé en 1924 par le Dr Merlin, sénateur de la Loire, mais demeuré sans grande activité 897 .

‘« C’est avec la plus vive satisfaction que nous voyons parmi nous de nombreuses dames. Plus proches que nous de l’enfant par leur situation et leurs occupations, elles le sont surtout par le dévouement et les qualités de cœur. (…) Une œuvre comme celle qui nous réunit ce soir a donc le plus impérieux besoin de leur gracieuse et précieuse collaboration. »’

La Loire est riche d’œuvres, publiques et privées. Leur nombre n’empêche pas le manque de cohésion, et l’idée de la Fédération est de les regrouper, afin de leur offrir cohésion, efficacité et soutien technique : « Coordonner les efforts de tous, en respectant la liberté de chacun, telle sera notre devise. » 898

Ce lyrisme très Troisième République, généreux et débordant de bons sentiments (l’union et la liberté), avec ce salut appuyé aux femmes qui n’est jamais qu’une reprise (un peu) mieux présentée de leur rôle le plus traditionnel, le conduit à citer ensuite d’autres exemples d’une semblable volonté d’union, comme la Fédération de Seine-et-Oise ou celle de la Gironde, ce qui montre bien que celle de la Loire s’inscrit dans un mouvement plus général. Il rend hommage au passage au Comité national de l’enfance présidé à Paris par le sénateur Paul Strauss, ancien ministre de la Santé publique, et annonce que la Fédération de la Loire va s’y affilier. Et il insiste sur le rôle qu’a joué à ses côtés, notamment pour faciliter les contacts avec l’administration, François Leboulanger, inspecteur départemental de l’Assistance publique.

C’est lui du reste qui prend la parole à la suite du Dr Beutter, pour préciser l’organisation juridique, administrative et financière de la Fédération, et affirmer que ce projet repose sur un principe fondamental : ne pas apparaître comme étant plus ou moins directement placé sous la tutelle administrative 899 .

Dans cet esprit, un Bureau très ouvert est élu à la tête de la Fédération, regroupant de nombreux médecins, quelques industriels et des représentants des autorités administratives et religieuses 900 .

Dès ses débuts donc, sous la présidence d’honneur du préfet, la Fédération des œuvres de l’enfance montre sa volonté de couvrir la totalité du champ de la protection de l’enfant et de la mère, dans ses intentions comme dans le choix de ses membres. La composition de son Bureau confirme également l’importance croissante de la professionnalisation de ce secteur, mais en mêlant ces « dames » célébrées par Charles Beutter et des praticiens, des catholiques, des protestants et des représentants de l’enseignement public, sous la houlette commune d’un médecin spécialiste et de l’inspecteur départemental de l’Assistance publique, c’est bien à une forme d’ « union sacrée » 901 qu’elle entend appeler, depuis les « bonnes œuvres » jusqu’à l’administration publique.

On trouve bien les trois composantes des organismes spécialisés ultérieurs : la justice, la santé et l’Assistance publique 902 , même si ce sont ici les deux dernières qui dominent, et largement pour la santé.

Notes
896.

« Je suis sûr d’être votre interprète en disant à M. Fougerolles vice-président de la Commission des Hospices civils de Saint-Etienne, membre du Conseil supérieur de l’assistance publique, combien nous lui sommes reconnaissants d’avoir bien voulu présider cette réunion d’organisation. C’est par lui, vous le savez, que fut fondé en 1910 dans un but analogue au nôtre, avec un horizon plus vaste encore, l’Office central de la Charité. C’est donc lui qui nous a montré le chemin à suivre, il ne pouvait refuser d’y guider nos premiers pas. »

897.

« C’est à M. le Dr Merlin , sénateur de la Loire, que revient le mérite d’avoir, le premier, essayé de grouper pour la région, toutes les personnes s’intéressant à l’enfance : en 1924, il fonda dans le département un “ Comité de l’Enfance“. J’avais l’honneur d’en faire partie, ainsi que plusieurs collègues que j’aperçois ici ; nos réunions furent peu fréquentes. Si, ce soir, nous réussissons notre entreprise, nous n’aurons fait, somme toute, que ranimer un organisme déjà existant, à l’état de sommeil en lui donnant, toutefois, un peu plus d’ampleur ».

898.

Fédération des œuvres publiques et privées de protection de l’enfance, registre n°1 ; le discours du Dr Beutter y tient en tout huit pages.

899.

La Fédération, section départementale du Comité national de l’enfance (CNE), entend ainsi « associer des œuvres publiques, n’ayant pas de responsabilité morale, telles que, par exemple, des administrations d’assistance, d’hygiène, relevant de l’Etat ou du département, à des œuvres privées et aux établissements publics d’assistance revêtus de la personnalité morale », grâce à un artifice approuvé à la fois par le CNE et le préfet : « Nous fédérons des œuvres publiques, dépourvues de personnalité, par l’intermédiaire de leurs représentants qualifiés, c’est-à-dire les chefs de service, dûment autorisés à cet effet par l’autorité dont ils relèvent. »

900.

- président : le Dr Beutter,

- vice-présidents : Mmes Geoffroy Guichard et May, MM. le chanoine Heurtier, le pasteur Gounelle, l’inspecteur d’Académie Aubert, le secrétaire de l’Œuvre des Pupilles de l’Ecole publique Richardier,

- vice-président pour l’arrondissement de Roanne : le Dr Maublanc,

- vice-président pour l’arrondissement de Montbrison : M. Moizieux industriel à Boën,

- secrétaire général pour les questions médicales : le Dr Poulain, directeur du Bureau d’Hygiène de Saint-Etienne,

- secrétaires généraux adjoints : les Drs Menhert et Michelon, médecins de la Maison Familiale de la Loire,

- secrétaire général pour les questions administratives et sociales : François Leboulanger,

- secrétaires générales adjointes : Mlles Chapuis, sous-inspectrice de l’Assistance publique, et Levaillant, avocate,

- trésorier : M. Levrat, directeur du Crédit Lyonnais,

- trésorier adjoint : Me Germain de Montauzan, notaire,

- membres assesseurs : le Dr Laurent et M. Sève, directeur du Service d’orientation professionnelle.

901.

L’expression a été utilisée par Melle Tarantola, entretien du 3 décembre 1990.

902.

François Leboulanger n’est pas médecin, même si son avis de décès indique qu’il est « Lauréat de l’Académie de Médecine ». Selon son petit-fils, il a cependant suivi à Paris des études scientifiques (licencié ès sciences de la Sorbonne).